Un mercredi estival avec pique-nique à l’Arsenal

21 avril 2018


C’est grève chez les cheminots ce mercredi, le train de sept heures cinquante-six pour lequel j’ai un billet est supprimé, aussi je crains que le précédent soit blindé, hors il n’en est rien. Jamais je ne l’ai vu quitter Rouen avec si peu de passagers et, bien que cette bétaillère soit transformée en omnibus, les « arrêts de courte durée » à Oissel, Val-de-Reuil Gaillon/Aubevoye et Vernon/Giverny ne suffisent pas à le remplir. Le chef de bord est heureux d’annoncer que, malgré les étapes, nous arrivons à Paris avec seulement « un contretemps de trois minutes environ ».
Cela me donne le temps de musarder jusqu’à la Bastille avec le bus Vingt puis de lire Le Parisien au comptoir du Café du Faubourg, La carte de la météo est formelle : des soleils partout et des températures estivales au moins jusqu’à samedi.
Chez Book-Off une brigade de quatre Japonais ne parlant pas français renouvelle les rayonnages de romans à un euro avec une célérité toute nippone, puis c’est au tour des dévédés ;
-We have many many many dévédés, leur explique le responsable.
Peu de ces films à un euro semblent trouver preneur. Pour ma part, je n’en ai pas l’usage. Je déteste être assis passivement devant un écran. Je paie un euro pour Warhol, biographie signée Michel Nuridsany, publiée chez Flammarion.
Ce sont les vacances scolaires à Paris, ce qui entraîne la présence d’un seul marchand de livres au marché d’Aligre. Il a supprimé les étiquettes « 1 euro » de son stock inchangé. Je ne m’y attarde pas.
Je retourne vers la Bastille et m’assois sur l’un des bancs qui jouxtent la statue de Caron de Beaumarchais afin d’attendre celle avec qui j’ai rendez-vous à midi. Elle arrive munie d’un sac en papier contenant le pique-nique qu’elle m’a proposé de partager avec elle à l’Arsenal.
Nous sommes parmi les premiers à nous installer sur l’un des murets du port alors qu’accoste le Marcel Carné, lequel achève sa virée sur le canal Saint-Martin au son des chansons de Mistinguett.
Tandis que nous partageons wraps et croissants au jambon en parlant de nos vies respectives, moult pique-niqueuses et niqueurs s’installent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une place de libre. Certain(e)s s’assoient par terre au bord de l’eau. Cela nous rend nostalgiques de la balade qu’on faisait ici le premier janvier lorsqu’elle me tenait la main. Elle me donne le petit cadeau qu’elle a rapporté pour moi de Sicile, je n’ai jamais reçu la carte postale qu’elle m’a envoyée de là-bas. Je lui propose d’aller prendre le café dans un troquet avec terrasse près de son lieu de travail. La seule où il y a de la place est à l’ombre mais il y fait bon.
Quand elle doit aller travailler, je retourne au port de l’Arsenal lire les Mémoires inutiles de Carlo Gozzi qui méritent bien leur nom. Le Marcel Carné s’apprête à partir. Il est comble, sur le toit les familles, à l’intérieur les groupes de vieux. Un divorcé et ses deux moutards, arrivés les derniers, n’ont d’autre choix que de tenir compagnie aux ancêtres. Mistinguett recommence à chanter et les voici partis vers cette double supercherie qu’est l’Hôtel du Nord (seule la façade est conforme à celle d’autrefois et surtout le film a été tourné au studio de Billancourt).
Un bus Vingt-Neuf me conduit vers l’autre Book-Off où je paie un euro Zelda et Scott Fitzgerald (les années vingt jusqu’à la folie), la biographie signée de Kendall Taylor publiée chez Autrement.
Mon train de dix-sept heures quarante-huit est maintenu. C’est un Corail. J’y trouve un fauteuil mais d’autres voyagent assis par terre jusqu’à Rouen où il arrive à l’heure.
                                                          *
Ce mercredi matin, encore une fois Edwy Plenel sur un Vélib’ près du carrefour Ledru-Rollin/Faubourg Saint-Antoine. Pitoyable spectacle qu’il a donné avec son compère Bourdin face à Macron dimanche soir à la télé, deux roquets qui livrent leurs avis plutôt que de poser une question sensée. Bref : tombés dans le piège tendu.
                                                         *
Les filles, les premières à prendre la mesure du temps estival, chortes et minijupes vite sortis des placards.
                                                         *
Le contretemps, ce retard de rien du tout.