Un mercredi mouillé au Quartier Latin et ailleurs

1er avril 2016


Ce mercredi matin, remontant la rue de la Jeanne pour me rendre à la gare, je constate que le contenu de plusieurs bacs d’ordures a été déversé devant la porte de la boutique Normandie Philatélie. C’était déjà le cas la semaine dernière. Je me demande qui peut en vouloir à ce point à la gérante de cette boutique et pourquoi. Les passants pressés font comme moi, ils contournent l’obstacle.
A huit heures douze, l’habituel train à sièges colorés prend son essor vers la capitale et j’y arrive avec la pluie et un changement d’emploi du temps car le repas prévu dans le dix-huitième arrondissement chez celle qui travaille tant et tant a dû être annulé en raison d’un rendez-vous professionnel.
Je me dirige donc en métro vers le Book-Off de la Bastille. Je l’explore puis prends le bus Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin. J’en descends devant l’Institut du Monde Arabe avec l’intention de déjeuner dans une brasserie dont j’ai bon souvenir mais celle-ci est détruite par des travaux et renaîtra sous je ne sais quelle forme qui me plaira moins.
Sous quelques gouttes, je remonte la rue des Ecoles, tourne à droite avant le boulevard Saint-Michel et me rabats sur le SaintSev’, restaurant dont le menu est français et les cuisiniers et serveurs d’ailleurs. On y entend Radio Nostalgie. Pour douze euros j’ai droit à une soupe à l’oignon suivie d’un sauté de porc et d’une mousse au chocolat. Avec un quart de sauvignon, cela fera dix-huit euros. Quelques touristes me tiennent compagnie, dont une grand-mère et sa petite-fille d’une vingtaine d’années. La première se plaint de ses douleurs aux pieds.
-Bientôt tu mettras des baskets, tu sais, comme les vieux en Amérique, lui dit sa moqueuse descendante.
Par la vitre, j’observe d’autres touristes qui semblent un peu perdus et désolés par le temps, tous porteurs de parapluies ou de vêtements adaptés dont un imperméable IdBus. Un vieux barbu à grande croix chrétienne les harangue sans succès.
Sorti de là, je vais fouiller dans les livres d’occasion que l’on trouve encore en nombre dans ce Quartier Latin qui a bien changé et achète chez Gibert Joseph, pour neuf euros soixante-dix, L’occupation et autres textes de Georges Perros (Joseph K.) puis à la librairie de Cluny, pour dix euros, les Lettres de Maurice Sachs (Le Bélier), l’exemplaire numéro cent trente-quatre sur vélin d’Annonay, paru en mil neuf cent soixante-huit, pages non encore coupées.
Le bus Vingt-Sept m’emmène vers l’Opéra Garnier. Il passe par le Louvre. Je m’étonne encore une fois que nul n’ait protesté quand a été construit le parallélépipède qui abrite la boutique alors que la pyramide de Pei avait suscité une polémique insensée. Ce bloc rouge est pourtant une grave atteinte esthétique au Louvre et à la pyramide.
Avant de fureter dans le second Book-Off, je prends un café à La Clef des Champs. Une grand-mère sexy de trente-huit ans (le plus âgé de ses petits-enfants a trois ans, « on commence tôt chez nous ») se réjouit de prendre l’avion demain pour cinq semaines de vacances en famille.
-Tu ne sais pas qu’il y a grève demain ? lui disent les jaloux.
-A Air France oui, mais moi je voyage avec Aircalin. Tu ne sais pas ce que c’est Aircalin ? C’est le petit nom d’Air Calédonie International.
Au comptoir, cette explication déçoit.
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Trouvé chez Book-Off à un euro : La Police des écrivains, recueil de rapports de la Police et de ses mouchards sur quelques-uns des délinquants de la plume et du stylo. Cette compilation publiée chez Horay est due à Bruno Fuligni. J’en avais déjà un exemplaire (et l’ai évoqué dans la première partie de ce Journal le vingt-six décembre deux mille onze) mais ce deuxième est dédicacé par le compilateur à Chantal Cerveau « bien cordialement ».
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Que de cloches sur le parvis de la Cathédrale de Rouen ce jeudi matin : des énormes, des grosses, des moyennes, des petites, des restaurées et des neuves. Le retour de Rome au temps de Pâques semble ne pas être une légende cette année. Un camion à bras télescopique en place une sur sa plateforme puis recule à demi à l’intérieur de l’édifice.
J’y entre par le portail de la Calende, où un faux borgne tente d’établir un péage, et assiste à la dépose. Le bras télescopique frôle le dessous du buffet de l’orgue. « Elles vont être bénies dimanche et resteront là un mois, ensuite elles seront ressorties et installées par l’extérieur dans la tour Saint-Romain », m’explique un homme d’église. Il s’agit de reconstituer le carillon, hors d’usage depuis les années quatre-vingt-dix.
En ressortant, j’entends le bruit de la manifestation contre la « Loi Travail » à laquelle je n’ai pas envie de participer.