Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

20 août 2016


Publiée par Arléa, Aphorismes et insultes est une anthologie d’extraits de textes d’Arthur Schopenhauer surtout tirés des Parerga et paralipomena et des Fragments biographiques. Sa lecture fut un petit plaisir de terrasse dont je tire ce florilège personnel :
Les hommes ressemblent aux enfants qui prennent de mauvaises manières dès qu’on les gâte ; aussi ne faut-il être trop indulgent, ni trop aimable envers personne. De même qu’ordinairement on ne perdra pas un ami pour lui avoir refusé un prêt, mais plutôt pour le lui avoir accordé, de même ne le perdra-t-on pas par une attitude hautaine et un peu de négligence, mais plutôt par un excès d’amabilité et de prévenance ; il devient alors arrogant, insupportable, et la rupture ne tarde pas à se produire. (Parerga)
Les coups de marteau, les aboiements des chiens et les cris d’enfants sont épouvantables ; mais le véritable meurtrier de la pensée est le claquement du fouet. (idem)
Honnêtement, on ne pourra jamais dire grand bien d’un caractère national, puisque national veut dire qu’il appartient à une foule. C’est plutôt la petitesse d’esprit, la déraison et la perversité de l’espèce humaine qui, seules, ressortent dans chaque pays sous une forme différente, et c’est celle-ci qu’on appelle le caractère national. (idem)
Prétendre rechercher impartialement la vérité avec l’intention de donner la religion du pays comme résultat, mesure et contrôle de celle-ci, cela est inadmissible ; et une pareille philosophie, attachée à la religion du pays comme un chien de garde à sa chaîne, est seulement la caricature de l’effort le plus haut et le plus noble de l’humanité.  (idem)
Si j’étais roi, l’ordre que je donnerai le plus souvent et avec le plus d’insistance par rapport à ma personne serait celui-ci : « Laissez-moi seul ! » (Fragments biographiques)
Dans un monde qui se compose pour les cinq sixièmes au moins de coquins, de fous et d’imbéciles, la règle de conduite de chaque membre du sixième restant doit être de se retirer d’autant plus loin qu’il diffère davantage des autres, et, plus loin il se retire, mieux cela vaut pour lui. (idem)
                                                                   *
Malheureusement, on trouve aussi chez Schopenhauer quantité de niaiseries à propos des femmes incapables de penser.
Il est aussi obnubilé par le succès de ses collègues philosophes de l’Université de Berlin, Hegel, Schelling et Fichte, sur lesquels il dit des horreurs.
Lui-même, quand il tenta de donner des cours, n’eut que quatre auditeurs : un maître de manèges, un changeur, un capitaine en retraite et un dentiste, explique Didier Raymond dans la préface.
                                                                  *
En lisant Arthur, j’ai appris que l’ochlocratie est le gouvernement par la foule. Ce mode de gouvernement est particulièrement en vogue en ce début de vingt et unième siècle.
 

19 août 2016


Avant le Paris Rouen en trois heures, ma journée parisienne est marquée par une chaleur que j’ai du mal à supporter et un gros ratage : aller à pied de la rue de Charonne, après un excellent rôti de porc aux ananas accompagné d’une épaisse purée mangés à l’intérieur de Chez Céleste pour cause de réfection de l’enrobé (comme toujours ce sont des hommes à peau noire qui manipulent le goudron, ceux à peau blanche organisent), jusqu’au boulevard de Sébastopol dans l’espoir que la Bouquinerie du Centre solde avant sa fermeture, laquelle m’avait été annoncée par le caissier à une date incertaine mais sans doute début septembre, et arrivé sur place, épuisé, découvrir qu’aucun livre n’est bradé.
Sur la vitrine, l’affiche « à louer » est toujours là mais rien à l’intérieur du magasin, où il fait une chaleur à crever, ne montre l’imminence d’une fermeture, il y a même une table « nouvel arrivage ».
Dépité, je me réfugie chez Book-Off où l’air est conditionné et les soldes permanents.
                                                           *
Rue de Rivoli,  une jeune femme au téléphone :
-Je reçois de lui que des coups de téléphone qui me font chialer. Je lui ai dit : y faut que tu me dises. Y m’a dit : je sais pas, je sais pas, je sais pas.
(L’Amour)
                                                           *
Même rue, un peu plus loin, un mendiant dont le gobelet est accroché au bout d’une canne à pêche.
                                                           *
Je ne peux passer dans cette rue sans songer aux rudes rêves au lit de Boby.
                                                           *
Un quinquagénaire qui tourne les pages de son téléphone comme s’il s’agissait de celles d’un livre et appuie sur les touches de l’écran comme s’il s’agissait de touches de clavier.
                                                           *
Rue d’Amsterdam, café L’Atlantique, une jeune femme à une autre :
-J’y ai dit : me touche pas, me touche pas. Bah quoi, qu’est-ce t’arrive ? qu’y me fait. Je fais : ça va, elle était bonne l’autre pétasse, la Stéphanie qui t’a envoyé quatre messages hier.
(L’Amour encore)
 

18 août 2016


Ce mercredi quand je rejoins une gare Saint-Lazare surchauffée après ma journée parisienne, je constate avec plaisir que le train de dix-sept heures quarante-huit pour Rouen est affiché « à l’heure » alors que certains pour la banlieue sont annulés et que d’autres pour la Normandie sont annoncés avec un retard de « trente minutes ».
Ce train est une bétaillère ne disposant évidemment pas de la climatisation. Toutes les vitres sont baissées. Cela ne sert à rien. A l’heure du départ, le chef de bord nous annonce que « notre train sera retenu en gare pendant dix minutes environ suite à des problèmes de régulation et de fluidité du trafic. »
Dix minutes plus tard, nouveau message : « Tous les trains sont bloqués en gare à cause d’une personne descendue dans les voies ». Une intervention policière est en cours.
Au bout d’un certain temps, la voie féminine de la gare annonce que « la circulation va reprendre très progressivement. »
-Le contrevenant est capturé, commente notre chef de bord.
Rien ne se passe. La voix de la gare nous répète toutes les cinq minutes que tous les trains ont été bloqués par cette personne « dans les voies » puis soudain elle nous annonce la « nécessité de trouver de nouveaux sillons horaires»
Plus tard, tandis que nous suons à grosses gouttes, nous comprenons que la situation ne s’arrange pas.
-Nous sommes en train de réunir toutes les ressources nécessaires afin de vous assurer un départ dans les plus brefs délais.
Le délai se prolonge, aucun train n’a encore quitté la gare. Un nouveau message nous apprend qu’un conducteur de train est parti s’assurer qu’il n’y a plus personne « dans les voies » entre Pont Cardinet et Saint-Lazare. Les voyageurs pour La Défense sont invités à prendre le métro.
On attend le retour du courageux conducteur. A dix-huit heures cinquante, notre chef de bord nous annonce le départ imminent de notre train. Il démarre effectivement, puis s’arrête au bout d’une dizaine de mètres, environ.
« La personne est toujours dans les voie» nous dit la voix de la Senecefe . « Un avitaillement en eau va être effectué pour notre train au plus vite », ajoute le chef de bord.
A dix-neuf heures dix, on nous apprend que « la personne dans les voies a été retrouvée, la circulation va reprendre très progressivement. »
L’eau minérale Saint Benoît arrive à dix-neuf heures vingt-cinq.
« Notre train va partir » nous annonce triomphalement le chef de bord.
-Hey, ça va pas, j’ai pas envie de me retrouver en Normandie, moi, s’écrie la distribueuse de bouteilles à gilet rouge en se précipitant à l’extérieur.
Il est dix-neuf heures vingt-huit. Nous sommes les premiers à partir, avec une heure quarante de retard. Le personnel de bord recense les voyageurs qui avaient une correspondance pour Serqueux et Saint-Valéry-en-Caux. Ils seront convoyés en taxi au frais de la Senecefe.
A vingt heures quarante-huit, nous sommes à Rouen et avons droit à un dernier message du chef de bord : « Nous vous souhaitons une bonne soirée quand même.»
                                                                *
La voix féminine de la Senecefe nous répétant toutes les cinq minutes la raison du blocage des trains en gare, on croirait une télé d’information continue sans l’image.
                                                                *
Durant l’attente exténuante à Saint-Lazare, silence consterné de tout le monde. Sauf de la part d’une jeune femme blonde qui a chaque rebondissement s’écriait « Oh putain ! » Elle quittera le train avant son départ.
 

17 août 2016


Des notes prises en lisant Pages de Journal (1939-1944) d’Edith Thomas publié chez Viviane Hamy, j’ai retrouvé l’ensemble. De quoi lui consacrer un texte pour elle toute seule, élaboré dans le paisible jardin, à l’ombre de son arbre central :
Chez le marchand de journaux ; une dame :
-Monsieur, je voudrais Vogue.
-Vogue paraît en zone libre, le directeur était juif.
La dame :
-Il était juif ? Ah ! je ne l’aurais pas cru. (dix février mil neuf cent quarante et un)
Le docteur P a été l’interne d’Aragon lorsqu’il commençait sa médecine : « Il n’y avait rien à en faire. Il se fichait de tout. Et quel mépris pour les hommes et les malades des services ! C’était un bourgeois qui aimait qu’on parlât de lui, d’où le choix du surréalisme, puis du communisme : un salaud. »
C’est beaucoup plus complexe que P. ne le dit. Mais je souscris entièrement au dernier qualificatif et au mépris d’Aragon pour les hommes. (vingt-sept avril mil neuf cent quarante et un)
La planète brûle. L’Atlantique et le Pacifique sont de grands brasiers ; sur la neige des steppes, se recroquevillent les cadavres.
Et moi je mets en fiches les contrats de mariage du XVIIe siècle. (neuf décembre mil neuf cent quarante et un)
Jamais on n’est allé autant au théâtre, au cinéma. (…)
Dullin jouit enfin d’un grand théâtre somptueux avec des guirlandes, des anges ventrus, des escaliers, des lustres en cristal (le théâtre Sarah Bernhardt). C’est le prix de quelques articles dans La Gerbe. (vingt-quatre février mil neuf cent quarante-deux)
Dimanche d’été : les visages pâles, tirés, fatigués des hommes. Pour les femmes, cela se voit moins à cause du fard. Au Marché aux Oiseaux, les gens achètent millet et chènevis pour le manger. Beaucoup de pêcheurs sur la Seine ; de bicyclistes avec des paniers et des sacs qui filent vers la banlieue. (vingt-cinq juin mil neuf cent quarante-quatre)
L’impression me poursuit que la plus grande partie de la population, sans être hostile à la Résistance, aurait préféré que la libération de Paris ne fût l’œuvre que des Américains. Pas d’histoire, vivre tranquille. Paris est une putain qui attend les jambes ouvertes. (vingt-trois août mil neuf cent quarante-quatre)
La radio de Londres nous annonce que nous sommes libérés. Elle fait très bien de nous l’apprendre car nous n’en savions rien. (même jour)
Edith Thomas travailla ensuite aux Lettres Françaises et quitta le Parti Communiste après Budapest.
 

16 août 2016


Quinze Août, Le Vaudreuil, ce lien m’est automatique et le lieu heureusement accessible grâce au train. Le premier est à sept heures douze. J’y voyage en compagnie d’un couple d’Anglais qui malgré la chaleur ont les jambes couvertes d’un plaid et d’un homme qui regarde des vidéos de barbus sur son téléphone.
De la gare de Val-de-Reuil au centre du Vaudreuil, c’est trois kilomètres à pied le long de l’Eure par un chemin de terre étroit où j’ai de bons souvenirs. Je n’y croise personne. Un abruti de chien dans le jardin d’une maison bourgeoise m’aboie dessus. C’est un plaisir de réveiller ses propriétaires si tôt un jour férié. Quand j’arrive au rond-point gardé par des vigiles ayant mis leur voiture en travers de la rue principale, je passe brutalement de la solitude au bain de foule.
Assez vite, je trouve le numéro dix de la collection des classiques de la littérature libertine publiée par Le Monde il y a quelques années, volume titré La Poésie Erotique, que je cherchais depuis longtemps. Il me manquait pour l’avoir complète et espérer la revendre.
D’autres livres me font signe ici et là, mais rien d’extraordinaire, cependant que le monde se fait de plus en plus compact. L’autre bout de la rue principale, plus vulnérable, est protégé par un énorme tracteur et sa remorque mis en travers.
J’explore ensuite les autres rues et le terrain herbeux où sont installés d’autres vendeuses et vendeurs. Ici, à la « Grande Foire à Tout du Vaudreuil », quand on dit quatre cents exposants, c’est quatre cents. « Tout ce qui était vendable, on l’a vendu il y a deux ans » constate l’un dont les affaires marchent peu.
« Tu sais, plus qu’une dizaine de jours et c’est la rentrée », annonce sadiquement une femme à sa fille. Exactement ce que je me disais chaque année, en ce lieu, à cette date, du temps que je faisais l’instituteur, époque lointaine désormais. Début juillet, j’ai fêté avec moi-même, discrètement, mes dix ans sans travail.
L’une, qui fait la vendeuse, n’en est pas là :
-J’ai bientôt vu tous mes élèves, je vais pouvoir faire cours à la fin de la matinée.
Une autre femme vend À la recherche de l’homme idéal. Je ne sais si elle l’a trouvé ou si elle renonce, comme celles qui se débarrassent de leurs méthodes pour maigrir.
Lorsque l’affluence devient comparable à celle de la rue du Gros un samedi après-midi, j’abandonne et refais le long chemin dans l’autre sens, chargé et un peu accablé par la chaleur.
C’est la première fois que je vois l’intérieur de la gare de Védéherre depuis qu’un architecte et un maître d’œuvre ayant fait leurs études chez les Jivaros l’ont réduite à peu de chose.
                                                            *
Lecture le soir dans un jardin où me tiennent compagnie deux merles picoreurs et un chat délaissé essayant parfois d’en choper un, des Lettres à Moune et au Toutounet de Colette (Des Femmes) :
Comment as-tu passé le 15 août ? Comme le 14, je pense, ou le 16. Nous aussi. Sauf que le Jardin a été un admirable désert toute la journée. (seize août mil neuf cent quarante et un)
Le Jardin de Colette est celui du Palais Royal.
                                                            *
Ai vendu à un gendarme la moitié des Mémoires du général et baron de Marbot.

13 août 2016


Lors de notre dernier déjeuner en commun, l’ami de Paris m’annonce que son congé sabbatique va lui permettre de donner suite en septembre à ma déjà ancienne proposition de venir me voir à Rouen. Je découvre alors que pour lui cela implique que je l’hébergerai. Dans mon esprit, il n'en a jamais été question. Je vais à Paris tous les mercredis, j'y vois parfois différentes  personnes mais je ne dors pas chez elles. S’il est possible de faire l’aller et le retour dans la journée dans un sens, c’est la même chose dans l'autre sens.
Pris de court, désarçonné, je lui dis que, oui, je pourrai l’héberger, bien que ma seconde chambre soit petite, pas pratique, etc. Mon manque d'enthousiasme aurait dû l'alerter.
Rentré à Rouen, je me suis dit que j'avais deux mois pour m'y préparer psychologiquement. Parfois j’ai cru que j'y arriverai, avant d’être sûr que non. Je ne supporte la présence d'aucun homme la nuit chez moi (peut-être est-ce une conséquence de la chambre à trois lits de mon enfance et de mon adolescence, dans les deux autres étaient mes frères). En quarante ans n'ont dormi chez moi que deux bicyclistes québécois dont j'avais eu pitié un soir de pluie au début des années soixante-dix et j’ai été soulagé le lendemain matin de les voir partir tôt.
Je l’en avise.
«C'était surtout venir chez toi et passer la soirée ensemble qui m'amusait, aussi je remets le projet de venir à Rouen à une autre date.», m’écrit succinctement l’ami de Paris auquel je réponds que venir chez moi sans y dormir est toujours possible pour un jour ou pour plusieurs (dans ce dernier cas, il y a par exemple une fille qui met son canapé à disposition contre quinze euros prés du Gros-Horloge) et que passer la soirée ensemble est toujours possible (cependant le soir n’est pas ma meilleure période, je me couche en général à la même heure que les poules).
                                                                       *
Croisant, jeudi, dans la ruelle, la voisine dont l’amie a fait la chienne devant ma porte, je l’arrête pour lui dire de faire savoir à cette femme que toute récidive sera suivie d’un dépôt de plainte de ma part pour harcèlement. Elle ne me laisse pas aller au bout de mon propos :
-Vous aurez qu'à lui dire vous-même, me répond-elle, ce qui me rappelle la cour de récré en primaire.
 

12 août 2016


Arrivé avant l’heure d’ouverture du Book-Off de l’Opéra Garnier ce mercredi, je me balade au hasard dans le quartier. J’arrive ainsi à l’opulente Galerie Vivienne où une partie de la verrière est en restauration. À proximité, passage des Petits-Pères, se trouve la bibliothèque Charlotte Delbo. Elle est malheureusement fermée à cette heure matutinale. En revanche, sa voisine, la basilique Notre-Dame des Victoires a la porte ouverte à deux battants.
J’y entre et apprends qu’elle a été construite par Louis le Treizième pour remercier Dieu de la victoire contre les protestants suite au siège de La Rochelle. D’architecture baroque, elle est tout à fait kitch. De nombreux ex-voto ornent ses murs qui narrent de bien belles histoires : un aveugle du dix-neuvième siècle y a recouvré la vue, Gustave Bizot artiste peintre élève de Ingres y a retrouvé la foi. Quelques personnes prient. Une religieuse se prosterne devant la statue de Marie et de son fils, tous deux couronnés.
Après avoir bookoffié, je remonte à pied vers Notre-Dame-de-Lorette. Sur le trottoir du boulevard des Italiens, je photographie la tente d’un sans abri patriote dont le drapeau tricolore est en berne. « Sauvegardons la race blanche, ce miracle de Dieu », est-il écrit un peu plus haut sur un mur de la rue Laffitte, une inscription rageusement barrée de rouge.
A Lorette, je prends le métro jusqu’à Jules-Joffrin, achète une bouteille de côtes-de-bourg bio au Gé Vingt, passe devant l’hôtel trois étoiles Eden Montmartre de la rue Ordener qui, signe des temps, propose par affichette des « chambres à cinquante euros pour le jour même » et à midi moins cinq frappe à la porte de celle qui m’invite à déjeuner.
Nous sommes toujours aussi heureux de nous retrouver. Elle a préparé un délicieux plat à sa façon que nous dégustons en dialoguant sur fond de bruit de chantier. En face, là où était la dent creuse, s’élève maintenant un immeuble de six étages. Le vin est aussi bon que bio et c’est en pleine forme que nous allons prendre la café chez Dionis, en terrasse, au bout de la rue Letort.
Nous nous séparons un peu après quinze heures, Rejoignant à pied la station Simplon afin d’aller explorer le Book-Off de l’Opéra Bastille, je la regarde filer sur son haut vélo noir vers un chantier où elle doit faire une visite inopinée.
                                                     *
Chez Book-Off (un) :
-Bonjour, on vous apporte tout un véhicule de livres.
L’employée, qui en a vu d’autres :
-Mettez tout ça dans la boutique.
                                                     *
Chez Book-Off (deux):
Une femme qui vend ses livres et s’apprête à repartir sans son argent. Une scène déjà vue plusieurs fois. L’important n’est-il pas d’en être débarrassé.
                                                     *
Chez Book-Off (trois) :
Les types qui parlent tout seuls : « Ah non, pas celui-là, je l’ai déjà »  « Ah, pourquoi pas, j’hésite ». On les trouve presque exclusivement devant le rayon des vinyles.
 

11 août 2016


Mardi soir, je suis au jardin et y termine la lecture de Mémoires sans mémoire de Jacques-Henri Lartigue (Robert Laffont) qui, en fait, est son journal de jeunesse. Le futur photographe y raconte ses amourettes de privilégié. C’est agréable à lire mais ne méritera pas de rester dans ma mémoire.
Le soleil descendant me chauffe encore un peu. La pelouse est tondue de la veille. Les plantations ont subi une coupe sévère qui s’apparente plus au débroussaillage qu’à une réelle taille. Les fleurs ont également un peu souffert. Quant aux mauvaises herbes (comme on dit), elles continuent à prospérer. De temps à autre, je salue une voisine ou un voisin rentrant d’une journée de labeur. La pianiste ne se fait malheureusement pas entendre.
La porte d’entrée s’ouvre une nouvelle fois.
« Wouf wouf wouf », fait l’invitée du soir de la secrétaire des voisines à chiens lorsqu’elle passe devant ma porte.
-Je fais le chien puisque ça lui manque,  explique-t-elle à celle qui l’attend.
Si son intelligence est remarquable, sa vue est basse et l’empêche de m’apercevoir lisant sur le banc.
 

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