Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant Intérieur de Thomas Clerc

30 mars 2016


Dans son livre Intérieur (L’Arbalète Gallimard) Thomas Clerc fait une description fouillée, pièce par pièce, de son appartement et du contenu de celui-ci, un appartement parisien de cinquante mètres carrés, rue du Faubourg Saint-Martin, où il est entré le onze septembre deux mille un et qu’il quittera après le point final.
Un tel sujet peut faire craindre l’ennui mais connaissant Thomas Clerc par la chronique dans laquelle il disséquait une revue choisie plus ou moins au hasard dans un kiosque, chronique qu’il lisait d’une voix métallique et pressée dans la défunte émission de Laurent Goumare sur France Culture, c’est confiant que j’ai entamé la lecture de mon exemplaire trouvé d’occasion chez Emmaüs à Cherbourg.
Ce mardi, j’entends de nouveau la voix de l’auteur en mettant mes notes en ordre (ou plutôt en désordre) et j’atteste que son livre fut mon plaisir de lecture le plus intense de ce début d’année deux mille seize:
1 appartement, c’est 1 série de murs avec des portes et 1 plancher qui donnent sur des pièces aux fenêtres reflétant des meubles qui contiennent des choses.
La hauteur sous plafond mesure nos forces psychiques ; elle détermine nos espérances.
L’Intérieur de Thomas Clerc est aussi une sorte d’autobiographie en creux. Il y raconte sa vie d’obsessionnel, y énumère ses principes et ses manies, y évoque son peu de sens pratique :
Rétablir le courant en actionnant la manette du disjoncteur de 0 à 1 est le seul geste techniquement réussi que, surmontant ma crainte de rester sans chauffage pendant les rigueurs de janvier, je puisse accomplir.
Mon regard plane sur chaque objet comme 1 vautour sur 1 décharge, et dans 1 lourd silence je me demande combien de temps il leur reste à être.
Mon idéal est minimaliste, mais je ne suis pas fidèle à mon idéal. Tant de rebuts signent la misère d’1 société d’abondance et d’1 vie d’ascèse : semblable aux pauvres qui bourrent leur foyer de saloperies criant la terreur inverse du dénuement, je me suis laissé posséder par cette horreur ricanante.
Bien que je ne vive pas en groupe, mon rapport aux victuailles, semblable aux chasseurs-cueilleurs primitifs, se caractérise  par l’opulence répétitive du même.
Les urinoirs publics me déplaisent, surtout en France où ils sont sales, étriqués et faits pour 1 promiscuité qui n’est pas dans mes mœurs.
Le mah-jong est pourtant l’1 des plus beaux jeux que je connaisse et mon plaisir serait de l’apprendre à mes amis. Or voilà que se dresse le premier obstacle : je n’ai pas d’amis ! Ou, pour être plus près de la vérité (car la phrase précédente est drôle mais fausse), je n’ai pas d’amis pour jouer au mah-jong.
Thomas Clerc ne décrit cependant pas totalement ce qui se trouve dans son appartement, son argent par exemple, s’en expliquant ainsi :
En effet, l’argent, riche dossier, déboucherait sur 1 hypertexte contraire à la description surfasciste de ces pages.
Cependant on saura tout sur son goût passé pour la lessive Ariel et sur son stylo Parker, modèle Jotter :
Ma marque de lessive préférée fut longtemps Ariel, qu‘utilisait ma mère, et sur bien des points je reste fidèle à ma mère. L’excellente publicité pour Ariel, on s’en souvient peut-être, consistait à nier que 2 barils de poudre à lessive traditionnelle fussent supérieurs à 1 seul d’Ariel –et l’on voyait ainsi 1 ménagère refuser ce qui pouvait paraître 1 bonne affaire (2 au lieu d’1 !) au motif irrécusable que la qualité l’emporte sur la quantité. Mais l’autre raison pour laquelle je restai longtemps fidèle à cette marque est que j’ai eu, il y a bien longtemps déjà, 1 maîtresse portant ce beau prénom shakespearien, et dont je garde intact le souvenir, car l’érotisme se prolonge en moi plus par les noms que par les images.
J’ai horreur de chercher mon instrument et je redoute de le perdre ; aussi j’en possède 3 exemplaires (rouge, noir, argent) : pourtant, je passe mon temps à les perdre et à les chercher. Comme le Jotter ne se fabrique plus, j’aborde toute papeterie avec l’espoir de mettre la main sur les dernières plumes encore en circulation.
Et l’histoire de son porte-clefs :
J’ai acheté ce porte-clefs fantaisie à New York le 26 juillet 2009 lors d’1 visite à la maison de Poe, cottage en bois vermoulu dans 1 coin du Bronx, sur 1 petit square coincé entre 2 grandes avenues inhospitalières, et que je n’ai trouvé qu’à force de persévérance alors que mes demandes auprès des passants restaient incomprises, personne ne connaissait manifestement Edgar Poe’s house parmi la population de Noirs pauvres et de prolétaires blancs du quartier. Lestant mon modeste trousseau comme la chaîne du forçat, sa rutilance à 1 dollar 50 enjolive le culte que je voue à l’auteur de Philosophie de l’ameublement.
Lisant cela, je me revois vivant la même expérience quelques années plus tard, à ceci près que je ne pus entrer dans la maison de Poe, désormais uniquement visitable par les groupes et sur rendez-vous.
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Dans quelle catégorie d’écrivains ranger Thomas Clerc ? Il répond lui-même à la question :
L’art conceptuel est pour moi le plus beau de tous les arts et si je devais opérer à mon endroit le classement qu’en tant que critique je n’hésite pas à faire sur certains de mes confrères, je me qualifierais moi-même d’écrivain post-conceptuel.
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Trois des coquetteries d’écriture de Thomas Clerc :
Ecrire systématiquement les nombres avec des chiffres, y compris « un » ou « une » (j’ai la coquetterie inverse).
Traiter certains adjectifs comme des noms communs : les impulsifs de ma nature, le fragile de certaines installations.
Supprimer tous les saints de la toponymie urbaine : place Sulpice, boulevard Germain. Pousser le vice jusqu’à évoquer l’œuvre d’un poète connu en l’appelant John Perse.
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Face à « un » et « une » écrits 1, on cherche l’erreur, la faille, la négligence. Je la trouve dans la dernière phrase de la page cent cinq : C’est évidemment ce 2e point qui dépend d’une forme de vie précise.
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Thomas Clerc est un admirateur de Malthus. Il se réjouit de porter le même prénom que lui. Il n’écrit le mot « fécondité » que barré : Je tire 1 trait sur le mot le plus laid de la langue française.
Le bonheur de n’avoir pas d’enfants : ne pas avoir de chambre d’enfants.
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En prélude à son Intérieur : Je dédie ce livre à mon arrière-grand-père Auguste Clerc, décorateur et peintre d’objets religieux, orneur, assassiné par sa femme le 29 juin 1912, à l’âge de 48 ans.
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Pour finir :
Théorème du voisinage : les voisins nous créent plus de soucis que nous leur en causons.
Je confirme.