Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A propos des Mémoires intimes de Georges Simenon (un)

22 août 2022


Lu, ou plutôt relu, pendant mon séjour dans le Finistère, Mémoires intimes a été commencé par Georges Simenon le jour de mes vingt-neuf ans quand il en avait soixante-dix-sept. Il s’agit d’une confession dans laquelle il s’adresse avant tout à sa fille suicidée Marie-Jo et à ses trois fils Marc, Johnny et Pierre.
Mon père est mort alors qu’à Anvers, où la « Gazette » m’avait envoyé, je faisais l’amour avec une arrière-cousine dans un hôtel de passe…, leur apprend-il avant d’évoquer le rôle dans sa vie de la domestique surnommée Boule :
J’avais l’habitude de faire la sieste au premier étage du petit pavillon, près des écuries. A trois heures, Boule venait m’y réveiller en m’apportant mon café. Nous avions, depuis son entrée chez nous, vingt ans plus tôt, des rapports étroits, tant affectifs que sexuels. Rapports furtifs, il est vrai, étant donné la jalousie de ta mère, qui m’avait souvent répété que, si je la trompais, elle n’hésiterait pas à se tuer.
Plus tard, remarié avec une femme qui parfois l’accompagne dans les bordels, il fait une rencontre qu’assurément il tairait s’il vivait aujourd’hui. En mil neuf cent quarante-huit, cette épouse, qu’il nomme D., lui présente en effet une jeune prostituée dans celui de Tucson :
Elle me dit qu’elle a treize ans, mais qu’elle est pubère depuis longtemps.
La petite a d’immenses yeux noirs fixés attentivement sur moi et j’ai l’impression d’y lire une prière que je crois comprendre. C’est une question, pour elle, de ne pas perdre la face devant ses ainées, plus formées qu’elle, qui la regardent en souriant.
Je l’emmène à contrecœur. Je n’ai jamais été attiré vers les filles très jeunes, ni même vers les jeunes filles. Si je suis la petite Indienne, au port déjà très digne, comme celui des Noires de la brousse africaine, c’est afin de ne pas lui faire de peine, mais je sais que nos relations n’iront pas loin.
Dans la chambre blanchie à la chaux, où un Christ tient la place d’honneur, et où on voit, sur la commode, une Vierge sous verre, elle laisse tomber sa robe de coton rouge sous laquelle il n’y a que son petit corps, ses seins bien dessinés, son pubis déjà ombragé par une légère toison noire.
Elle me parle et je ne comprends pas. Elle me fait signe de me déshabiller à mon tour et, comme je ne bouge pas, elle s’approche, à la fois candide et fière, dégage ma verge qu’elle tient à caresser. Gêné, furieux contre moi-même, je ne parviens pas à empêcher l’érection. Alors, triomphante, elle se couche sur le lit, jambes écartées et, de ses doigts bruns et délicats, ouvre les lèvres de son sexe.
Je secoue la tête et sa bouche devient boudeuse. Alors, je me contrains à la caresser et je suis étonné de ses réactions qui sont celles d’une femme faite. Ce n’est pas un rôle qu’elle joue, car j’ai bientôt la main mouillée et elle ne tarde pas à se raidir dans un sursaut de jouissance. Je ne suis pas fier, lui fais signe de se relever et lui tends sa robe. Elle me donne un baiser furtif sur les lèvres avant de refermer la porte, s’avance fièrement vers le cercle de ses compagnes où elle reprend sa place.
Il y retourne seul quelques jours plus tard :
La petite Indienne me regarde fixement et, pour ne pas la décevoir, j’ai soin, cette fois, de l’emmener en même temps qu’une fille aux seins splendides.
A son retour chez lui, sa femme est au lit et l’interroge.
-Et la petite Indienne ?
Je parle, je parle, je la sens excitée, la main sur son bas-ventre. Je comprends aux plis du drap
Plus tard encore, Simenon aggrave son cas en violant une domestique nouvellement arrivée chez lui :
Avant notre départ, il se passera un petit événement qui aura, comme tant de menus faits, des conséquences lointaines.
Un matin que je trouve Teresa seule, penchée sur la coiffeuse du boudoir, un vif désir d’elle me saisit et je la trousse, sans qu’elle bouge ou proteste. Jamais de ma vie, je l’affirme, je n’ai forcé une femme, d’une façon ou d’une autre, à accepter mes avances. Je n’ai pas non plus pratiqué ce que les grands bourgeois appellent les « amours ancillaires » auxquelles ils se livrent d’ailleurs les premiers en s’arrogeant ce que les grands seigneurs de jadis appelaient le « droit de cuissage ».
Pour moi, une femme est une femme, donc digne de respect, quelles que soient ses fonctions ou ce qu’on appelle d’un mot que je déteste, « sa situation sociale ».
J’ignorais le catéchisme que D. avait dû enseigner à la nouvelle venue. Elle m’a entendu entrer, m’approcher, sent ma main sur ses hanches et ne réagit pas quand je relève sa robe. J’en garde le souvenir dans les moindres détails. A peine l’ai-je pénétrée que je sens sa jouissance et, la mienne proche, je me retire à temps. La pilule existe-t-elle déjà ? Je n’en sais rien et l’aurais-je su, j’ignorais si elle l’avait prise.
Elle me regarde ensuite d’un regard sans expression et je sors de la pièce, à la fois confus et heureux. Le soir même, après le « rapport », Teresa s’attardera pour mettre D. fort honnêtement, au courant de ce qui s’est passé.
-Je suis prête à partir dès maintenant si vous le désirez.
D. rit.
-Sachez, ma fille, que si j’étais jalouse de « Monsieur », il y a longtemps que je ne vivrais plus avec lui.
-Et s’il recommence ?
-Si cela ne vous gêne pas… Quant à moi, cela ne me regarde pas et vous pouvez continuer si cela vous amuse…
Marie-Jo est entrée et D. la met au courant.