Un samedi de novembre à Dieppe

11 novembre 2019


Du soleil ce samedi matin, de quoi me donner envie de monter dans le train de neuf heures douze pour Dieppe. En chemin c’est ciel bleu et feuilles rousses, parfois dans un semi-brouillard. A l’arrivée, après avoir réservé une table pour midi à L’Espérance face au port de pêche où tous les bateaux semblent à l’arrêt, j’entre au Tout Va Bien. Je trouve place, côté fauteuils moelleux, près d’un quatuor de marins-pêcheurs plus très jeunes qui discutent des quotas. La saison de la coquille Saint-Jacques est comme chaque année problématique. Aujourd’hui, on ne peut les pêcher.
-Bon bah je vais bricoler un peu mon bateau, ranger un peu le bordel, déclare soudain l’un en se levant
Les trois autres le suivent. Leur table est bientôt occupée par deux couples à chariot retour du marché. Il est question d’une certaine Charline qui vient d’avoir son diplôme de facilitatrice en éducation positive. Je suis vers la fin des Lettres de guerre d’Heinrich Böll qui passa une partie de celle-ci pas loin d’ici, au Tréport, sous l’uniforme nazi.
La patronne de L’Espérance me fait toujours de l’effet, mais l’adultère n’est pas au menu. Dans celui à dix euros quatre-vingt-dix-neuf, je choisis le buffet d’entrées, la langue de bœuf à la provençale avec frites et la panna cotta aux fruits rouges. A ma droite, des grands-parents déjeunent avec leurs trois petites-filles. A ma gauche, c’est un couple de vieux homos. Ils ont aussi peu à se dire que les couples d’hétéros du même âge.
-Qu’est-ce que t’as pris ?, demande l’un à l’autre
-De la raie.
-Ah oui, c’est bon la raie.
Je ne sais comment interpréter cela.
Mon repas achevé, je fais un tour au Pollet, m’attardant à regarder les manœuvres du Christophorus. L’imposant chasseur de vase opère un demi-tour dans l’avant-port. Puis je vais marcher le long de la plage où les baraques à frites sont fermées pour de longs mois. Plus question de café en terrasse, c’est à l’intérieur du Brazza que j’atteins le bout de ma lecture.
En sortant, je croise le défilé des confréries et leur bagad, une aguiche pour la Foire aux Harengs de la semaine prochaine (ou un avertissement pour ceux qui comme moi ne mettent jamais le pied dans ce genre de festivité).
Dans le train de seize heures neuf qui me ramène à Rouen, le contrôleur prouve son utilité en collant un supplément de quarante-deux euros à la demoiselle assise devant moi pour avoir pris un billet à tarif réduit bien que sa Carte Jeune soit périmée puis en lançant un appel au corps médical afin qu’il vienne en aide à une voyageuse qui ne se sent pas très bien. Deux jeunes hommes et une jeune femme s’occupent d’elle. Rien de grave, elle aurait mangé des coquilles Saint-Jacques.
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Lucette Almanzor, épouse Destouches, ne sera jamais comme j’en rêvais la doyenne des Français(e)s, apprends-je au retour. Elle est morte ce huit novembre à l’âge de cent sept ans. « C’est fou je pensais justement à elle hier. Je relis D’un Château l’autre depuis quelques semaines », m’écrit l’ami de Stockholm quand je lui apprends la nouvelle.
L’un comme l’autre, nous sommes allés ces derniers mois voir la maison de Céline, dans laquelle Lucette se trouvait entourée des trois employées payées par sa vente en viager à un voisin. Celui-ci va sans doute la rénover. Elle deviendra aussi banale que celles du même modèle, route des Gardes, à Meudon.