Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

25 avril 2015


Ce vendredi matin, je pars en vacances énervé comme jamais, la faute à mes deux voisines à chien, dont l’animal (que j’ai renommé Abrutus en mettant un a devant son nom) a depuis quelque temps pris l’habitude de pisser sur ma porte donnant sur le jardin commun. Une fois, je me suis plaint à l’une sans obtenir autre chose que « Je vais nettoyer ». Hier après-midi, c’était à l’autre de me dire « Je vais nettoyer ». Je lui ai vivement dit que je ne voulais pas que ça se reproduise. Ce matin, la bestiole avait recommencé, évidemment seule dans le jardin. Après avoir frappé (à la porte, pas le chien) et crié à cette femme qui ne fait rien pour empêcher que ça arrive puisqu’elle le laisse divaguer dès son réveil que je préviendrai le syndic à mon retour, j’appose une affichette sur ma vitre : « Cette porte n’est pas un pissoir pour chien, prière de surveiller votre animal ».
Il me faut un certain temps pour me calmer. Ce n’est qu’après Caen, cet obstacle qu’il faut contourner pour aller en Bretagne, que je commence à me détendre. J’aperçois le Mont-Saint-Michel malgré le temps brumeux et prends la route indiquant Saint-Malo par la côte, songeant au temps où j’étais bien accompagné, encore plus en arrivant à Cancale où je trouve à me loger, grâce à un désistement, pour cinquante euros la nuit, dans un appartement avec vue sur le port autrefois partagé avec celle qui m’a téléphoné aux aurores.
-Vous venez pour la pétanque ? me demande la logeuse.
C’est qu’il y a ce ouiquennede tournoi de bord de mer avec neuf grands champions. Un terrain a été créé, des gradins et des chapiteaux installés, qui m’empêchent un peu de voir la mer lorsque je déjeune à L’Huîtrière, maison qui appartient aux Cahue père et fils, ostréiculteurs d’ici, d’un menu à quinze euros comprenant douze huîtres, des calamars poêlés au beurre persillé avec frites et un fromage blanc crème fouettée au caramel avec miettes de spéculoos, cela accompagné de verres de muscadet, le tout fort bon.
-Mi-juin pour la moule d’ici, répond le serveur au couple installé près de moi. En ce moment, c’est de la moule d’Angleterre.
-Elle est bonne quand même ?
-Bah oui, sinon on la proposerait pas.
Je fais un tour sur le port, passe près des vendeurs d’huîtres, grimpe sur le sentier côtier par lequel je rejoins la ville haute. J’y fais quelques achats puis redescends et m’installe au café du Port, traditionnel avec ouifi, où l’on se plaint du manque d’affluence ce vendredi, peut-être parce que la pluie était annoncée. Via le réseau social Effe Bé, Zoé me conseille d’aller au Pied d’cheval.
Ce que je fais, y dînant à une table rustique d’une délicieuse écuelle du père Dédé, mélange de coquillages tièdes à la sauce citron crémée, composé d’huîtres de la maison et de moules et d’amandes de je ne sais où, à douze euros cinquante, face à la mer, avec sous les yeux des palmiers et un bout du chapiteau où commencent à jouer les pétanqueurs. Ils sont tous champions du monde, semble-t-il. Les patrons du Pied d’cheval sont producteurs d’huîtres et de moules depuis quatre générations. Côté restauration, ils connaissent les techniques pour gonfler l’addition (vin au verre, frites en sus).
Le pied de cheval, me montre-t-on, est une huître sauvage énorme de vingt ans, grosse comme un stèque, qu’on ne pêche guère souvent (« Quand j’en ai, j’ai un habitué qui vient pour en manger une dizaine »).
                                                                           *
Sur la route, passé par un village nommé Moult, où il n’y en a pas plus qu’ailleurs.
 

24 avril 2015


Ce mercredi de très beau temps, après avoir attrapé quelques livres dans les rayonnages du Book-Off de la Bastille, je me dirige à pied vers le Père Lachaise, près duquel je suis invité à un déjeuner privé par l’une de mes connaissances et son amie.
Entre tarte salée et tarte sucrée confectionnées par l’hôte, l’hôtesse m’apprend qu’elle travaille actuellement sur les cicatrices et sollicite mon témoignage. Je lui raconte le fou rire douloureux qui suivit mon appendicectomie au temps de mes vingt ans, une hilarité due au blessé ivre arrivé dans le lit voisin du mien en pleine nuit et aux gendarmes venus l’interroger au matin. Il s’était battu lors d’un mariage avec un autre invité nommé Lemarié. Les militaires n’y comprenaient rien, n’ayant pas capté que Lemarié était un nom propre et non le héros de la fête. Je riais et souffrais, caché derrière le drap.
Il lui faut une photo de ma cicatrice, me dit-elle. Je ne suis pas chaud. On en reparlera à la fin du repas quand j’aurai bu un peu plus du vin blanc corse que j’ai acheté au passage, avenue Parmentier, chez un caviste nommé L’épicurien voyageur, élégant Chinois. Ce vin me déçoit. Peut-être en est-il de même pour mes hôtes mais ils ne le manifestent pas. De plus, ce breuvage n’est pas capable de me saouler suffisamment pour que j’accepte de montrer la trace laissée par le chirurgien. Avant mon départ, c’est le pan de ma chemise qui est photographié.
Je prends le café en terrasse au Moderne Café en l’entrée de la Cité Joly puis fais un tour à La Petite Rockette, sorte d’Emmaüs où tout a un prix sauf les livres pour lesquels on donne ce qu’on veut. Point de chaussures pour moi, mais je trouve un petit livre orange de Geneviève Bailly, publié par les éditions Freylin, Ravel à Lyons-la-Forêt qui me rappellera l’année que j’ai passée là-bas. J’en donne un euro (prix Book-Off). Cela semble peut-être beaucoup car la caissière me demande combien de monnaie elle doit me rendre.
                                                             *
Dans le bus Vingt qui me mène de l’Opéra Bastille à l’Opéra Garnier, un vieux monte sans composter, s’assoit, répand la moitié de la cendre de sa pipe en voulant la ranger.
La vieille d’en face :
-C’est pas une poubelle le bus, déjà que vous êtes monté sans ticket. Nous, on paye.
Il hausse les épaules, referme son sac, se lève et va biper son passe Navigo.
Cette vieille n’est plus là quand monte une bonne famille bourgeoise (grands-parents, mère, pré-branlotin à trottinette). Après avoir demandé au chauffeur si le bus s’arrête au pied des Grands Magasins, ils vont s’asseoir sans payer. Le chauffeur envoie le message enregistré qui rappelle que le compostage est obligatoire et menace d’un contrôle.
                                                             *
Nouveauté bouffonne, c’est le Train de l’Impressionnisme qui me reconduit en Normandie, locomotive et voitures décorées de jolis paysages « à la manière de », photo et biographie du Claude à l’intérieur.
Depuis quelques mois déjà, on ne s’arrêtait plus à Vernon, mais à Vernon Giverny.
                                                             *
Il est temps ce jeudi soir de faire mes bagages. Direction la Bretagne, où devraient arriver en même temps que moi averses et orages.
 

23 avril 2015


Dimanche, je commence la matinée par une marche arrière aventureuse devant une quinzaine de policiers qui ne sauraient me la reprocher. Ils bloquent l’autre partie de la voie avec leurs quatre voitures et sont occupés à arrêter des bandits. L’île Lacroix n’est pas si tranquille qu’on le croit.
Après avoir grimpé la colline qui domine Rouen, je me gare à Bonsecours où c’est vide grenier sur la place principale et derrière la basilique. Il est sept heures, il fait déjà beau, mais beaucoup d’emplacements ne sont pas encore occupés. Même les croissants chez le boulanger ne sont pas prêts, entends-je. Je fais le tour des installés sans voir le moindre livre, ni quoi que ce soit susceptible de m’intéresser.
Sans attendre les retardataires et omettant une fois encore d’aller saluer José-Maria de Heredia et ses filles au cimetière, je redescends à Rouen où pour la première fois un vide grenier est organisé rue du Gros. Pour une journée seulement, la marchandise clinquante des vitrines de la rue la plus fréquentée de la ville est concurrencée par la marchandise usée répandue sur le pavé. Je n’y trouve pas davantage mon bonheur.
A quoi sert de se lever matin, me dis-je un peu plus tard, replié au Clos Saint-Marc, lisant toujours les Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre.
                                                            *
Les paumés du petit matin aux terrasses des cafés du Clos Saint-Marc le dimanche. En voici qui sont sortis d’un lieu appelé L’Endroit. Ce pourquoi, ils ont la tête à l’envers et continuent à boire de la bière.
L’un, totalement éméché :
-Moi à dix-huit heures, faut que j’aille chercher mes enfants.
Un autre, draguant la seule femme du groupe :
-Par contre, y a un truc qu’on est davantage sûr que les Noirs avec leur gros sexe, c’est que les Chinois en ont une petite, c’est pourquoi les Chinoises aiment les Européens.
                                                           *
Gros titre à l’orthographe hardie en une de Paris Normandie ce lundi, à propos de Hollande : « Il ne veux rien lâcher ».
                                                           *
Bonjour, je viens d’acheter un livre qui s’appelle Les sortilèges du bondage japonais, c’est pour apprendre à attacher les filles, est-ce que tu serais volontaire ? Euh, non, peut-être pas. (dialogue fictif mais livre trouvé au Clos Saint-Marc ce mardi)
 

21 avril 2015


Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev réunis au Théâtre des Arts de leur époque pour évoquer Corneille ? Les temps ont changé (comme on dit) et, ce samedi après-midi, Pierre Bergounioux, Annie Ernaux, Pierre Michon, Christine Montalbetti et Jean-Philippe Toussaint, sont attendus au Théâtre des Arts (Opéra de Rouen) pour parler de Flaubert, à l’invitation de l’Université.
L’entrée est libre et gratuite mais le public intéressé semble mince. Assis sur l’un des bancs du parvis, j’attends la levée des grilles contre laquelle sont vautrés les zonards habituels. Un peu plus loin, la femme au caniche expérimente le ménage à trois, plus calme que sa vie de couple.
Quand la grille se lève, deux des zonards transportent un troisième, ivre mort, jusqu’à la pelouse. Il faut encore attendre l’ouverture des portes, ce qui fait râler les arrivant(e)s. Certaines sont à canne ou à béquille. Enfin, il est permis de s’installer au foyer où une table à micros attend les intervenant(e)s. Dans un coin, la librairie L’Armitière a dépêché son néo barbu pour vendre un choix étique de livres des invité(e)s. D’autres tables permettront à ces cinq auteur(e)s de dédicacer. Une caméra est en place pour filmer les échanges que l’on pourra revoir via Internet.
Que des écrivains actuellement parmi les plus importants de langue française (pour quatre d’entre eux) ne déplacent que quelques dizaines d’auditrices et d’auditeurs en dit long. Aucune de mes connaissances n’est là. Je partage ma table avec deux femmes non moins âgées que moi.
L’installation sonore mise en place par l’Opéra de Rouen dysfonctionne, ce qui complique le début de l’échange entre Pierre Bergounioux (pantalon et chemise rustiques) et son poseur de questions, l’attaché temporaire d'enseignement et de recherche au Collège de France Matthieu Vernet (cravate, élégantes lunettes, soupçon de barbe). Les questions sont floues et les réponses alambiquées, qu’on comprend mieux toutefois quand un technicien remplace enfin le micro défaillant. Le maigre public est invité à poser quelques questions. Le premier à demander le micro est un exalté qui annonce qu’on nous cache que Flaubert était franc-maçon, ce à quoi Bergounioux ne peut répondre.
Annie Ernaux fait suite, interrogée par Françoise Simonet-Tenant, universitaire spécialiste des journaux personnels, pour un dialogue plus concret que le précédent. « « J’ai lu tout Flaubert et sa correspondance. » avez-vous dit, pouvez-vous nous en dire plus sur cette conjonction de coordination ? » demande la questionneuse. Annie Ernaux confirme que pour elle la correspondance de Flaubert ne fait pas partie de son œuvre. C’est pourtant cette correspondance que je préfère, me dis-je, et je donnerais tous les romans pour une poignée de lettres de Gustave.
A la pause, je prends un café puis l’air sur la terrasse, assistant de là-haut à l’arrivée de Pierre Michon et de sa jolie fille Louise (« J'ai de la tendresse pour Louise, Louise Colet », nous dira-t-il plus tard). Le poseur de la question sur Flaubert franc-maçon distribue un flayeur vantant le livre à trente-cinq euros qu’il a écrit sur le sujet. Je demande à Matthieu Vernet ce qu’il en pense. « Cela me paraît bien fumeux », me répond-il.
Pierre Michon est interrogé par Matthieu Vernet. Les questions sont, cette fois encore, un peu obscures mais les réponses parfaitement claires et font montre d’un amusement critique envers l’auteur étudié et son style. Parmi les piques envoyées par Michon à Gustave, réputé pour s’épuiser tel un moine jusqu’à obtenir la phrase parfaite : « On peut faire des ratures toute la journée, ce n’est pas très fatigant. »
Je ne connais pas et ignorais même le nom de  Christine Montalbetti, questionnée par Christine Lecerf, que je connais, elle, par ses émissions de France Culture et son livre d’entretien avec Elfriede Jelinek. « Il semble qu’ici les femmes doivent interroger les femmes et les hommes interroger les hommes » remarque cette dernière en introduction. J’apprends que Christine Montalbetti aime les voyages. C’est une écrivaine de nouvelle génération, à résidences d’écriture à l’étranger et à ateliers d’écriture pour avoir un revenu.
Pour finir, Jean-Philippe Toussaint, de noir vêtu, est interrogé par Thierry Roger, maître de conférence à l’Université de Rouen, dont les questions sont si embrouillées qu’il me fait penser à Desproges interrogeant Sagan. Jean-Philippe Toussaint trouve pourtant des réponses limpides à lui faire.
Une séance de dédicaces suit pour laquelle je n’ai pas de livres à présenter, ayant offert mes nombreux Ernaux et revendu tous mes Michon, mes deux Toussaint et ma miette de Bergounioux.
Yvon Robert, Maire de Rouen, est arrivé. Un cocktail d’inauguration du parcours « Flaubert dans la ville » (uniquement sur invitation) doit suivre, déjà partiellement installé quand je quitte le lieu.
Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev boire un verre avec le Maire de Rouen d’alors ?
                                                               *
Opportunément, ce samedi, le site Des Lettres en publie une de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet, écrite quand en compagnie de Maxime Du Camp il voyageait en Orient et que tous deux pratiquaient ce qu’aujourd’hui les bonnes consciences de toute obédience nomment pour le condamner le tourisme sexuel : Voyageant pour notre instruction et chargés d’une mission par le gouvernement, nous avons regardé comme de notre devoir de nous livrer à ce mode d’éjaculation.
À propos, écris donc cul avec un L et non cu. Ça m’a choqué. conclut Gustave.
                                                               *
Flaubert était un véritable ébéniste littéraire qui astiquait partout pour que ça brille. Résultat: médiocrité, ennui. Paul Léautaud (Entretiens avec Robert Mallet)
 

20 avril 2015


C’est la foule habituelle devant la porte de la Halle aux Toiles, ce vendredi matin, tout le monde attendant avec impatience dix heures pour se précipiter sur les livres d’occasion que vend le Secours Populaire rouennais au profit de ses bonnes œuvres. Je discute avec un malade de mon genre, forcément là lui aussi, comme d’autres de ma connaissance, et à l’heure dite c’est chacun pour soi.
Assez vite me parviennent les plaintes et déconvenues des concurrents, « pas grand-chose d’intéressant », « prix trop élevés ». Il n’empêche que leurs sacs se remplissent et le mien également. S’y trouvent notamment la belle édition André Dimanche de Seins de Ramón Gómez de la Serna et de quoi faire deux surprises.
                                                             *
Je me remets de l’effort en prenant un café verre d’eau au Son du Cor observant la mise en place d’une autre bouffonnerie culturelle d’avril, le parcours Flaubert qui passe par la rue Eau-de-Robec, une aubaine pour les artistes institutionnel(le)s. L’une, que je connais, grimpée sur un échafaudage, accroche des petits papiers dans les arbres fleuris autour du terrain de pétanque avec écrit dessus des citations de Gustave, je suppose.
                                                            *
France Culture n’est plus en grève. Le matin de ce vendredi, émission sur les séries ; l’après-midi, émission sur le foute. La Culture est bien à plaindre.
                                                            *
Pas étonnant que les poissons qu’on ramène du marché empestent : ils sont emballés dans le journal de la veille. William Humphrey à Nick Lyons, le vingt neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-un, in Loin du Texas, lettres choisies (Arcades Gallimard).
J’ignorais jusqu’au nom de cet écrivain américain dont j’ai lu au lit l’intéressante correspondance littéraire, des espoirs de sa jeunesse à l’alcoolisme de sa vieillesse.

18 avril 2015


Malgré plusieurs passages à la billetterie, impossible d’avoir autre chose pour poser mes fesses qu’un strapontin de corbeille ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen, pourtant Cendrillon par le Malandain Ballet Biarritz est donné deux soirs de suite.
Aucune place disponible n’a-t-on cessé de me dire avec le sourire. Comment expliquer une telle affluence ? Je l’apprends en entendant des messages fébriles dans les toki-ouokis des placeuses et placeurs que l’on avertit d’avoir à faire face à des meutes de scolaires.
J’en ai bientôt une brochette à la rangée précédente, mais je ne m’en plains pas, que des jolies lycéennes. La plus proche a un pied fraîchement plâtré et deux béquilles dont elle ne sait que faire.
Comme souvent, quand ça doit être complet, il reste de nombreuses places disponibles et parmi les meilleures. J’abandonne les lycéennes pour aller m’installer derrière le maître des lieux et malgré mon peu de goût pour la danse néo-classique me laisse emporter par le ballet.
La musique est de Sergueï Prokofiev, c’est plein d’idées, c’est bien dansé, Cendrillon est fort jolie, et bien sûr le chorégraphe Thierry Malandain a pris soin de montrer qu’il n’est pas dupe, avec clin d’œil à l’appui, la marâtre (qui, elle, sait quoi faire avec ses béquilles) et les vilaines demi-sœurs sont jouées par des hommes.
Le succès est au bout, avec applaudissements qui durent longtemps et bravos criés. Tout ce monde, pour qui la danse s’est arrêtée il y a bien longtemps, repart content, et moi un peu quand même.
                                                       *
Dans la série des bouffonneries dont désormais sont friandes les institutions culturelles, le Musée des Beaux-Arts de Rouen organise « une soirée étudiante » le vingt-deux avril avec visite « décalée » de l’exposition des peintures de Sienne par un duo de comiques nommé les Naufragés du Temps, « humour et découvertes seront au rendez-vous ». Cet évènement est programmé dans le cadre d’un « projet tuteuré » entre le Musée et des étudiantes du Master Deux Métiers de la Culture. La Culture est bien à plaindre.
 

17 avril 2015


Le train de huit heures sept m’emmène à Paris ce mercredi. Dans le carré le plus proche de mon siège quatre étudiantes parlent de leur saison préférée. « Les vacances de la Toussaint, c’est celles où il y a Halloween ? », demande l’une. Une quinquagénaire vêtue d’un gilet poilu installée dans le carré voisin du leur est plongée dans Nos ancêtres les Germains (les archéologues au service du nazisme) de Laurent Olivier. Elle en souligne des paragraphes entiers au stylo bleu et écrit ses commentaires à l’intérieur de la couverture. Tout à coup, se croyant peut-être en salle de cours, elle se tourne vers les quatre filles et leur intime de parler moins fort. Du coup, jusqu’à Saint-Lazare, elles ne pipent.
« Ne vous faites plus rouler pour un joint » conseille la publicité d’un site de plomberie dans les couloirs des métros Douze et Huit qui m’emmènent au Book-Off de la rue du Faubourg-Saint-Antoine. J’y fais quelques achats. Le beau temps m’incite ensuite à faire un tour au marché d’Aligre où j’aperçois parmi les acheteurs de brocante, sans en être étonné, un prof artiste des Beaux-Arts de Rouen.
A midi, je m’installe en terrasse à La Grille où je passe commande à la serveuse débutante tandis que le patron fait le mariole avec sa collection de chapeaux. La pauvre ne cesse de faire l’aller et  retour entre lui et moi mais impossible de connaître précisément le prix des vins. Par pitié pour elle et aussi parce que je me suis déjà fait avoir au moment de l’addition, je finis par commander une carafe d’eau. Après un hareng pommes à l’huile à peine tiède et l’habituel tagine au poulet, j’attends la mousse au chocolat promise quand la courageuse serveuse vient me dire que finalement il n’y en a pas. Dans ce cas, je me passerai de dessert, lui dis-je.
-Ça a été ?, me demande le coiffé d’un casque de pompier.
-Non, lui dis-je, mais je vais vous payer quand même et vous ne me reverrez pas.
Je rejoins la rue du Faubourg-Saint-Antoine et la remonte jusqu’à la place de la Nation, ce qui me rappelle le temps où j’allais attendre certaine à la sortie de l’Ecole Boulle. J’y prends le métro Deux jusqu’à Barbès où je change pour aller Porte de Clignancourt.
A l’arrivée, je pousse celle de La REcyclerie, sise dans l’ancienne gare Ornano. J’espère y trouver chaussures déjà faites à mon pied et pourquoi pas une veste. Je déchante, la vente n’a lieu qu’en certaines occasions. Ce jour, c’est cantine à bobos. Le mobilier, la décoration et la nourriture sont conformes. Je descends quand même voir à quoi ressemble l’extérieur. Le long de la voie ferrée désaffectée, d’autres mangeurs tiennent compagnie aux chèvres et aux poules.
Ressorti, je croise une autre population, plus représentative de cette partie de l’arrondissement, dans ces rues bien souvent parcourues du temps où je rendais visite à la même aux Amiraux. J’entre chez Emmaüs, rue de Clignancourt, mais point de chaussures à ma pointure, ni de livres à mon goût.
J’en trouve quelques-uns en fin d’après-midi à l’autre Book-Off puis à pied comme d’habitude, avec ma chaussure percée, je me rapproche de Saint-Lazare en faisant une pause Chez Léon. Outre les habituels piliers de comptoir, j’y côtoie deux sexagénaires. L’un a acheté à la fois Les Echos et Charlie Hebdo.
Cette semaine Luz réussit à être drôle en couverture. Sous le titre « Comment j’ai mangé mon père », on y voit la cromagnesque fille Le Pen déclarer en pleine action « Le plus dur, c’est de chier son œil de verre ! »
                                                         *
Nul bar ailleurs, nom d’un troquet de la rue de Cotte, près de la place d’Aligre.
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Dans un autre café parisien :
« Dans mon immeuble à Max-Dormoy, y a que des blancs, des blancs et des jaunes, y a pas de … tu vois ce que je veux dire. »
 

16 avril 2015


« Ai-je bien fait ou non de prendre une place pour ce spectacle « en famille à partir de six ans » ? » C’est ce que je me demande ce mardi soir prenant le soleil sur la terrasse de l’Opéra de Rouen. Sur le parvis deux autres spectacles se jouent concurremment en s’ignorant l’un l’autre. Au centre, un branlotin fait des acrobaties avec un vélo fait pour cela sous le regard plus ou moins indifférent de ses semblables avachis au pied de la statue de Corneille. A gauche, un couple de clochards ivres s’engueule copieusement. Je reconnais celle connue en ville sous le nom de la femme au caniche, pas vue depuis longtemps. Il semble qu’elle ait remplacé le caniche par un luron dans son genre, à moins que l’animal soit endormi dans l’une des deux voitures d’enfant. L’homme, torse nu, une bière à la main, se met à invectiver le monde alentour. Elle, tout à coup, disparaît derrière une potiche géante où pousse une plante verte. Une rigole d’urine indique ce qu’elle y fait.
« Retour à la vie normale » me dit le chef placeur lorsque je rejoins l’intérieur. C’est une petite affluence. La plupart des abonné(e)s boudent la soirée. Les familles se munissent de rehausseurs pour leurs plus de cinq ans, ce que refuse obstinément une neuf ans près de moi, vexée comme une puce.
Après un coup de tonnerre, les Jeux d’enfants de Georges Bizet sont joués à quatre mains par un couple, tandis que celle qui chante avant et après des mélodies du même a le rôle d’accessoiriste, montrant une poupée quand est joué Poupée, une toupie quand est joué Toupie, etc.. Cela dure moins d’une heure, la salle étant plongée dans le noir, et me semble interminable.
J’ai la réponse à ma question.
                                                           *
En ouverture, sur le livret programme de ce spectacle pour enfants, cette pensée banale et contestable de Jean Cocteau : L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute.
 

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