Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A l’Ouest (quarante et un) : Saint-Quay dernière

5 juillet 2023


Ce n’était pas annoncé mais c’est une journée grise et pluvieuse qui m’attend pour mon dernier jour à Saint-Quay-Portrieux. Vers sept heures, je descends mon kilomètre sous une petite pluie. «  A bientôt », me dit comme toujours le patron du Mustang quand j’ai terminé mon petit-déjeuner. Je ne lui dis pas que c’était la dernière fois. Trop de bruit et de curiosité en découleraient.
Il pleut toujours un peu quand je marche encore une fois sur le sentier douanier, plage du Casino, piscine d’eau de mer noyée par la marée haute, plage du Châtelet, sémaphore, belvédère, chemin qui tombe dans la mer, turquerie, île de la Comtesse bien entourée d’eau, plage de la Comtesse, Port d’Armor, Vieux Port du Portrieux, par miracle Le Poisson Rouge est déjà ouvert à huit heures et demie.
Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. Mon Folio trouvé dans l’originale boîte à livres de Saint-Quay a appartenu à Lauriane Gegou. Sans doute l’a-t-elle lu durant sa scolarité. Tout comme moi, car c’est en Seconde que j’ai lu ce livre de Camus pour la première fois. Il y a cinquante-cinq ans, au Lycée de Louviers, avec Madame Blanluet, une jeune professeure pleine d’ardeur. J’avais la chance d’être en Seconde Moderne. Les élèves de Seconde Classique avaient le vieux professeur qui enseignait aussi le latin et le grec. En français, ils étudiaient les auteurs des siècles passés d’une façon soporifique.
« Peut-être à une autre fois alors », me dit le patron du Poisson Rouge quand je lui annonce que c’était ma dernière fois en le remerciant de son sympathique accueil.
En revenant par le centre du bourg je m’arrête à la petite agence du Crédit à Bricoles pour prendre des billets à la tirette. Sa vitre cassée pendant les émeutes est en train d’être remplacée. J’entre un peu plus loin chez CocciMarket et achète deux sandouiches triangles pour mon déjeuner de demain.
Comme il pleut toujours un peu, c’est à la table haute sous l’auvent que je m’installe au Café de la Plage. Au loin, des kayaks de mer disparaissent dans la brume. Une femme fait du longe-côte avec un parapluie. Je continue ma lecture jusqu’à midi puis déjeune à l’intérieur du menu du jour : rillettes de poissons aux algues, filet mignon cuisson basse température sauce béarnaise pommes de terre et mousse au chocolat vegan. C’est surtout le dessert qui me plaît.
Je retourne ensuite à mon perchoir sous l’auvent pour boire le café et pour terminer L’Etranger, un roman suffisamment réaliste pour que je sois encore intéressé par ce qu’il raconte, et qui n’a pas vieilli.
La gentille serveuse est au comptoir, à qui je paie mon euro cinquante. « C’est la dernière fois », lui dis-je. « Alors je vous redonne votre argent », me dit-elle. « On m’a déjà offert deux cafés » « Jamais deux sans trois » (un proverbe breton sans doute). Je la remercie, ainsi que celui que je pense être l’un des patrons, pour l’accueil chaleureux.
Il ne pleut plus quand je remonte encore une fois la côte un peu trop pentue qui mène à mon studio Air Bibi. Il fallait que je parte avant l’arrivée de la foule des estivants. Cela me rend quand même un peu morose.