Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A Rouen avec la jeune Julie Manet (deux)

25 février 2024


Suite de la narration de son escapade rouennaise avec Geneviève Mallarmé (fille du poète) et Madame Normand (chaperon) par Julie Manet, fille de Berthe Morisot et d’Eugène Manet, le frère d’Edouard, quand elle avait dix-sept ans :
Dimanche vingt-sept septembre mil huit cent quatre-vingt-seize (suite). La nuit vient et nous rentrons à l’hôtel très satisfaites de notre première excursion dans Rouen. Nous trouvons dans la salle à manger, attablé, le beau vieillard à barbe blanche qui est M. Pissarro ; il paraît très étonné de nous voir ; il travaille de sa fenêtre et est ici depuis quinze jours ; nous passons une charmante soirée avec lui ; nous parlons de la belle ville puis il entreprend avec Mme Normand une conversation sur la décadence de l’art en toute chose.
Lorsque nous remontons dans notre chambre, les quais éclairé par de grosses boules de lumière électrique, sont toujours aussi jolis et aussi mouvementés, les petits tramways jaunes (électriques) que l’on rencontre et que l’on entend dans toute la ville, passent comme des vers luisants sur les ponts ; la Seine reflète les lumières et le grand coteau se perd dans la nuit. 
Lundi vingt-huit septembre mil huit cent quatre-vingt-seize. Les quais sont ensoleillés et les rayons d’une blanche lumière semble pomper l’eau (car il a plu cette nuit) qui donne un aspect de fraîcheur à cette vue belle à toutes les heures. Bon-Secours et sa colline se découpent en bleu sur le ciel un peu rose et un peu jaune qui se mire dans l’eau scintillante ; les tramways jaunes marchent déjà, le mouvement ne s’arrête pas à Rouen. Après un thé très bien servi avec des croissants très bons, Paule, Jeannie et moi sortons pour voir la ville le matin ; elle paraît dans un nuage bleu et lilas et parfois rose, elle est délicieuse. Nous suivons les quais à gauche et sommes arrêtées par la jolie rue du Bac donc M. Pissarro nous avait parlé, au bout de laquelle, si svelte et si mince la flèche de Notre-Dame s’élance.
Dans la rue de la République par plusieurs ruelles on aperçoit quelques tours de la cathédrale ; puis, à droite sur une petite place, se dresse Saint-Maclou, de forme ronde au clocher pointu ; comme une clochette qui laisserait épanouir des corolles autour d’elle ; le portique cintré est très beau et très grand,  la pierre assez grise et sombre. En entrant, on est saisi par un sentiment d’émerveillement inouï, on se sent élevé en voyant ces hautes colonnes si fines qui montent jusqu’à la base du clocher qui forme lanterne ; il semble que là-haut, Dieu au milieu de ses anges vous regarde ; on pense au ciel ; cette splendide église invite plus que tout autre à la piété ; Dieu, la Sainte Vierge paraissent plus près de vous. On y prie mieux. (…)
Quelle superbe chose que Saint-Maclou et non seulement superbe mais délicieuse, charmante, douce, et souriante tout en conservant la flèche pointue et un grand style. Elle est claire et grise cette église, oh, qu’on voudrait pouvoir y prier tous les jours. Les sculptures sur bois des portes sont de Jean Goujon.
Nous rentrons pour repartir avec Madame Normand et Geneviève en landau, nous commençons notre visite par la cathédrale dont l’intérieur n’est pas aussi beau que l’extérieur, il y a presque trop de colonnes quoique du chœur cette enfilade soit assez jolie. (…) En sortant de Notre-Dame nous passons par une petite rue de côté où l’on voit tous les arcs-boutants, le toit verdi et les clochers merveilleux de la cathédrale qui se découpent si joliment sur le ciel.
Nous repassons à Saint Maclou puis allons à Saint-Ouen dont la façade si pointue aux flèches découpées est très dure, ce n’est pas une église accueillante. Elle est immense et froide, on voit que cette façade a été reconstruite en ce siècle-ci et la rosace a des vitraux d’une couleur aveuglante. (…)
Nous passons à la place du Marché où Jeanne a été brûlée et où l’on voit cette inscription : « Le 30 mai 1431 les cendres de Jeanne d’Arc ont été jetées à la Seine. »
Nous arrivons à la place de la Pucelle où se trouve une jolie statue de Jeanne d’Arc, assez petite sur le socle à trois grosses têtes de sphinx formant fontaine ; sur cette même place on voit la façade de l’hôtel Bourgtheroulde, très joliment orné, au coin un hérisson supporte une couronne, on entre par une porte cochère et l’on pénètre dans la ravissante cour où l’hôtel bruni par le temps paraît en bois sculpté plutôt qu’en pierre ; une petite tourelle est ornée de motifs délicieux, près du toit des scènes en bas reliefs où sont les animaux de toutes sortes, des éléphants. Quel chef-d’œuvre que cet hôtel ! Quel dommage que les saletés de la Bourse se fassent maintenant dedans.
C’est ensuite la longue visite d’une partie du Musée des Beaux-Arts, je l’omets.