Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 septembre 2020


Une dernière nuit agitée dans mon studio paimpolais de la rue Eugène Hélary, rafales de vent, violentes averses, lesquelles me réveillent plusieurs fois. Je me demande ce que subit celle qui espère marcher jusqu’à Brest, dont la tente, m’a-t-elle dit, est loin d’être étanche.
Au lever du jour ce n’est guère mieux, impossible de tenir un parapluie ouvert et je n’ai aucun vêtement de pluie. Cela me conduit à filer dès que je repère une éclaircie, sans pouvoir dire au revoir à mon sympathique logeur.
Je réussis à atteindre la Gare sans être rattrapé par une averse. Etant bien en avance sur le car BreizhGo Un que je dois prendre à neuf heures quarante, je l’attends au café d’en face, Le Nelson, où un habitué de comptoir a une discussion de circonstance avec le patron : « Déjà l’automne et bientôt la fin du mois ».
Nous sommes cinq au départ dans le car qui va à Saint-Brieuc. Il longe la côte mais trop en retrait pour que l’on puisse voir la mer. Elle apparait de nouveau où je descends en compagnie de deux autres, à l’arrêt Kasino de Saint-Quay-Portrieux.
Mon nouveau logement Air Bibi n’est qu’à cent mètres, mais celle qui me le loue travaille. Elle fera cependant le nécessaire pour m’en donner les clés à midi quarante-cinq au lieu de dix-sept heures.
Je traverse la rue et entre au Kasino pour me diriger du côté bar restaurant. J’y prends un café avec vue sur la plage du Casino. Consultant le ticket, je pense un instant qu’il va me coûter dix euros trente, mais il s’agit de l’heure. Son prix n’est que d’un euro soixante. Confortablement assis dans un fauteuil, regardant rouler les vagues, écoutant la radio interne (on y entend Bashung chanter Gaby et des messages destinés à vous attirer devant les machines à sous), je lis Léautaud qui à soixante-dix ans, pendant l’Occupation, vient de se faire virer du Mercure de France.
 A l’heure dite, devant la résidence où j’attends, se gare une petite voiture blanche d’où sort la jeune femme que j’espérais. Nous montons au deuxième étage et faisons rapidement le tour de son appartement, grand et confortable, d’où l’on verrait la mer si, de l’autre côté de la rue, un autre immeuble, beaucoup plus haut et forcément plus ancien, ne la cachait.
Elle repartie, je ressors à la recherche d’un restaurant qu’avec l’aide d’un jeune homme je trouve à proximité. Il a nom Café de la Plage, un peu chic un peu bobo. Impossible ce vendredi de manger en terrasse, s’il ne pleut plus il fait froid, mais les tables à l’intérieur son peu nombreuses et éloignées les unes des autres. L’un des deux patrons m’en donne une pour quatre avec vue sur les flots énervés. Le menu à dix-neuf euros est à choix unique : variations de carottes sur saumon gravelax, beignets d’églefin patate douce et sauce curry, ananas rôti. Tout est vraiment bien cuisiné.
Il fait un peu meilleur quand je sors. Je me mets à la recherche du Crédit Agricole et d’une pharmacie. Le premier est vite trouvé avec l’aide du hasard. La seconde l’est grâce à un parcours fléché qui me mène près du port.
Je vais voir ce dernier ensuite et m’arrête à une terrasse de bord de mer abritée du vent et ensoleillée, celle du où je prends le café (un euro trente !) puis lis un peu Léautaud.
Pour rentrer j’emprunte le sentier de Grande Randonnée Trente-Quatre, lequel offre bien des points de vue remarquables.
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Ici aussi le masque est obligatoire, mais on semble s’en affranchir plus facilement qu’à Paimpol
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Merveilleuse machine à laver de ce nouvel appartement qui lorsqu’elle en a terminé joue La Truite de Schubert.
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Une autre pour laquelle j’ai l’occasion de m’inquiéter ce vendredi, celle qui travaille à Paris près de la place de la Bastille quand j’apprends qu’un nouvel attentat a eu lieu rue Nicolas Appert. Je lui envoie un message, elle me raconte sa journée stressante ponctuée de passages d’ambulance sirènes hurlantes.
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Ce jour, je suis victime d'une usurpation d'identité dans un mail envoyé à David Bobée, Directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen. D’autres avant lui ont reçu ce genre de délire raciste et homophobe signé de mon nom. A la différence de David Bobée, ils ont été assez malins pour s’interroger et m’interroger : « C’est bien vous qui m’avez envoyé ça ? » Lui a publié le texte reçu sur sa page Effe Bé jetant mon nom à la vindicte populaire. Il a beaucoup d’ami(e)s, d’où un déversement d’insultes et de menaces,  l’un propose de m’inviter à une soirée Covid.
La plupart de ces agresseurs me sont inconnus mais je trouve là Claude Taleb, ancien élu écologiste, et pire deux que je connais personnellement Marie-Andrée Malleville, désormais Maire Adjointe à la Culture de la Ville de Rouen et Arnaud Caquelard qui écrit « La tristesse et l'aigreur font de gros dégâts. Comment lutter contre..? ».
 

25 septembre 2020


Au lever du jour, ce jeudi, c’est la fraîcheur qui me surprend. Pas question après le petit-déjeuner de m’attarder à L’Epoque pour lire. Cependant il ne pleut plus. Aussi fais-je un dernier tour de port profitant des écluses fermées de la marée basse pour passer directement du quai du Platier au quai Pierre Loti. Un peu plus loin est un cimetière de bateaux. Ces ruines maritimes m’enchantent.
Pendant ce temps, le soleil s’impose. Cela me permet de retourner m’asseoir à la terrasse de L’Epoque. « Ça roule », me dit la serveuse à tic verbal quand je lui commande un café verre d’eau. J’ouvre la Correspondance de Léautaud et je reste là tant qu’il fait bon, c’est à dire jusqu’à ce que le vent commence à souffler.
Rentré à mon logis provisoire, je constate que dans les villes en alerte maximale, on se révolte, avec un discours argumenté du côté du Maire Adjoint à Marseille, avec une formule expéditive du côté de la Maire à Aix-en-Provence : « Moi je dis : ferme-la, Véran ! ».
Le vent souffle encore lorsque je choisis pour mon dernier déjeuner paimpolais la même terrasse que pour le premier, celle du Bistrot Gourmand. Cette fois à l’une des tables sous l’arcade. Je n’y suis pas dérangé. La serveuse me trouve courageux. Il est vrai qu’il caille. Bretagne, il va falloir te ressaisir.
En mangeant mon fish and chips sauce tartare, je me demande comment se débrouille celle qui marche en solitaire. « Je ne m’entêterai pas si le temps devient trop mauvais », m’a-t-elle dit. Je suppose qu’il lui faudra plus de deux jours de pluie, de vent et de froid avant de se décider à rentrer, par covoiturage ou autostop, à Cherrueix où l’attend son camion aménagé.
En dessert, je commande la crêpe à la frangipane que j’avais beaucoup aimée lors de mon deuxième repas ici. Elle me déçoit. Il en est de cette crêpe comme de beaucoup d’autres choses : la seconde fois, c’est moins bien que la première.
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Une saison peut en cacher une autre. C’est bien la saison de la moule de bouchot. Si elle n’est plus servie au Bistrot Gourmand, c’est que ce n’est plus la saison (des vacances d’été).
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Une femme à L’Epoque : « Je ne sais pas si ça vaut le coup de travailler quand on voit tout ce qui se passe. »
 

24 septembre 2020


Ce pain géant qui trône chaque matin près de la caisse du Fournil du Martray, je demande enfin à la boulangère, en achetant croissant et pain au chocolat, comment il s’appelle : un pain d’épeautre. « Il est vendu à la coupe », me dit-elle.
A L’Epoque, après avoir pris mon petit-déjeuner, je lis la Correspondance de Léautaud près de deux photographes. L’un d’eux est celui qui opérait sous les deux arbres magnifiques lors de mon premier passage à la pointe de Guilden et dont le sujet était une famille qui s’efforçait de donner la meilleure image d’elle-même.
Je ne pense pas qu’il m’ait reconnu. Il discute avec son semblable et concurrent de choses du métier. L’autre vante un spot près de chez lui où il fait chaque jour une photographie du même paysage. Il espère la neige pour cet hiver afin de conclure et d’en faire un livre. Ce sont gens à prétentions artistiques qui pour vivre ont chaque samedi les mariages.
Soudain, ce qui devait arriver arrive : une drache s’abat sur le port. J’ai une pensée pour celle dont j’ai fait la connaissance sous les deux arbres magnifiques lors de mon second passage à la pointe de Guilden et qui marche le long de la mer avec son lourd sac à dos et son gros bâton, espérant qu’elle trouve un abri. Cette pluie finit par cesser mais désormais il fait frais.
A midi je renonce à déjeuner sur le port, préférant être en retrait sur la place du Martray où je prends place à la terrasse un peu abritée du vent de la crêperie Morel. Je délaisse sa spécialité pour son plat du jour : un filet mignon sauce au cidre avec des frites. Je l’accompagne de cidre et le fais suivre d’un gâteau au chocolat.
Le café, comme à l’accoutumée, je le prends à L’Epoque où je poursuis la lecture de Léautaud. Vers quatorze heures trente, c’est le retour de l’averse. Paimpol sous la pluie est presque désert. Le masque n’en demeure pas moins obligatoire.
                                                                          *
Le seul endroit où j’entends parler breton, c’est à la télévision régionale, aux informations du soir. L’un des sujets est en cette langue, sous-titré en français. Le reste est en français. L’autre soir, j’y ai revu (pas vu depuis longtemps) Gilles Servat, soixante-quinze ans, terriblement vieilli, le visage amaigri, interprétant une nouvelle chanson assez insignifiante.
                                                                         *
Et pendant ce temps, là d’où je viens, une conférence municipale à l’intitulé bouffon : « Faire de Rouen une Capitale Européenne de la culture résiliente », Rouen en zone « alerte renforcée » annonce le Ministre de la Santé, en attendant l’« alerte maximale », en attendant un nouvel emprisonnement de ses habitant(e)s.
 

23 septembre 2020


De la pluie, du vent et une baisse des températures, telles sont les menaces de la météo pour les jours à venir. Cela m’amène, après mon habituel petit-déjeuner à L’Epoque, à faire de nouveau le tour de la pointe de Guilben, cette fois dans l’autre sens, départ côté sud retour côté nord.
Je suis seul sur le chemin côtier de l’aller pour admirer les flots sur laquelle la brume se lève lentement. Peu avant l’extrême pointe, là où une sorte d’isthme permet de voir la mer des deux côtés, là où sont les deux arbres magnifiques, j’ai l’attention attirée par un bruit de plastique. Je pense à celui de la voile d’un bateau qui se trouverait à proximité mais suis détrompé quand je découvre sous l’un des arbres, en train de plier une toile de tente, une jeune femme qui me semble aussi fraîche que si elle sortait de sa salle de bain.
-Vous avez dormi là, ce devait être bien, lui dis-je
-Oui le calme absolu, à part les oiseaux ce matin qui m’ont réveillée.
Je souhaite une bonne journée à cette aventurière qui n’en a pas l’air et poursuis jusqu’à l’extrême pointe. Cela m’est l’occasion de découvrir sur la butte une petite maison que je n’avais pas vue l’autre fois. Je la photographie puis redescends vers l’isthme. La jolie campeuse a déjà disparu.
Côté nord, le chemin est plus ardu. Je prends garde où je mets le pied, croisant quelques coureuses et un coureur ainsi qu’une promeneuse de chien. A l’approche de Paimpol, j’aperçois devant moi la jeune porteuse de sac à dos. Un gros bâton à la main, elle ne sait si elle doit aller à gauche et à droite.
-Je vois que vous hésitez sur le chemin à suivre.
Elle a hâte de prendre un café sur le port. C’est aussi mon projet. Je lui propose d’y aller ensemble, puis que nous le prenions ensemble. Elle me raconte sa longue marche commencée fin août à Cherrueix, interrompue le temps d’aller à une manifestation à Paris, reprise là où elle l’avait laissée et qu’elle espère poursuivre jusqu’à Brest si le temps, celui de la météo, ne lui est pas contraire. Elle me parle aussi de son engagement dans les mouvements sociaux et puis me raconte des choses plus intimes sur sa vie qui, depuis l’âge de ses douze ans, n’a pas été des plus tranquilles.
Nous prenons ce café à la terrasse du Bistrot Gourmand. Elle a ensuite le projet de prendre une douche quelque part. Il y a un bâtiment pour les marins dans le port mais je le crois réservé à ceux-ci. « Il y aurait une solution, lui dis-je, c’est que vous preniez cette douche chez moi. Je ne sais pas si mon logeur sera ravi de voir que j’amène quelqu’un dans son studio mais je paie donc je peux faire que je veux. Vous auriez le temps de vous doucher avant que j’aille déjeuner au restaurant. »
Elle accepte avec plaisir. Mon logeur ne montre pas le nez quand nous traversons la cour. Je lui passe une serviette que je n’ai pas utilisée et elle tire derrière elle la porte coulissante qui n’a pas de fermeture. Pendant ce temps, je m’occupe sur mon ordinateur. C’est une situation étrange, car bien sûr je ne peux m’empêcher de l’imaginer nue de l’autre côté de la cloison.
Quand elle reparait, pimpante, elle me dit qu’il était question qu’une personne la rejoigne aujourd’hui mais qu’elle ne sait pas si ça va se faire.
-Si j’osais, lui dis-je, je vous dirais de venir au restaurant avec moi.
-Mais je n’ai pas l’argent pour ça, me répond-elle.
-Je voulais dire : vous inviter au restaurant.
-Vous n’avez pas des intentions ?, me demande-t-elle.
-Non, c’est juste que ça me ferait plaisir.
-En tout bien tout honneur alors ?
-Je déteste cette expression, mais oui.
Un peu après midi nous sommes tous deux installés Chez Tonton Guy pour le menu du jour. Elle opte pour le poisson et moi pour le poulet. Pendant ce repas notre discussion ne décroît pas et désormais on se tutoie. « Je serais déjà loin si on ne s’était pas rencontré », constate-t-elle. « Pour moi, lui dis-je, cela n’a changé en rien ce que je voulais faire, sauf que je le fais à deux et c’est plus agréable. »
Puisqu’elle est encore à Paimpol, il lui faudrait une laverie pour sa lessive. On la trouve près du port et avant qu’elle se consacre à cette obligation, nous prenons le café à L’Epoque. La personne dont elle surveille les messages sur son vieux téléphone signale finalement son arrivée. Cette laverie est sur le chemin de mon studio. Nous nous en rapprochons ensemble.
-C’est rare que je passe un aussi long moment avec quelqu’un, lui dis-je.
-C’est flatteur pour moi, me dit-elle.
-Et réciproquement.
Nous nous quittons près du Terre Neuvas.
-Bon qu’est-ce qu’on fait, me dit-elle, on s’embrasse malgré le Covid ?
-Allons-y, lui dis-je, si je suis malade, je saurai à qui je le dois.
                                                                      *
En fin d’après-midi, je croise mon logeur dans la cour. Il me dit avoir marché vingt-deux kilomètres de Pontrieux, où il a laissé sa voiture chez une amie, jusqu’à Paimpol en passant par Lézardrieux.
-Vous connaissez ?, me demande-t-il.
-Oui j’y suis allé mais en car. J’ai vu la maison qu’y avait Brassens.
-Je l’ai connu Brassens, j’avais un bistrot à Paimpol, il venait chez moi tôt le matin, parfois il arrivait avant moi, quand il venait faire ses courses.
-Tout seul ?
-Oui mais il retrouvait là des copains, un directeur d’école, d’autres, celui de la tante Jeanne, parce que la tante Jeanne, c’était pas sa tante à lui, c’était celle de ce copain qui est mort il n’y a pas longtemps. C’était vers la fin de sa vie. Il était déjà malade mais bon il prenait une Pelforth brune, si tôt le matin, alors…
                                                                      *
Ce n’est que peu avant de nous quitter que cette jolie marcheuse et moi-même avons échangé nos noms. Chaque jour elle raconte son voyage dans un petit cahier. Chaque jour je raconte le mien et le rend public. Sur le réseau social Effe Bé, elle a tant d’homonymes que je ne suis pas sûr de la retrouver. Elle, le pourra facilement, si elle en a envie. Avoir de ses nouvelles m’intéresserait.
 

22 septembre 2020


Il fait nuit lorsque je rejoins la Gare de Paimpol ce lundi afin de prendre devant celle-ci le car BreizhGo Vingt-Sept jusqu’au port de Tréguier. Comme je suis en avance, j’entre dans le bâtiment afin de voir s’il dispose d’un automate où je pourrais prendre les billets de train qui me seront nécessaires lors de prochaines étapes, et aussi pour mon retour à Rouen.
J’ai la surprise de trouver le guichet ouvert à cette heure matutinale. Je m’en étonne auprès de celui qui le tient. « C’est qu’ici, me dit-il, c’est particulier, c’est privé ». Une gare privée, première fois que je vois ça. C’est la société Transdev qui la gère. Elle a aussi le marché de la plupart des cars de la Région, comme ce BreizhGo que je dois prendre. « On est ouvert tout le temps », m’explique-t-il. Grâce à cette entreprise, je peux obtenir mes trois billets qui pourtant concernent des gares autres que celle de Paimpol (et pour le même prix bien sûr).
Il y a du monde près de l’abribus, essentiellement des lycéennes à grosses valises, internes à Saint-Brieuc, mais nous ne sommes que quelques-uns dans le Vingt-Sept terminus Lannion. Il me permet de revoir Lézardrieux, puis après un nouveau passage de pont, c’est Tréguier où descend aussi une jeune femme.
Cet arrêt de car est placé au meilleur endroit, face à la porte d’entrée monumentale dans la ville de Renan. Je remonte la rue à son nom, fort pentue, où se trouve sa maison natale, une des plus belles demeures d’une ville qui n’en manque pas. Cette rue Renan mène à la place du Martray et à l’immense Cathédrale Saint-Tugdual.
Sur cette place du Martray est aussi la boulangerie Ty Fournil dont les viennoiseries sont loin de valoir celles de la boulangerie de la place du Martray de Paimpol. Y prospère également le bien nommé café La Place, dont le café est vingt centimes moins cher que sur le port paimpolais.
Rassasié, je repars à la découverte de la ville de ce Renan que personne ne lit plus, une des très belles villes de Bretagne. Quand j’ai bien parcouru ses rues désertes, je quitte le centre par la rue Saint-François et rejoins la passerelle du même nom qui enjambe le Guindy puis par le pont Noir je retrouve le Jaudy et son port. Tréguier est au confluent de ces deux cours d’eau.
Remonté en ville, je songe à m’offrir un plateau de fruits de mer à l’étage de dégustation de la Poissonnerie du Trégor en haut de la rue Renan mais le vieux poissonnier m’apprend qu’il n’y aura ni tourteau ni bulots ni écrevisses ni crevettes, on a été dévalisé dimanche. Je refuse le plateau dépeuplé qu’il voulait me faire moins cher et vais m’installer à une table de terrasse près de la statue de Renan qui trône sur la place de Martray à proximité de la Cathédrale (un Renan ventripotent déjà écrasé par la gloire qui va tomber sous forme de lauriers sur sa tête pensante).
Cette table appartient à la brasserie Les Vieilles Poutres qui propose un menu du jour à onze euros quatre-vingt-dix : quiche lorraine, choux farci avec coquillettes (rien à voir avec celui mangé en Auvergne) et crème brulée. C’est plutôt médiocre mais je préfère donner mon argent à ces jeunes gens qu’au vieux poissonnier mal organisé.
Le café, je le prends à La Place en lisant les ébouriffantes lettres de Paul Léautaud à son amante Anne Cayssac, dite la Panthère, dite le Fléau. Puis je descends la rue Renan à l’heure du car de retour, m’inquiétant de ne pas savoir si le point d’arrivée est aussi le point de départ dans l’autre sens. Celle qui ce matin est descendue en même temps que moi s’y trouve me donnant la réponse.
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Au Ty Fournil de Tréguier, la boulangère ramasse mon billet de dix euros avec une raclette à pognon, le faisant tomber dans son tiroir-caisse sans y toucher, puis elle me rend la monnaie dans une bannette qu’elle pousse sous le plexiglas, c’est une variante locale du paiement sans contact.
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Sur la vitrine du bouquiniste du bas de la rue Renan, une citation de circonstance : Celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes. C’est de Machiavel. Un peu plus haut dans la rue : « Vous n’êtes pas à l’abri d’une éclaircie ».
 

21 septembre 2020


C’est ce dimanche qu’a lieu à Rouen le Quai des Livres qui jusqu’à l’an dernier m’aurait fait revenir de vadrouille, quoique j’y trouvais parfois si peu pour me plaire. Ce temps-là n’est plus. En lieu et place, après mon petit-déjeuner à L’Epoque, j’ai la possibilité d’aller à la Salle des Fêtes de Paimpol, quai Pierre Loti, où le groupe local du Secours Populaire organise sa Foire aux Livres.
J’arrive un peu avant neuf heures, en même temps qu’un descendu de voiture, au moment où le rideau métallique se lève. Il n’y a pas ici le climat tendu qui caractérise celle organisée par le Secours Populaire rouennais à la Halle aux Toiles, où les dingues profilèrent, prêts à vous piétiner ou à vous arracher un livre des mains. Dix minutes après l’ouverture nous ne sommes qu’une dizaine, et des plus calmes, dans cette salle à rideau rouge.
Les livres proposés sont essentiellement des romans, donc pas pour moi. Je ne trouve à mon goût que La Défense de l’infini suivi de Les Aventures de Jean-Foutre La Bite de Louis Aragon, recueil d’inédits publié en mil neuf cent quatre-vingt-six par Gallimard, qui inclut Le Con d’Irène illustré par André Masson.
« Jean-Foutre La Bite, tiens, ça a l’air marrant ça », commente le membre du Secours Pop à qui je dois présenter mon achat pour qu’il me donne un ticket marqué de son prix, deux euros, avec lequel je dois aller payer plus loin (même procédure à la soviétique que celle en vigueur à Rouen). Cet émoustillé ne connaît d’Aragon que les chansons de Ferrat.
La mer est aussi haute que la veille quand je retrouve le quai Pierre Loti. Il est à la limite du débordement. J’en profite pour photographier tout autour du port les bateaux qui me plaisent, essentiellement ceux des pêcheurs, inutilisés. Puis je trouve place sur un banc au-dessus de la plage, laquelle est sous les eaux, pour lire Léautaud. Soudain, marchant sur la digue d’en face, un sonneur fait entendre une mélodie bretonne puis disparaît.
C’est encore avant midi que je déjeune sans voisinage à l’extérieur du Terre Neuvas : foie gras maison avec un verre de chardonnay, mijoté de bœuf au vin rouge tagliatelles avec un verre de Petite Perrière, puis je rentre dans mon logis provisoire afin d’organiser la dernière partie de ma virée bretonne que je décide de poursuive jusqu’à la date butoir que je me suis fixé pour rentrer, bien que je craigne d’être rattrapé je ne sais quand par l’interdiction de voyager.
« Je pense que nous allons affronter une tempête – une tempête économique, une tempête sanitaire, une tempête à tous égards – et peut-être une tempête sociale, peut-être une tempête politique. Et je pense que les temps qui viennent sont des temps difficiles. », a dit Edouard Philippe, mercredi dernier à Octeville-sur-Mer.
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« Ça s’est levé à la renverse », un gars du pays évoquant la fin de la pluie au moment du changement de marée hier midi.
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Un autre, à L’Epoque, explique que s’il s’épuise dans les travaux sans fin de la maison de son beau-frère, c’est que depuis qu’il est retraité, il se fait chier. « Sinon tu fais quoi, tu prends ta bagnole, tu vas faire un tour, mais tu peux pas rouler comme ça toute la journée. »
 

22 septembre 2020


« Temps de merde » « On avait oublié », tels sont les propos avec lesquels se saluent les habitué(e)s de L’Epoque. Il pleut dru. « Ah c’est la marée, faut attendre qu’elle descende, après ça devrait aller mieux », dit l’une des serveuses à un inhabitué consterné. « J’espère que vous avez la bonne parole », lui répond-il.
Ce samedi matin dans le port, les pontons dépassent les quais d’au moins trente centimètres. L’eau est à un pouce du débordement. Mon petit-déjeuner consommé, je lis Léautaud un bon moment abrité par l’auvent.
A presque dix heures, je rentre à mon studio. Mon voisin et logeur qui devait partir quatre jours est absent depuis six. Ce me serait indifférent si cela ne se traduisait pas par la disparition de la ouifi. J’allume la télé sur France Info. Un reportage explique que la Suède, si critiquée pour sa gestion de la catastrophe sanitaire, son refus du confinement, son non usage du masque, ne connaît pas de regain de la pandémie alors que partout ailleurs cela tourne mal. C’est ce que me disait dans son courrier d’il y a deux jours,  l’ami de Stockholm :
« La consigne est toujours de télétravailler pour ceux qui le peuvent. Tout est ouvert car rien n’a vraiment fermé à part les salles de concerts. Les rassemblements de plus de 50 personnes sont toujours interdits. Les rumeurs vont bon train pour rouvrir des salles de concerts mi-octobre… On verra. Sinon, restau, lieux d’expos, écoles, tout est normal !
On voit un peu plus de masques dans les transports. Ça a commencé à fleurir à la fin de l’été (début août). Ça reste très marginal mais ça se développe de plus en plus. Beaucoup se déplacent en vélo, y a eu un boom, avec pas mal de vélos électriques à charrette pour transporter les enfants à l’école notamment. (…)
Cela dit, j’ai du mal à comprendre pourquoi la situation de la Suède est si différente. La plupart des gens vivent comme « avant ». »
Moi aussi j’aimerais comprendre. Ce qui est certain, c’est que la France avec toutes ses restrictions, ses interdictions et ses obligations, dont le port du masque partout tout le temps, aboutit à l’inefficacité. Ce qui n’est pas pour me surprendre. On peut toujours compter sur les politiciens français pour faire le mauvais choix.
Qu’en l’occurrence, ils n’assument pas, déléguant l’action aux Préfets. Dans tout Préfet se cache un aspirant dictateur. Quelle jouissance pour ces individus à casquette de militaire de fermer des bars à telle heure, d’interdire l’achat d’alcool après telle autre, et d’envisager le prochain tour de vis.
Ici, en Côtes d’Armor, nous ne sommes pas encore en zone rouge. Une braderie trempée a lieu ce jour sur la place du Martray, les Journées du Patrimoine se déroulent  comme chaque année, en mode dégradé bien sûr.
Point n’y participe. La vie culturelle en mode dégradé ne m’intéresse pas. On ne me verra pas au cinéma, à une expo, à un concert dans ces conditions. Autrement dit, vu le temps qu’il me reste à vivre, je n’irai plus jamais au cinéma, à une expo, à un concert.
                                                                        *
Il pleut encore à midi moins le quart quand je m’installe à l’une des rares tables abritées du Terre Neuvas, quai Duguay Trouin. J’y déjeune de six huîtres et d’une brandade de morue, puis je prends le café à L’Epoque, quai Morand, afin de me connecter à Internet. Au retour je trouve mon logeur rentré et la ouifi rétablie. Il met ça sur le compte de travaux ayant lieu quai de Kernoa. Je ne juge pas utile de le contredire. Cette panne prolongée est surtout due à son absence.
                                                                         *
Comme il ne pleut plus, c’est marée basse, je vais poursuivre ma lecture des lettres de Léautaud au bout du port sur un banc entre deux écluses. Le vingt-trois février mil neuf cent trente, celui-ci écrit au directeur du journal rennais Breiz Atao :
Vous vous exprimez très franchement à l’égard de vos compatriotes pour les engager de se corriger des défauts qui leur font depuis si longtemps une mauvaise réputation : alcoolisme, malpropreté.
Vous devriez bien leur parler aussi un peu de certaines de leurs superstitions. Je n’entends pas la croyance religieuse. Je parle d’une superstition comme celle-ci, par exemple : la coutume de murer vivant un chat dans une maison nouvellement construite pour préserver celle-ci du « mauvais sort ». Il y a vraiment là une cruauté qu’on s’étonne de voir encore à notre époque et qui concourt encore à accréditer l’opinion d’un peuple arriéré qu’on a, fort injustement par bien d’autres points, sur les Bretons.
 

19 septembre 2020


Chant des goélands, un peu de vent, le soleil se lève encore une fois derrière la cheminée d’usine face à la terrasse de L’Epoque. Ce vendredi matin, j’ai renoncé à prendre le car pour Pleudaniel préférant glandouiller à Paimpol.
C’est le début des grandes marées. Sitôt après le petit-déjeuner, je fais le tour du port. Les pontons sont plus hauts que les quais. Des panneaux menacent de la fourrière les voitures garées près de la mer. La plage a disparu mangée par les flots agités. Ce sera plus fort ce ouiquennede.
Lorsque j’ai suffisamment profité du spectacle, je rejoins le Vieux Paimpol. Georges Brassens, l’estivant de Lézardrieux, qui venait régulièrement en voisin dans cette ville y a sa rue, donnant sur la place du Martray, « rue Georges Brassens, poète », au coin de laquelle est un bistrot nommé Les Copains d’abord. J’en fais quelques photos.
Un portrait de lui est à la Mairie, ai-je appris par mon vieux Guide du Routard. Je demande à l’employée de l’accueil s’il est possible de le voir. Oui, mais il est dans une salle où il y a une réunion ce matin, et aussi cet après-midi. « Et lundi ? », lui demandé-je.
Elle m’invite à aller voir la secrétaire du Maire au deuxième étage. Celle-ci m’apprend que la réunion a été annulée. « Venez », me dit-elle. Nous descendons au premier.et entrons dans la salle en question. Ce portrait de Brassens ne marquera pas l’histoire de la peinture. Du moins est-il ressemblant, signé Alain Le Nost. J’en fais une photo, remercie, redescends, vais boire un café et lire Léautaud au soleil de la terrasse du Bistrot Gourmand devant des bateaux de pêche redescendus.
A midi, je déjeune une nouvelle fois Chez Tonton Guy, quai Morand (il ne s’agit pas de Paul). Point de jolie serveuse à lunettes ce vendredi, reste l’apprentie du Céhéfa, seize ans, timide et appliquée. Tonton Guy est à la manœuvre accueillant les arrivant(e)s, surtout des habitué(e)s. La patronne veille à tout. C’est le sosie vocal d’une Rouennaise de ma connaissance. Je dois me retenir pour ne pas m’adresser à elle en l’appelant Marie-Andrée. Au menu à quinze euros cinquante, je choisis les rillettes de lieu noir, l’escalope de porc aux champignons, choux et grenailles et le crémeux Dulcey.
Mon logeur n’ayant pas reparu, je dois encore une fois me charger de mon ordinateur jusqu’à L’Epoque où la ouifi fonctionne. C’est là que je prends le café.
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Au Bistrot Gourmand, on annonce que la saison des moules de bouchot est terminée. Chez Tonton Guy, une ardoise claironne : « C’est la saison des moules de bouchot, enjoy »
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Le bout des six cent soixante-trois pages du premier tome de la Correspondance de Paul Léautaud atteint, j’attaque le second.
 

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