Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

28 mars 2022


Ce dimanche au temps ensoleillé, je me garde d’aller là où je prévois la foule. Je choisis donc de rester à La Rochelle côté Gabut.
Au départ de ma balade du jour se trouve un monument hommage à Michel Crépeau, ancien Maire et pionnier du vélo en libre-service. Il est installé à proximité du pont-levant. Celui-ci a des soucis. Après avoir passé une semaine levé, il est maintenant couché et utilisable uniquement par les bicyclistes et les piétons. Une coûteuse réfection a abouti à son dysfonctionnent en raison d’une prise de poids. Il s’agit maintenant de l’alléger et pour cela il faut acheter de l’aluminium mais c’est la pénurie.
J’emprunte ce pont puis longe le bras de mer qui mène au port des Minimes, vaste garage à bateaux de plaisance, des milliers de voiliers immobiles en plusieurs bassins, dont l’un est accessible par une passerelle nommée Nelson Mandela. J’en fais presque le tour. Si je poursuivais, j’arriverais à la petite plage des Minimes, pas loin du Phare du Bout du Monde, mais je ne vais pas au bout.
Revenu à mon point de départ, je prends un café au Bistro du Gabut puis y lis Hugo en bénéficiant de la musique de L’Amiral Café Oh yes I'm the great pretender. Pas loin de ma table est un jeune homme plongé dans la lecture d’un roman historique. C’est la première fois depuis mon arrivée en Charente-Maritime que je vois un autre que moi se livrer en public au vice impuni. Ce jeune homme lit Ces Messieurs de Saint-Malo de Bernard Simiot. Il en faut pour tous les goûts (comme on dit).
A midi, je rejoins la terrasse du Café du Nord. Le dimanche est proposé un menu à vingt-quatre euros dans lequel, après avoir changé de table à ma demande pour cause d’arrivée d’une famille avec moutards en bas-âge, je choisis les quatre huîtres de la Maison Henry, le pluma de cochon au pineau avec son écrasé de pommes de terre et le baba à la Sève feu de Joie, tout cela accompagné d’une carafe d’eau.
Près de moi sont assis un père et son fils qui va bientôt passer le permis de conduire. Le paternel est en boucle. « Il faut que tu voies Papillon et aussi Les Evadés, des films bouleversants et très très très beaux », répète-t-il pendant tout le repas. Il aurait besoin de se libérer de ses propres chaînes.
Quand mon dessert arrive, il est accompagné d’une bouteille munie d’un bec verseur de Sève feu de Joie, une liqueur charentaise à base d'eau-de-vie, de cognac et d'amande. J’en arrose copieusement mon baba. A l’issue de ce repas (le deuxième ici), je suis certain que le Café du Nord est le meilleur restaurant du Gabut.
Le café, je le prends à L’Echo où la patronne se réjouit de l’affluence. « Du tourisme diurne, dit-elle, ils viennent le matin et repartent le soir ». J’ai un œil sur mon livre, l’autre sur ce qui se passe et les oreilles un peu partout. C’est ainsi que j’entends une mère dire à sa fille : « Mais oui je suis fière de ce que tu es : chieuse à temps complet ».
                                                                    *
Musique appropriée, bombes à disposition, le graffeur du Gabut a choisi de s’exprimer le jour où il y a le plus de monde pour le voir à l’œuvre. Il est ce qu’on appelle un peintre du dimanche.
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Je me souviens de la mort filmée de Michel Crépeau, d’une crise cardiaque à l’Assemblée Nationale, comme un paisible endormissement. Philippe Douste-Blazy avait essayé de le ranimer.
 

27 mars 2022


Changement de car ce samedi matin, je suis avec une dizaine d’autres dans le Neuf qui part à neuf heures moins le quart, direction Royan « Capitale de la Côte de Beauté ». Un jeune homme y distribue un questionnaire du Conseil Régional pour l’amélioration du service. Je complète le mien bien que je ne voie pas en quoi aideront les petites cases à cocher. Après avoir traversé Rochefort, nous empruntons un énorme pont de béton pour passer la petite Charente. Suit un paysage de marais salant et c’est l’arrivée devant la Gare.
La mer n’est pas loin que j’atteins au niveau de la plage de la Grande Conche. Royan est connue pour son architecture des années cinquante, conséquence des bombardements de la Libération, une architecture d’inégale valeur qui n’empêche pas son succès touristique.
Ce jour c’est assez calme quand je longe la côte en direction du port de plaisance. Ensuite on peut aller de conche en conche mais je m’arrête à la première, celle de Foncillon, et rebrousse pour entrer dans la ville. Après avoir vu le marché central, une coupole en béton ondulé, je mets le cap sur l’église Notre-Dame, de même matière et aux lignes rudes tendues vers le ciel.
A sa proximité, je constate que le restaurant Les Filets Bleus, un petit établissement chic, propose un « menu du moment » à dix-neuf euros (amuse-bouche, entrée, plat et dessert). C’est moins cher que ce que propose la concurrence pour une nourriture basique avec vue sur mer.
J’en pousse la porte à midi. La cuisine, ouverte, est située à gauche de l’entrée. Derrière est une salle pas très grande au décor maritime. Je choisis le petit pâté maison au pineau, le saumon frais façon paupiette et la crème brûlée caramélisée puis commande une demi-bouteille de vin blanc du Château Haut-Grelot à treize euros, cependant que s’installe une clientèle locale et bourgeoise. La musique classique n’est pas troublée par des conversations trop hautes, aussi n’entends-je guère ce que l’on dit aux autres tables. Si ce n’est que mon voisin le plus proche est déçu de l’absence momentanée du homard annoncé sur la carte.
Aux Flots Bleus, c’est excellent, le service est attentionné et on peut dire merci au chef en quittant les lieux. De retour au bord de mer, je vais lire Choses vues sur un banc en plein soleil. Quelques maillots de bains sont visibles sur la plage mais nul(le) n’est assez intrépide pour se baigner.
Je longe ensuite la plage à l’opposé du port vers le quartier belle époque où une trentaine de villas balnéaires ont été épargnées par les bombes.
Près de la Gare, installé à la terrasse de la Brasserie Royannaise où le café n’est qu’à un euro cinquante, je reprends ma lecture d’Hugo. En face est le cinéma Le Lido de construction récente. Des branlotin(e)s chahutent devant. L’une en jupe ne se prive pas de lever la jambe aussi haut que les autres. C’est elle qui les décide à aller jouer ailleurs avec cette formule choc : « Bon, on bouge ou en s’encule ? ».
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Depuis le car du retour, à l’entrée de La Rochelle, ce que je prends d’abord pour une Hôtel de Police au vu des véhicules garés est un Hôtel Première Classe où sont logés ces fonctionnaires.
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En parallèle à l’énorme pont de béton de Rochefort est un pont transbordeur, le dernier ouvrage de ce type en France, ouvert aux touristes à partir d’avril, deux euros la traversée.
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Le jeune Nicolas Sarkozy passa plusieurs de ses étés en vacances à Royan dans les années soixante. Il fréquentait alors le quartier de Pontaillac et le Garden Tennis. Il possède une résidence dans la station balnéaire. Je doute qu’il y soit en  ce moment, occupé qu’il est à trouver comment ne pas soutenir Valérie Pécresse tout en ne semblant pas trahir sa famille politique.
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Au bord de la mer / Dans le vent / Je pleure tout le temps / Le bel été de mes vingt ans (Philippe Katerine Le bel aimé de Royan)
 

26 mars 2022


Ce vendredi matin, après un « petit-déjeuner détente » chez Sicard, je fais l’ouverture du Bistro du Gabut pour un café lecture en attendant qu’il soit l’heure de rejoindre le point de départ des cars Nouvelle Aquitaine.
Assuré du beau temps, j’attends à nouveau celui de dix heures pour aller cette fois à Ars-en-Ré, un beau bourg du bout de l’île que l’on voit de loin en raison de son clocher peint en noir et blanc qui servait autrefois de repère aux navigateurs. L’arrivée du Tégévé de Paris  a pour effet d’emplir ce car numéro Trois de filles et garçons à valises. Notre chauffeur est un trentenaire à cheveux longs qui sait se faire respecter. « C’est le bus pour l’Ile de Ré ? » lui demande l’une. « Il n’y a pas de bus pour l’Ile de Ré ». « Vous n’allez pas à l’Ile de Ré ? » « Oui, mais ce n’est pas un bus, c’est un car ». Un peu de pédagogie ne fait jamais de mal. Les quidam(e)s qui confondent bus et car m’énervent moi aussi. « Vous allez où ? » demande-t-il à une autre. « A l’Ile de Ré ». « Oui, mais où dans l’Ile de Ré ? » « Je ne sais pas ». « Ce n’est pas moi qui vais le savoir à votre place ». Elle choisit La Flotte. « Vierge ? » lui demande-t-il. « Pardon ? » « L’arrêt ? Vierge ? » Elle acquiesce et file s’asseoir. Le car est quasiment complet cette fois et grâce à ce chauffeur énergique tout le monde a le masque sur le nez.
Au bout d’une heure trente de voyage apparaît le clocher noir et blanc. Le premier arrêt d’Ars-en-Ré est au lieu-dit Le Martray, une terre à huîtrières située à trois kilomètres du centre. C’est ici que le fâcheux Philippe Sollers a sa demeure. Je regarde par la vitre si je ne l’aperçois pas, en chorte, occupé à biner son jardin.
L’arrêt suivant est le bon pour moi et pour quelques autres. Chacun(e) vise le clocher bicolore. Un marché est installé au pied de cette église Saint Etienne. Sur le mur de l’Hôtel du Clocher, Monsieur Chat a laissé sa marque. Pas loin se trouve la Maison du Sénéchal, un logis Renaissance à échauguettes. Il y a un peu trop de monde à mon goût au centre de cet autre repaire de célébrités qu’est Ars-en-Ré (on risque notamment d’y croiser Lionel Jospin). Néanmoins, je trouve de jolies petites rues à maisons blanches à photographier sans qu’il y ait trace d’êtres humains.
Je poursuis jusqu’au port de plaisance par la rue du Havre et trouve un banc près des bateaux pour manger mes sandouiches triangles. Cela fait, je me balade le long du chenal sur la Promenade du Fier.  Un chemin que l’on doit au 519e  Régiment du Train, annonce une pancarte verte..
Arrivé à la mer, je reviens sur mes pas et retrouve mon banc pour lire un peu Hugo avant de faire la route dans l’autre sens avec moins de monde dans le car que conduit un chauffeur un peu accablé par la chaleur ; dix-neuf degrés à l’extérieur, vingt-cinq à l’intérieur, est-il indiqué sur l’écran.
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Une pédaleuse d’Ars-en-Ré aux trois qui la précèdent : « Il faudra qu’on se prenne en photo nous quatre à vélo. »
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Vu au passage, au Bois-Plage, une rue des Barjottes. J’en connais qui pourraient habiter là.
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Ce vendredi soir, sous ma fenêtre, c’est le premier concert de l’année au Bistro du Gabut. Un évènement Effe Bé auquel je ne peux échapper.
Femme femme femme je ne suis pas un héros donne-moi ton corps j’veux du soleil dans les yeux d’Emilie laisse-moi t’aimer aux Champs-Elysées
 

25 mars 2022


Pour aller plus loin que Saint-Martin-de-Ré en transport en commun, il faut attendre le car de dix heures. Je le prends ce jeudi pour aller au bout du bout de l’Ile de Ré, au bourg nommé Les-Portes-de-Ré, une heure cinquante de voyage. Au cours duquel je repère des endroits où m’arrêter par la suite, ainsi que des ânes poilus et un moulin à vent. Le passage près du Phare des Baleines annonce pour bientôt la fin de cette équipée.
Le terminus de la ligne Trois est à côté d’une salle polyvalente et d’un Office de Tourisme. Ils ont pour point commun d’être fermés. La seule vie apparente est donnée par un groupe de retraités réjouis de retour d’une marche collective. « Vous êtes comme les escargots, leur dit une connaissance, vous sortez quand il fait beau ». Rue de Trousse Chemise, je me fais aider par un autochtone pour trouver la mer qui se cache derrière une quantité de petites maisons obligatoirement blanches.
Il est midi. Le seul restaurant du lieu n’est pas ouvert mais cela m’est égal car pour gagner du temps, j’ai acheté avant mon départ des sandouiches triangles au Carrefour City. Je les mange sur un long banc en vieux bois au-dessus d’une écluse à poissons. Devant moi est l’océan, au loin la Vendée. A l’issue, je marche le long de la plage sur un étroit chemin ensablé, mais je ne vais pas loin, préférant revenir sur mon banc pour y lire Hugo et ses Choses vues.
Pas très longtemps, car le car du retour démarre à treize heures quarante-trois. Peu après son départ, il passe devant une maison atypique, longue et brune, nommée Hurle Vent. Elle a appartenu à Suzy Solidor. Les-Portes-de-Ré, et globalement cette partie de l’île, sont depuis longtemps un repaire de célébrités qui, ce me semble, doivent s’y ennuyer. C’est peut-être ce qu’ils cherchent.
Les parents de Claude Nougaro résidaient aux Portes-de-Ré, ce qui lui fit chanter sa « belle adorée ». Charles Aznavour fut inspiré par le petit bois de Trousse Chemise, nommé ainsi non pour ce que l’on imagine mais parce qu’il fallait la lever pour passer un gué. Fabrice Luchini que, bien accompagné, je vis autrefois sur une scène à Paris dire les auteurs de son choix, y a une maison. Sandrine Kiberlain, que je vis autrefois, quand j’étais bien accompagné, jouer sur une scène à Paris le rôle principal d’une pièce écrite par son père, y villégiature. Jean-Loup Dabadie y réside définitivement en compagnie de sa mère au cimetière.
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Dans le car du retour, une femme qui le prend pour la première fois. Elle en a marre de la voiture (le prix de l’essence peut-être). « Je viens jamais l’été, dit-elle au chauffeur, tous ces gens à vélo, c’est insupportable. »
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Aux Portes-de-Ré, un coq chante à treize heures vingt. Ce doit être l’heure à laquelle se réveillent les artistes.

 

24 mars 2022


Deux ans que le parvis de la Gare de la Rochelle est en travaux. C’est bientôt terminé mais pour l’instant ça ressemble au chaos. Je dois me faire aider ce mercredi matin pour trouver l’endroit d’où partent les cars régionaux. Celui que je vise est le Trois. Il mène dans l’Ile de Ré. Le sept heures quarante-cinq dans lequel je monte ne va pas plus loin que Saint-Martin-de Ré, le bourg le plus important.
Nous sommes une dizaine dans ce car blanc et rouge, dont certain(e)s qui paient le tarif solidaire de quarante centimes, et je suis le seul touriste. Il lui faut un certain temps pour atteindre le pont et il fait encore quelques détours avant d’arriver à son terminus, l’aire de Cognacq-Jay.
Je marche un bon kilomètre en longeant la citadelle où fut le célèbre bagne avant d’arriver au port. Celui-ci est fort beau, bordé qu’il est de jolies maisons blanches typiques de l’endroit. J’en fais le tour, vais voir de près l’église Saint-Martin anciennement fortifiée que se disputèrent Français et Anglais pendant la Guerre de Cent Ans, découvre un petit cinéma en déshérence et le siège social du Phare de Ré (journal d’intérêt local, d’annonces et d’avis divers). Je pousse ensuite jusqu’au phare puis marche sur les remparts dus à Vauban qui n’eurent jamais à démontrer leur potentielle efficacité.
Je m’offre ensuite un café à deux euros à la terrasse d’Au Lever du Soleil. On y est au chaud quand le ciel est bleu comme ce jour. J’y poursuis ma lecture de Choses vues à côté de deux bourgeoises du cru qui évoquent leurs fractures. Du cru elles aussi, les pavés sont très inégaux autour du port. Pour les toilettes, c’est de l’autre côté de la petite rue adjacente, m’indique la serveuse quand je lève le camp.
Il est midi. Je ne me complique pas la vie, je déjeune à la crêperie Le Saint Mart’ assis à une table au-dessus des bateaux. Une galette du moment (œuf emmenthal tomate jambon et pomme de terre) et une crêpe beurre salé caramel maison me coûtent dix-sept euros cinquante.
Sur un banc dans un port dont l’eau a disparu pour cause de marée basse, je lis Hugo en attendant de retourner au point de passage du car de Nouvelle Aquitaine.
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Bagnard je suis, chaîn’ et boulet, / Tout ça pour rien, / Ils m'ont serré dans l'Îl' de Ré, / C'est pour mon bien. (Merde à Vauban de Pierre Seghers, mis en musique par Léo Ferré)
Alfred Dreyfus, Marius Jacob, Guillaume Seznec, Henri Charrière (dit Papillon) et bien d’autres sont passés par là.
 

Ce mardi matin, après mon petit-déjeuner détente chez Sicard, je trouve mon chemin dans les travaux du parvis de la Gare et le même cheminot qu’hier au guichet accueil. Dès qu’il m’aperçoit à travers la vitre, il brandit ma carte Yélo dix voyages. Je le remercie pour son amabilité puis retourne à mon logis où j’ai à faire.
Etant suffisamment optimiste pour me dire qu’il y aura encore de la vie au mois de juin, j’organise ma prochaine escapade, billets de train et logements Air Bibi.
Cela terminé, je fais un tour dans le centre de La Rochelle, passant par l’église Saint Sauveur qui brûla plusieurs fois, le Temple du Culte Réformé, l’Hôtel de Ville qui brûla il y a presque neuf ans, les rues à arcades, d’autres où se trouvent quelques maisons à pans de bois (certaines avec des murs ardoisés) et le Café de la Paix qui vaut par son intérieur dix-neuf cent et qui plaisait tant à Georges Simenon (il faudra que j’y entre un jour de mauvais temps).
Pour l’instant le ciel est bleu et à midi je retourne au Cham pour déjeuner en terrasse. J’y retrouve la p’tite serveuse un peu gentillette et lui commande, dans la formule à seize euros quatre-vingt-dix, les nems de bœuf et la pièce de bœuf. C’est plutôt mieux que ce à quoi je m’attendais. Je dirai même que c’est honorable pour cette ville dont les petits restaurants sont médiocres et chers.
Par la passerelle étroite je me replie au Gabut. C’est à L’Echo que je bois le café puis ouvre Choses vues. De l’intérieur de ce bar me parvient une musique electro qui donne du rythme à ma lecture. Pour la première fois depuis mon arrivée à La Rochelle, je peux ôter mon pull. Certains se plaignent déjà d’avoir trop chaud et se réfugient à l’ombre de l’auvent. Une vieille avec une canne s’approche du panneau d’affichage libre où sont collées deux têtes de Mélenchon. Elle en teste l’adhérence, tout en regardant vers la terrasse, et finalement n’ose les arracher.
                                                                     *
Avec les terrasses de deux cafés en dessous de chez moi, pas besoin de consommer pour écouter les conversations. Il me suffit d’ouvrir la fenêtre. En revanche, je ne sais pas qui parle.
 « Au Caveau de la Huchette, j’étais avec Lavilliers. C’était le mâle alpha », entends-je dire ce mardi après-midi par un homme qui se pousse un peu du col (comme on dit).
                                                                     *
L’Amiral Café se couche avec les poules. Le Bistro du Gabut veille mais ne me gêne pas quand je veux dormir car mon lit est dans un sas, genre cabine de bateau, qui ne donne pas sur le quai Georges Simenon.
 

22 mars 2022


Ce lundi, j’innove en prenant le train avec ma carte de bus (c’est possible tant qu’on reste dans l’agglo). Du moins j’essaie, car devant le composteur Yélo, je suis démuni. Pas moyen de savoir où la fourrer, elle ne veut pas entrer. Une jeune fille me conseille d’aller me renseigner à l’accueil, un guichet bien caché où je trouve un sympathique être humain. Il vient avec moi jusqu’à la machine et y enfourne ma carte. Las, elle ne ressort pas. Elle était vierge en plus. L’aimable cheminot me donne une autorisation exceptionnelle de voyager sans billet. Dûment tamponnée, elle me permet d’aller à Châtelaillon et d’en revenir. D’autre part, il va prévenir le service Yélo pour récupérer ma carte et me contactera par mail.
Le trajet est si court que je n’ai pas le temps d’avoir affaire au contrôleur du Téheuherre Nouvelle Aquitaine. L’océan n’est pas loin de la Gare de Châtelaillon. Un jardin public à traverser et j’y suis. Il fait plutôt beau quand je marche sur la promenade côtière rectiligne bordée de villas et d’hôtels pour la plupart fermés. De mignonettes toilettes colorées gratuites sont quant à elles déjà ouvertes et donnent envie d’y aller.
Je marche assez longtemps, jusqu’à atteindre un petit port peu fréquenté puis une de ces cabanes de pêcheurs montées sur pilotis appelées carrelets. Celle-ci est surtout louée pour y passer la nuit face à l’île d’Aix.
Revenu sur mes pas, j’entre à l’Hôtel Bar Restaurant L’Atelier des Cousins. Installé face à la mer pour un café lecture à un euro quatre-vingt-dix, j’ai à ma droite un couple qui petit-déjeune en faisant le bilan de sa nuit. « On dort bien ici, déclare l’homme, je reviendrai quand même car j’aime bien dormir. »
Perpendiculaire à la mer est une rue à commerces où se trouve un élégant marché couvert. Dans une autre, parallèle à la mer, je trouve un restaurant pour me convenir, dont le nom est L’Effet Mer (eh oui). J’y réserve une table puis, en attendant midi, je retourne au bord de la plage et m’installe sur un banc avec Victor Hugo. Elle avait été fort jolie ; mais elle s’était retirée de bonne heure des prétentions à la beauté. note-t-il à propos de Mme de Castellane qui vient de mourir.
L’Effet Mer propose un menu à seize euros incluant entrée, plat, dessert et café. Sur chaque table est une fiole de gel hydroalcoolique car l’entrée est sous forme de buffet, chaud ou froid. Pour suivre, comme on dit, je choisis la brandade de morue et le tiramisu. Je déjeune à l’intérieur, pas trop près d’un ouvrier. Dans une autre salle sont des habitué(e)s. La cuisine est bonne. La patronne et son serveur aux longs cheveux noués sont agréables et efficaces.
Après ce repas comme j’aime, je retourne lire face à une mer que la marée basse a sérieusement éloignée.
Vers quinze heures, de retour à la Gare, j’échange quelques mots avec le chef de gare puis celui-ci montre à une jeune femme de vingt-deux ans comment acheter un billet à la machine car c’est la première fois de sa vie qu’elle va prendre le train. A l’aller, elle a pris un bus qui a mis quarante minutes pour venir de La Rochelle suite à une manifestation de camionneurs relative au prix de l’essence qui grimpe. Comme elle va faire la saison à Châtelaillon, elle est ravie de savoir qu’il existe une alternative rapide.
Rentré, je trouve un mail du cheminot m’indiquant que ma carte dix voyages est disponible à l’accueil.de la Gare.
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Un chien qui s’appelle Escarre, j’ai dû mal entendre.
                                                                    *
Deux femmes dans le parc près de la Gare. L’une à l’autre : «  Ce que j’aime bien dans cette région, c’est que c’est toujours apprêté, comme dans le sud de la France. »
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« Départ à la retraite: quatre astuces pour partir plus tôt sans y perdre » (un article du Figaro, ce journal de gauchistes).
Et dans Le Parisien à propos du Covid long : « Le scénario catastrophe serait d’aboutir à une vague d’infertilité sur Terre » (je verrais plutôt ça comme une chance).
 

21 mars 2022


Ce dimanche, premier jour du printemps, je suis content de trouver de bon matin la briocherie Sicart ouverte au bout du quai du Gabut.
Après mon petit déjeuner détente, je profite du fait que personne n’est dehors pour photographier les deux aspects de ce quartier où je réside temporairement face au bassin des Grands Yachts que les autochtones n’appellent que par son ancien nom : bassin des Chalutiers.
Le temps des bateaux de pêche au centre de La Rochelle est révolu depuis longtemps. D’où la transformation d’une moitié du quartier des pêcheurs en quartier scandinave. L’autre moitié, où des travaux devaient (entre autre) donner naissance à un hôtel cinq étoiles, est restée figée depuis des décennies pour cause de contestation. Une nouvelle « consultation citoyenne » est en cours.
Pour le moment, ce ne sont que bâtiments à demi ruinés couverts de fresques murales colorées selon l’inspiration d’artistes de rue. Hormis l’hommage à Terence Robert, « graffeur rochelais mort d’un accident de bodyboard », toutes sont repassées (comme ils disent) plus ou moins rapidement. Entre ces murs peints on ne trouve qu’un terrain de boules et un panneau de basquette. L’été, le lieu se transforme en friche « festive », comme on en voit partout (à Rouen, elle s’appelle Lucien).
Vers dix heures, je m’installe à la terrasse de L’Amiral Café où je n’ai plus besoin de passer commande pour qu’arrive ce que je désire. Trois quadragénaires s’y lamentent : « Il y a vingt ans ici, le dimanche matin, y avait que de la viande saoule, maintenant y a plus que des joggeurs ». Le soleil tarde à percer et le vent est frais. Néanmoins je lis là Hugo un certain temps.
Le trente et un novembre (sic) mil huit cent quarante-six, il écrit ceci :
L’autre jeudi, à l’Académie, M. Ancelot disait ce quatrain :
« J’ai joué, je ne sais plus où,
Sur un billard d’étrange sorte.
Les billes restent à la porte
Et la queue entre dans le trou. »
Cela faisait rire ceux que le dictionnaire ne faisait pas bâiller.
Quand l’heure du déjeuner approche, j’emprunte la passerelle étroite qui mène au plus court sur le Vieux Port. La foule du dimanche envahît les quais. Il faut peu de temps avant que je me dise « Putain de familles ! ». Les fuyant, j’entre dans le réseau des rues piétonnières intérieures. Vers le marché se trouve un restaurant recommandé par mon Guide du Routard Poitou Charentes deux mille quatorze. Une affichette l’annonce fermé en raison d’un cas contact.
Faute de mieux, je commande un burgueur savoyard au Pub Lutèce où au moins une table est au soleil, la mienne. Je l’attends vingt minutes et ne traîne pas pour le manger. Avec le demi-pichet de cidre brut à la pression, cela fait vingt et un euros dix. Sans tarder, je repasse l’étroite passerelle.
Le Gabut est à La Rochelle ce qu’est le Pollet à Dieppe, un refuge. J’y bois un café à un euro soixante-dix à L’Echo, au soleil, face au phare rouge et aux tours Saint-Nicolas et de la Lanterne, à gauche la friche, à droite un peu cachée par des arbres la Grosse Horloge. Ce troquet de la rue de l'Archimède devrait s’appeler Mieux Ici Qu’En Face.
                                                                            *
J’ai mis quelques jours à m’en apercevoir : les murs extérieurs de la résidence où se trouve mon studio Air Bibi sont peints en bleu et jaune, les couleurs de l’Ukraine.
                                                                             *
Ma voisine de L’Echo à sa copine : « J’arrive ici le jeudi soir, le vendredi je fais du tété ». (tété = télétravail)
Cette copine un peu plus tard : « J’ai beau être une petite princesse, aimer mon petit confort, ça me dérange pas de marcher ».
 

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