Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

18 octobre 2020


Ecœurement au réveil en apprenant la décapitation par un islamiste d’un professeur d’histoire ayant présenté une caricature de Mahomet à ses élèves lors d’une leçon sur la liberté d’expression. Faut-il être étonné ? Malheureusement non. Cela fait des années que la société française est gangrénée par ces individus et que l’école est sous leur pression. Cela sans qu’ils soient réellement combattus. Pire, leur comportement a souvent été excusé par une partie de l’extrême-gauche, y compris par des enseignant(e)s. C’est ce qui m’a amené il y a plusieurs années à m’éloigner du Réseau Education Sans Frontières.
Je continue ce samedi à visiter Dinan, longe les remparts jusqu’au Château puis entre dans la très belle Basilique Saint-Sauveur où dans une urne est conservé le cœur de Du Guesclin (« Ci-gît le cœur de messire Bertrand Du Guesclin »), cela en gardant un œil sur ma montre afin de me trouver près de la Tour de l’Horloge à dix heures. C’est aujourd’hui la réouverture du Passeur de Livres, une bouquinerie qui, je l’ai découvert hier, a un livre pour moi dans sa vitrine.
Le bouquiniste est en train de sortir deux tables à livres quand je l’aborde pour lui demander Georges Perros, l’étude biographique qu’a consacrée Thierry Gillybœuf à l’un de mes écrivains préférés, parue aux éditions La Part Commune. Il est mis en vente cinq euros, le tiers de son prix neuf. Voilà le livre qui me manquait pour la dernière partie de mon périple breton.
Muni de cette bonne prise, je descends jusqu’au port puis marche le long de la Rance vers le «  site naturel du méandre de la vieille rivière ». Il mène à la station d’épuration. Je trouve là un pêcheur portant une énorme prise de plus d’un mètre dont la queue traîne par terre. « C’est un brochet, me dit-il, y a des matinées qui sont bonnes. »
De retour dans le port, je prends un café au bar crêperie des Vedettes. Quand j’ouvre Georges Perros, je découvre qu’il a appartenu au Centre de Documentation et d’Information du Lycée Pierre Mendès-France de Rennes. « C’est agréable la lecture, comme ça sur le port, quand il fait beau », me dit la patronne. C’est certain, mais je suis toujours le seul à pratiquer.
A midi, je traverse le Vieux Pont pour rejoindre la crêperie Bords de Rance dont le désavantage est d’être à l’ombre et l’avantage d’avoir la meilleure vue sur le port, le Vieux Pont, le viaduc, les remparts et le haut du clocher de la Basilique qui dépasse les arbres aux couleurs automnales. La galette tartiflette et la crêpe caramel beurre salé y sont plutôt bonnes. Quand je paie la patronne me demande d’inscrire mes cordonnées sur un cahier. « Il n’y avait personne d’autre en terrasse, je n’en vois pas l’intérêt », lui réponds-je. Elle n’insiste pas.
Pour rentrer je passe par la commune d’en face, Lanvallay, où une rude montée pavée permet de rejoindre et d’emprunter le viaduc. Celui-ci est bordé d’une solide protection antisuicide à travers les barreaux de laquelle on bénéficie d’une vue plongeante sur le port.
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Un fidèle lecteur m’ayant appris que sa compagne trouve (et donc lui aussi) « que les meilleurs kouign-aman du monde s'achètent à Dinan, en bas de la rue du Fort (du petit Fort), enfin en bas quand on arrive sur la Rance », je me renseigne via Internet et apprends que l’endroit se nomme La Maison de Tatie Jeanne.
Or sur place, je découvre que cela s’appelle maintenant Gât’ & Vous. Ce nom ridicule ne me dit rien qui vaille mais j’entre quand même. C’est toujours pareil, me rassure une vendeuse à l’allure de Tatie Jeanne. C’est le pâtissier qui a repris l’affaire, c’est encore meilleur qu’avant, il a amélioré la recette. J’en achète un individuel à deux euros soixante-dix qu’elle me fait réchauffer et vais le déguster à l’une des table d’extérieur. Un délice !
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C’est lors de vacances à Dinan avec ses parents que le jeune Poulot, futur Perros, fit la découverte de la Bretagne. Il viendra y vivre sa vie d’écrivain.
 

17 octobre 2020


« Ceinturée de près de trois kilomètres de remparts, la ville de Dinan et son château du 14e siècle dominent fièrement la Rance », ainsi est résumée sur le site de l’Office de Tourisme la description de cette ville autrefois parcourue à deux et que je redécouvre seul.
Ma première nuit place Du Guesclin a été bonne, bien que le bâtiment de mon « Studio Cosy » à lit « Queen Size » en contienne sept autres. Tous ne sont pas occupés mais les vacances arrivent. Pour l’instant, le seul effet négatif est que la ouifi partagée est parfois capricieuse.
Dès le jour levé, je mets le cap sur le quartier de la Mairie, y trouve une boulangerie puis m’installe à la terrasse du Café Noir pour petit-déjeuner. L’allongé est à un euro quarante. J’ai comme voisinage des agents immobiliers des deux sexes. L’un raconte ce que lui a raconté une ancienne boulangère sur les clients du petit matin. Il n’y a pas que des robes de chambre, il y a aussi des femmes en nuisette et une fois elle a eu un homme en imperméable qui se baissant pour prendre de l’argent dans sa chaussette lui a dévoilé ses attributs, étant nu dessous.
A neuf heures, j’entre au Carrefour City voisin afin de faire quelques emplettes dont de la Super Glue pour mes chaussures puis j’entreprends de traverser la ville par les rues piétonnières, m’arrêtant à la Cathédrale Saint-Malo et au Couvent des Cordeliers qui abrite un établissement d’enseignement secondaire privé. J’arrive dans la renommée et pentue rue du Jerzual aux nombreuses maisons à pans de bois. La porte fortifiée franchie, cette descente se poursuit par la rue du Petit Fort où se trouve la Maison du Gouverneur et me voici arrivé dans le port fluvial sur la Rance, que franchissent un vieux pont de pierre et un fier viaduc.
Je me balade sur ses rives puis vais prendre un autre café (un euro soixante) au bar crêperie Les Vedettes où je côtoie cette fois des voyagistes ayant des valeurs (au premier rang desquelles le localisme), dont un couple de Parisiens mais à l’origine d’ici et qui veulent y redémarrer dans la vie. Elle se verrait bien aussi dans l’immobilier car elle a l’impression que c’est la tendance du moment.
Pour déjeuner, j’ai une table en bord de Rance au bien nommé restaurant Les Terrasses où je choisis six huîtres, des moules marinières et un far breton avec du cidre, un repas de touriste qui ne me déçoit pas.
Remonté en ville, ce qui n’est pas un mince effort, je trouve place à la terrasse ensoleillée du Café de la Mairie pour le café (un euro trente). J’ai la chance de ne pas avoir de voisins, ce qui me permet de relire tranquillement quelques lettres de Léautaud.
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A Dinan, le masque n’est obligatoire que dans les rues piétonnes, m’a dit la boulangère. Je ne le mets nulle part tant je croise peu de monde, me déportant à plus d’un mètre les rares fois où c’est nécessaire.
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Quel far n’est pas breton ?
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Formule d’actualité de Michel de Montaigne dans ses Essais : Chacun dans sa chacunière.
 

16 octobre 2020


Ce jeudi, après avoir faire le ménage et évitant de peu l’averse, je quitte la résidence Castel Rosa afin de prendre le car BreizhGo de dix heures vingt-quatre jusqu’à son terminus la Gare de Saint-Brieuc. Un dernier regard pour la plage de Casino puis, lors du passage du car par le port d’échouage au sympathique bistrot Le Poisson Rouge, et bye bye Saint-Quay.
A l’arrivée, je découvre que la Gare de Saint-Brieuc a beaucoup de charme, dôme central et bâtiments symétriques de briques rouges. Presque en face est Le Bistrot Gourmand où j’entre illico afin de boire un café. Comme il n’y a pas d’autre choix, je demande à garder la table pour déjeuner. Un menu à dix-neuf euros, quelque peu calorifique, y est proposé : camembert rôti au miel, pavé d’andouille au lard, verrine au caramel. Tout cela est apporté par une serveuse qui se passe allégrement de masque. Dans la salle où je suis n’est qu’une autre table, pour huit personnes, où quand je termine s’installent huit collègues (toujours la même chanson : on ne peut pas se contaminer, on se connaît).
L’addition réglée, je traverse le parvis et trouve place dans le Saint-Brieuc Dinan de treize heures vingt-cinq, un Téheuherre des Pays de la Loire. Il est peu fréquenté, sans contrôleur, toilettes fermées, et s’arrête à Lamballe et Plancoët avant d’arriver au but à quatorze heures trente.
Je découvre alors l’horrible Gare de Dinan, la plus laide que j’aie jamais vue, me semble-t-il. Je lui tourne le dos pour rejoindre le centre historique. Je n’ai rendez-vous avec ma nouvelle logeuse, place Du Guesclin, intra-muros, qu’à seize heures. A deux pas de mon futur logement, je passe chercher un plan détaillé de la ville et l’horaire du car pour Dinard à l’Office du Tourisme, dont les deux employées portent des visières en plexiglas réputées inefficaces et non autorisées, puis je vais patienter à la terrasse de l’Hôtel Restaurant La Duchesse Anne où les restaurateurs déjeunent tardivement. Toutes les tables d’extérieur sont décorées de citrouilles et de potirons. Le café est à un euro quatre-vingts avec vue sur un parquigne.
A l’heure prévue, celle que j’espérais ouvre sa porte. Nous montons au premier étage.
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Tous les cafés seront fermés à Rouen en plus du couvre-feu, apprends-je quand ma nouvelle connexion Internet est en marche.
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Pour les soirées étudiantes ou autres, que va-t-il se passer ? Il sera toujours possible de s’y rendre mais pas d’en revenir avant six heures du matin, d’où des dortoirs improvisés, nouveaux nids à virus.
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La grande crainte d’un client du Bistrot Gourmand : sa fille étudiante.
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« Couvre-feu à vingt et une heures, y vont se barrer, y vont tous arriver sur la côte » (peur locale)
 

15 octobre 2020


Ce mercredi à Saint-Quay, après une nuit de pluie, le temps se met au beau, avec un lever de soleil en feu. Je l’admire du sentier des douaniers que j’emprunte pour la dernière fois. C’est peut-être une bonne chose car mes chaussures ont souffert. En un mois et demi, elles sont passées du neuf à l’épave, semelle qui se décolle pour l’une, trou en formation pour l’autre. Pourvu qu’elles tiennent jusqu’à mon arrivée dans une ville où l’on trouve de la colle.
Au Poisson Rouge, dont la terrasse est ensoleillée dès le matin, entre patron et habitués on parle de Macron, de ce qu’il va dire ce soir à la télé, on ne serait pas contre le fait qu’il boucle les gens des grandes villes, il vaut mieux moins de touristes pendant les vacances de la Toussaint et pouvoir continuer de bosser après, ils vont arriver pas forcément malades mais en se disant, c’est bon, ici y a pas beaucoup de malades, on peut faire ce qu’on veut.
Mon ultime déjeuner quinocéen est aux Plaisanciers, où ce jour c’est langue sauce piquante, en extérieur au soleil, d’où j’ai vue sur le va-et-vient des bateaux de pêcheurs. La pêche à la coquille est intense en ce jour de beau temps. Certaines passent par un tapis roulant géant qui énerve les goélands et filent ainsi vers une usine qui de temps à autre éjacule un jet de vapeur bruyant et conséquent, telle une cocotte-minute qui n’en peut plus.
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Donc, le soir venu, je regarde Macron, une partie du moins de son intervention, couvre-feu au programme pour plusieurs villes dont Rouen. On voit là l’efficacité du masque partout tout le temps qui devait renverser la tendance. Ce couvre-feu ne règlera pas davantage le problème.
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D’un point de vue personnel, cela ne changera rien à ma vie. Ma santé ne me permet plus le restaurant le soir et le spectacle en mode dégradé (réservation, masque et tutti) m’est insupportable.
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Quel vacancier de la Toussaint osera passer par Rouen ? Elle est désormais en lice pour le titre de Capitale des Villes à Eviter.
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Au moins deux fois notre Président a dit « On regarde ce qui se fait dans les pays voisins ». C’est dire si on sait où on va. Il a aussi avoué qu’on en avait pour jusqu’à l’été prochain avec cette pandémie. Il y a quelque temps, c’était quelques mois. Un jour, on saura qu’il y en a pour de nombreuses années et peut-être pour toujours.

 

14 octobre 2020


Une grosse averse ce mardi matin au moment où je vais à la boulangerie. Elle me laisse peu d’espoir pour la suite et pourtant le ciel vire au bleu, ce qui me permet de parcourir une avant-dernière fois le bord de mer quinocéen, dont le sentier devient chaque jour plus gadouilleux. Lorsque j’arrive à la terrasse du Poisson Rouge, il fait doux sous les rayons jaunes. Même les autochtones assis aux tables voisines ne comprennent rien à ce temps.
-C’est pourtant simple, leur explique le patron. T’appuies sur soleil, tu as du soleil. T’appuies sur pluie, tu as de la pluie. C’est moi qui ai la télécommande.
Il doit avoir un compte à régler avec les deux promeneurs de chien qui se croisent une demi-heure plus tard sur le trottoir d’en face car une nouvelle drache les oblige à se replier à la maison. Dès que le ciel se remet plus au moins au bleu, je n’attends pas davantage pour mettre le cap sur le quartier du Kasino par les rues intérieures. Une jeune femme qui distribue des publicités pour une agence immobilière m’en propose un.
-Je ne suis pas d’ici, lui dis-je.
-Bah, justement, vous pourriez acheter un petit bien.
Des petits biens et des grands biens, j’en ai photographié au fil des jours, devant omettre l’une qui me plaît mais devant laquelle est toujours garé un scouteur.
Une file de pas jeunes s’est constituée devant la pharmacie. Serait-ce pour obtenir le vaccin contre la grippe ? Cette année, dès avant l’arrivée du coronavirus, j’étais décidé à le faire, contrairement aux années précédentes. Un courrier de ma mutuelle doit m’attendre à Rouen pour que je l’obtienne gratuitement en raison de mon âge. En restera-t-il quand je rentrerai. J’en doute.
A l’Office de Tourisme, j’obtiens un plan de la ville qui sera ma prochaine étape puis à midi je me rends au Café de la Plage. J’y trouve table à l’intérieur, près de la baie vitrée qui donne sur le large. Le soleil et les averses sont toujours en lutte, ce qui donne lieu à une succession d’arcs-en-ciel.
Le menu à dix-neuf euros ne m’enthousiasme pas cette fois mais je fais confiance au cuisinier pour me faire aimer ce qu’officiellement je n’aime pas. C’est ce qui arrive. J’apprécie l’entrée (carotte aubergine et magret fumé), le plat (églefin frit crème de pois cassé chou-fleur et chorizo) et même le dessert (riz au lait pomme caramel).
Vers treize heures quinze, alors que certains arrivent trempés, je me faufile dans une éclaircie pour retrouver le premier étage de la résidence qui m’accueille provisoirement. Chaque jour, j’ai envie que le bâtiment d’en face, dont l’architecture à coursives rappelle celle des bateaux de croisière qui polluent de leur laideur les ports du globe, lève l’ancre, mais ce n’est pas moi qui ai la télécommande.
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Au Poisson Rouge hier matin, une vieille extravertie bruyante et une plus jeune discrète aux petits soins, qui se donnent des « ma chérie », qui s’embrassent, qui partent en se tenant par la taille. Tiens des lesbiennes qui n’ont pas peur de le montrer, me suis-je dit et se sont dit d’autres par des échanges de regard.
Ce mardi matin, elles sont de nouveau là et s’apprêtent à partir au moment où j’arrive. Quand la vieille va entrer dans le café crêperie pour payer, l’autre la rappelle « Maman, ton masque ».
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Carton plein pour le restaurant du Kasino ce mardi midi, toutes les tables (de quatre) sont occupées par les membres d’un cleube du troisième âge. Tant de vieilles et de vieux sans masque dans un lieu clos pendant au moins une heure et demie, ça fait frémir.
 

13 octobre 2020


Ce lundi, à l’heure où se lève le jour, le ciel est enflammé au-dessus de Saint-Quay. Il est d’une beauté rare, que n’arrivent pas rendre totalement les photos que j’en fais. C’est au point qu’un automobiliste (comme on dit) arrête sa voiture et baisse sa vitre pour admirer. Cette féerie dure peu. Il fallait être là au bon moment. Quand je ressors de la boulangerie, tout a disparu.
Tout en mangeant mes viennoiseries, je parcours encore une fois, bientôt la dernière, le chemin côtier entre le Kasino et le port d’échouage. A l’arrivée, je m’assois (j’échoue) à ma table habituelle du Poisson rouge. Il fait frais mais quand même, relisant des lettres de Léautaud, je reste là une heure et demie.
Le lundi est le jour le plus animé dans ce coin de Saint-Quay en raison d’un marché qui se tient au bout du port, à la frontière avec Etables. A quoi s’ajoutent les échanges de vieilles choses à la ressourcerie d’à côté et, juste en-dessous, sur la plage, le cours de gym donné à une douzaine de femmes et à un homme par un cotche caricatural aidé d’une sono à musique dynamique (il faut savoir compter jusqu’à huit, toutes les séquences sont sur ce tempo).
Le temps est plutôt beau ce matin mais la pluie est annoncée pour l’après-midi. Quand je vais réserver une table aux Plaisanciers, je ne sais si je pourrai manger dehors ou non. Désormais la patronne connaît mon nom, si elle ne m’appelle pas encore par mon prénom, comme ce Louis dont elle me donnera la place à l’intérieur, s’il ne vient pas.
A midi moins le quart, je juge qu’il fait trop frais pour l’extérieur, mais Louis est là. J’ai droit à la table voisine dans ce bout de salle où pas trop de monde circule. Mon repas est habituel avec pour plat un stèque frites. Après avoir payé, je réserve la même table pour mercredi, dernier jour de mon séjour ici.
                                                                           *
Au Poisson Rouge, un homme et deux femmes qui travaillent dans les activités nautiques pour enfants. Il est d’abord question des parents : « Les pires, c’est psychologue scolaire et assistante sociale » puis des enfants de moins de douze ans qui n’ont pas à porter le masque et du coup c’est la honte, t’as pas de masque ça veut dire : t’as pas douze ans, du coup ils en mettent un.
Passe un camion de pompiers qui suit un autre véhicule tirant un canot de sauvetage. Ces jeunes hommes partant en manœuvre sont six dans l’habitacle en deux rangs serrés, vitres fermées, sans qu’aucun ne porte de masque.
 

12 octobre 2020


A Saint-Quay, comme ailleurs, le dimanche peut être un moment difficile à passer. Celui-ci, qui sera le dernier ici, est l’objet d’une lutte entre averses et éclaircies, à quoi se mêle le vent. Sorti acheter des crêpes au Fournil du Casino pour mon petit-déjeuner, je me presse sur le court chemin du retour afin d’arriver avant la drache.
Vers dix heures, profitant d’une éclaircie, je me rends en bord de mer passant par le devant du Centre des Congrès devenu inutile. J’explore des petits coins pas encore vus de près où se cachent des pêcheurs, puis, les averses revenant, rentre dans mon chez moi provisoire.
Point question d’aller vers les ports pour déjeuner ce jour, Les Plaisanciers c’est fermé, Le Poisson Rouge itou. A proximité, j’ai le choix entre Le Café de la Plage (sans menu le ouiquennede) et son voisin Les Cochons Flingueurs (qui n’en a jamais), mais les terrasses étant impossibles, je crains leur clientèle de ce jour particulier, familiale pour le premier, amicale pour le second, l’une et l’autre potentiellement dangereuses.
Aussi c’est du Bibistrot dont je pousse la porte, un restaurant que l’on voit à peine, place de la Plage. Un jeune homme m’y accueille et me dit de choisir l’une des trois tables pour deux dont il dispose. Il en est aussi une circulaire pour quatre et une rectangulaire pour six et c’est tout. Tables et fauteuils sont de bon aloi, mais il règne autour un désordre que je qualifierais de dépressif.
Je commande six huîtres « de chez Lulu » et un burgueur cajun au poulet, avec une carafe d’eau. Je mange seul avec de la musique américaine en fond sonore. Le jeune homme, désœuvré, lit le journal, celui de la veille, qu’il doit avoir déjà lu hier. Le repliant, il me demande d’où je viens. Je cherche en vain quoi lui demander qui n’ait pas à voir avec « C’est calme aujourd’hui », à quoi il répondrait « On a eu du monde hier ».
Un peu avant treize heures arrive de quoi occuper la table de six. Ce sont des clients particuliers venus avec un bouquet de fleurs pour le jeune homme qui s’adresse à eux en les appelant pépé mémé tonton tata. C’est comme une réception de famille du dimanche mais le repas sera payé. Je me sens encore plus intrus. Le burgueur cajun n’aura pas apaisé ma faim mais j’abrège en omettant le dessert. Sitôt mon café bu, je paie mes vingt-trois euros et je file.
 

11 octobre 2020


Paul Léautaud doit sa connaissance de la Bretagne à son amante, Anne Cayssac, qui possédait à Pornic une maison appelée Ker Miaou. De ma (re)lecture, en cet automne breton, de sa Correspondance établie par Marie Dormoy (son amante ultérieure), ce choix d’extraits des lettres écrites par Léautaud à celle qu’il surnommait le Fléau, un condensé d’histoire d’amour :
Quand tu seras à Pornic, tu te rappelleras combien je te trouvais jolie, nue, dans mes bras, devant la glace. « Champagne inutile, disais-tu. Nous bandons fort bien tous les deux. » Nous bandions en effet fort bien. Tu suçais la pine avec la même gourmandise que tu gobais un éclair (toi-même tu faisais le rapprochement) et quant à moi, tu sais bien ce que je te faisais. Rappelle-toi tes paroles : « J’ai un amant que je dégoûte, vraiment. Il me met sa langue dans le nez, dans la bouche, dans le cou, dans le cul. Vraiment, je le dégoûte. » Le jeudi vingt-six février mil neuf cent vingt-cinq
On ne me reprendra pas à aller à Pornic à cette époque. Les mioches qui braillent, les locataires qui font du bruit, le pullulement des gens de passage, grotesques dans leurs costumes de circonstance, les voisins avec leurs phonos, c’est hideux. Comme tourment, la propriétaire de Ker Miaou suffit. Le jeudi deux août mil neuf cent vingt-huit
Mais non, ma chère amie, il n’y a en ce moment à Pornic, qu’une plèbe commune. Les hommes sont vulgaires, avec ces visages d’imbéciles – je les ai vus ! – et les femmes, pour la plupart, mastoques. (…) Pornic deviendra hideux, infréquentable, si cela continue. Il va devenir une plage pour basse classe. Il n’y a qu’à voir déjà la vulgarité des gens qui s’y prélassent en ce moment. Paris le quatorze août mil neuf cent vingt-huit
Moi qui vous ai connue obtenant le sirop dans la bouche en trois minutes de travail, toute fière de l’avoir bien sucé – ou vous trémoussant à califourchon sur moi. Le visage ravissant à voir d’expression cochonne ! J’ai eu le meilleur. L’amateur peut venir : il n’aura plus tout ce que j’ai eu. Fontenay le vingt-cinq juin mil neuf cent trente-deux
Vous êtes une sotte. Vous aviez une occasion de vous faire bouffer le cul et sucer votre pine pendant quelques jours tranquillement et vous n’avez pas su la mettre à profit. Le quatre octobre mil neuf cent trente-deux
Et si vous croyez que c’est agréable de vous bouffer le con, avec les pointes de votre ceinture qui vous blessent le visage, et qui vous blessent encore le bas-ventre quand on fourre sa pine entre vos cuisses. Paris le cinq octobre mil neuf cent trente-deux
Près de 200 francs dépensés dans ce dernier voyage, si complètement inutile – et pourtant utile, d’un certain côté. Mon Dieu, je ne pleure pas, bien que vous avoir bouffé le con une seule fois, et avoir tiré un seul coup, tout habillé, et debout, et seulement entre vos cuisses, ce soit un peu cher. Paris le six octobre mil neuf cent trente-deux
Alors que rien que de vous écrire, je suis obligé de me déboutonner tant je bande. Vous me faites suer. Jamais je n’ai bouffé le con à une femme comme je bouffe le vôtre ni mis ma langue dans un trou du cul comme je la mets dans le vôtre. Et je m’empresse de dire que j’ai la contrepartie, car jamais femme ne m’a sucé la queue comme vous me la sucez, ni fait tirer de bons coups comme ceux que nous tirons ensemble, même après dix-huit ans de liaison, espèce de folle. Le huit octobre mil neuf cent trente-deux
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Deux fois, à Pornic, je suis allé jusqu’à Ker Miaou, bien accompagné.
 

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