Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

5 avril 2022


Ma carte Yélo dix voyages étant restée vierge depuis l’incident de la Gare où elle fut avalée par un automate, il est temps de l’utiliser. Ce que je fais ce lundi matin en montant dans le bus Illico numéro Un qui a pour but le lointain port de commerce de La Pallice. J’en descends au terminus, Magasins Généraux, sur un long boulevard arboré, au milieu de nulle part.
Je vais du côté où je devine une grue, sans illusions sur la possibilité de m’en approcher car depuis plusieurs années l’ensemble de la zone portuaire est bouclée, hauts grillages, caméras, portillons tournants, badges obligatoires.
C’est bien une grue. Au loin j’entrevois des bateaux. En face est un ancien hôtel jouxté de bâtiments abandonnés et graffés. Une jeune femme qui sort des cartons me dit que je ne verrai rien de plus. Je lui demande si elle sait où est le restaurant Hangar Vingt-Sept. A l’autre bout du boulevard, vers la place du Marché où je ne verrai pas de marché.
En chemin je m’arrête pour photographier un curieux bâtiment en forme de carapace quand arrive celui que je devine être son responsable. J’apprends qu’il s’agit de la Scène de Musiques Zactuelles de La Rochelle. Je lui dis que c’est curieux qu’elle soit aussi excentrée. « Elles le sont toutes », me répond-il. « Je suis de Rouen et ce n’est pas le cas. »  Il connaît le Cent Six, qu’il prétend loin du centre. « On peut y aller à pied, ici ce n’est pas possible. ». Ce têtu ne veut pas l’admettre. Je lui demande où est le Hangar Vingt-Sept. Plus loin. Près du marché. En contrebas.
Il me faut l’aide d’une troisième personne pour le trouver, coincé qu’il est entre des bâtiments protégés par des grillages et des pylônes à haute tension. J’y entre pour réserver une table à midi et m’y installe pour boire un café à un euro cinquante.
C’est un beau bâtiment à la structure en bois. Au comptoir s’affaire une dame chaleureuse et gouailleuse qui pourrait s’appeler Annie. Quand j’ai appris à celle qui travaille à Paris que j’allais à La Rochelle, elle m’a tout de suite dit « Chouette, tu vas pouvoir retourner chez Annie ». « Tu es sûre que c’était à La Rochelle ? Ce n’était pas plutôt à Saint-Nazaire ? » Chez Annie est le nom d’un restaurant routier où nous avons passé un très bon moment. Renseignement pris, c’est elle qui avait raison, Annie et son restaurant étaient dans le port de la Pallice, étaient car c’est fini hélas, la faute au bouclage du port. « Chez Annie à l’agonie », a titré Sud-Ouest en deux mille onze. « Pris au piège dans la zone portuaire, privé de sa clientèle, le restaurant d'Annie Marchesseau est condamné. »
Ce Hangar Vingt-Sept, dont j’ai eu vent par Tripadvisor, est donc une sorte de succédané. « Difficile à trouver », précisent les critiques. J’y lis Hugo un bon moment en écoutant la fausse Annie discuter avec les routiers et autres qui viennent boire un café. « Faut voter pour les petits, leur dit-elle, faut voter Arthaud, faut voter Poutou, pour qu’ils soient remboursés de leurs frais. » Au bout d’un moment, j’en suis certain, cette fausse Annie est la vraie. J’en ai la confirmation. Elle fait partie du personnel qui a été embauché pour ce nouveau restaurant créé par Port Atlantique La Rochelle.
Vers onze heures, je tente à nouveau de voir ce qui se passe dans ce foutu port où des panneaux souhaitent la bienvenue en toutes les langues mais où ne peuvent entrer que les professionnels. Impossible de voir la queue d’un bateau de ce côté-là, alors je parcours les rues du quartier, passe près de l’esthétique bâtiment du marché, découvre un pittoresque Café Populaire « alimentation » casse-croûte » (fermé pour travaux jusqu’au deux mai) et termine par l’Intermarché tout neuf construit près d’une ancienne cheminée d’usine en briques rouges.
A midi une table m’attend au Hangar Vingt-Sept. Annie a cédé la place à une équipe de femmes rodées au service du déjeuner. J’opte pour le menu complet : buffet d’entrées, andouillette sauce aux cèpes avec frites et dessert en libre-service, avec un quart de vin rouge, tout cela pour seulement quinze euros quatre-vingt-dix. Le Hangar Vingt-Sept est vite complet, des camionneurs, des ouvriers du port, des employés d’ailleurs. Mon voisin mange avec son ordinateur.
Pour rentrer j’attends le bus Illico numéro Un à l’arrêt Air Liquide et à quatorze heures pile je m’installe au soleil à la terrasse du Bistro du Gabut où mon café et mon verre d’eau ne mettent pas trente secondes à m’être livrés.
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« Mon lit n’est pas fait, j’te préviens, et y a du bordel partout », entends-je ma voisine dire à l’homme qu’elle ramène chez elle à onze heures du soir ce dimanche. Une fois la porte fermée je n’entends plus rien, hormis les aboiements de son chien, un petit modèle qui gueule dès qu’il y a un imprévu.
 

4 avril 2022


Rochefort, ville chargée d’Histoire, est mon étape dominicale. Je descends du car Neuf devant sa belle Gare située place Françoise-Dorléac. Par la rue Henri-Laborit (il fut ici médecin à l’Hôpital de la Marine, tout comme Victor Segalen), je rejoins l’ancienne Ecole de Médecine Navale, un bâtiment devenu privé dont je fais une photo à travers les grilles. Après le cours d’Ablois, j’arrive à l’endroit où se tient chaque premier dimanche du mois une brocante de professionnels à laquelle s’adjoignent des particuliers. J’aperçois quelques livres mais il y a trop de monde pour que j’aie envie d’en faire le tour.
Une rue perpendiculaire (elles le sont quasiment toutes les unes aux autres) me permet de rejoindre le bord de la Charente où devrait être amarrée l’Hermione mais celle-ci, gravement atteinte par un champignon, est en cure au Pays Basque. Un périscope géant se montre un peu là. Longeant cette paisible rivière, j’arrive à la Corderie Royale qu’il est impossible de faire entrer dans une seule photo.
Dans un beau bâtiment à proximité d’icelle, qui autrefois accueillait les soldats surveillant l’Arsenal est un restaurant nommé Les Longitudes et comme il est midi et qu’il y a de petites tables dehors sous les arcades, je demande à occuper l’une d’elles au grand étonnement du personnel qui trouve qu’il fait froid. Il y a pourtant un peu de soleil. Et une belle vue sur l’entrée de la Corderie, la Charente, les familles du dimanche et une tour penchée. Je mange là un burgueur basique à douze euros cinquante, accompagné d’un quart de bordeaux rouge à cinq euros, et le fait suivre d’un café à un euro quatre-vingts.
Après ce repas sommaire, je continue le long de la Charente, passe à côté de la Médiathèque Erik Orsenna (un honneur que je juge immérité) et arrive au port de plaisance. Les nuages se faisant de plus en plus présents, je regagne le centre de la ville par le plus court chemin, dédaignant la maison de Pierre Loti, un auteur qui ne m’a jamais enthousiasmé.
Un autochtone m’apprend que des cafés, j’en trouverai près de l’Hôtel de Ville. En effet, deux grosses brasseries se font face sur la place dont les jets d’eau sont absents, Colbert et Les Demoiselles (celle-ci datant du film de Jacques Demy).
Pour une raison de lumière, je choisis Colbert. La bourgeoisie locale est en plein repas, mais on me laisse occuper une table pour un café à un euro soixante. Je reste longtemps, au chaud, à lire Victor Hugo, dans cette ville synonyme pour lui de malheur, puis, avec dix minutes d’avance, je vais attendre le car du retour à l’arrêt Roy Bry, pas loin de la brocante qui remballe avant l’heure.
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Moyennant finances, on peut visiter la Corderie Royale en long et en large, surtout en long : trois cent soixante-quatorze mètres.
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On trouve aussi à Rochefort le Conservatoire du Bégonia (il en abrite la plus grande collection au monde).
Le bégonia doit son nom à Michel Bégon. Grand intendant de Colbert et assainisseur de Rochefort, il finança l’expédition du père Plumier qui rapporta d’Amérique cette nouvelle plante. Une information que j’aurai vite oubliée.
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Outre Pierre Loti, qui donne son nom à un collège (est-ce bien raisonnable ?), sont nés à Rochefort Maurice Merleau-Ponty et Dominique Aury (cette circonstance est-elle responsable de son goût pour le masochisme ?). Maurice Renard y est mort, banalement, d’une congestion pulmonaire.
 

3 avril 2022


A la hauteur de la plage de la Concurrence et perpendiculairement à celle-ci s’étend un vaste espace plus ou moins naturel qui remonte jusqu’à une gare secondaire. Cette sorte de coulée verte rochelaise s’appelle le Parc Charruyer et est malheureusement traversé dans sa largeur par des routes à voitures. J’y entre ce samedi matin, à l’abri du vent et sous un ciel bleu.
Je croise d’abord quelques animaux, dont des poules de Marans et un baudet du Poitou qui a envie d’être mon ami. Je caresse son nez blanc avant de voir l’écriteau qui annonce que ça mord. Il braie quand je m’éloigne pour longer une petite rivière dont j’ignore le nom. Près d’icelle sont les locaux de la Boule Rochelaise et du Palet Rochelais, ainsi qu’une statue d’un très ancien Maire, Pierre Doriole. Les garde-fous des ponts sont en béton imitation bois. Ils me rappellent ceux du jardin public de Louviers, un des rares lieux de sortie familiale lorsque j’étais enfant.
Avant d’atteindre la gare, je reviens sur mes pas puis, à partir de la Concurrence, suis le bord de la mer jusqu’à la tour de la Chaîne et le cours des Dames connu pour ses restaurants de piètre qualité. Un échappe à la mauvaise réputation, un italien nommé La Storia, où je réserve une table pour le déjeuner avant d’aller lire au Bistro du Gabut orienté plein sud et à l’abri du vent.
A midi je prends place sous l’auvent de La Storia où il fait presque froid. La serveuse qui apporte mon quart de vin rouge charentais me trouve courageux.
-Je vous sers votre vin ? me demande-t-elle
-Si vous me le proposez, allez-y.
-Vous voulez m’exploiter jusqu’au bout, c’est ça ? Je ferais comme vous.
Le reste du personnel est masculin et également jeune et sympathique. Je commande une pizza nommée La Truffée composée de crème de champignons truffée et échalotes, fior di latte, champignons frais, speck (jambon italien), burrata, noix torréfiées et huile de truffe. Elle a belle allure et est fort bonne. Pour dessert, ce sera le tiramisu di Sabrina, l’authentique (biscuit au café, mascarpone, amaretto). Celui-ci est bon sans être remarquable.
Les tables sous l’auvent sont maintenant toutes occupées. Près de moi sont quatre garçons et deux filles. Il est question de commander des pizzas. Qui est pour ? « Moi je suis chaud », dit l’une des filles. Aucune fille ne fera l’accord au féminin dans ce cas. Pour ma part, j’ai moins froid quand je quitte cette bonne adresse après avoir réglé vingt-sept euros cinquante.
Sur le Cours des Dames sont installées les guérîtes où l’on vend les billets pour les excursions en mer. Constatant que pour aller à l’Ile d’Aix, c’est trente euros si l’on veut y rester plus que quelques heures, alors que l’on doit déjà se fader le tour de Fort Boyard (vu à la télé) et subir le baratin d’un commentateur durant toute la traversée, je renonce à mon idée d’employer ce moyen pour revoir cette délicieuse petite île dont il me restera un souvenir lointain et confus.
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Le baudet du Poitou, très brun, très poilu, un mètre cinquante, quatre cent cinquante kilos, a failli disparaître. Il n’en restait que quarante-quatre en mil neuf cent soixante-dix-sept. Ils sont maintenant deux mille quatre cent quarante.
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Ce baudet du Poitou me fait penser, malgré moi, à ce baudet de Poutou. Ce qui n’est pas gentil. « Si l’Otan avait été dissolu », l’entends-je dire à la télé dans l’après-midi.
 

2 avril 2022


La briocherie Sicard, ce premier avril, n’a pas loupé le début de la haute saison en passant son petit-déjeuner « détente » de quatre euros cinquante à cinq euros trente, une augmentation de dix-huit pour cent, que l’on m’annonce une fois la commande posée sur le plateau, bien obligé d’obtempérer.
Sorti de là, je me dirige vers la Gare et attends cette fois le car numéro Quatre. Il conduit à Surgères. Son terminus est Place du Château. C’est précisément celui-ci qui m’attire dans cette petite ville de l’intérieur que j’ai traversée avec le Tégévé.
Le ciel est bleu à l’arrivée mais il fait frais. Je suis seul pour découvrir le mur d’enceinte et les bâtiments construits à l’intérieur à des époques ultérieures et différentes, dont le logis seigneurial de la famille de La Rochefoucauld qui abrite aujourd’hui la Mairie et l’église Notre-Dame dont la façade émerveillait Prosper Mérimée.
Quand arrive un groupe de retraités masqués en visite guidée, il est temps de repasser le pont-levis qui ne peut plus être relevé. Les quelques rues piétonnières de ce bourg austère sont en gros travaux. Je vais jusqu’à la Halle du Marché puis prends la fuite devant le bruit de la pilonneuse.
En bas du Château coule la Gères, petite rivière qui donne son nom à Surgères. Un chemin champêtre permet de la suivre un moment. Ce que je fais, puis le vent froid soufflant de plus en plus fort, je reviens en ville et entre au Victor Hugo, place de l’Europe (cette adresse lui aurait plu), pour me réchauffer d’un café à un euro quarante, mais je ne peux y rester pour lire Choses vues car ce troquet est étroit et très fréquenté par les locaux. J’y crains le Covid.
Je passe au restaurant Le Manuel, face au Château, et obtiens de la sympathique patronne de venir y déjeuner dès midi moins le quart afin d’être sûr d’attraper le car de treize heures pour La Rochelle. En attendant, malgré le froid, sur un muret un peu abrité, je lis Hugo dans le parc du Château.
A l’heure dite, je pousse la porte de ce restaurant au mobilier démodé et à la décoration désuète. On y propose un menu du jour à treize euros cinquante. C’est d’autant plus méritoire qu’il n’y a aucune concurrence. J’opte pour le hareng pommes tièdes, la brandade de morue et la tarte au citron maison. La liaison avec la cuisine se fait par le biais d’un passe-plat dans lequel la patronne et son serveur passent la tête pour donner leurs ordres. Peu à peu, la salle se remplit de couples ou de duos qui ont l’air eux aussi d’être des années soixante-dix ou quatre-vingt. Avec le quart de vin blanc et le café, mon addition ne s’élève qu’à dix-huit euros.
Evidemment je suis en avance sous l’abribus et je me pèle en attendant le Quatre.
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Prosper Mérimée, de passage à Surgères : Bien que blasé, j’ai trouvé à m’extasier devant son église ; je ne trouve rien de plus beau que sa façade.
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Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle ! »
Ce sonnet fut écrit pour Hélène de Fonsèque, fille du baron de Surgères.
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
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Ces noms de lieu qui vous font rêver quand vous les lisez sur un horaire de car et qui sont ceux de villages sans âme. Exemple, entre Surgères et La Rochelle : Aigrefeuille d’Aunis.
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Ouverture de la haute saison, L’Amiral Café et le Bistro du Gabut ont installé leurs extensions de terrasses de l’autre côté du quai Georges-Simenon, juste au-dessus des bateaux, des tables qui restent inoccupées en raison d’une température de basse saison.
 

1er avril 2022


Ce jeudi, dès que le soleil pointe un peu ses rayons, je décide de faire le tour du Bassin des Chalutiers, entièrement visible de ma fenêtre et rebaptisé sur le plan distribué à l’Office du Tourisme, Bassin des Grands Yachts, puisqu’il est devenu le lieu de garage des plus grands bateaux de plaisance depuis la mise en service du port de Chef de Baie pour les pêcheurs, loin du centre de la Rochelle.
De ma fenêtre ouverte, je fais une première photo avec en arrière-plan l’Aquarium puis descendu sur le quai Georges Simenon, je marche vers ce bâtiment plein d’animaux marins où je n’ai pas envie d’entrer. Après le parvis Eric Tabarly le quai longe d’anciens hangars reconvertis en lieu culturel et conduit au Musée Maritime dont l’architecture m’évoque une chenille colorée. Une partie de ce Musée est à flot sous forme de bateaux d’un autre temps.
Je traverse le bassin par une passerelle dont la partie centrale peut se lever afin de laisser passer les grands yachts, puis je reviens par le quai d’en face qui mène au pont-levant du Gabut et voilà le circuit accompli.
Les tables du Bistro du Gabut sont au soleil quand j’y prends place et un café verre d’eau. Pour démentir mon propos de la veille, on y parle réchauffement climatique et montée des eaux. Un client vient de voir le Maire qui parle là derrière. Il a mis sa cravate rouge. Y a des caméras et tout le bordel. « C’est pour un exercice de submersion », explique le patron qui est bien renseigné. Une partie de La Rochelle est menacée par la montée des eaux prévue dans quelques décennies et au moins la moitié de l’Ile de Ré doit être noyée, celle où prolifèrent les célébrités.
Trois employés des espaces verts arrivent pour nettoyer le pied de l’arbre qui fait le coin de la terrasse. Pour quatre mètres carrés à désherber, ils utilisent un coupe herbe à fil et une souffleuse. Le calme revenu, je retrouve Victor Hugo.
Il fait un peu trop frais pour déjeuner dehors près de la Gare, aussi est-ce à l’intérieur de L’Ardoise que je me présente à midi pile. Je fais bien car de nombreuses tables sont réservées. Ce restaurant mal situé est apprécié pour son menu du jour qui en est vraiment un, pas comme les plats du jour de certains restos du Gabut qui sont en réalité des plats de tous les jours : filet de merlu ou faux filet.
La décoration intérieure de L’Ardoise est agréable et le jeune couple qui le tient est chaleureux, tout comme leur petite serveuse. Aujourd’hui, c’est œuf mollet florentine, lasagnes de poisson salade verte et charlotte au citron et morceaux de fraise, à quoi j’ajoute un quart de vin blanc charentais. La sono diffuse les tubes anglo-saxons des années cinquante et soixante. Une musique tout à fait appropriée. La Sweet Little Sixteen à queue de cheval qui me demande si tout va bien pourrait s’appeler Peggy Sue.
A l’issue de ce bon moment, je prends le café sous le soleil au Bistro du Gabut. Quand apparaissent les nuages gris et que les premières gouttes tombent, j’apprécie de résider au-dessus du bar.
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Pendant ce temps-là Macron n’était pas loin, apprends-je sitôt rentré. A Fouras, un lieu où j’envisageais d’aller en train pour ensuite rejoindre la pointe de la Fumée et prendre le bac pour l’Ile d’Aix, mais hormis l’été aucun transport collectif ne fait la liaison entre la gare et l’embarcadère, distants de huit kilomètres. Il m’a fallu renoncer.
Si je l’avais pu, cela aurait été en ce mois de mars, pendant la basse saison, où le bateau est à dix euros. Dès le premier avril, début officiel de la haute saison, il passe à quinze euros.
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Il n’y a pas de moyenne saison à La Rochelle et ses environs.
 

31 mars 2022


Ce mercredi, en attendant de voir comment le temps tourne, j’organise peu ou prou la suite de mes pérégrinations puis quand il s’avère que ce sera meilleur que prévu, je fais le tour d’un Vieux Port de plus en plus touché par les travaux. Passé sous la Grosse Horloge, je remonte la rue aux arcades jusqu’à la laide Cathédrale devant laquelle ont également lieu des travaux. En face d’elle sont deux tirettes du Crédit à Bricoles où je me procure du liquide (comme on dit).
Revenu au Vieux Port, je constate que le restaurant où je songeais à déjeuner est fermé exceptionnellement jusqu’au premier avril. Je passe alors au pied de la Tour de la Chaîne pour effectuer la promenade de peu d’effort baptisée balade Jean-Louis Foulquier.
En contre-bas des remparts, elle est malheureusement jouxtée d’un parquigne qui n’aurait pas lieu d’être. On y rencontre un bâtiment de bois (fermé quand je passe devant) où peuvent s’exprimer des artistes en devenir dans la perspective d’un passage aux Francofolies puis une école de voile également en bois (fermée elle aussi). Le chenal interdit d’aller plus loin. Je boucle la boucle en revenant vers la Tour de la Chaîne et assiste à la courte traversée de la navette électrique Yélo qui va et vient, pour le prix d’un ticket de bus, entre cette Tour et l’Aquarium.
C’est à pied que je vais de son point de départ à son point d’arrivée, contournant le port pour revenir vers mon logis temporaire et m’installer face à l’Aquarium au Bistro du Gabut pour un café lecture. Près de moi sont deux artistes dont le jargon m’exaspère : « La copine qui nous a accompagnés sur le début de la créa ». Ils portent des bonnets qui donnent une tête de gland.
A midi, je retourne déjeuner au japonais à volonté nommé Cusine Yuzi. J’ai derrière moi trois femmes que je suppose être des enseignantes. Elles organisent un futur évènement culturel dont le point culminant sera une conférence gesticulée. « C’est bien, t’apprends des trucs et en plus tu rigoles. »
Le soleil est toujours là quand j’en sors, certes un peu voilé par des nuages. Je retrouve la terrasse du Bistro du Gabut. Après un couple d’Allemands venu manger une omelette, c’est un jeune homme qui s’installe à ma gauche, lisant Big Sur de Jack Kerouac dans la collection Folio, tandis que le patron derrière nous raconte les faits divers dont il a été la victime : cambriolages de son bar et de sa maison, voiture retrouvée sans roues et sur cales, etc.
                                                                     *
Il y a tous ces zonards à chiens, la voix mielleuse quand ils demandent un brin de monnaie, ceux-là tu sais ce qu’ils pensent de toi, que tu donnes ou pas. Il y a aussi les mendiants classiques assis sous les arcades, dont l’un près des tirettes du Crédit à Bricoles, bien poli quand il demande une pièce ou une cigarette, puis insultant à voix basse ceux qui passent sans donner : « Connard » « Enculé ».
                                                                     *
De passage dans le port, conduit par un barbu chevelu, diffusant une musique tonitruante, un campigne car sur la cloison duquel est inscrit à la peinture sommaire : « Service de musicothérapie universel et poivre ».
                                                                      *
Guerre, pandémie, sècheresse, réchauffement, pénuries, tout va mal. Dans les conversations de la vie quotidienne, personne n’en parle.
 

30 mars 2022


Quelques pluies possibles ce mardi, annonce la météo. Quoi de plus approprié que de monter dans le car Trois pour en descendre à La Flotte, arrêt Vierge. Celle-ci est là pour m’accueillir, pas plus fière que ça d’avoir été l’objet d’une récente polémique médiatique nationale.
Pour rejoindre le port c’est tout simple, m’expliquent les jardiniers qui nettoient les iris, il faut prendre la rue qui descend tout droit. C’est une belle rue à maisons typiques, quasiment déserte.
Il est l’heure de la marée basse quand j’arrive. Les bateaux sont posés sur la vase. Des ouvriers en profitent pour refaire une partie de la paroi du bassin.
Je vais de-ci de-là dans ce bourg bien plus beau que dans mon souvenir. Il dispose de multiples ruelles à ambiance ilienne, d’une courte plage et d’une promenade avec vue sur les élevages d’huîtres. A l’intérieur se trouvent un marché sous des hallettes anciennes à tuiles roses et une église fort sombre bien que toutes ses portes soient ouvertes.
Quand il se met à pleuvoir, je reviens au port avec l’espoir d’y trouver un café ouvert mais c’est trop demander. Je m’abrite sous un auvent en attendant que ça passe. « Ah bah, il en faut de la flotte, commente un autochtone qui en croise un autre, que les patates poussent. »
Quand cela cesse, je passe à l’Office de Tourisme d’où je ressors avec (enfin) une carte de l’Ile de Ré puis, constatant que L’Escale a ouvert, j’y bois un café sous l’auvent, à un euro quatre-vingt-dix, et ouvre Choses vues. Près de moi travaillent sur leurs ordinateurs une femme et un homme chassés de leurs bureaux par le bruit de la meuleuse des travaux du bassin.
Dans une rue donnant sur le port, face à Le Coiffeur, je découvre L’Endroit du Goinfre, un restaurant garanti sans enfants, où je réserve une table car il est précisé qu’en raison d’un manque de personnel, seules trente personnes sont admises à y manger. Partout dans l’île on cherche des cuisiniers et des serveurs pour la saison qui va commencer le premier avril.
L’heure venue, je prends place à l’intérieur de ce restaurant pour carnivores. J’y commande les deux plats qui me font envie : un os à moelle rôti (onze euros) et des pieds d’cochon rôtis (neuf euros) avec un verre de cahors à quatre euros cinquante. Le cuisinier est tatoué, le serveur efféminé. « Ça se passe bien les pieds de cochon ? », me demande ce dernier. Oui ça se passe bien, je suis content d’avoir cédé à la tentation.
En début d’après-midi, je retrouve la Vierge pour attendre le car de retour. A son arrivée devant la Gare de la Rochelle, je fais recharger ma carte dix voyages par son aimable conducteur.
                                                                      *
L’association La Libre Pensée a obtenu du Tribunal le déplacement de la Vierge de La Flotte. Venue d’un terrain privé, elle doit y retourner. Le Maire a six mois pour obtempérer mais aucune pénalité financière n’est prévue s’il dépasse ce délai. La Marie est peut-être là pour longtemps.
                                                                      *
Personnellement, la présence sur la voie publique de ce genre de statue ne me gêne pas. Dans le cas présent, c’est un poteau indicateur bien utile.
 

29 mars 2022


Paradis ou Crapaudière ? A quel arrêt descendre pour être au plus près de l’église de Sainte-Marie-de-Ré ? C’est la question que je pose ce lundi matin au chauffeur du car Trois. « Crapaudière », me dit-il.
Je fais comme il a dit et j’ai tort car l’arrêt Crapaudière est au lieu-dit La Noue, loin du centre du bourg.
Au moins, cela me fera marcher. Je découvre d’abord la jolie place de La Noue, autour de laquelle sont quelques commerces, puis prends une longue rue étroite sur la gauche qui doit mener au centre de ce village. Elle est bien sûr bordée de maisons basses et blanches. J’y rencontre l’Hôtel du Peu Breton et une haute statue de la Vierge qui donne son nom à un arrêt de car d’été.
Quand enfin j’arrive à l’église fortifiée, je la découvre moins pimpante que je pensais. Point de commerces alentour et pour atteindre la plage c’est encore loin. Aussi je décide de ne pas m’attarder à Sainte-Marie.
Comme je crains de ne pas trouver le Paradis, je marche en sens inverse jusqu’à la Crapaudière. Le car d’onze heures est ponctuel. Il me dépose à la Gare de La Rochelle peu avant midi.
Il fait moins chaud qu’hier quand je m’installe pour déjeuner à la terrasse de L’Ardoise, une brasserie qui fait face à l’Hôtel des Gens de Mer. J’ai vue sur la Gare et sur les travaux du parvis qui sont heureusement suspendus entre midi et deux. La rue sert de parquigne à des loueurs de voitures, des chipoteurs de première quand il s’agit de vérifier l’état du véhicule rendu.
Pour seize euros quatre-vingt-dix, le menu du jour propose des concombres à la crème et fines herbes, un filet de poulet au chorizo avec poêlée de légumes frais, un gâteau à la cannelle en croûte de sucre et un café. La jeune serveuse m’apporte mon quart de vin rouge charentais à cinq euros cinquante. Elle me propose de le goûter si je ne connais pas. Effectivement, il est particulier, plutôt rustique, mais il me va. Ce repas est des plus corrects et j’aime suivre les allées de venues de celle qui me sert et m’inspire des pensées coupables.
Le lundi, L’Echo n’ouvre qu’à quatorze heures. J’y bois un autre café puis me lance dans une longue lecture d’Hugo sur fond d’electro qui me permet de terminer le premier volume de Choses vues et d’entreprendre le second. Trois quinquagénaires du cru, propriétaires du bateau le plus photographié du Vieux Port (disent-ils), se demandent comment faire pour continuer à bénéficier de cette place de choix. Ils ont vu Valentine, la responsable, et ont bon espoir « Heureusement, car quand t’es aux Minimes, t’es anonyme. »
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A Sainte-Marie-de-Ré, on peut « déambuler entre ruelles, venelles et quéreux », annonce le site de l’Office du Tourisme.
Un quéreux est une sorte de place nue ou de cour non fermée entre une maison et la voie publique (c’est du parler rochelais).
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A Sainte-Marie-de-Ré, une rue des Beaucoups où je n’ai vu personne.
 

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