Vernissage de l’exposition Alex Varenne, itinéraire libertin à l’Opéra de Rouen

26 novembre 2016


Eh bien, je dois ouvrir ma veste à la demande des vigiles ce jeudi après-midi un peu avant dix-huit heures à l’entrée de l’Opéra de Rouen où m’amène le vernissage de l’exposition Alex Varenne, itinéraire libertin. On me remet un ticket d’entrée gratuite et je vais voir à quoi ressemblent les peintures érotiques, plexiglas et acrylique, de celui que je ne connais que par ses bandes dessinées découvertes il y a bien longtemps dans Charlie Mensuel et L’Echo des Savanes puis avec ses albums. Elles sont à mon goût, bien que les femmes qu’il dessine soient plus callipyges que celles qui m’émeuvent, et que les exposées soient plutôt sages, davantage que certaines autres qu’il est possible de regarder dans les quelques ouvrages de lui mis à disposition.
Alex Varenne est là, grand homme solide à cheveux blancs, soixante-dix-sept ans. Il vient de retrouver une vieille copine pas vue depuis trente ans.
-Ne me dis pas que je n’ai pas changé, ce ne serait que politesse, lui dit-elle.
Nous ne sommes pas nombreux, moitié habitués de l’Opéra, moitié amateurs de bédés. Le libraire du Grand Nulle Part installe quelques piles de livres à vendre. Une journaliste de Paris Normandie montre le bout de son calepin. Laurent Bondi, le Secrétaire Général Adjoint, invite tout le monde à se regrouper. Point n’est besoin du micro pour qu’il dise quelques mots de bienvenue à l’invité et lui demande si le regard porté sur ses œuvres a changé au fil du temps. On se doute de la réponse.
-Autrefois mes bédés étaient dans toutes les grandes surfaces et en vitrine des librairies. Aujourd’hui on les trouve seulement au fond des librairies sur l’étagère du haut marquée bédés pour adultes, comme si toutes les autres bandes dessinées étaient destinées aux enfants. Je crois que c’est avant tout de l’autocensure.
Il ajoute qu’il a été étonné quand il a reçu la proposition d’exposer ici.
-Ça ne plaira peut-être pas à tout le monde, dit Laurent Bondi, mais ceux qui n’auront pas envie de voir ces peintures n’auront qu’à aller directement au foyer ou dans la salle.
-Il peut aussi y en avoir qui arriveront en retard au spectacle parce qu’ils se seront attardés devant ces images, fait remarquer l’un des présents.
Trois jeunes enfants sont là, dont la fille de la Chargée des Actions Culturelles. Celle-ci lui fait faire le tour de l’exposition dont elle s’est occupée.
-Cela n’est pas très différent de la publicité Aubade que l’on peut voir actuellement dans les rues, commente une présente.
Nous prenons un verre en mangeant quelques cochonneries. Je demande à Alex Varenne s’il fait toujours de la bande dessinée.
-Oui, j’en ai sorti trois depuis l’an deux mille, des gros volumes. J’ai la chance que mes lecteurs soient fidèles. Depuis le début, ils m’ont fait vivre.
-Ah oui, vous avez pu vivre uniquement de la bédé ?
-Non, j’ai aussi été professeur d’art plastique pendant trente ans dans un lycée. C’était aussi une façon d’être dans un milieu stimulant sur le plan artistique. Maintenant, je suis à la retraite et je peux peindre tout le temps.
En rentrant, je dois traverser le Marché de Noël. Cette obscénité n’est ouverte que depuis la veille mais déjà fréquentée par la foule.
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Laurent Bondi :
«Comme vous l’avez écrit : Vous êtes né d’un acte hautement pornographique».
Alex Varenne :
«Nous sommes tous nés d’un acte hautement pornographique. Et, en ce qui concerne mes parents, je préfère penser à eux sous cet aspect, plutôt qu’à ce qu’ils avaient dans la tête.»
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Il n’y a pas que les images, il y a aussi les textes.
Echantillons :
Aude a un corps sublime mais qui rend triste car on ne peut se résoudre à penser qu’une telle beauté puisse être éphémère.
Sandrine est une femme d’intérieur. Elle adore cuisiner et reçoit beaucoup chez elle ses amis, ses amants et ses clients.
Egalement, mais non exposée :
Léa regardait son sexe encore imberbe, pourtant ses seins étaient déjà appétissants.
J’aime aussi :
Il y avait si peu d’air que les oiseaux tombaient du ciel.
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Ce même jeudi, en début d’après-midi, alors que je suis en train d’écrire à l’Ubi, lieu artistique mutualisé ouvert à ses adhérents, la Service Civique chargée du bar vient me dire qu’elle doit partir et que je vais devoir quitter les lieux. Rien n’est plus perturbant que d’être obligé d’arrêter brutalement d’écrire un texte presque terminé.
-Lorsque cela arrivait l’an dernier, lui dis-je, un écriteau « bar fermé » était mis sur le comptoir et les présents pouvaient rester puisque le lieu lui-même demeure ouvert.
Elle ne veut rien entendre et exige que je parte, tout comme le jeune homme venu là pour la première fois et qui n’y remettra peut-être plus les pieds.
Cette fille nouvelle se prend terriblement au sérieux et veut tout régenter. J’imagine comment elle sera le jour où elle aura autre chose qu’un emploi précaire et subalterne.
Heureusement, le plus souvent j’ai affaire à l’autre Service Civique, un jeune homme sympathique qui, le jour où je me suis pointé alors que c’était fermé pour travaux un jour plus tôt que prévu, m’a dit « Mais vous pouvez rester si vous voulez et je peux même vous faire un café. »