Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

18 septembre 2020


Toujours en l’absence de mon voisin et logeur, toujours privé d’Internet, je sors de ma demeure provisoire avant le lever du jour ce jeudi. Désirant éclairer la cour, j’appuie sur un bouton qui déclenche le glissement du portail. Je réussis à refermer ce bazar, me débrouille pour ouvrir dans le noir le portillon dont j’ai la clé et prends le chemin de la Gare devant laquelle j’attends le car BreizhGo Vingt-Sept de sept heures cinquante dont le terminus est Lannion.
Quand il arrive, j’utilise le premier ticket de mon carnet de dix (vingt euros ; avant le premier septembre, c’était quinze euros). C’est cher payé pour quelques kilomètres car son premier arrêt sera le mien. Il suffit de passer le pont et j’arrive à Lézardrieux.
Georges Brassens avait sa maison de vacances à Lézardrieux qu’il fréquenta pendant plus de trente ans. Une salle porte son nom en hommage quelque part. Son bateau, Les Copains d’abord, était amarré sur le Trieux. Ce marin d’eau douce sortait-il en mer ? J’ai un peu de mal à l’imaginer à la barre.
Arrivé sur la place centrale, toute en longueur et traversée par la route, je fais une photo de l’église qui la conclut. Avec ses deux tours de forme cylindrique encadrant le clocher, elle m’évoque une fusée prête à décoller. Lézardrieux est pratique, entre cette église et la Mairie est un Crédit Agricole où je peux retirer de l’argent (celui de Paimpol est trop loin du port) et juste après se trouve le Fournil de l’Estuaire où j’achète croissant et pain au chocolat (deux fois quatre-vingt-quinze centimes) puis il me suffit d’aller en face pour m’installer à la terrasse du seul café du bourg, Le Cariocca, où j‘en commande un (un euro trente).
Je demande à la tenancière si la maison de Georges Brassens est indiquée quelque part. « Non, c’est privé, me dit-elle, il y a de nouveaux habitants. Si vous continuez après le port vous arriverez à une plage, c’est par là. » Au mur du café est une photo dédicacée de Gilles Servat.
Je descends la rue qui mène au port de plaisance puis le raidillon vers la plage, une petite étendue de sable d’où part une autre route qui est également un chemin de Grande Randonnée. Une femme sort de la maison de droite, engagée dans un téléphonage de travail. J’ose l’interrompre : « On m’a dit que la maison de Georges Brassens était par ici. ».
-Derrière vous, me répond-elle, c’est cette grande maison.
Grande elle l’est, sans aucun signe extérieur de richesse, entourée d’un jardin, mitoyenne avec une qui lui tourne le dos. Sur l’un des portails, son nom : Kerflandry. De son balcon, Brassens voyait les petits bateaux sur le fleuve et un élégant bâtiment ressemblant à une usine sur l’autre rive.
Comme, pour la première fois depuis mon arrivée en Côtes d’Armor, il fait un vent à soulever les jupons, je ne puis m’installer sur un banc du port pour lire. Je retourne donc prendre un café au Cariocca où l’on ne me demande pas si j’ai trouvé.
A midi, je redescends à mi-côte où j’ai repéré le Restaurant Lézard, un peu chic et disposant de quelques tables à l’extérieur. Pour ce repas venté, je choisis les six huîtres nées en mer numéro quatre « la Belle de Paimpol » de la maison Chaumard (sept euros) et le porc confit mousseline de patates douces aux herbes fraîches et jus de veau au banyuls (quinze euros) accompagnés d’une bouteille de cidre fermier du Verger de Kernivinen de Perros-Guirec (sept euros cinquante). L’un des restaurateurs me donne l’origine de tous les produits, si possible bio et toujours locaux. J’écoute poliment mais je m’en fiche que cela soit d’ici ou d’ailleurs. Deux couples ont également choisi d’affronter le vent. Eux sont très réceptifs à ces explications et demandent des détails complémentaires.
Quand arrive mon café (deux euros), je le découvre pas assez chaud et accompagné d’un sachet de sucre industriel. C’est inexcusable mais « C’était très bien », dis-je en réglant l’addition.
Je vais prendre un autre café, bien chaud, au Cariocca dont je suis le seul client. Vers treize heures trente, le cafetier rentre ses cartes postales. « On va fermer pour déjeuner, me dit-il, mais vous pouvez rester là, pas de problème. » Ce que je fais, bien content d’être dans un lieu confortable et abrité du vent pour lire Léautaud en attendant le car du retour.
Celui-ci arrivé à destination (nous y étions deux passagers), je dois aller m’enfermer à L’Epoque, heureusement seul à l’intérieur, pour me connecter à Internet.
                                                                       *
A Lézardrieux, une pierre tombale sert de seuil à une maison près de l’église. Derrière celle-ci est un monument aux morts de la guerre de Quatorze Dix-Huit (moi, mon colon, celle que j’préfère…) dont le soldat agonise en couleur.
                                                                       *
Tous ces randonneurs du Géherre Trente-Quatre qui passent à côté de la maison de Georges Brassens sans le savoir.
 

17 septembre 2020


Ce mercredi à neuf heures huit je grimpe une nouvelle fois dans le car BreizhGo Vingt-Quatre et une nouvelle fois son chauffeur me dit « Allez-y c’est gratuit, la machine ne marche pas ».
Pas question cette fois de m’embarquer pour l’île de Bréhat, je descends à mi-chemin à l’arrêt Mairie de Ploubazlanec. Le bourg est dans la brume, ce qui convient bien à la visite que je fais à son cimetière afin de découvrir le Mur des Disparus. Sur toute sa longueur, des ex-voto égrènent le nom de péris en mer lors des pêches en Islande ou à Terre-Neuve. Deux mille hommes en sont morts dont les corps ont été engloutis par les flots.
Je m’arme ensuite de courage et m’engage pédestrement sur la petite route qui mène à Pors-Even. Elle passe par la chapelle de Perros-Hamon dont le porche contient aussi des plaques à des péris en mer. L’un n’avait que seize ans.
Plus loin, une flèche m’indique d’aller à gauche pour voir la Croix des Veuves érigée sur le promontoire où les femmes de marins s’assemblaient dans l’espoir d’apercevoir le bateau de leur mari de retour d’une campagne à la morue. Elle est bien usée par les intempéries.
Je crois alors malin de prendre un sentier descendant vers le rivage, pensant qu’il me rapproche de Pors Evens. Las, je m’égare jusqu’à la grève de Launay mais quelle belle baie. Il me faut remonter, ce qui me donne l’occasion de rencontrer une biche entrée dans une propriété privée dont le devant n’est pas clôturé. Elle se prend un grillage en voulant me fuir, sans mal heureusement.
Après ce fatiguant détour, je récupère la route des voitures qui doit me mener au port. C’est plus loin que je pensais et cela descend jusqu’à seize pour cent. J’arrive enfin dans ce qui est aussi un domaine ostréicole. Il y a là une moulerie où j’aurais pu déjeuner mais elle est fermée depuis quelques jours car la saison est passée.
Je remonte jusqu’au bourg où j’arrive bien fatigué. Rien ne me convient pour y déjeuner. Le Vingt-Quatre doit repasser peu avant midi. Je l’attends. Il arrive un peu en retard mais toujours gratuit.
A Paimpol je fais le tour des restaurants du port et suis séduit par le menu du jour de Chez Tonton Guy. La patronne en est aimable et deux des serveuses particulièrement mignonnes. Celle à lunettes m’apporte le wrap de poulet mascarpone tomaté accompagné de très bon pain, de beurre demi-sel et de beurre au piment d’Espelette. J’ai pour boire une grande carafe d’eau dont j’use beaucoup. Viennent ensuite le bœuf bourguignon et ses pommes rissolées, le nougat glacé et un café. Cela fait dix-sept euros quatre-vingts.
Il est deux heures moins le quart quand je quitte la table pour repasser à mon logement provisoire. Depuis hier soir, la ouifi n’y fonctionne plus et comme mon logeur est parti depuis lundi pour quatre jours, me voilà bien. J’emporte mon ordinateur à L’Epoque où l’on me donne le code.
Ayant mis en ligne mes photos et mon texte de la veille, je vais prendre un autre café à la terrasse du Bistrot Gourmand près des bateaux de pêche qui n’ont pas quitté le port depuis mon arrivée. Un soleil radieux a remplacé la brume matinale. De chaque côté de ma table sont deux duos de première rencontre après discussion sur Internet. A ma gauche, des quinquagénaires, une femme peu séduisante et amortie face à un vieux beau bronzé à lunettes noires qui ne parle que de lui et de sa propriété. A ma droite, des quadragénaires, une blonde plutôt séduisante face à un faux Charlebois qui lui explique à quel point il est un homme moderne pas du tout macho. Ils se quittent en se promettant de se recontacter. Dans les deux cas, je ne parierais pas sur le début d’une histoire commune.
                                                                      *
Rue des Islandais, rue Théodore Botrel, rue Pierre Loti, tel fut mon itinéraire dans Ploubazlanec.
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Ce n'est pas la population qui arrêtera cette maladie, que les médecins fassent leur boulot, trouvent un traitement, un vaccin, au lieu de culpabiliser et d’infantiliser tout le monde en demandant qu’on siffle la fin de la recréation.
En attendant, il faut bien comprendre que la vie d'avant c'est fini et en tirer les conséquences. Ne pas croire que ce qui a été annulé en deux mille vingt pourra avoir lieu en deux mille vingt et un.
 

16 septembre 2020


Le ciel est rose au-dessus du port de Paimpol à l’heure où je petit-déjeune ce mardi. La cause en est le lever du soleil que je retrouve orangé un peu plus tard lorsque je rejoins le chemin de Grande Randonnée avec deux objectifs : l’abbaye de Beauport à Kérity et la Ferme Marine Paimpolaise à la pointe de Kerarzic.
Ce chemin est d’abord large et plat, il porte le nom de promenade suivi de celui d’un ancien Maire qui était dans l’armée. Je longe la baie de Poulafret avec ses bassins au bord desquels folâtrent des oies pas franchement amicales puis l’anse de Beauport.
Au-dessus de cette dernière se trouve Kérity, autrefois commune, aujourd’hui quartier de Paimpol. C’est son église que j’entendais sonner dix heures dimanche dernier depuis la pointe de Guilben, et non pas l’abbaye de Beauport que je trouve un peu plus loin, magnifiquement en ruine. Je suis seul pour en faire le tour avec mon appareil photo. Vraiment les moines étaient doués pour choisir l’emplacement de leurs abbayes, ici des prémontrés.
Lorsque je reprends le chemin je côtoie une zone d’étangs et des marécages et suis attentivement les traits blancs et rouges signalant le Géherre. Celui-ci devient digne de son appellation, incitant à la prudence quand on est d’âge avancé et mal chaussé. Lorsque je sors de sous les arbres, la mer est toujours à ma gauche et je suis arrivé à la pointe de Kerarzic. Devant moi, la Ferme Marine Paimpolaise dont j’ai appris l’existence en cherchant des restaurants proches de l’abbaye sur le plan de Gougueule. On y élève des huîtres. La dégustation est proposée à partir d’onze heures.
Il n’est que dix heures. Je fais le tour des bâtiments et descends sur la plage où une corde barre le chemin permettant d’accéder directement aux tables d’extérieur. Après en avoir de loin réservé une auprès de la jeune femme qui s’en occupe, je m’installe sur un muret pour lire la Correspondance de Léautaud. Pendant ce temps, la mer recule.
Parfois, un autochtone muni d’un seau et d’un râteau passe près de moi, me salue et va mettre les bottes dans la vase dans l’espoir de trouver quelque chose. Le ciel passe du bleu azur au noir menaçant. La lumière qui en résulte à la surface de la mer ferait le bonheur d’un bon photographe. Peu à peu apparaissent les parcs à huîtres.
A onze heures, le risque de l’averse écarté, la corde est enlevée par la serveuse. Je prends place à une table tout au bord du dessus de la plage. Les tracteurs des ostréiculteurs, certains munis d’énormes pneus, déboulent de l’exploitation et foncent vers les parcs à huîtres. Ce sont six de ces huîtres (neuf euros) que je commande, ainsi qu’un pot de rillettes de maquereaux à la moutarde à l’ancienne (sept euros). Je les accompagne de deux verres de chardonnay à trois euros et les fais suivre d’un café à un euro cinquante.
Seule une autre table est occupée, par cinq sexagénaires guillerets qui parlent d’un de leurs amis. Il s’est pris une branche dans la poire, le tracteur a continué tout seul, il a le visage tout tuméfié, il va falloir qu’il refasse ses papiers d’identité.
Il est midi quand je quitte l’exploitation marine. Je reprends le chemin accidenté dans l’autre sens, n’y croisant toujours personne.
Arrivé à hauteur de l’abbaye, je m’assois sur un banc fait d’une moitié de tronc d’arbre et reprends la lecture de Léautaud face au marais. Derrière moi, dans le pré, sont des vaches que j’entends brouter.
A quatorze heures, je suis de retour en ville. Précisément à l’Office de Tourisme où je désire acheter un carnet de dix tickets de car BreizhGo pour la suite. Avant moi sont des retraitées qui, l’une après l’autre, demandent ce qu’elles peuvent faire. Le jeune homme les envoie toutes sur l’île de Bréhat, pas étonnant que celle-ci soit saturée. Certaines ont des maris mais ceux-ci sont restés dehors.
Après un café à L’Epoque, j’achète mon dessert au Fournil du Martray. Cela fait deux semaines que je suis en Bretagne et je n’ai pas encore mangé de kouign-amann, il est temps d’y remédier.
                                                                     *
Née à Kérity, le sept octobre mil huit cent soixante-quatorze : Jeanne Weber (Moulinet de son nom de jeune fille), tueuse en série, surnommée « l'Ogresse de la Goutte d'Or ». Elle a étranglé dix enfants, dont les siens.
                                                                      *
Une criminelle que devait bien connaître l’historien Dominique Kalifa, spécialiste des bas-fonds et des faits divers, qui s’est suicidé ce samedi douze septembre, le jour de son soixante-troisième anniversaire, après un dernier message à ses ami(e)s sur les réseaux sociaux : « Au revoir ».
 

15 septembre 2020


Ce lundi, après un café croissants (achetés à La Fournée, moins bons, plus chers) pris en terrasse à L’Epoque, je rejoins la Gare de Paimpol afin de prendre le car de la ligne Vingt-Quatre qui dessert la pointe de l’Arcouest et son embarcadère pour l’ile de Bréhat. J’ai en ma possession un billet aller et retour pour celle-ci, acheté dix euros trente samedi dernier à la boutique de vêtements qui les vend où une dame charmante m’a donné toutes les explications nécessaires, notamment qu’il n’y a pas sur l’île de distributeur de billets.
Le premier Vingt-Quatre part à neuf heures zéro huit. Le voyage de douze minutes coûte un euro mais ce matin, nous dit le chauffeur, c’est gratuit, l’appareil est en panne. Nous sommes moins de dix, masqués et éloignés.
A l’arrivée, je suis effaré du nombre de personnes attendant le bateau, au moins une centaine, à quoi s’ajoute la centaine qui est là pour celui qui fait le tour de l’île. Un premier bateau part sans moi. Arrive le Cupidon et c’est bon. Je prends place à la proue, au grand air avec quelques autres téméraires. La traversée dure dix minutes. Le débarquement se fait à la cale de marée basse, ce qui implique une longue marche en troupeau sur la digue jusqu’à la cale de marée haute. La foule se dirige alors droit sur le bourg. Je prends à gauche pour être enfin seul et vais voir la citadelle. Elle abrite une verrerie pour touristes et est jouxtée d’un campigne municipal pour porteurs de tente. Ils sont peu d’installés.
Impossible de longer la côte, des propriétés privées l’empêchent, dont Ker Guevara. Le chemin est en fait une petite route goudronnée où surgissent les bruyants tracteurs des îliens et quelques bicyclettes louées (cette plaie des îles). J’arrive au moulin à mer qu’il me souvient avoir vu de près bien accompagné. Cette fois je le regarde de loin, tout comme, un peu plus loin, la chapelle Saint-Michel sur sa butte. Evitant la déchetterie, je mets le cap sur le bourg dans l’espoir d’y déjeuner.
Malédiction, ils sont tous là avec leurs masques, occupant déjà les terrasses du peu de restaurants ouverts. Beaucoup de ceux-ci sont fermés le lundi. Ce constat me consterne. Je décide de quitter les lieux, retourne à l’embarcadère de marée basse où des bateaux continuent de déverser des centaines d’arrivants. Là, je discute avec un employé venu faire un contrôle je ne sais où, prêt à repartir. Il me dit qu’une fois, un lundi, il a dû aller manger à la maison de retraite, faute de place dans les restaurants. Ce n’est pas mieux à la pointe de l’Arcouest, ajoute-t-il, on a le choix entre un restaurant d’hôtel quatre étoiles et un snack minable.
Le bateau de douze heures quinze, la Bréhatine, me ramène sur le continent. Plus qu’à attendre le car de quatorze heures vingt. Heureusement que Léautaud est là. Je le lis devant un splendide paysage de roches brunes et de mer azurée.
A Paimpol, les restaurants du port ouverts le lundi ne servent plus après quatorze heures trente (il est encore écrit sur les murs du Terre-Neuvas qu’on y sert à manger de onze heures à vingt-trois heures, mais, me dit le patron, depuis le confinement, c’est fini, on a dû réduire le personnel), sauf L’Islandais, à la carte, et à des prix exagérés. Je me contente d’un pichet d’eau, d’une galette saucisse de pays et d’une crêpe beurre sucre, que m’apporte la patronne, blonde et mielleuse. J’en ai pour dix euros.
Le café, je le bois à L’Epoque, en terrasse, au soleil, près de deux jeunes filles à robes roses et jolies jambes. Je les crois lycéennes, elles sont élèves infirmières, boivent de la bière, parlent de pansements et de peaux mortes macérées.
                                                                          *
Bréhat n’a jamais été de mes îles préférées, trop grande, on y marche longtemps sans voir la mer, comme si on était à la campagne. J’aime les petites, Batz, Arz, Sein, etc.
                                                                          *
Qui voit Bréhat est dans l’embarras. (nouveau proverbe breton)
 

14 septembre 2020


C’est dimanche et le Fournil du Martray est ouvert. Les croissants et les pains au chocolat y sont excellents, que me vend, comme hier, un jeune homme qui semble muni d’une pile électrique. Je m’installe avec mon achat, comme hier, à la terrasse de L’Epoque.
Mon petit-déjeuner pris, je pars à la découverte de ce qu’on appelle ici « Le Vieux Paimpol », quelques rues typiques et pavées où s’épanouissent des commerces dont un certain nombre de crêperies. Je vais ensuite voir l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, bâtie au début du vingtième siècle, puis ce qui reste de l’ancienne, la Vieille-Tour, il s’agit de son clocher.
Près de cette dernière est un monument laid en hommage à Théodore Botrel et sa Paimpolaise. Botrel découvrit Paimpol un an après avoir écrit le texte de cette chanson, ce qui lui permit de constater qu’on n’y trouve pas de falaise. Un autre qui eut une Paimpolaise dans sa vie, c’est Pierre Loti, qui lui venait à Paimpol pour tenter de la séduire. Ce fut un échec mais cela lui permit de trouver le cadre de son roman le plus célèbre Pêcheur d’Islande.
Etre dans une ville de bord de mer me conduit toujours à me lasser rapidement de son centre au bénéfice de son port et de sa plage. Aussi ma visite du Vieux Paimpol  n’est guère approfondie. Bientôt me voici assis sur le même rocher qu’hier, plage de la Tossen. La mer s’est retirée (comme on dit). Cela ne me dérange pas pour lire Léautaud sous un soleil que des locaux qualifient de magnifique. Il fait meilleur temps qu’en août, constate-t-on. La rupture de mil neuf cent dix entre Blanche Blanc et Paul Léautaud n’était que provisoire, constaté-je.
C’est encore le port qui m’attire pour le déjeuner. J’opte cette fois pour Le Terre-Neuvas qui a l’avantage de servir à partir de onze heures. J’y suis à la demie à l’une des tables de terrasse, chauffé comme il faut par le soleil. Je commande six huîtres numéro quatre et une brandade de morue avec un demi de chardonnay et suis on ne peut plus tranquille et en sécurité pendant mon repas puisque je suis le seul installé. Ce n’est que vers midi et demie qu’arrivent une famille nombreuse pour qui il faut bouger des tables et un quatuor d’anciennes pour qui il faut ouvrir un parasol. Comment font ces jeunes serveuses pour rester calmes et souriantes face à des demandes faites sur le ton de l’exigence, j’en serais incapable.
Mes trente-trois euros cinquante payés, je retourne lire au même endroit et assiste au retour progressif de la mer. Dès que le chenal de sortie du port est en eau, c’est la ruée des bateaux de plaisance vers le large, d’abord les petits à moteur puis les voiliers de plus en plus gros. Peu de monde arrive jusqu’à cette plage et nul(le) ne s’y installe. Je n’en suis pas mécontent.
Vers seize heures, je rejoins le port et là il y a foule. Je me mets à la recherche d’une table pour prendre un café. L’Epoque m’en propose une. Bientôt une quinzaine de motards s’installent à côté de moi, des costauds avec une carte de Bretagne marquée Breizh derrière leur blouson. Ils sont peu bruyants et à plus d’un mètre de moi, je ne leur demande pas plus.
                                                                *
Une jeune femme à son compagnon en descendant vers la plage :
-Tu peux pas y aller.
-Pourquoi ?
-Interdit aux chiens.
 

13 septembre 2020


Pas un bruit dans cette petite rue de Paimpol où ma nuit est bonne dans le lit King Size. Dès que le jour est levé, je descends sur le port, demande à la première venue où trouver une boulangerie, achète des croissants juste sortis du four à celle de la place du Martray et les mange avec un café allongé (un euro soixante) en terrasse à L’Epoque, café un peu chic à clientèle d’habitués et vue sur le port.
Cela fait, je m’en vais découvrir l’autre partie paimpolaise du Géherre Trente-Quatre avec cette fois la mer à ma gauche. C’est marée basse.
Le début du sentier me fait revoir, de l’autre côté de la baie, la tour de Kerroc’h. D’ici est également visible l’église de Ploubazlanec. J’y entends sonner neuf heures. Je longe la plage de Tossen puis cela devient un peu escarpé. C’est alors que je suis rattrapé et dépassé par le couple de marcheurs à bâtons d’hier, avançant comme des mécaniques toujours, lui devant et elle derrière, sans un regard pour les roches dénudées et la mer scintillante. Je poursuis à ma manière buissonnière avec mes chaussures de ville qui ont fini par se faire à mes pieds.
Juste avant la pointe de Guilben est un isthme d’où l’on voit la mer côté baie de Paimpol et côté baie de Poulafret. Deux magnifiques arbres y poussent que je m’apprête à photographier quand je découvre qu’opère déjà un professionnel dont le sujet est un couple et sa descendance, un trois ans et une enfançonne, tous quatre vêtus de leurs plus beaux habits. Cette charmante famille est arrivée là en voiture, tout comme le photographe. Je patiente impatiemment. Cela dure. L’enfançonne ne veut pas regarder l’appareil du monsieur. Le trois ans veut grimper dans les arbres. Enfin, après une dernière et laborieuse photo du bambin et de la bambine assis dans l’herbe, la place est libre.
Au bout de la pointe, c’est un bateau de pêche que je photographie, venu chercher des casiers, dont j’entends l’équipage causer.
Il me reste à revenir par l’autre côté de cette péninsule. Longeant la baie de Poulafret, je me rapproche de Paimpol. Le chemin est large et plat et donne vue sur l’anse de Beauport. Dix heures sonnent à l’abbaye, si c’est bien elle que je vois, j’irai m’en assurer une autre fois. Je quitte le sentier pour traverser les quartiers de Kerdrez et de Kernoa, l’occasion d’approcher la cheminée d’usine en briques rouges visible depuis le port, et rejoins celui-ci où je prends un café en lisant Léautaud au Bistrot Gourmand.
C’est également là que je déjeune une nouvelle fois, choisissant les moules de bouchot car après le quinze septembre, ce ne sera plus la saison. Elles sont petites mais nombreuses. C’est un boulot d’en venir à bout. Je suis aidé par un quart de sauvignon. En dessert, je m’offre une crêpe à la frangipane. Elle est bien garnie. Avec le café, cela fait un peu plus de vingt euros.
Le soleil étant là, je retourne sur la plage de Tossen où assis sur un rocher adapté à mes fesses, je lis Léautaud en regardant passer les voiliers et nager quelques baigneuses qui se plaignent non de la température de l’eau mais de sa faible profondeur. C’est une petite marée. Les grandes, c’est pour la semaine prochaine.
                                                                          *
En mil neuf cent dix, Blanche Blanc quitte Paul Léautaud. Le vingt mai, il lui écrit ceci :
Et aujourd’hui tu m’écris que ma conduite est inexplicable, et que tu retrouves là mon manque de cœur ! (…)
Tout ça parce que je t’ai demandé à voir tes seins, à embrasser ton chat. Croirait-on pas que je n’ai jamais vu les premiers, ni embrassé le second. Ah ! là là.
Et de conclure :
Il commence à faire chaud. Quelle bonne odeur il doit y avoir sous tes bras, entre tes seins, entre tes cuisses, surtout ! Viens donc ?
 

12 septembre 2020


Ce jour d’arrivée à Paimpol, sitôt terminé le café ayant suivi le bon et copieux couscous royal du Bistrot Gourmand, je passe de l’autre côté du port, traverse la zone des Salles Kerpalud où sont groupés les marchands de bateaux puis rejoins le Géherre Trente-Quatre qui longe la baie, un sentier qui prend des aspects variés. La mer toujours à ma droite, il me fait passer de la forêt à la brousse des marais où il ne fait que trente centimètres de large, heureusement je n’y croise personne.
Après avoir longé une plage déserte, j’arrive au hameau de Kerroc’h (commune de Ploubazlanec). Il est constitué d’un bel ensemble de maisons traditionnelles. J’en fais quelques photos puis je me mets à la recherche d’une tour qui doit être sur les hauteurs mais où ?
Je demande à un couple venant d’en face, des sérieux qui ont tout l’attirail pour montrer que l’on marche et pas qu’un peu.
-On ne sait pas, me répond la femme, nous on fait le Géherre Trente-Quatre jusqu’à Paimpol.
C’est bien ma grande, ai-je envie de lui répondre. Je regarde s’éloigner ces deux-là qui avancent comme des mécaniques et tout à coup aperçois le haut de cette tour de Kerroc’h qui dépasse d’un groupe d’arbres. Je m’en rapproche par une petite route et trouve le chemin qui y mène. Elle semble en carton-pâte, un élément de décor du tournage d’un film oublié là. Elle est surmontée des statues de Marie, Joseph et Jésus. J’y entre et découvre par ses ouvertures une fort belle vue sur la baie de Paimpol.
En descendant, je me risque dans ce que je pense être un raccourci pour rejoindre le Géherre. Effectivement, me dit une dame qui promène ses deux gros chiens. Elle m’accompagne un moment, lancée dans un monologue sur les touristes qui cherchent la tour et ne la trouvent pas. Je suis content quand elle prend à gauche. Pour moi, c’est à droite, cap sur le port de Paimpol où j’arrive un peu fatigué.
Un café à un euro cinquante et la lecture de Léautaud en bord de port au Bistrot Gourmand me remettent d’équerre.
                                                                       *
Parmi les hommes de lettres (comme on dit), il n’y a pas qu’Emile Verhaeren à être mort d’un accident de train, il y a aussi Catulle Mendès, connu hier, oublié aujourd’hui. Voici ce qu’en dit Paul Léautaud à Eugene Montfort le quatorze février mil neuf cent neuf : Etes-vous sensible à la mort des gens, une certaine mort ? Moi, l’image de ce malheureux Mendès roulant sous son train ne me quitte pas. Un joli train de mort qu’il a mené là !
Dans une note infrapaginale, Marie Dormoy donne les détails avec un brin de sadisme : « Revenant un soir du théâtre, Catulle Mendès, qui habitait Saint-Germain-en-Laye, est descendu avant l’arrêt complet du train, sous le tunnel. Le train s’étant remis en marche il a été broyé contre le mur. »
 

12 septembre 2020


Ce vendredi onze septembre, après une dernière bonne nuit guingampaise au Petit Montparnasse, j’ai le temps d’organiser mon départ car point de train pour Paimpol avant dix heures cinquante-trois. Un peu avant dix heures, je remets la clé dans sa boîte à code. Durant mon séjour, je n’aurai jamais vu mon logeur bien qu’il doive travailler au rez-de-chaussée. Ce ne sera pas le cas à l’arrivée. Mon nouveau logeur m’attendra à midi chez lui, le studio Air Bibi qu’il loue est contigu à sa maison.
En attendant mon train, assis sur un muret ensoleillé du parvis de Ti-Gar Gwengamp, j’ouvre la Correspondance de Paul Léautaud et découvre que j’en suis précisément à un onze septembre, celui de mil neuf cent huit, et que c’était aussi un vendredi. Le hasard fait souvent plus que ce qu’on attend de lui. Ce jour-là, Léautaud est à Rouen, d’où il envoie une carte postale à celle qui exige d’être appelée Madame Léautaud, sa compagne Blanche Blanc.
Le petit train pour Paimpol est à demi occupé quand il quitte Guingamp et il bénéficie d’un contrôleur. Je connais le trajet jusqu’à Pontrieux. Juste après cette Petite Cité de Caractère, je quitte ma place pour aller aux toilettes. Lorsque je reviens, un malotru l’occupe, un sexagénaire à l’allure de rockeur avec chapeau et lunettes noires, le genre de type qui m’horripile avec sa mythologie ambulante.
Ce clone prétend qu’il y a de la place pour moi aussi dans ce carré. Je le qualifie d’abruti et vais m’asseoir dans un carré où se trouve une jeune femme et finalement c’est une bonne chose car je suis maintenant du côté d’où l’on voit de haut l’embouchure du Trieux, magnifique paysage.
A l’arrivée à Paimpol, j’ai dix minutes de marche pour atteindre le port. La petite rue où je dois loger est perpendiculaire à celui-ci, côté bateaux de pêche. Au numéro onze, la porte est entrouverte. Mon hôte sort avant que je sois entré. « J’ai entendu le bruit de la valise », me dit-il. Cet homme sympathique me fait entrer dans mon nouveau chez moi provisoire qui contient tout ce qui faut et un lit King Size.
Mon bagage posé, je ressors pour déjeuner en terrasse sur le port, pas ravi de découvrir que le masque y est obligatoire. « Le couscous royal est de retour », annonce l’ardoise du Bistrot Gourmand. Il est à quatorze euros quatre-vingt-dix. Je décide de lui faire honneur, avec un quart de côtes-du-rhône à quatre euros cinquante. Il arrive rapidement, apporté par une jeune serveuse brune. « Bon appétit et faites attention à votre pull », me dit cette effrontée. Je lui demande si la marée monte ou descends. « Je ne peux pas vous dire, je ne sais pas. » C’est bien la peine de travailler au bord de la mer.
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Vendredi onze septembre mil neuf cent huit, carte postale de Paul Léautaud à Blanche Blanc : Ma chère Blanche. Bien arrivé. Il faisait très froid. Nous avons été prendre nos chambres, puis visiter quelques vieilles rues, églises, maisons. Dîné au Café de Paris, rue de la Grosse-Horloge, que tu vois ci-contre. Je t’écris cette carte à onze heures du soir, en rentrant du cinématographe. Venir à Rouen pour voir le cinématographe ! Gourmont adore cela. Ma chambre donne sur la place du marché. Je ne mens pas en disant que je regrette pour me coucher ma chambre familière.
Nouvelle carte le lendemain : Ma chère Blanche. Eté voir aujourd’hui un panorama, après le mascaret ce matin. Le coup d’œil vraiment beau. Un peu gêné d’être ici quand tu es là-bas, très sincèrement. Il faudra tâcher de revenir ici ensemble. La ville est vraiment très intéressante. (Le panorama est celui de Bonsecours et il ne reviendra jamais)
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Léautaud a longuement parlé de son séjour rouennais dans son Journal Littéraire et dans les chroniques théâtrales qu’il tenait sous le nom de Maurice Boissard, J’ai évoqué ce passage des dernières dans mon Journal le vingt-quatre octobre deux mille sept.
 

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