Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 juin 2018


Après une longue et bonne nuit, je traverse sous la terre Paris du nord au sud afin de rejoindre le meilleur vide grenier que je connaisse, celui de la Butte aux Cailles. Il est huit heures quand j’y arrive. Tou(te)s les exposant(e)s ont terminé de s’installer, même le bouquiniste qui n’aime pas être dérangé avant qu’il soit tout à fait prêt.
-La boutique est-elle ouverte ? lui demandé-je.
-Dans cinq minutes, me répond-il.
Pas loin sont les Amis de la Commune et leurs livres à cinquante centimes. J’en trouve à mon goût, chez des particuliers d’à côté également, puis retrouve le bouquiniste qui vend toujours à un euro. Cette année, il est d’humeur joviale, proposant de me décharger des livres déjà achetés afin que je sois plus à l’aise pour explorer son stock
-Ce sont des très bons livres, commente-t-il après examen de mes achats.
-C’est ma spécialité, lui dis-je, je n’achète que du très bon.
Affaire faite avec lui, j’explore le réseau des rues de ce quartier bourgeois et bohème. Chacun y est courtois et le conflit inconnu. Les prix qu’on me propose sont tels que je n’ai pas à les discuter. Un homme a choisi ce jour pour repeindre son mur. Grimpé sur une échelle, il est certain que tout le monde le voit.
A midi, je m’installe à l’une des tables extérieures des Pissenlits par la racine d’où je peux observer à loisir le va-et-vient. J’opte pour le tartare de cheval et ses frites maison accompagnés d’un verre de vin du mois. Le stand de brocante situé devant ce restaurant dont les murs intérieurs sont entièrement peints à la Basquiat est tenu par deux quinquagénaires d’origine étrangère. Ils ne vendent que le meilleur, que ce soit en matière de cigares ou de chaussures, de téléphones, de jumelles ou d’appareils photo anciens. L’un d’eux sirote un verre de vin du mois puis, alléché par mes frites, en commande une assiette. L’autre est davantage intéressé par les nourritures spirituelles, récitant à un potentiel acheteur Le Laboureur et ses enfants, puis lui en expliquant le sens. Il fut un temps où l’école était capable de faire apprendre un tel texte à tous les élèves. Je l’ai su aussi, mais contrairement à lui, je l’ai oublié.
Ayant réglé les vingt euros tout ronds de mon déjeuner, je vais prendre le café à la terrasse d’Au Passage des Artistes. Revigoré, je me sens capable de faire une dernière fois le circuit. A cette heure, je trouve encore de l’intéressant. Je charge mes sacs de six livres supplémentaires puis, faute de porteur à ma disposition, je dois en rester là.
Un aimable cafetier m’indique comment rejoindre la station de métro Corvisart par un chemin piétonnier pentu qui passe devant un jardin public bien caché. On ne s’en rend pas compte quand on arrive par la place d’Italie, comme je l’ai fait en début de matinée, mais la Butte aux Cailles est vraiment une butte.
Mon train de retour à Rouen est le seize heures neuf. C’est jour de grève mais il est là. Pour aller m’y asseoir je franchis les barrières à Morin ouvertes. Un homme de ménage y passe le chiffon. Il ne suffit pas qu’elles soient inutiles, encore faut-il qu’elles brillent.
                                                                       *
Bilan de la butte : vingt-quatre livres pour vingt-sept euros, beaucoup à l’état neuf, dont Warhol Unlimited, le lourd catalogue de l’exposition vue au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en deux mille quinze, encore sous plastique.
Les cinq dont je suis le plus content : Lettres choisies de Joseph Roth (Seuil), Croquis de voyage du même (Seuil), Livre(s) de l’inquiétude de Fernando Pessoa (Christian Bourgois), Lexique précédé de En vue d’un éloge de la paresse de Georges Perros (Calligrammes) et Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard).
 

21 juin 2018


A quoi te sert d’être encore sur le réseau social Effe Bé, me demandait mercredi dernier celle qui me prête son appartement pour ce ouiquennede parisien. A être informé par « un ami » que je ne connais pas de l’existence d’un salon du dessin érotique dont la sixième édition a précisément lieu lors de ma venue, lui ai-je répondu.
Ce Salon Salo Six se tient au cent onze bis boulevard de Ménilmontant, pas loin du Restaurant du Lycée où mon repas est terminé avant la fin du match de foute. Je paie les trois euros demandés à l’entrée puis vais voir de quoi il retourne.
Les dessins d’une centaine d’artistes sont exposés dans plusieurs salles dont l’une sert aussi à une sorte de colloque. Tous les thèmes sont abordés par les adeptes du crayon coquin, sauf celui qui désormais peut vous valoir des ennuis. Parmi les artistes, autant de filles que de garçons. Un seul dessin est accompagné du point rouge indiquant un achat.
Je note le King Size d’Anna Paris (une grosse bite rose) et les désordonnés Dessins orgasmiques de Michel Lascault (réalisés pendant l’acte sexuel). Cependant si je devais acheter, ce serait les dessins ayant pour thème la zoophilie, sujet qui m’a toujours particulièrement intéressé : les scènes avec ours de Lia Schilder, L’amour fou d’Isabel Aguera (une fille montée par un chien) et Ethéré en haut bien charnel en bas, qu’il est polyvalent ce rat de Maria Arendt (dessin sur tissu d’une femme qui le suce, ce rat en costume assis dans un fauteuil, mais en fait on ne voit rien).
Chez celles et ceux qui colloquent il est question des sujets habituels : érotisme et pornographie, obscénité et censure. Une certaine animosité est perceptible entre certain(e)s intervenant(e)s.
De l’extérieur, par une fenêtre ouverte, se fait entendre un cri de jouissance. Un membre de l’équipe de France de foute vient d’éjaculer au fond du filet.
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Sorti du Salon Salo Six, je prends un café à une quelconque terrasse de la rue du Chemin Vert puis, à l’heure convenue, rejoins le dix-huitième arrondissement. « Tu as l’air exténué », me dit celle qui m’ouvre sa porte. Je le suis et vais faire une longue nuit avant de me rendre à ce qui m’a conduit à Paris ce ouiquennede : le vide grenier de la Butte aux Cailles.
 

20 juin 2018


 C’est bien la peine de se lever matin ce samedi pour découvrir, arrivé à la gare de Rouen, que le train de sept heures quatre pour Paris est supprimé, bien que ce ne soit pas un jour de grève.
-Tu aurais dû consulter le plan de circulation, me dit l’un de ma connaissance qui fait le chemin de fer jusqu'au Havre et dont le train va bientôt partir.
J’aurais dû mais n’y ai point songé. Et la Senecefe ne m’a pas envoyé de mail pour m’avertir, comme il est d’usage. Plus qu’à attendre celui de huit heures cinq, lequel s’arrête partout, y compris à Bonnières et Rosny-sur-Seine.
Ce qui fait que j’arrive au vide grenier de l’avenue de Flandre, dans le dix-neuvième, au moment où il est envahi par les poussettes et les chariots à tirer derrière soi. Il est fort long et situé sur un terre-plein central qui à certains endroits a été étréci au point qu’on ne peut s’y croiser. Les exposants sont tous des pauvres, vendant par nécessité, essentiellement de la vaisselle et de la layette. Parmi les très rares livres, aucun n’est susceptible de m’intéresser. Je fais un nœud à l’un des neurones qui me restent : se rappeler de ne plus jamais aller au vide grenier de l’avenue de Flandre.
C’est jour de match de la France à la coupe du monde de foute et celui-ci se déroule à midi. Où manger en y échappant ? Le Palais de Pékin, avenue Parmentier, devrait me le permettre. Quand j’y arrive, je découvre que ce restaurant chinois est fermé le samedi midi. Ayant à faire boulevard de Ménilmontant l’après-midi, je remonte la rue du Chemin Vert. J’y croise des moutards porteurs de drapeaux tricolores, quelle éducation ! Les télés sont en marche dans tous les restaurants, parfois installées en terrasse. C’est le début de l’enfer. Il va durer un mois.
Je m’installe au bout du bout de la terrasse du Restaurant du Lycée, boulevard de Ménilmontant, dont la télé est au bar, à peine audible de l’extérieur, et y déjeune d’un menu à quinze euros (thon mayonnaise, lapin chasseur coquillettes, mousse au chocolat) considérant celles et ceux qui passent et semblent n’avoir, comme moi, rien à faire du foute et de l’équipe de France. On doit être plus nombreux que je ne le pense, mais les autres font tellement de bruit.
 

19 juin 2018


Imaginons que François Hollande n’ait pas eu l’idée de réunifier la Normandie. Aux dernières élections régionales, les chiffres le montrent, Nicolas Mayer-Rossignol (Socialiste) aurait été réélu Président de la Haute-Normandie et on n’en serait pas là. Car c’est la Gauche qui a mis en place l’abonnement donnant droit d’assister à tous les spectacles programmés par l’Opéra de Rouen pour une somme modique calquée sur le montant des abonnements de certains cinémas. Je venais d’arriver à Rouen. C’était donc au tournant du siècle. Je me souviens de la publicité vue sur l’un des panneaux Jicé Decaux sur le chemin du travail qui m’avait fait dire : Tiens, pourquoi pas.
A cause des électeurs de Basse-Normandie aidés par ceux de l’Eure, la Droite a gagné les Régionales et Hervé Morin est devenu Duc. En conséquence, pour remplacer Frédéric Roels, un artiste, metteur en scène, à la tête de l’Opéra de Rouen Normandie a été choisi Loïc Lachenal, un gestionnaire, auparavant Directeur du syndicat patronal Forces Musicales. Ce qui a entraîné l’abandon de l’abonnement Entrée Plus à vingt-sept euros par mois.
Cette formule m’était idéale. Pour son aspect financier certes, mais aussi par sa souplesse et son automaticité. Chaque mois l’argent était prélevé sur mon compte et je choisissais via Internet quasiment tous les spectacles proposés. Avec l’aide aimable et efficace des employé(e)s de la billetterie, j’obtenais presque toujours des places de première série. J’avais ainsi la possibilité d’apprécier des spectacles que je n’aurais pas pensé aimer à priori.
Le lieu que j’appelais Opéra de Rouen devrait reprendre le nom de Théâtre des Arts. Il n’hébergera que vingt-quatre des spectacles de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf. La grosse majorité, quarante-trois, des spectacles de l’Opéra de Rouen aura lieu dans la salle secondaire à l’acoustique douteuse appelée Chapelle Corneille où je n’ai pas la moindre envie de mettre l’oreille.
Parmi les vingt-quatre ayant lieu au Théâtre des Arts, certains me sont rédhibitoires : opérette vaudeville, comédie musicale, spectacles participatifs, etc. Il n’y en a que dix-sept où j’aurais pu aller, mais pour profiter de la nouvelle offre d’abonnement la moins défavorable, à cinquante pour cent de réduction, il faut choisir au moins vingt spectacles. Adieu donc, abonnement à l’Opéra de Rouen.
Selon les promoteurs de la nouvelle grille financière, il s’agit de renouveler le public. Il s’agit surtout d’en finir avec une formule d’abonnement trop favorable aux spectateurs. L’an prochain, ce sera très majoritairement le même public que cette saison, chacun(e) ayant un an de plus. Et dans l’Orchestre, les mêmes musicien(ne)s titulaires, chacun(e) avec un an de plus.
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Certains prétendent que la nouvelle formule d’abonnement coûte à peu près le même prix que l’ancienne.
Cette saison, avec Entrée Plus, j’ai payé douze fois vingt-sept euros, soit trois cent vingt-quatre euros pour assister, assis presque toujours en première série, à trente et un spectacles donnés au Théâtre des Arts, soit dix euros quarante-cinq la place.
La saison prochaine, avec l’abonnement vingt spectacles à moitié prix, pour assister en première série aux vingt-quatre donnés au Théâtre des Arts, il m’aurait fallu payer quatre cent soixante-cinq euros, soit dix-neuf euros trente-sept la place.
C’est presque le double.
Et comme parmi les vingt-quatre, il n’y en a que dix-sept qui auraient pu m’intéresser, je n’aurais eu droit qu’à trente pour cent de réduction, d’où un prix de place encore plus élevé.
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« Comme vous le voyez, notre ou plutôt votre Opéra, redevient peu à peu ce pôle artistique majeur qu’il fut si souvent depuis 1776, date de l’inauguration du premier Théâtre des Arts. » écrit Hervé Morin dans l’édito du programme rose fluo de la saison Dix-Huit/Dix-Neuf.
A la lecture de ce programme, je constate que l’Opéra ou plutôt mon Opéra est loin d’être à la hauteur de celui qu’il était à la meilleure époque de l’abonnement Entrée Plus quand on pouvait y voir sur scène, comme j’en ai eu la chance, Merce Cunningham, Isaac Stern et Philip Glass (pour ne citer que trois noms).
 

18 juin 2018


C’est la fin, la fin de mon abonnement à l’Opéra de Rouen. Chaque jour, à la billetterie, j’essaie d’obtenir une meilleure place que le siège en haut du premier balcon qui m’est promis ; sans réussir. Ce n’est qu’au dernier moment, ce vendredi à dix-neuf heures, que se libère une excellente place en fond d’orchestre, fauteuil surélevé avec vue sur le clavier du piano.
J’y ai pour voisine de gauche, une abonnée de première catégorie.
-Alors, c’est la dernière fois que vous occupez votre fauteuil, lui dis-je.
-Oui, on verra comment ça se passe l’année prochaine.
Je lui dis que pour moi il n’y aura pas d’année prochaine.
L’un des avantages de posséder un fauteuil à son nom, c’est de pouvoir assister à plusieurs représentations du même spectacle, et même à toutes. Elle n’a pas laissé passer l’occasion pour cet ultime, un concert dont l’invitée est Lise de la Salle, et était donc déjà présente hier soir.
-C’était très bien, me dit-elle, et cela va être encore très bien.
Le début est une bonne surprise, Aheym du contemporain Bryce Dessner, né en mil neuf cent soixante-seize, qui fait vibrer les cordes avec brio. L’Orchestre est dirigé par le jeune Kalle Kuusava, queue de pie, papillon blanc, belle autorité.
Après que le piano a été roulé à l’avant-scène, Kalle Kuusava revient accompagné de Lise de la Salle pour le Concerto pour piano numéro deux en do mineur de Sergueï Rachmaninov. Celle-ci joue sa partie à la perfection, en force quand il le faut, avec légèreté quand il le faut. Elle obtient un chaud succès et nous offre en bonus un Nocturne de Chopin écouté dans un silence d’église.
A l’entracte la blonde pianiste signe de nombreux cédés cependant que j’observe la faune des spectatrices et spectateurs grenouillant autour du bar.
Quand je retourne en salle, c’est pour découvrir mon fauteuil occupé par une imposante dame qui a pris ma veste et l'a mise en vrac sur celle de ma voisine de gauche.
-Quel sans-gêne, dis-je à cette bourgeoise, tandis que je vérifie le contenu de mes poches.
Elle et les deux assises à ma droite, avec qui elle causait, jouent les offensées.
-Déplacer le vêtement de quelqu’un pour s’asseoir à sa place, cela s’appelle du sans-gêne, leur apprends-je.
Jamais encore cela ne m’était arrivé pendant toutes les années d’abonnement où j’ai toujours laissé mon vêtement sur mon siège à l’entracte.
La seconde moitié du concert est à mon goût, rondement mené par Kalle Kuusava : Valse triste numéro un de Jean Sibelius, Suite symphonique de Pelléas et Mélisande de Claude Debussy et Clair de Lune du même.
C’est sans émotion particulière que je quitte l’Opéra de Rouen ce vendredi soir.
                                                                *
Ce concert, comme d’autres de la saison, aurait dû être dirigé par Leo Hussain. Qu’est devenu le Chef Principal qui devait dépoussiérer l’Orchestre de Rouen  (France Info dixit en deux mille seize)? Dans quelles circonstances a-t-il disparu ? On l’ignore (dans cette maison on n’évoque pas les flops).
Pareille mésaventure ne se reproduira pas. L’an prochain, plus de Chef Principal, l’Orchestre ira de chef en chef.
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Quatre spectacles de la prochaine saison de l’Opéra de Rouen sont déjà complets. Tous donnés à la Chapelle Corneille.
Ces spectacles donnés dans la salle du Théâtre des Arts auraient permis d’accueillir un public plus nombreux (de l’art de perdre de l’argent et de décevoir ceux qui n’auront pas couru assez vite vers la billetterie).
 

15 juin 2018


Nous sommes en deux mille dix-huit et jusqu’à présent personne ne comprenait Marcel Duchamp. Heureusement, le Musée des Beaux-Arts de Rouen se charge d’y remédier. Ce pourquoi j’assiste ce jeudi soir au vernissage de l’exposition ABCDuchamp, sous-titrée L’expo pour comprendre Marcel Duchamp, sous sous-titrée Grande exposition commémorative, 50 ans après la disparition de l’artiste (car Marcel a disparu, c’est toujours les autres qui meurent).
Il y a foule et des têtes connues que je salue. Longtemps que je ne suis pas venu à ce genre de réjouissance. Au point que depuis la dernière fois les cheveux de Sylvain Amic, Directeur, ont blanchi. Il est debout dans la lumière en compagnie de Joanne Snrech conservatrice et co-commissaire de l’exposition, à leur côté Robert, Maire, Socialiste, et Sanchez, Chef de Métropole, Socialiste.
C’est l’heure des discours. Yvon Robert montre l’étendue de son ignorance en parlant de l’écrivain Henri-Pierre Roche (combien sommes-nous sous la verrière à connaître Henri-Pierre Roché, à l’avoir lu ?). Frédéric Sanchez est capable de citer sans erreur la définition de la pataphysique et dit que ce pourrait être celle de la politique (ah ah ah). Pour finir nous est donné un bel exemple de parité, conforme aux nécessités de l’époque, avec le duo Snrech Amic, un coup je baisse le micro pour elle, un coup je le remonte pour lui.
De ces quatre intervenants je n’applaudis que les deux derniers puis vais voir ce qu’offre le buffet. Fini le champagne et adieu les petits fours abondants, je prends un verre de vin rouge et me contente des deux variétés d’amuse-bouches. Ce vin est rude. Je demande au serveur qu’est-ce. Un merlot du pays d’oc.
Ayant réussi à terminer mon verre, je m’interroge sur la suite. Il y a quelques semaines au marché du Clos Saint-Marc un duchampomane m’a raconté que Marcel étant allé à Lascaux avec des amis afin de visiter la grotte traînait au café. Quelqu’un le pressa, ça allait fermer. Comme il se sentait bien là où il était, Duchamp déclara qu il était peu important d’avoir vu ou non la grotte de Lascaux et resta avec ses amis. Me livrerai-je à un geste duchampien en ne visitant pas l’exposition rouennaise à lui consacrée ?
Non, je vais voir. C’est sous forme d’abécédaire. Ce à quoi on a recours quand on n’a pas d’idée. Il est matériellement divisé en deux parties, les premières lettres dans une salle à droite, la suite dans des salles à gauche. Beaucoup de lecture, c’est affreusement pédagogique. L’ensemble est sombre et manque de fantaisie. Les pièces importantes sont prêtées par le Centre Pompidou.
Comment ceux qui ne savent rien ou pas grand-chose de la trajectoire de Marcel Duchamp pourraient-ils comprendre avec ce saucissonnage en quoi il a bouleversé le monde de l’art ? Ce que je vois sur pas mal de visages, c’est « Ayons l’air de trouver ça bien pour ne pas avoir l’air idiot. »
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Cette exposition est le sommet d’une opération municipale intitulée Duchamp dans sa ville, car Duchamp est de Rouen incontestablement. Qu’étudiant vivant à Paris, il n’y vienne qu’à Noël pour voir ses parents ne saurait démentir cette évidence. Beaucoup de bouffonnages parmi les évènements annexes organisés par les duchampolâtres. C’est Abaisser Duchamp.
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Des années que le mobile d’Alexander Calder, Horizontal, était sur la piazza du Centre Pompidou. De quoi en être lassé. Enlevons-le. Oui, mais ça tiendra trop de place en réserve. Prêtons-le à un musée de province, pas trop loin pour limiter les frais de transport. Tiens, Rouen, ce serait pas mal.
C’est comme ça que depuis quelques semaines on peut voir ce mobile devant le Musée des Beaux-Arts, esplanade Marcel-Duchamp. En ce jour de vernissage, il est entouré de tentes blanches et d’un pseudo parcours pour le Ryder Golf Tour. On a le respect des œuvres d’art dans l’ancienne capitale de la Normandie. Calder ne peut s’en formaliser, il a disparu, euh… il est mort.
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« Mettre un Calder devant le musée, c’est un signal fort qui va changer la vision qu’on a de l’art en Normandie » (Sylvain Amic à Paris Normandie)
 

14 juin 2018


Ce mercredi matin, juste avant d’éteindre mon ordinateur, j’apprends par le groupe Usagers Le Havre Rouen Paris qu’une grosse panne est en cours à la gare Saint-Lazare et qu’aucun train ne sort ni entre. Mon rendez-vous de treize heures sous Beaumarchais avec celle qui me prête son appartement pour le ouiquennede et doit me passer la clé est soudain compromis. Allons voir quand même, me dis-je.
Une gilet rouge m’apprend que mon train, celui de sept heures vingt-quatre, devrait partir mais il s’arrêtera à Mantes-la-Jolie, ensuite il faudra prendre le Transilien. Une fois dans le train, le chef de bord nous informe que ce sera Houilles-Carrières le point final, ensuite ce sera Erre Heu Erre, le A. Peu avant l’arrivée à Houilles, il nous indique que des employés de la Senecefe nous donneront des billets gratuits et demande à ceux qui se trouvent en queue de train de remonter la rame car le quai est trop court.
La descente se fait sur un quai bondé, plus question de billet, gratuit ou non. Je suis le mouvement, monte à droite après le passage souterrain. La masse d’usagers attendant le prochain Erre Heu Erre est énorme, toute la Normandie est déversée ici, à quoi s’ajoutent les banlieusards habituels. Sur le quai voisin, le Paris Cherbourg, devenu Houilles Cherbourg, va bientôt partir, presque vide.
Des hommes à gilet mauve et petite sono portative canalisent le flot avec efficacité. On nous conseille de descendre à Auber. Ce n’est qu’au troisième Erre Heu Erre A que je peux monter. Il est plein comme un œuf et ne part pas. « J’ai une nouvelle catastrophe à vous annoncer, dit le conducteur, un rail vient de casser entre La Défense et Auber, ce train sera donc terminus La Défense et sa circulation va être perturbée. » Il finit par partir, s’arrête de temps à autre. Une fois, ses lumières baissent soudainement. « Joyeux anniversaire », se met à chanter un voyageur. « Ah non, ce n’est pas ça. »
A La Défense, nous sommes je ne sais combien de dizaines de milliers. Monter les escaliers jusqu’au métro Un se fait par petites étapes successives. Tout le monde reste calme. Heureusement, car le moindre mouvement de foule se traduirait par une catastrophe. Les tourniquets sont neutralisés, le métro rendu gratuit. L’entrée du quai est contrôlée par deux femmes munies d’un simple ruban de plastique vert et blanc qu’elles lèvent au-dessus de leur tête pour faire passer un groupe puis rabaissent pour stopper le mouvement. Au bout de trois au quatre vagues j’atteins le quai et trouve place debout dans une rame ultra bondée. Cette ligne a l’avantage d’aller à Bastille.
J’entre au Café du Faubourg à dix heures et demie. La chaîne d’info continue montre des images sur lesquelles peut-être je suis, mais c’est chercher Charlie.
Après cette épreuve, être chez Book-Off m’est aussi bénéfique qu’une retraite dans un monastère. J’y trouve pour un euro pas que la fam (la faim, seule), un livre de poésie bilingue d’Ives Roqueta (Yves Rouquette) dédicacé par l’auteur à une certaine Pauline rencontrée à Lourdes à qui il conseille d’aller vite retrouver la Pauline du Hussard sur le toit de Giono.
Après un déjeuner à menu immuable au Péhemmu chinois, je vais attendre sous Beaumarchais celle qui lorsqu’elle arrive est contente de me voir là. « Comment as-tu fait ? », me demande-t-elle. Nous allons prendre un café en terrasse. Elle est aussi éprouvée que moi, s’étant levée à cinq heures pour faire sa part de travail dans son supermarché participatif en déchargeant un camion de produits frais. Néanmoins, nous passons un bon moment à discuter et elle me propose de m’héberger si ça ne s’arrange pas à Saint-Lazare.
Ce ne sera pas nécessaire, mon retour à Rouen est sans histoire.
                                                               *
Le responsable de la grosse panne de Saint-Lazare : un petit boîtier électrique qui a fait court-circuit. Il datait de mil neuf cent soixante-six. Et pendant ce temps-là, Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, faisait voter lundi par la Région huit cent quarante mille euros d’autorisation de dépenses pour construire d’inefficaces portiques antifraude face aux voies vingt-cinq et vingt-six.
 

13 juin 2018


Un concert où je ne souhaitais pas aller et où je vais ce dimanche après-midi tandis que gronde l’orage, c’est celui d’Henri Texier Sky Dancers Sextet et de PPP Portal/Parisien/Peirani à l’Opéra de Rouen. La décision de Loïc Lachenal, Directeur, de se débarrasser du jazz dans sa saison Dix-huit/Dix-neuf m’a incité à être présent en solidarité avec Michel Jules, Président de Rouen Jazz Action.
Au dernier moment, j’obtiens une très bonne place en bout de corbeille, deux rangées derrière le premier rang, celui réservé au staff, lequel est particulièrement absent. Une adjointe du nouveau maître des lieux fait son apparition, mais elle se garde bien de rester. Le public en revanche est nombreux. Derrière moi, on se plaint de la chaleur régnant dans la salle :
-Non mais là, je suis allé à la Philharmonie, on a eu la clim, mais la clim bien dosée, tu vois.
A dix-huit heures, Michel Jules entre en scène. Il remercie Frédéric Roels qui pendant quatre années a inscrit des concerts de jazz au programme de l’Opéra de Rouen puis explique qu’un mois après sa nomination, Loïc Lachenal l’a averti qu’il cesserait de les accueillir. Le nom du nouveau Directeur est copieusement hué. Plus tard, continue-t-il, ayant sans doute des difficultés à boucler la programmation de la Chapelle Corneille, Loïc Lachenal le recontactait pour lui demander s’il n’avait pas des petites formations de jazz à lui proposer pour cette salle (nouvelles huées). Cette salle, je la connais, dit Michel Jules, elle est parfaite pour des concerts a capella, j’y ai aussi entendu un solo de flûte à tomber par terre, mais pour le reste, elle a une mauvaise acoustique, j’ai donc refusé (applaudissements nourris). L’an prochain, annonce-t-il, nos concerts auront lieu au Cent Six en configuration assise et dans une petite salle de bonne acoustique à Saint-Jacques-de-Darnétal. Il présente ensuite les deux formations au programme de cette dernière fois à l’Opéra, celle d’Henri Texier et celle de Michel Portal. C’est la fête ce dimanche, conclut-il.
Henri Texier Sky Dancers Sextet, c’est du jazz comme on peut s’y attendre avec de très bons musiciens, dont le meneur (soixante-treize ans) à la contrebasse. De temps en temps, celui-ci prend la parole pour donner les titres, tous dédiés à des tribus amérindiennes.
Pendant l’entracte, on s’inquiète. « On en a pris des spectacles à la Chapelle Corneille, dit une femme à son mari, du coup je me pose la question. »
Du trio PPP Portal/Parisien/Peirani apparaissent d’abord les deux jeunots, Emile Parisien, saxophone, et Vincent Peirani, pieds nus, accordéon, deux facétieux dont la musique  emporte mon adhésion avant même qu’arrive le troisième, Michel Portal, quatre-vingt-deux ans, clarinette et saxophone. Ces trois-là s’entendent comme larrons, jouent divinement sans se prendre au sérieux, en cassant les codes du genre et en maniant l’autodérision avec subtilité. Ils remportent un très gros succès et reviennent pour un bonus. « Oui, un dernier morceau pour monsieur Lachenal », crie quelqu’un dans la salle. Ce dernier morceau est suivi d’un autre, de Duke Ellington, pour lequel reviennent s’asseoir, comme des piteuses, certaines parties trop vite.
Lorsqu’en rentrant je regarde ma montre, je constate avec surprise qu’il est plus de vingt et une heures.
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M’est avis que ce n’est pas dans le vivier des amateurs de jazz que Loïc Lachenal trouvera de quoi renouveler le public de l’Opéra de Rouen.
                                                                  *
Quel plaisir j’ai eu à huer (le nom de) Loïc Lachenal dans la salle de l’Opéra de Rouen. Rien que pour ça j’ai bien fait de venir. Et puis j’ai aussi découvert Michel Portal et ses deux acolytes. Merci Frédéric Roels.
                                                                  *
« Je ne me vois pas aller au château des vieux pour regarder la télé toute la journée ! » (Michel Portal interrogé par Vinciane Laumonier dans le livret programme)
 

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