Un mercredi de soleil à Paris

6 octobre 2016


Un lever encore plus matinal ce mercredi, mon train pour la capitale est celui de six heures quarante-sept. Cela me permet de passer au marché d’Aligre avant Book-Off et d’y trouver pour trois euros Marie Bashkirtseff (Un portrait sans retouches) de Colette Cosnier publié en mil neuf cent quatre-vingt-cinq par Pierre Horay. Cet exemplaire n’a jamais été lu. S’y trouve encore la carte postale représentant Cléo de Mérode offerte par l’éditeur. Un autre vendeur de livres a posé un écriteau sur son étalage : « Beaucoup de livres dédicacés à Michel Debré ». Cet argument de vente ne suscite que des commentaires ironiques.
Un vent frisquet souffle qui me pousse jusqu’au Café du Faubourg. Je m’y réchauffe d’un café au comptoir. Près de moi, un habitué se confie au jeune patron patient :
-J’aime pas avoir les ongles sales. Je tiens ça de ma mère. Et les chaussures cirées. Elle était pas méchante pour deux sous, mais elle était exigeante.
Ce genre d’épanchement est courant et autorisé. En revanche, « Les épanchements d’urine sont interdits sur la voie publique » affiche la Mairie devant Book-Off. « Quatre cents sanisettes gratuites sont à votre disposition à Paris », ajoute-t-elle.
Muni de peu de livres, je me rends à Belleville en métro. J’ai envie de canard laqué mais le restaurant que je visais n’y est plus et je n’en trouve pas d’autre. Je me rabats sur Les Triplettes, lieu bobo à la décoration faussement authentique. On y propose une formule à douze euros cinquante, café inclus. J’opte pour les bulots mayonnaise (industrielle) et la bavette sauce béarnaise frites (maison). Le verre de vin est à quatre euros. Je choisis un Pont du Gard bio. Mal m’en prend. Il est servi frais et n’a le goût de rien. Je le signale à la serveuse.
-Je ne sais pas pourquoi ils font ça, me dit-elle, moi non plus je n’aime pas le vin rouge frais.
-C’est peut-être parce que c’est un mauvais vin, lui dis je, et que le servir frais cela permet de le cacher, ça n’a même plus le goût de vin.
Elle ne propose pas de me le remplacer par un autre.
Sorti de là, je passe par la rue Dénoyez, l’une des plus graffées de Paris (elle est en passe d’être détruite, une pelleteuse a déjà mis à bas plusieurs bâtiments) et grimpe jusqu’aux Buttes Chaumont. Sur un banc et sous un soleil devenu chaud, je lis En Patagonie de Bruce Chatwin (Les Cahiers Rouges/Grasset). J’y apprends qu’un village du Pays de Galles s’appelle Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch.
C’est le nom de lieu le plus long du monde, indique Bruce Chatwin en note infrapaginale. Ce que dément Ouiquipédia. Ce n’est que le nom de ville le plus long d’Europe. Au Pays de Galles même, un nom de gare est encore plus long. Le champion du monde est celui d’une colline néo-zélandaise : Taumata­whakatangihanga­koauau­o­tamatea­turipukakapikimaungahoronuku­pokai­whenuaki­tanatahu (impossible de l'écrire ici sans y ajouter des traits d'union).
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Je me suis rarement rendu coupable d’épanchement d’urine sur la voie publique parisienne. Une fois, c’était la nuit sur les quais de Seine, discrètement. Jusqu’à ce que surgisse un bateau-mouche dont les projecteurs me mettent en lumière.
A Rouen, cinq ou six sanisettes gratuites sont à disposition. C’est pousser à la délinquance.