Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

19 octobre 2018


J’ai toujours pensé que l’idéal est de ne rien faire et d’être quand même capable d’en vivre, cette forte pensée est signée Franz West dont j’apprends l’existence grâce à l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou dans sa Galerie Deux.
Je pense la même chose que lui mais n’ai pas été capable d’éviter le travail. Lui y a échappé, si l’on veut, grâce à l’Art.
C’est la plus grande rétrospective consacrée à ce jour au parcours de Franz West mort en deux mille douze à l’âge de soixante-cinq ans et qui fêtait son anniversaire le même jour que moi. Près de deux cents œuvres se félicite le dépliant explicatif.
Je reste ici davantage que chez les Cubistes d’à côté, découvrant d’abord les Paßstücken  (pièces qui s’adaptent) en papier mâché, plâtre peint en blanc ou polyester, certaines manipulables (y compris ici avec le médiateur quand il est présent, ce qui n’est pas le cas en ce début de mercredi après-midi), d’autres posées sur un support en bois ou enroulées autour d’une tige métallique, toutes volontairement grossières. Viennent ensuite ce que Franz West appelle ses sculptures légitimes, certaines soclées avec un bloc de bois, une boîte en carton peinte à la hâte, une tôle d’acier mal découpée, puis les sculptures-meubles, les vidéos et performances réalisées en collaboration avec d’autres artistes et les grandes sculptures d’extérieur parodiant celles d’Henry Moore et d’Alexander Calder, dont certaines sont visibles en divers endroits de la capitale pendant le temps de la rétrospective.
Ces grandes sculptures d’extérieur m’étaient connues mais je n’avais point retenu le nom de l’artiste, un personnage comme je les aime sur lequel il est impossible de trouver des renseignements biographiques détaillés.
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Dans les années 1980, j’ai acquis une identité –celle de militant se battant pour l’émancipation du meuble. (Franz West)
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Franz m’a dit un jour : tu sais, je suis vraiment la seule personne normale que je connaisse.  (Andreas Reiter Raabe)
 

18 octobre 2018


Retour à Paris ce mercredi où à la sortie de métro Ledru-Rollin le ciel n’est pas tout à fait bleu. Après un café au Faubourg, je fais le tour des rayonnages de Book-Off où je trouve peu. L’Insurrection qui vient du Comité Invisible (La Fabrique Editions) est rangé au rayon Littérature, ce qui est peut-être sa meilleure place.
Pédestrement, je rejoins le quartier Beaubourg et à midi entre, dans l’impasse du même nom, chez New New. Le nombre de tables de deux ou quatre a diminué dans ce restaurant chinois à buffet à volonté au profit de vastes tables circulaires. Sur certaines sont disposées des bouteilles de vin. Elles sont destinées à des groupes de Chinois peut-être touristes. Pour déjeuner hommes et femmes se séparent, à chaque sexe sa grande table. Trois autres Chinois mangent à une table de quatre. Ils ont chacun leur bouteille de vin rouge et deviennent peu à peu de sa couleur. Lorsqu’ils ont pratiquement tout bu, je paie dix euros quatre-vingts et me dirige vers le Centre Pompidou.
La chenille, qui va bientôt être rénovée et temporairement remplacée par des ascenseurs, m’emmène au sixième étage. J’entre dans la Galerie Un où se montre Le Cubisme. Cette exposition d’ampleur offre un panorama de ce mouvement pour la période mil neuf cent sept mil neuf cent dix-sept. Je vais donc de Picabraque en Picabraque, conscient de l’importance de cet épisode artistique mais pas plus intéressé que ça par la vue des œuvres.
En revanche, j’ai plaisir à trouver sur un mur cet extrait d’une lettre écrite à Jeanne Lohy par Fernand Léger le vingt-huit mars mil neuf cent quinze :
Il n’y a pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-là qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux et qui l’envoie aux quatre points cardinaux.
 

17 octobre 2018


« Vous avez oublié d’éteindre la lumière » « Rallumez les étoiles », lis-je, ce dimanche matin, tracé à la peinture blanche effaçable sur les vitrines de la rue Ganterie tandis que je me dirige vers la gare rouennaise ; c’est une protestation contre les éclairages nocturnes des boutiques.
J’arrive au moment de l’ouverture de la gare. S’y précipitent zonards et autres marginaux. Y entrent les voyageurs du premier train pour Paris. Un vigile à chien garde l’œil sur les premiers. Le temps devant rester beau, je me suis décidé à passer la journée dans la capitale où m’attirent des vide greniers.
Prenant mon billet à la machine, je constate que celui de première classe est un euro moins élevé que celui de seconde. J’ai donc place en première dans le sept heures douze, ce qui se résume à être assis sur un siège de couleur différente. Les contrôleurs font leur beurre avec des billets non compostés, vingt euros de supplément.
La ligne Quatorze étant hors service, les Neuf et Six se chargent de m’emmener place d’Italie. La fille la plus sexy du métro porte sur son ventre le numéro quatorze mille zéro zéro quatre. Elle va courir. Ses chaussettes en boule lui échappent et roulent dans le couloir de la rame. Je les chope et les lui rends. Après un café près du marché, je rejoins la Butte aux Cailles dont le vide grenier d’automne est autant fréquenté par les exposants que celui du printemps. J’y retrouve le bouquiniste à un euro, dont quelques livres font mon bonheur, et y découvre, dûment badgé comme tous les vendeurs, un prof des Beaux-Arts de Rouen à prénom mythologique qui ne propose pas la Toison d’Or mais quelques livres de peu d’intérêt pour moi.
Quand j’ai parcouru, sans en oublier une seule, toutes les rues du déballage et trouvé quelques autres livres, je retourne place d’Italie puis descends l’avenue des Gobelins, un chemin souvent parcouru du temps de frère Jacques, afin de rejoindre la rue Mouffetard dont le marché bat son plein. Une Edith Piaf y chante La Vie en rose et un Leonard Cohen Dancing Me to the End of Love. Le vide grenier est dispersé, une partie dans la rue Mouffetard, une partie place de la Contrescarpe, une partie dans des rues adjacentes. Je n’y vois pas le moindre livre achetable, hormis ceux d’un bouquiniste mais ils sont hors de prix.
Métro Sept, métro Cinq, métro Onze, je sors à Jourdain pour L’Autre Vide Grenier. Il est organisé par La Main de l’Autre, association caritative, d’où son nom. Sur les camionnettes de ladite est indiqué : « Distributions de produits de première nécessité et de pains ». Malheureusement, je ne vois guère de quoi me plaire dans la partie des exposants situés place de la Rigole et côté rue des Pyrénées ce ne sont que Chinois vendant à même le sol ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles.
Métro Onze, métro Trois, je reviens gare Saint-Lazare et à la brasserie du même nom m’installe à une table avec soleil pour déjeuner à quinze heures trente, un exploit pour moi. La formule rapide est à huit euros dix : faux-filet, salade, frites à volonté. Le quart de gaillac est à trois euros quatre-vingt-dix. « Vous aimez la qualité, je me fournis à Rungis », est-il écrit près du dessin d’un boucher sur la porte. Effectivement, le faux-filet est de qualité. En revanche, le vin est infect. Son fournisseur reste anonyme. A ma gauche, des employés d’origine portugaise d’une boutique ouverte le dimanche se montrent des vidéos des dégâts causés par la tempête tropicale qui a touché leur pays.
A la gare une fille vêtue de noir est assise en tailleur sur le sol. Indifférente à l’effervescence, elle a avec elle trois livres de poche : Frédéric Lenoir, Boris Cyrulnik, Barack Obama. C’est ce dernier qu’elle choisit de lire, m’offrant en plongée un peu de son sein gauche.
Je rentre à Rouen avec un billet de seconde classe par le dix-huit heures dix-huit qui part de la voie dix-huit et y lis un livre acheté à la Butte aux Cailles : Haïku érotiques, traduits du japonais et présentés par Jean Cholley (Picquier poche).
                                                             *
La phrase du jour à propos du temps chaud dont on ne voit pas la fin :
-Bientôt, on va aller poser les chrysanthèmes sur les tombes en tongs.
 

16 octobre 2018


J’arrive vers dix-huit heures ce vendredi au Centre Photographique Rouen Normandie, rue de la Chaîne, qui ouvre sa saison avec Farce Satrape de Thorsten Brinkmann. C’est la première exposition personnelle en France de cet artiste allemand. On y voit des autoportraits en dignitaire de comédie pris à distance avec un déclencheur. Devenu roi, reine, prince, princesse, chevalier, il est vêtu de nippes, armé d’objets de récupération et porte comme heaume un objet détourné. Les tons dominants sont l’ocre, le vert émeraude, le vermillon et le lapis-lazuli. Certaines photos sont augmentées d’objets de seconde main les transformant en installations. D’autres sont prolongées par une peinture murale.
« L’œuvre de Thorsten Brinkmann procède en premier lieu d’une collecte assidue d’objets esseulés, usés, dysfonctionnels, mis à la marge par chacun d’entre nous. Nous laissant porter, tantôt allègrement, tantôt avec une molle résistance, par le courant de la société de consommation dans laquelle nous sommes immergés, il en est peu pour se retourner vers ces objets incessamment absorbés dans le vortex de l’obsolète. », écrit plaisamment dans sa présentation de l’exposition Raphaëlle Stopin, maîtresse des lieux.
Je trouve ça décorakitsch. Cela ne me déplaît pas mais ne m’intéresse pas davantage.
Deux marins du Mir passent devant la galerie sans faire plus qu’y jeter un coup d’œil en biais. Cinq minutes plus tard, trois soldates russes entrent sans hésitation. Chacune porte plusieurs sacs à la main car elles viennent de magasiner. Elles regardent chaque œuvre exposée puis repartent comme elles sont venues. Je trouve beaucoup de têtes nouvelles dans ce vernissage et des anciennes issues pour certaines de l’Esadhar (ex Ecole Régionale des Beaux-Arts). L’une porte deux cartons vides trouvés dans la rue et les garde serrés contre elle le temps de sa présence, se livrant ainsi à une discrète performance en hommage à l’artiste célébré ce soir, lequel se définit lui-même par le pléonastique « serialsammler » (collectionneur en série).
Je reste jusqu’au moment des prises de paroles, mais comme ici on ne parle pas allemand et que Thorsten Brinkmann ne parle pas français, l’échange est réduit à peu de chose. Un « verre de l’amitié » suit dont je me dispense.
                                                                  *
Ce samedi marque le début de la Fête du Ventre, dont le succès n’est pas à démontrer. Une fête de la panse attirera toujours plus qu’une fête de la pensée. Cette année, pour cause de travaux,  l’estomac déborde rue de la Jeanne et, pour cause de sécurité, il est ceinturé par des plots en béton. «  Qu’est-ce qui te tente ? », demande un père à sa fille vingtenaire. « Tout me tente, lui répond-elle, enfin plus ou moins ».
                                                                 *
Le traditionnel concert de carillon d’onze heures et demie est un hommage à Charles Aznavour. Au Son du Cor, où c’est encore peut-être la dernière fois que l’on peut prendre un café au soleil en terrasse, on écoute Compay Segundo. Une paix royale règne au jardin dans l’après-midi, les ouvriers de la flèche de la cathédrale sont en ouiquennede et les chiens ailleurs. J’y tapote ce texte tandis que me parviennent les chants et les slogans de la nouvelle mal nommée Marche pour le Climat.
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Objectif de chaque jour : ne pas se laisser absorber dans le vortex de l’obsolète.
 

15 octobre 2018


Des mois que la flèche de la Cathédrale de Rouen a sa base enrubannée, comme un gros doigt dressé vers le ciel auquel pour soigner la blessure on aurait mis une poupée (comme disait ma grand-mère). Depuis quelques jours, les ouvriers ont commencé le gros nettoyage et c’est comme de vivre à côté d’une usine. Il y en a pour plusieurs années de travaux. J’espère que les phases ultérieures seront moins gênantes pour mon hyperacousie.
En revanche, plus que quelques jours à devoir vivre à proximité d’un chenil. La rentrée scolaire a parfois du bon. Aboyus va aller se faire entendre ailleurs. En attendant, chacun dans la copropriété peut constater, qu’avec son copain Abrutus, il est en liberté dans le jardin. Chacun, sauf la voisine qui avait elle aussi un chien (bien moins bruyant qu’Aboyus) à qui la représentante du syndic, amie des propriétaires du duo canin, avait juré qu’aucun chien n’allait dans le jardin sans être tenu en laisse. Je lui avais dit que c’était un mensonge et que le règlement de copropriété l’obligeait (comme il interdit la présence d’animaux criards).
Cette autre voisine à chien n’est plus là, ayant disparu avec son animal pendant mes vacances à Montpellier. Je n’ai pas encore osé demander à sa fille qui occupe maintenant son appartement ce qui lui est arrivé.
Une autre vieille voisine a disparu depuis plusieurs mois. Comme elle a une fille, on peut espérer qu’elle n’est pas morte, oubliée dans son appartement.
                                                                *
Boualem Sansal était à la librairie L’Armitière ce jeudi soir. Je voulais y aller et puis j’ai eu la flemme. Je l’ai entendu sur France Culture dans Le Réveil culturel de Tewfick Hakem. Quel courage il a de vivre encore en Algérie où il est si mal vu, où sa vie est potentiellement en danger. « Là-bas je n’ai aucune vie sociale », disait-il. Outre sa critique du régime, on lui reproche ses prises de position sur l’islam, d’être allé en Israël, d’avoir signé la pétition contre le nouvel antisémitisme.
Une autre invitée de Tewfick Hakem, la bédéiste Emma, une féministe qui est favorable au port du voile à l’école. Elle a parlé avec des femmes voilées qui l’on convaincue qu’elles s’habillaient ainsi par choix personnel. Cette spécialiste de la charge mentale ignore tout de la charge sociale.
                                                               *
Vendredi matin, place du Vieux, une mère et son fils :
-T’es pas à l’école pour faire rire les autres, t’es à l’école pour travailler. Ou alors t’as qu’à aller au cours de théâtre.
-Mais au cours de théâtre on s’ennuie pendant des heures !
                                                               *
Au Sacre, vendredi après-midi :
-C’était peut-être le dernier café au soleil.
-Ça fait combien de fois qu’on le dit ?
 

12 octobre 2018


Sorti du Camélia, j’entre au second Book-Off et y trouve de quoi me plaire dans les livres à un euro, dont Scènes de ménagerie, dessins d’André François et mini textes de Vincent Pachès précédemment publiés dans le Monde en deux mille et deux mille un (Seuil), et, rangé par erreur dans les livres à cinq et sept euros, Mes chères cousines (Lettres d’Alexandre Vialatte à Guite et Anne Vincent 1916-1929), le numéro quarante-trois des Cahiers d’Alexandre Vialatte.
J’ai l’intention de poursuivre jusqu’à l’ex Mona Lisait du quartier Beaubourg où l’on m’a signalé deux curiosités mais à cause de la chaleur et d’une douleur qui me traverse parfois le pied gauche, je m’offre une pause sur un banc à l’ombre dans le jardin de la Place des Vosges, dont trois fontaines sur quatre fonctionnent ; laissant à d’autres le plaisir de bronzer sur la pelouse. Une femme s’assoit à ma gauche puis quand un autre banc se libère, préfère s’éloigner. Un municipal chargé de balayer les premières feuilles mortes dans les allées ne se prive pas d’envoyer la poussière sur les allongé(e)s. Je commence la lecture de la deuxième nouvelle du recueil de Stefan Zweig La Peur. Intitulée Révélation inattendue d’un métier, elle se passe à Paris :
Pas un Parisien ne connaissait mon arrivée ni ne m’attendait. J’étais souverainement libre de faire ce que je voulais. Je pouvais à ma fantaisie flâner ou lire le journal, m’asseoir dans un café, manger, visiter un musée, regarder les vitrines ou bouquiner sur les quais ; je pouvais téléphoner à des amis ou me contenter de humer l’air doux et tiède ; libre comme je l’étais, tout cela m’était permis et mille autres choses encore.
En quoi je peux me reconnaître, hormis le fait que, si j’y ai une ancienne amoureuse, je n’ai pas d’amis à qui téléphoner dans la capitale et que je ne regarde plus les vitrines depuis longtemps, sauf celles exposant des livres.
Le temps passe plus vite qu’il ne le faudrait. N’ayant pas envie de courir jusqu’à mon but, j’y renonce et me fais véhiculer lentement par un bus Vingt jusqu’à Saint-Lazare.
Après un café et deux verres d’eau A la Ville d’Argentan, j’entre en gare et apprends que la bétaillère de dix-sept heures quarante-huit sera en retard. Elle est encore au dépôt des Batignolles où elle souffre de difficultés de préparation « veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ».
Elle finit par arriver et part avec quarante minutes de retard. Après avoir terminé Révélation inattendue d’un métier, je réfléchis à mes écritures. Dans un mois, ce sera le douzième anniversaire de ce Journal et, pour la première fois, je m’interroge sur l’intérêt de continuer. Par ailleurs, comment faire pour que les romans ou récits que j’ai écrits autrefois ne disparaissent pas avec moi.
Le ciel est gris à l’arrivée à Rouen et le pavé de ma ruelle mouillé.
                                                            *
Jeudi onze octobre, pointe de fréquentation de mes écritures quasi quotidiennes, deux cent soixante-trois visites et quatre cent quinze pages lues, à mettre sur le plateau positif de la balance.
 

11 octobre 2018


A peine le Corail de sept heures cinquante-neuf a-t-il quitté la gare de Rouen ce mercredi que les contrôleurs déboulent dans la voiture Six où j’ai place coutumière (ses toilettes sont hors d’usage depuis des semaines), même pas un premier passage pour que celles et ceux qui ne sont pas tout à fait en règle puissent se sjgnaler. Derrière moi sont assis deux mâles qui vont au Mondial de l’Automobile et qui en parlent. Je change de place pour lire La Peur de Stefan Zweig (première nouvelle du recueil du même nom) dans l’édition Cahiers Rouges de Grasset. Peu avant l’arrivée à Saint-Lazare, la cheffe de bord annonce pour bientôt la présence de contrôleurs en civil dans les trains et vingt-sept degrés cet après-midi dans la capitale.
Il fait déjà beau quand je rejoins à pied le Book-Off de Quatre Septembre avec un sac de livres à vendre. J’en tire neuf euros soixante-dix et en dépense sept dans la boutique. Le métro Trois, dans le couloir duquel je découvre que l’on donne justement une adaptation de La Peur au Théâtre Michel, m’emmène à Ledru-Rollin d’où je vais au marché d’Aligre, dont le stock de livres ne se renouvelle pas, puis chez Emmaüs, où je donne deux livres invendus et découvre un gisement de vieux Poésie/Gallimard (Artaud Breton Eluard Jammes Lautréamont Lorca Rilke Tardieu) que je fais mien à un euro les trois. Devant la boutique sont installées des tentes blanches sous lesquelles mange avant midi une équipe de cinéma sur laquelle je ne me renseigne pas.
Où déjeunerai-je moi-même ? C’est le soleil qui en décidera. Il donne à fond mais est si bas que l’ombre est sur la plupart des terrasses. Je finis par trouver une table rue du Faubourg Saint-Antoine sur laquelle ses rayons qui traversent un arbre du square Trousseau se posent. C’est au Camélia. J’y mange en chemise et fort bien d’une pichade mentonnaise (tarte à l’oignon tomatée) et d’un burgueur de salers avec frites fraîches, servi par une jeune femme bien aimable. Avec le quart de vin rouge, cela fait dix-neuf euros quatre-vingt-dix.
                                                                  *
Ouvrant au hasard le recueil d’André Breton Clair de terre (Poésie/Gallimard) page cent trente-neuf  Sans connaissance :
On n’a pas oublié
La singulière tentative d’enlèvement
Tiens une étoile pourtant il fait encore grand jour
De cette jeune fille de quatorze ans
Quatre de plus que de doigts
Qui regagnait en ascenseur
Je vois ses seins comme si elle était nue
On dirait des mouchoirs séchant sur un rosier
L’appartement de ses parents.
(…)
Son signalement 1 m. 65 la concierge n’a pas osé arrêter ce visiteur inhabituel mais poli
Il était d’autre part très bien de sa personne.
 

10 octobre 2018


La nuit est agitée, des averses et du vent, mais ce dimanche matin, à huit heures deux, quand se lève officiellement le soleil, cela s’est calmé. Me voici donc parti pour le vide grenier qui se tenait jusqu’à présent sur la place de la Rougemare et est désormais situé dans le haut de la rue Beauvoisine ainsi que dans le jardin André Maurois.
Peut-être est-ce le ciel gris, mais je le trouve triste, surtout la partie du jardin. Les exposants y sont installés carrément sur la pelouse de part et d’autre d’allées trop étroites, rien de mieux pour ruiner le gazon. Je fais deux fois le tour, trouve deux livres de poche que j’achète uniquement parce qu’on me les propose à cinquante centimes.
J’y repasse l’après-midi. Dans le jardin où les bacs réservés au « jardin partagé » sont peu cultivés, on trouve maintenant une structure gonflable qui envoie certains moutards dans les airs. Deux clowns sur échasses se chargent d’égayer les autres. Je n’ai aucun succès côté livres. J’achète, pour trois euros soixante, deux pots de confitures du jardin sans pesticide à une aimable dame et, avant de rentrer, monte jusqu’à la station de métro face à laquelle est l’épicier arabe qui vend des pommes de Normandie à un euro le kilo.
                                                            *
Grâce à une discussion entre étudiant(e)s sur le réseau social Effe Bé, je sais d’où provenait l’odeur de vomi qui m’a encouragé à fuir le vide grenier de la Madeleine.
Lou Andréa : « C’est les fruits du ginkgo biloba (les petites boules jaunes qui tombent de certains arbres –les femelles-) qui sont partout sur l’allée devant la fac et qui ont cette odeur (super immonde). Sinon c’est un arbre impressionnant (la seule forme vivante ayant survécu sans muter après les attaques nucléaires au Japon, par ex), plein de vertus (top en infusion pour la circulation sanguine), et surtout super joli avec ses feuilles en éventail. Alors laissez mes ginkgos chéris qui puent tranquilles »
                                                           *
Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où patrouillent des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs. ai-je écrit. J’ai eu tort. L’un de mes lecteurs m’a signalé qu’il en est d’autres dans lesquels on les croise. J’aurais dû écrire : Le vide grenier d’Isneauvlle, le seul où j’ai vu patrouiller des Gendarmes munis de fusils mitrailleurs.
                                                           *
Ce lundi, les soldats russes sont partout en ville. Arborant grandes casquettes plates et petites sacoches élégantes, ils marchent par deux ou trois, guidés par leur mobile.
Ce sont les marins du Mir qui fait relâche pour une semaine sur le quai de Rouen.
Une jolie soldate blonde à calot se promène seule, remontant la rue Cauchoise.
 

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