Un samedi à Paris pour cause de double réservation

11 janvier 2016


Plutôt que mettre à la poubelle mes billets de train du six janvier achetés une deuxième fois, je m’offre un nouvel aller pour Paris, mon retour étant assuré par l’un des doubles valable une semaine et me voici ce samedi matin rejoignant la gare de Rouen sous une pluie conséquente.
Dans le train de huit heures douze une quinquagénaire se maquille longuement à ma gauche tandis qu’à ma droite une jeune femme dans les vingt-cinq ans lit Harry Potter. On pourrait croire que je lis aussi une niaiserie au vu du titre Est-ce que tu m’aimes encore ? alors qu’il s’agit de la correspondance entre Rainer Maria Rilke et Marina Tsvétaïeva que les Editions Rivages ont cru bon de nommer ainsi
Il ne pleut pas dans la capitale et même il se met à faire plutôt beau quand je sors de chez Book-Off, rue du Faubourg Saint-Antoine. Je choisis de me rapprocher pédestrement du Centre Pompidou. A midi, une envie de couscous me fait entrer au Sebastos où il est affiché sur le trottoir, mais pas servi le samedi, apprends-je à l’intérieur. On m’indique le Djurdjura, première à droite. Là, on n’en propose pas moins de sept sur la carte mais celui dénommé méchoui que je choisis n’est pas disponible, seuls le sont les basiques avec merguez ou poulet ou mouton. Ce n’est pas très honnête, dis-je au patron en quittant la table.
Je me rabats sur une saucisse de l’Aveyron, affichée et réellement servie au Cavalier Bleu, l’un des vastes restaurants faisant face au Centre Pompidou. Je mange en terrasse chauffée et fermée près d’une table où l’on petit-déjeune et d’une autre où l’on fume en buvant un café. Des cendriers sont sur toutes les tables. Il n’y a qu’à Paris que l’on sait s’arranger avec la loi. De temps en temps passent en marchant lentement les militaires qui font désormais partie du paysage. Comme dessert, je choisis le tiramisu. Avec un quart de côtes-du-rhône, cela fait vingt et un euros dix centimes, ce qui est fort raisonnable pour le quartier et le samedi.
Après avoir salué les aimables serveurs, je traverse la piazza sans craindre une longue attente à la fouille des sacs. La très longue file qui inquiète les touristes est celle des étudiant(e)s qui désormais passent aussi par l’entrée principale du Centre Pompidou pour aller à la Bépéhi. C’est aussi dans cette bibliothèque que j’entre un peu plus tard. Il s’y tient une exposition Claire Bretécher.
                                                                         *
La correspondance entre Rainer Maria Rilke et l’exaltée Marina Tsvétaïeva est courte pour cause de mort du premier à cinquante et un ans, le trente décembre mil neuf cent vingt-six. Marina, trente-trois ans, lui a écrit à l’invitation de Boris Pasternak avec lequel elle échangeait sans l’avoir rencontré le même genre de missives et qu’elle laissera tomber pour ce Rainer qu’elle n’aura pas davantage vu.
Maria à Rainer, le six juillet mil neuf cent vingt-six : Je ne suis pas un poète russe et je m’étonne toujours qu’on me tienne pour telle et considère pour telle. Et donc on devient poète (si tant est qu’on puisse le devenir, qu’on ne le soit pas avant tout !) pour être non pas français, russe, etc., mais pour être tout. La nationalité –séparation et fermeture.
Rainer à Maria, le vingt huit juillet mil neuf cent vingt-six : Tu as raison, Marina, (n’est-ce pas rare chez une femme ?)… (Oh, Rilke !)
Maria à Rainer, le deux août mil neuf cent vingt-six : Je t’aime et je veux coucher avec toi, cette concision n’est pas permise à l’amitié. mais elle précise : Si tu me prenais contre toi, tu prendrais contre toi –les plus déserts lieux.
Maria à Rainer, le vingt-deux août mil neuf cent vingt-six, à propos de Boris Pasternak : Trop bon, trop compatissant, trop patient. Il fallait que le coup vienne de moi.