Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 octobre 2022


« Je vais devoir m’absenter; seriez-vous intéressé de prolonger votre séjour d’une grosse semaine. », m’a écrit mon logeur Air Bibi il y a quelques jours. Je pense qu’il sous-entendait : sans payer de supplément. Je ne sais pas, je ne le lui ai pas demandé. J’ai décliné l’offre parce que psychologiquement, j’étais prêt à rentrer ce vendredi et qu’il me semble avoir fait le tour de Toulon et de ses alentours. Il arrive un moment ou la quantité devient l’ennemi de la qualité. A trop longtemps fréquenter un lieu, on abime le plaisir que l’on y prend. Sans compter qu’arrivent les vacances de la Toussaint et leurs nuisances, pour qui aime être tranquille.
Ce vingt et un octobre, sous un ciel menaçant, je prends donc un dernier petit-déjeuner à La Gitane avec les pains au chocolat de la boulangerie Paradis puis m’installe à l’intérieur du Grand Café de la Rade pour une dernière lecture toulonnaise de Léautaud avec vue sur le mouvement des bateaux bus.
Après avoir laissé la clé sur le plan de travail de la cuisine puis tiré la porte derrière moi, comme demandé par mon logeur Air Bibi, je prends, ma valise derrière moi, le chemin de la Gare, constatant qu’il n’y a plus moyen de traverser la place de la Liberté en diagonale. On y installe un Marché de Noël à chalets montagnards.
Il est onze heures et demie quand, à la Brasserie Le Terminus sise en face de la Gare, on m’apporte le plat du jour, un couscous de la mer. Avec la mousse au chocolat et le café, cela ne fait que treize euros dix.
Mon Tégévé est à l’heure. Je dois chasser de ma place une femme du genre babacoule avec casquette à la parisienne, le genre d’affranchie qui se croit tout permis mais qui a besoin d’un couillu pour déplacer sa grosse valise. Dans ma voiture sont dispersés plusieurs élèves de Bac Pro pour faire militaire. Elles et eux ont quatorze ans d’âge mental et rentrent d’un stage d’un mois à Toulon où on les a tenus enfermés dans une caserne durant un mois. Mon avis est qu’on aurait dû les y garder.
A la Gare Montparnasse, tous les escaliers mécaniques sont encombrés. Je réussis néanmoins à être à temps à la Gare Saint-Lazare mais comme mon train est déjà affiché depuis un moment, je renonce à chercher une place en voiture Cinq et m’installe à celle qui m’est réservée en voiture Trois. Las, tous les carrés famille sont occupés, et par quelles familles! Cette dernière partie du voyage est un calvaire que mon voisin supporte en étudiant les fluides caloriporteurs.
Je ne sais ce qui m’a pris de prévoir mon retour le jour du début des vacances de la Toussaint.
                                                             *
Il m’aura fallu attendre le dernier jour de mon séjour à Toulon pour voir, au Grand Café de la Rade, un quinquagénaire, genre notaire, s’approcher et me dire : « Je vois demande pardon, monsieur. Je suis curieux. C’est la Bible que vous lisez ? ».
                                                             *
Un Marché de Noël, c’est déjà ridicule à Rouen, mais alors à Toulon… Et installé plus de deux mois avant.
 

21 octobre 2022


C’est par le site de France Info que j’ai appris qu’a lieu en ce moment une exposition des photographies de Peter Lindbergh à la Villa Tamaris et qu’elle est visible certains jours à partir de treize heures trente.
Je passe donc ce jeudi un long moment à lire Léautaud au premier rang de la terrasse du Grand Café de la Rade puis en fin de matinée je prends un bateau bus pour Tamaris.
Il n’y a là qu’un seul restaurant, La Tamarisienne, dont je n’attends pas grand-chose mais quand même, grâce à lui, je peux goûter des huîtres de la Maison Giol, quatre pour six euros, fraîches et bonnes. Le plat du jour est à quatorze euros, une jambonnette de dinde confite à la graisse de canard et ses pommes grenailles, peu de viande et quelques petites patates tièdes. Sans doute en est-on gêné puisque une serveuse m’apporte soudain une barquette de frites (pas de la maison) qui va avec le plat mais aurait été oubliée, prétend-elle. Je mange ça avec de l’eau, par crainte du prix du vin.. Quand je paie, on ne me demande pas si ça m’a plu.
Pour la seconde fois, je monte la côte qui mène à la Villa Tamaris et y arrive en avance. Je profite d’un banc avec vue sur la rade pour lire jusqu’à l’ouverture. Deux jeunes hommes sont à l’accueil. Ils me confirment que c’est gratuit et me demandent mon numéro de département. Je suis le seul à parcourir les trois niveaux d’Untold Stories. Ce n’est pas étonnant, cette expo n’est affichée nulle part, même pas à l’entrée de la Villa. Elle est le décalque de celle qu’avait imaginée Peter Lindbergh pour Düsseldorf et qu’il n’a pas pu voir, étant mort avant son ouverture, en deux mille dix-neuf.
Les deux premiers niveaux sont pour le noir et blanc, avec, entre autre, des photos de mannequins ou d’actrices mais pas dans leur fonction. Je n’ai pas le temps, ni le courage d’en dire plus. Ou plutôt je suis trop fatigué pour faire de l’analyse d’image, mais j’aime particulièrement les deux nus de Karen Elson, la série de portraits de la jeune Naomi Campbell et celui de la vieille Jeanne Moreau.
En haut, changement d’ambiance, les murs sont noirs pour la série de portraits d’Elmer Carroll, condamné à mort en Floride. Ces images sont tirées du film, montré aussi, fait par Peter Lindbergh, dans lequel cet homme se regarde durant vingt minutes dans un miroir qui est une glace sans tain à travers laquelle il est filmé. J’ose faire une photo de moi me reflétant dans une de ces photos,  protégées qu’elles sont par du verre.
Ma visite ne dure qu’une demi-heure. Je redescends sur le rivage pour attendre le vaporetto de quatorze heures vingt.
C’est la dernière fois que je prends le bateau-bus.et pour l’occasion la Marine a sorti le Charles de Gaulle. Installé à la proue du petit bateau bleu, malgré une mer un peu agitée, je fais quelques photos du mastodonte gris.
                                                                    *
La présence des vaporettos dans la rade de Toulon n’est pas pour rien dans le plaisir que j’ai pris aux jours passés ici. « 1er réseau de bateaux bus de France », est-il écrit sur le mur de la Station Maritime. Je n’en connais pas d’autre. Les étudiants et les employés qui les prennent tous les jours pour un prix dérisoire ne se rendent pas compte du caractère exceptionnel de la chose.
Adieu petits bateaux bleus dont pas un n’est semblable aux autres.
Adieu Lou Souleu, Lou Pichoun, Lou Merou, La Rascasso, L’Esquinade, La Mousco, Le Fort de la Prée, L’Estello et Longo Maï.
 

20 octobre 2022


Retour aux Sablettes ce mercredi matin. Descendu du bateau bus, je traverse le Parc Paysager Fernand Braudel puis longe la mer en direction du Port de Saint-Elme. Au bout de celui-ci débute un sentier discret qui, m’a dit une dame l’autre jour, mène à Saint-Mandrier. Je le prends.
Après un petit bout de plage, il me faut monter un escalier en béton et me voici entre deux grillages dans une zone militaire. Je vois là des constructions destinées à défendre le pays. Elles sont abandonnées. De même que des canons. C’est intéressant à photographier. Le sentier entre ensuite dans une pinède. En bordure, comme souvent, sont des arbres presque couchés. Dans un creux, entre deux rochers, un jeune couple a bivouaqué. Au bout de cette pinède, j’arrive à une route près de laquelle est installé un petit marché puis à droite c’est la plage de Saint-Asile (commune de Saint-Mandrier). Le bar tabac qui la domine est exceptionnellement fermé ce mercredi. Dommage, c’eût été le bon endroit pour lire Léautaud. Après, le sentier reprend, avec un détour par la route, vers la Pointe de Maregau mais c’est assez pour moi, je fais demi-tour.
Revenu aux Sablettes (commune de La Seyne sur Mer), je m’assois une nouvelle fois à la terrasse du Prôvence Plage. Aujourd’hui, le Cap Sicié et les Deux Frères sont légèrement embrumés. Je ne sais pas si mes deux voisins, des quinquagénaires ventrus, sont frères mais l’un d’eux est le rigolo de service :
-Garçon, deux feignasses.
-Deux feignasses ?
-Oui, deux cafés allongés.
Le même un peu plus tard à son double :
-Demain matin tu prends ta chemise. Tu fais dépasser de la poche des billets de cent, de deux cents. Tu vas voir si y a pas des gonzesses qui viennent. Même des jeunettes.
Vers onze heures et demie, je retraverse le Parc Paysager Fernand Braudel pour me rendre, ce qui n’est pas simple quand on est piéton, chez les éleveurs de moules et d’huîtres qui pratiquent la vente directe et la dégustation sur place : Maison Giol, Le Ponton, Pierre et le Loup.
La Maison Giol a la plus belle terrasse. Sa vendeuse m’apprend que c’est terminé pour cette année la dégustation et que ce n’était que le soir, le midi on ne peut pas, arrêté préfectoral.
-Ah bon, pourquoi ?
-A cause des restaurants, de la concurrence qu’on leur ferait.
Diantre, moi qui voulais goûter aux huîtres du pays. Je retourne de l’autre côté de l’isthme et déjeune une nouvelle fois chez Prôvence Plage. Le plat du jour est moules poulettes. « Des moules à la crème », m’explique un serveur, et sans doute pas d’ici.
Je leur préfère le pavé de bœuf. Comme dessert, c’est encore une tarte aux pommes, mais avec des noix (discrètes). Il y a de la tension entre les serveurs, l’un juge qu’il en fait trop et les autres pas assez. Je suis content quand j’ai terminé, direction le ponton Sablettes afin de prendre le bateau bus pour Toulon.
Dès mon arrivée, je vais boire le café puis lire à la terrasse du Grand Café de la Rade où l’on surveille une vieille qui sous prétexte d’aller aux toilettes pioche dans les coupelles d’amuse-bouche et fauche du pain dans les corbeilles.
                                                                      *
Impossible de faire une photo du local de la Société Nautique de Saint-Elme sans prendre aussi les deux locaux assis devant. « Je peux vous photographier ? », leur demandé-je. « C’est gentil », me répond l’un d’eux.
                                                                      *
Parc Paysager Fernand Braudel, j’aurais écrit Parc Paysagé Fernand Braudel.
 

19 octobre 2022


Mon rendez-vous est à neuf heures quarante-cinq ce mardi. Je prends donc le bateau bus de huit heures cinq pour La Seyne puis, dix minutes après son arrivée, un bus Douze dont je descends à l’arrêt Ollioules Centre. Je reste une demi-heure à me chauffer au soleil sur un banc près de l’église puis, cinq minutes avant l’heure dite, je remonte la rue entre celle-ci et la mairie jusqu’au salon Steph Bien-Etre et La Parenthèse. Celle qui doit s’occuper de moi est assise sur une chaise devant la porte et elle m’invite à en faire autant tandis qu’elle termine sa cigarette. Elle m’explique que c’est la seule rue d’Ollioules avec des fleurs tout au long et que c’est elle et Stéphanie qui les y ont mises.
J’en ai pris pour une heure, un massage intuitif de la tête aux pieds, en sautant la zone intermédiaire, détente et bien-être. Elles sont deux à se partager les lieux, Stéphanie et celle qui s’occupe de mon corps, dont les mains chaudes enduites d’huile me font du bien. Elle m’a donné son prénom mais a choisi comme raison sociale La Parenthèse. Ce massage est des plus agréables et dure vraiment une heure. Son prix est très modéré : vingt euros. « Stéphanie et moi, on veut que ça puisse entrer dans un budget mensuel », me dit-elle quand je la remercie.
Pour rester dans l’ambiance, je vais me balader le long de la rivière Reppe. Longtemps que je n’en ai pas vue une. Celle-ci est étroite, son lit empli d’herbes hautes, mais elle coule.
A l’issue de ma promenade, je retourne sur la place centrale et bois un café à un euro cinquante au Bar Tabac du Marché puis j’y lis le Journal littéraire de Paul Léautaud jusqu’à midi, entouré d’autochtones sympathiques.
Pour déjeuner, j’opte pour l’un des restaurants de cette place, Le Papillon, pas le mieux situé, car une route le longe, mais avec une jolie terrasse qui va jusqu’à la bibliothèque municipale. Sa formule est attrayante : plat du jour fromage dessert quart de vin café pour dix-neuf euros cinquante. Le carré de veau à l’italienne est excellent, les fromages sont trois, la tarte aux pignons copieuse et les deux jeunes femmes chargées du service bien aimables.
Toujours sur cette place centrale, je bois un autre café à un euro soixante au Modern’ Bar qui fait face au combo mairie kitsch église austère, puis j’y poursuis ma lecture, à l’ombre. Le ciel est intensément bleu.
Cela jusqu’à ce qu’il soit l’heure du bus Douze de mon choix. Il arrive à La Seyne en même temps que le vaporetto pour Toulon. Le même billet me sert pour l’ensemble du trajet. A l’arrivée à la Station Maritime, des contrôleurs nous attendent, aucun fraudeur à bord.
                                                                    *
Dommage que je n’aie pas eu l’idée d’aller à Ollioules plus tôt pendant mon séjour. Pas seulement pour sa parenthèse. C’est une jolie petite ville, provençale et provinciale, où je me sens bien.
                                                                    *
Les journaux donnent le poème de Mme de Noailles à la réunion Baudelaire hier dimanche. Quelle saloperie. 3, 4 adjectifs par vers. Je le disais à Vallette : Il me dit : « C’est peut-être un poème sur les adjectifs. » (Paul Léautaud, Journal littéraire, mardi vingt-sept octobre mil neuf cent vingt-cinq)
 

18 octobre 2022


Ce lundi matin, je retourne une dernière fois au Mourillon. Pour ce faire, je prends le bus Mistral numéro Trois à l’arrêt Mayol et en descends à l’arrêt Polygone. Après une assez longue marche entre deux zones militaires, j’arrive à la Tour Royale. Tandis que j’en fais le tour, je suis rattrapé par une femme porteuse de sacs en plastique. « Où sont mes filles ? » claironne-t-elle. Je comprends vite qu’il s’agit des chats sans logis qu’elle nourrit à la manière de Léautaud, des chattes en l’occurrence. Je la laisse à son délire et descends sur la petite plage en contrebas. C’est ici que démarre le chemin de rochers baignant dans l’eau qui permet d’aller à celle de la Mitre, mais aujourd’hui la mer est un peu agitée et en recouvre une partie, aussi je renonce à emprunter ce moyen, retour à l’arrêt Polygone.
Il ne me reste qu’à descendre la rue qui va au Port du Mourillon. A mi-chemin, j’entre à la Pharmacie de la Mitre où il n’y a personne et y renouvelle mes médicaments sans perte de temps.
Arrivé au but, en ayant plein les jambes, je vais une nouvelle fois m’asseoir à la terrasse en hauteur de la Réserve, un café, un verre d’eau et Léautaud. J’ai à peine commencé à lire que j’aperçois un gros navire militaire se dirigeant lentement vers la sortie de la rade. Il s’arrête à la hauteur de la pointe de la Presqu’île de Saint-Mandrier et bientôt j’entends tourner les hélicos.
Un premier vient s’y poser puis un autre. Ces manœuvres se poursuivent quand je quitte La Réserve. Je prends le sentier côtier qui mène à la plage de la Mitre et m’arrête au belvédère qui la surplombe, ainsi que la crique d’à côté. Il fait doux mais un petit vent empêche de mettre un nudiste dehors. En revenant sur mes pas, je croise un groupe de vieilles marcheuses et de vieux marcheurs à bâtons et je me demande comment ils vont passer les pierres dans l’eau.
C’est un bus Mistral numéro Vingt-Trois qui me ramène en bas du cours Lafayette. Le lundi est le seul jour de la semaine où l’on peut marcher sous ses arbres en raison de l’absence de marché. L’ayant remonté aux trois quarts, je tourne à gauche pour rejoindre la place où s’épanouit la Feuille de Chou. Las, le plat du jour est encore le tigre qui pleure. Le lundi, les restaurateurs ne se foulent pas. Je me rabats sur le sauté de porc aux olives et son vol au vent du Mondial Café
-C’est quoi le vol au vent ? demande-je à la serveuse qui elle aussi est du lundi.
-Oh la la, comment vous expliquer ça !
Je découvre à l’arrivée du plat que c’est ce qui sert à faire une bouchée à la reine mais là il n’y a rien dedans, hormis deux petits bouts de sauté de porc.
Avec le quart de vin rouge, j’en ai pour vingt euros. Le café est à un euro quatre-vingt-dix, mais c’est au Grand Café de la Rade.
A l’entrée du port de Toulon, le Dixmude est à sa place habituelle. Quel est donc le porte-hélicoptères que j’ai vu de loin ce matin ? En agrandissant ma photo, j’apprends qu’il s’agissait du Mistral.
                                                                       *
Près de moi à La Réserve, deux trentenaires ayant chacun un emploi et une origine que je ne précise pas. L’un explique à l’autre comment, aux caisses automatiques du supermarché Casino de La Garde, il passe des bouteilles de champagne à trois euros. Jusqu’à vingt-quatre une fois.
-Moi aussi je peux le faire alors, dit l’autre.
-Bien sûr.
                                                                        *
Près de moi au Mondial Café, quatre trentenaires en tenue de travail.
L’un : « Premier jour, on cherche le chantier. Deuxième jour, on le trouve. Troisième jour, on dépose le matériel. Quatrième jour, mosquée. »
Là, il s’agit d’une plaisanterie.
 

17 octobre 2022


Fini le petit-déjeuner au Maryland, le bar tabac est en travaux jusqu’à la fin du mois. Je le remplace par La Gitane et n’y traîne pas, allant boire un autre café à la terrasse du Grand Café de la Rade où je peux lire tranquillement en attendant qu’il soit neuf heures cinq. C’est l’heure du premier bateau bus pour La Seyne où c’est vide grenier tous les dimanches.
Tandis que j’avance dans le Journal littéraire de Paul Léautaud, se présente à l’entrée du port un ferry qui arrive de Corse. A son panache de fumée noire s’ajoute, diffusé par les haut-parleurs, du Ludwig van, destiné à fêter l’arrivée et à faciliter le débarquement, je suppose, mais bon, c’est aussi la musique d’Orange mécanique.
Je descends du vaporetto avec quelques autres à son premier arrêt, au ponton Espace Marine, et suis bientôt sur la place poussiéreuse où des particuliers ont déballé. Je retrouve le couple de vendeurs de livres à qui j’en ai acheté un la fois précédente. Ils ont de bonnes choses et peu chères, mais aujourd’hui rien pour moi.
Aussi je ne tarde pas à faire le tour du port et m’assois devant l’Hôtel de Ville afin de rentrer avec le bateau bus de dix heures trente-cinq. Comme toujours, il arrive et repart à l’heure annoncée. Un jeune couple se présente sur le ponton alors qu’il l’a déjà quitté. Elle et lui n’en continuent pas moins d’avancer comme s’il existait encore une possibilité qu’ils puissent monter à bord, puis résignés ils font demi-tour.
A l’arrêt Espace Marine, au moins une centaine de personnes sont dans l’attente du bateau, des groupes de touristes étrangers, sans doute clients de l’Hôtel Mercure. Le matelot descendu sur le ponton en laisse monter une partie puis refuse les autres. « C’est complet, vous prendrez le suivant », leur dit-il. Ce prochain est dans deux heures.
Tous les refusés restent en place quand le bateau s’éloigne, comme si eux aussi s’attendaient à un miracle. Cela me donne à penser qu’il n’est pas étonnant que les humains en général soient incapables de réagir face à une situation remettant en cause leurs projets immédiats (par exemple : face au changement climatique).
Pour déjeuner, je vais au Mondial Café, mais ce jour il ne propose qu’un aïoli à seize euros et je crains de le trouver moins bon que celui de chez Béchir aussi je traverse le parvis de la Cathédrale où c’est la sortie de la messe et arrive à l’Unic Café. Pas d’aïoli ce jour, mais le couscous maison, passé à quatorze euros. « Eh oui, tout augmente, me dit Béchir, la viande, les légumes, la semoule. »
Tandis que je le mange, j’ai derrière moi la vendeuse de cade (variété locale de la socca niçoise). Elle râle après une cliente qui lui en a commandé pour cinq euros et qui devait être là avant midi et demie, l’heure de fermeture de la boutique. Elle n’arrive pas et se fait traiter de tous les noms par cette marchande et son mari. Puis soudain, à une heure moins le quart, la voici avec ses excuses.
-Oh, ce n’est pas grave, c’est dimanche, on a le temps.
Mes voisins de table et moi échangeons un regard complice, chacun pensant, voilà bien les commerçants.
                                                                      *
A La Seyne, à Saint-Mandrier, à Sanary, comme à Toulon et à bien d’autres endroits, la Méditerranée est à quarante centimètres des quais. Elle devrait monter d’un mètre d’ici la fin du siècle. Adieu quais, cafés, restaurants, hôtels de ville, églises, habitations, plages et routes côtières. Adieu aussi les Sablettes et retour à l’insularité pour Saint-Mandrier.
Nul n’en parle ici.
                                                                      *
Annie Ernaux. Sans son Prix Nobel de Littérature, elle n’aurait pas été en tête de cortège à la droite du dieu de la France Insoumise. Quelle tristesse de la voir ainsi instrumentalisée. Qu’elle accepte ça.
Et quel coup de vieux elle a pris depuis son passage à la librairie d’Yvetot où elle m’avait dédicacé son Mémoire de fille acheté dans un vide grenier.
Annie, ressaisis-toi, parle de littérature.
 

16 octobre 2022


Ce samedi, lorsque le bateau bus parti à huit heures trente de Toulon arrive aux Sablettes, nous sommes deux à n’en pas descendre et à poursuivre jusqu’à Tamaris. Là, quittant le rivage, je me mets à la recherche de la Villa Tamaris située quelque part dans les hauteurs.
Aucun cheminement piétonnier n’y mène. Je suis les pancartes destinées aux automobilistes et marche sur des trottoirs parfois approximatifs, C’est plus loin que je le pensais mais je finis par y arriver, essoufflé. Un grand bâtiment carré qui sert à des expositions, bien sûr fermé. J’en fais trois photos, déçu de ne pouvoir accéder à la terrasse qui donne vue sur le large.
Plus loin et plus haut est le Fort Napoléon mais j’ai déjà assez chaud comme ça alors je ne ferai pas l’effort. D’ailleurs, il n’y a que ça, des forts dans le coin, le plus impressionnant étant celui visible de partout sur son sommet de Six-Fours, pas la peine d’y aller m’a-t-on dit à l’Office de Tourisme de Toulon, c’est militaire, défense d’entrer.
Par les mêmes routes, je redescends au bord de la mer. Je marche ensuite sur la corniche Michel-Pacha puis sur la corniche Georges-Pompidou, une simple route à voitures, toute plate, qui suit le bord de l’eau et j’arrive aux Sablettes où je vais directement m’asseoir à la terrasse du Prôvence Plage. Ce samedi, pas question de pluie, c’est même le regain de l’été. A une table ombragée, je bois un café puis lis le Journal littéraire de Léautaud.
Cette belle journée de congé amène là son lot de familles Fenouillard, de moutards et de clébards. Des sportives et des sportifs s’activent sur terre et sur mer. Tout cela est fatigant. Je déjeune quand même sur place de la formule à dix-sept euros quatre-vingts : pavé de saumon, verre de vin blanc, tarte aux pommes (encore, mais pas normande cette fois) et café, puis arrive au ponton Les Sablettes en même temps que le bateau bus de douze heures quarante-cinq.
Il file droit sur Toulon où je m’offre une nouvelle séquence de café lecture au Grand Café de la Rade. Les bateaux de riches étant partis, la vue est de nouveau dégagée sur les entrées sorties du port. De plus ici, que des petites tables rondes pour deux, ce qui dissuade groupes et familles de s’arrêter. Nous sommes en mil neuf cent vingt-trois, Léautaud est en sérieux conflit avec son amante, madame Cayssac, la Panthère, dont le mari impuissant, le Bailli, vient de mourir :
Femelle, qui ne s’est montrée aimable que pour les affaires de cul. Que de fois, après les pires disputes, il me suffisait de lui montrer ma queue bien raide, pour l’entendre dire d’une voix mouillée : « Viens m’enfiler ! » et montrer alors la plus belle ardeur.
Au cours d’une de leurs disputes, il la frappe (elle aussi mais pour se défendre) puis il lui saute dessus sans son accord. Quand elle le menace d’aller se plaindre aux autorités, il lui répond qu’elles ne vont pas se mêler d’une « histoire de derrière ». Un siècle plus tard…
                                                                    *
Jusqu’à ce jour, personne ne m’a demandé ce que je lis, alors que ce fut le cas cette année, pour d’autres livres, lors de mes séjours à La Rochelle puis à Brest.
L’aspect de mon livre, auquel j’ai enlevé sa jaquette, son épaisseur, le signet, le papier bible, peuvent faite penser à un livre de religion.
Je crains, durant mon escapade varoise, d’être parfois pris pour un pieux.
 

15 octobre 2022


Ce vendredi je suis sur l’un des sièges de la poupe du bateau bus de huit heures pour Saint-Mandrier. C’est là que s’assoient les bicyclistes après avoir rangé leur engin tout au fond. Deux d’entre eux lisent durant la traversée de la rade. C’est très rare de voir lire en extérieur dans le Var. Alors deux sur le même bateau, c’est un évènement. Je ne sais ce que lit le plus éloigné, mais celui qui est proche de moi lit un Folio, dont je ne peux voir le titre, de Philip Roth.
A l’arrivée, je traverse la presqu’ile du nord au sud par la route qui mène à la plage de la Coudoulière et, juste avant d’y être, je tourne à gauche, avenue de la Corniche d’Or. Encore une dénomination à la provençale, ce n’est qu’une banale route et si la corniche est belle, elle ne mérite pas la médaille d’or. Je marche un moment sur cette route bordée de villas et peux affirmer qu’à neuf heures moins le quart, il n’y a pas un humain dans les jardins. L’avenue de la Corniche dort.
Un peu avant le bout de cette avenue qui finit en impasse, je descends sur la droite et arrive à la plage de Cavalas sur la baie du même nom, une petite plage de gros galets, au-delà de laquelle c’est militaire jusqu’à l’extrémité de la presqu’île.
Je reviens alors, c’était mon objectif, vers la plage de la Coudoulière par le chenin côtier, huit cents mètres de marche, en passant par la pointe du même nom.
Ce sentier est plaisant et sans grande difficulté. Il donne à voir la baie et sa belle côte rocheuse peuplée d’arbres dont les troncs parfois fleurtent avec l’horizontale. Au loin, comme souvent, sont visibles les Deux Frères. Arrivé au but, je revois la dangereuse grimpette qui prolonge ce chemin côtier, où je me suis imprudemment engagé l’autre fois.
Bien tranquillement, je rejoins par la route la rive nord et son port et m’installe à la terrasse du Mistral. J’y passe un long moment à lire Léautaud puis vers onze heures vais revoir le coin désordonné des pêcheurs.
Entre cet endroit et le bateau des Sauveteurs en Mer est amarré un voilier que lustre une jeune femme en minijupe qui change souvent de position. Assis sur un banc pour attendre le bateau bus d’onze heures trente, je constate sans surprise que la plupart des hommes qui sortent de la boulangerie longent le quai pour passer à proximité du voilier, puis à gauche toute, alors que la diagonale doit être leur chemin habituel.
Je rentre à la proue du vaporetto et cette fois encore, dans mon voisinage, deux ont un livre en main, deux sur le même bateau pour la seconde fois. Une jolie brune étudie la philosophie tout en tentant de se coiffer dans le déplacement d’air créé par la vitesse. Un quinquagénaire feuillette un livre illustré Le Grand Bréviaire des Mers et des Côtes de France publié chez Denoël. Il en oublie de regarder la réalité qui l’entoure.
A midi pile, je suis à La Feuille de Chou où c’est aumônière de lieu noir et gâteau à l’ananas. Pour le café, direction La Réale.
                                                                    *
Un de ma connaissance poste sur Effe Bé une photo qui montre que les cygnes prolifèrent sur la rivière d’Eure.
En commentaire, j’y vais de ma blagounette :. « Il va falloir mettre les chasseurs sur le coup (de fusil) ».
Douze heures plus tard, je reçois une admonestation signée Effe Bé : « Votre commentaire va à l’encontre de nos Standards de la communauté sur la violence organisée et la promotion d’actes criminels. »
En conséquence, je suis désormais le seul à pouvoir lire ce commentaire.
Le point positif est que je connais maintenant la définition de la chasse pour les robots de Effe Bé :. « violence organisée », « actes criminels ».
 

1 ... « 75 76 77 78 79 80 81 » ... 374