Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

27 avril 2016


Comment ne pas voyager avec les punaises de lit de l’Hôtel Ibis Budget de Ciboure ? Comment ne pas en ramener (leurs œufs surtout) à la maison alors que j’ai été une nouvelle fois piqué dans la deuxième chambre ?
J’opte pour la solution radicale. J’abandonne ma valise à l’hôtel, de même que tous les vêtements remis depuis leur passage en laverie (cette décision ne semble pas surprendre l’employée que j’en avise) et monte ce lundi matin dans le Tégévé avec ceux non réutilisés depuis la laverie et restés protégés, du moins je l’espère, par le plastique d’emballage.
C’est dans un sac Leclerc que je rapporte ce que j’ai emballé dimanche soir dans des sacs poubelles fournis par l’hôtel, ce que je ne peux pas laisser : appareil photo, rasoir, livres, etc. J’ai aussi et ce sont les points faibles : la paire de chaussures, la veste, la sacoche d’ordinateur et le sac à dos.
Après presque neuf heures de voyage, j’arrive à Rouen sous la pluie. Sous le porche, avant d’entrer dans la maison, je jette la paire de chaussures, la veste et la sacoche d’ordinateur. Le sac à dos, cadeau dont je ne veux pas me séparer, est mis dans un sac poubelle (je le passerai dans une sécheuse ce mardi).
Puis je me douche et me rhabille de vêtements restés à Rouen et du djine acheté samedi à Saint-Jean-de-Luz. Enfin, je jette les vêtements portés lors du retour.
Toutes ces précautions seront-elles suffisantes ? Je n’en suis pas sûr.
                                                                *
Presque toujours quand je suis allé en vacances dans un des départements pyrénéens, il m’est arrivé une tuile. Cette fois encore donc.
 

26 avril 2016


Une dernière fois ce dimanche matin je fais le circuit port plage rue piétonnière de Saint-Jean-de-Luz puis comme il pleut je me réfugie au Majestic près du kiosque pour un café verre d’eau Mugnier.
Une heure plus tard, je prends pour la dernière fois le Basque bondissant de la vallée de la Nivelle. J’en suis le seul passager. Je descends à Ascain (Azkaine), joli village à cafés et restaurants regroupés entre fronton et église. La pluie ayant cessé, je visite et photographie. Poussant la porte de l’église, je vois qu’elle est emplie de paroissien(ne)s, jusqu’à la deuxième galerie. Sur la place, près du fronton, j’entre chez Laduche, café à l’ancienne et à patron à bretelles, mais on n’y parle basque que lorsqu’un groupe de jeunes y entre.
A midi, je déjeune au Restaurant des Chasseurs derrière l’église à la sortie vers Sare dans une véranda avec vue sur la montagne. « Ici, rien ne bouge, même pas les prix » disait Le Guide du Routard en deux mille quatre. C’est toujours vrai aujourd’hui. D’ailleurs, les tenues de Jennifer la serveuse et de Cyril le serveur semblent dater d’années lointaines. Pour mon dernier repas au Pays Basque, j’ai choisi un menu à vingt-quatre euros : assiette du chef (crevettes, jambon de Serrano, foie gras), entrecôte avec pommes rissolées et vacherin. C’est Jennifer qui s’occupe de moi :
-Ça va monsieur ?
-Très bien, oui.
-Super !
J’entre ensuite dans l’Hôtel de la Rhune, bel établissement où Pierre Loti écrivit Ramuntcho. Son aimable patronne me suggère de m’installer près du petit jardin. En écoutant des chanteuses de jazz, j’y continue le Journal de l’abbé Mugnier, une relecture qui aura comblé mes vacances et que je terminerai peut-être dans le train.
Un peu avant quinze heures, je m’assois sur le muret face à l’arrêt de car. Des retraité(e)s à questionnaire me demandent si je suis du pays.
-Pas du tout.
Rentré seul passager du Basque bondissant, je m’emplis les yeux de Ciboure et Saint-Jean-de-Luz.
Pays Basque, adio.
                                                                      *
Résumé personnel de la côte basque française du nord au sud : Bayonne oui, Biarritz non, Bidard oui, Guéthary non, Saint-Jean-de-Luz Ciboure oui, Hendaye non.
Vallée de la Nivelle : plutôt Ascain que Sare.
 

24 avril 2016


C’est à pied ce samedi matin que je longe le port côté Ciboure puis gagne par le chemin côtier le quartier de Socoa. Seuls quelques promeneurs de chiens locaux sont dehors à neuf heures. J’en profite pour entrer dans le fort et marcher jusqu’au bout de la digue sur laquelle pendant le début de mon séjour je voyais la mer exploser à marée haute.
Le temps est nuageux mais je peux néanmoins m’attarder longtemps à la terrasse du Belarra d’où l’on domine la baie de Saint-Jean-de-Luz et avancer dans ma relecture du Journal de l’abbé Mugnier. Le seul autre consommateur est le patron lui-même qui gère ses affaires à l’aide de son ordinateur.
L’averse menaçant, je choisis de déjeuner à Socoa dans un restaurant sans prétention nommé Gigi l’Amoroso d’où l’on a vue sur rien d’agréable. Crevettes persillées puis merlu à l’espagnole et mousse au chocolat avec un quart de vin blanc, pendant que des gouttes claquent sur le toit de la véranda. De bruyantes familles s’y réfugient, je file après avoir payé quatorze euros quatre-vingt-dix.
Le café, c’est à Saint-Jean-de-Luz, en terrasse au Café de la Marine, que je le prends étant revenu par le même chemin pédestrement. Une noce a pris possession du kiosque devant la Mairie pour y faire de multiples photographies. L’élégance basque est au rendez-vous, robes colorées, chapeaux et queues de pie.
C’est en revanche le premier djine venu que j’achète chez Monoprix. Je le fais mettre sous plastique dans une laverie. Il s’agit de disposer une fois rentré d’un pantalon que je n’aurai pas utilisé à l’Hôtel Ibis Budget de Ciboure. Tout me porte à croire que les punaises de lit sont toujours là.
                                                                 *
Entendu à Ciboure : « Un bon métier, qui travaille tous les jours, c’est la picole. »
 

23 avril 2016


C’est encore avec un Huit Cent Seize que je me rends ce vendredi matin à Guéthary (Getaria), la plus petite commune de la côte basque française, coincée entre Bidart et Saint-Jean-de-Luz. Elle fut autrefois un port baleinier actif. Il n’en reste rien ou pas grand-chose : un plan incliné en pierre et béton où sont aujourd’hui treuillées des barques à l’aide d’un filin métallique..
Guéthary a de plus le désavantage d’être extrêmement pentue. Je m’y épuise et fais rapidement une pause-café en bordure d’océan puis une autre dans la belle salle en bois de l’Hôtel de Madrid où, ai-je appris par Ouiquipédia, Jacques Rigaut a écrit en mil neuf cent vingt-six un cadavre exquis titré Et puis merde ! Trois ans plus tard, il se suicidait.
Le serveur de cet hôtel ne se soucie pas de littérature, il a une autre préoccupation :
-Y a personne ! Si y avait pas les habitués, on ferait rien !
La patronne accuse l’Education Nationale qui a changé les dates de vacances pour que les stations de ski marchent mieux.
Une autre explication me vient après avoir fait le tour des restaurants du bourg et des gargotes de plage : leurs prix sont beaucoup plus élevés qu’à Bidart et Saint-Jean de-Luz.
Je contribue au « y a personne » en me contentant, au snack Xpress, d’un double burger bacon steak salade tomate emmental sauce au poivre et d’un cornet de frites, dix euros cinquante, le verre d’eau est gratuit.
Mon voyage de retour avec le Huit Cent Seize est assez folklorique. Si une aimable habitante n’était pas venue me dire que l’arrêt où je l’attendais n’était plus desservi, je l’aurais raté et quand je suis enfin au bon endroit et qu’il arrive, déjà mis en retard par des travaux sur la route, voici que sa porte centrale ne se referme plus. La conductrice affolée appelle des mécanos qui ne veulent pas venir. Les nombreux passagers manifestent leur agacement. Deux loustics descendent fumer et donnent des conseils pour résoudre le problème. La chauffeuse ne veut pas les entendre. Quand elle a le dos tourné, ils bidouillent la porte, qui se ferme.
-Ça y est, j’ai réussi à la refermer, triomphe la conductrice au téléphone et au volant.
« Tout le monde descendra par la porte de devant. », nous informe-t-elle.
-On veut même bien descendre par la sortie de secours du toit, commente l’un des deux loustics.
                                                          *
L’une des gargotes de plage de Guéthary se nomme Guethappy. Beaucoup des lieux de restauration de la commune pourraient s’appeler Guet-apens.
                                                          *
Paul-Jean Toulet, mort à Guéthary en mil neuf cent vingt, a une place à son nom au centre de Guéthary et une autre au cimetière. Celui-ci étant très excentré, je ne suis pas allé le saluer.
                                                          *
Les sœurs pianistes Marielle et Katia Labèque, l’acteur Vincent Cassel, le comique de télévision Jules-Edouard Moustic et le bègue Beder ont une maison à Guéthary. J’ai croisé deux fois une femme brune qui pourrait être l’une des sœurs, et qui m’a regardé comme regardent les gens connus pour savoir si on les a reconnus, mais je ne le lui ai pas demandé.
                                                          *
Quant à Georges Guétary, il emprunta à Guéthary son nom d'artiste, trouvant que c’était mieux pour réussir dans la chanson que son vrai nom : Lambros Worloou.
                                                          *
Sur mon lieu de villégiature, Rouen se rappelle à moi : l’ancien bouquiniste et relieur que je nommais par son prénom, Jean-Jacques, dans ce Journal, le cinq mars dernier, m’apprend que contrairement à ce que je supposais, il ne vend pas de livres via Internet.
 

22 avril 2016


Bidart, petite ville de bord d’océan entre Saint-Jean-de-Luz et Biarritz dont le nom ne me disait plus rien et pourtant, après qu’un car Huit Cent Seize m’y a déposé ce jeudi matin, je reconnais cette magnifique place entourée de l’église, du cimetière, de la Poste, d’un fronton, de la Mairie et de deux hôtels restaurants à vastes terrasses. J’ai séjourné dans l’un de ces hôtels, l’Elissaldia, pendant quelques jours, il y a quatorze ans, en ce début d’été où il ne cessait de pleuvoir. J’attendais le soleil pour planter ma tente dans le coin. Je me souviens que le patron n’était pas satisfait de l’heure matutinale à laquelle je prenais mon petit-déjeuner. Ça le gênait pour regarder la feria de Pampelune à la télé espagnole.
A l’heure où j’arrive à Bidart (Bidarte), la place est déserte. J’en profite pour faire des photos puis je passe à l’Office de Tourisme qui lui est ouvert depuis neuf heures et y demande un plan de la commune. Sur le conseil du jeune homme, je vais au bout d’une petite rue voir la chapelle de la Madeleine qui domine l’océan. Au loin, c’est la fin des Pyrénées. Je me balade un peu sur le chemin côtier y croisant successivement deux hommes jeunes seuls qui semblent attendre quelque chose. Je trouve ça Bidart.
De retour sur la place, je prends un café à la terrasse de l’Hôtel du Fronton. Le plaisir en est gâché par les gars de la commune. Ces municipaux à tenue fluorescente étanche se mettent à passer le carcheur sur les marches de la Mairie. Cela dure effroyablement longtemps. Quand ils s’en vont enfin, je sors Mugnier mais cinq minutes plus tard ils réapparaissent avec leur balayeuse remplie d’eau et repelote (basque).
-Ils le font exprès ? dis-je à la patronne du Fronton.
-Allez lui demander, mais je vous préviens, il est pas commode, me répond-elle en désignant celui qui semble être le chef vu qu’il est vieux et ne fais pas grand-chose.
Au bout d’un long moment, n’en pouvant plus de ce vacarme, le patron de l’Elissaldia perd son calme et va l’engueuler mais c’est sans effet.
Je capitule et entre dans l’église à trois galeries dont les deux premières sont accessibles puis choisis pour déjeuner le seul restaurant un peu excentré, celui de la Palmeraie. En terrasse sous un énorme palmier, malgré l’averse qui menace, je déjeune de beignets de calamar et d’un excellent sauté de canard au miel accompagné d’un écrasé de pommes de terre à l’ail. Avec un quart de vin rouge et un café de Colombie cela fait dix-neuf euros cinquante.
Après le repas, je fais une nouvelle balade en bord de mer. L’averse se déclenche à mon retour sur la place, gâchant le repas de ceux qui mangent tard. Il est temps de reprendre un Huit Cent Seize.
                                                                *
Les gars de la ville, la plaie de Bidart : deux jeunes à tête contemporaine et le vieux à casquette qui pousse mollement le balai. S’ils sont payés au bruit qu’ils font, leur salaire doit être mirobolant.
                                                                *
Etre une fille de quatorze quinze ans et passer la nuit dans le lit au-dessus de celui de ses parents dans une chambre de l’Ibis Budget de Ciboure avec douche qui donne directement sur la chambre et lavabo dans cette chambre.
 
 

21 avril 2016


C’est encore un Huit Cent Seize que je prends ce mercredi matin sous la pluie pour aller à Bayonne (Baiona) et cette fois le chauffeur est serviable, expliquant à une voyageuse comment s’y retrouver dans les horaires. Au passage sous la bretelle d’autoroute de Biarritz La Négresse, j’aperçois la petite voiture au pare-soleil sous le pare-brise, puis nous nous arrêtons à l’aéroport, ensuite c’est Anglet, enfin le but est atteint, terminus dans le centre de la ville, place des Basques.
Il pleut toujours à la descente du car. Plutôt que visiter, je m’installe Chez Pantxo, en bordure de la Nive, à l’angle des Halles imitation Baltard, pour y boire un café que je fais durer, Quand cela devient possible, je sors et passe le pont pour atteindre le Petit Bayonne que je retrouve tel qu’il était il y a douze ans. La navette électrique gratuite est, elle aussi, toujours là, un minibus orange que peu de monde utilise. J’y grimpe devant le Conseil Départemental et fait tout le circuit qui passe par un tas d’endroits inaccessibles en voiture dont les allées du Jardin Public.
Je revois ensuite tout cela à pied, faisant ici ou là des photos des belles façades, certaines non restaurées, qui sont la marque de la ville. Rue des Cordeliers, je discute avec l’une des responsables d’une association basque qui organise une Manif de Riches le premier mai pour soutenir la politique du gouvernement Hollande Valls Macron. En cette même rue, je trouve le restaurant où j’ai envie d’entrer à midi : Le P’tit St Pierre dont la salle, partiellement voûtée et pleine de recoins, est parfaite pour le temps gris du jour. On y propose un menu à douze euros, vin et café compris,. Un jeune homme s’occupe du service et une voix féminine se fait parfois entendre en cuisine. J’y suis un moment le seul client mais heureusement pour la maison arrivent un couple à enfant rehaussé qui est installé loin de moi et quatre étudiantes plus près.
-Tu vas voir le monsieur, il va se fâcher.
Le père du rehaussé ne parle pas de lui à la troisième personne, mais du serveur (une forme de démission couramment masculine).
J’ai choisi une tarte océane (c’est-à-dire contenant des moules et une sauce de poisson), un confit de canard a la purée de carottes et enfin du fromage de brebis. Comme dans les auberges espagnoles, j’ai sur la table une bouteille de vin rouge pour moi tout seul. Les quatre filles à côté en ont une de vin blanc et une de vin rouge dont elles usent plus modérément que moi. Un couple de retraités entré ensuite a choisi la bouteille de rosé. Ce sont des vins de Navarre, nous précise celui qui fait le service.
Mes voisines ne sont pas qu’étudiantes, elles sont aussi stagiaires. L’une réussit même à être stagiaire et à avoir une stagiaire. Elles évoquent leurs copines, celles qui sont stagiaires comme elles, celles qui sont au chômage, celles qui sont enceintes. Elles passent ensuite aux histoires de cœur :
-Je sais avec qui elle sort Estelle, avec celui qui sortait avec Pocahontas avant.
Comme j’en suis au café, je n’en apprendrai pas davantage. Dehors il pleut à nouveau, de quoi me faire rentrer au plus vite à Saint-Jean-de-Luz. A l’abri dans le Vauban, j’y poursuis ma lecture du Journal de l’abbé Mugnier avec en tête ce qui m’obsède depuis que je me suis fait dévorer par les punaises de lit de l’Ibis Budget de Ciboure : de quelle façon procéder pour ne pas en rapporter chez moi, sous forme d’œufs notamment.
                                                                  *
Dans une rue du Petit Bayonne, là où était installé le Consulat du Portugal, une plaque « en hommage au Consul Aristides De Sousa Mendes ambassadeur de la paix et Juste parmi les nations qui a sauvé 30 000 vies pendant la 2e Guerre mondiale à Bordeaux Bayonne Hendaye ».  
Je ne sais pas qui a fait poser cette plaque qui ne précise pas de quelles vies il s’agit.
 

20 avril 2016


Il fait soleil ce mardi matin lorsque le car Huit Cent Seize m’emmène à son terminus Hendaye Plage. A l’entrée dans cette ville nous ne sommes que trois passagers. Deux se lèvent avant la gare pour y descendre. La conductrice ne marque pas l’arrêt. L’un proteste vivement. Elle stoppe un peu plus loin.
-Comment voulez-vous que je sache si vous n’appuyez pas sur le bouton.
Il est évident qu’elle les avait vus et en a fait exprès. Les conducteurs et conductrices de ce car ne sont pas aimables avec la clientèle. Celle-ci est la pire. J’appuie sur le bouton rouge pour lui indiquer qu’elle doit s’arrêter au terminus.
Je quitte au plus vite Hendaye par la Marie-Louise qui traverse la Bidassoa pour un euro quatre-vingts. Nous sommes quatre passagers. Le capitaine du petit bateau est de bonne humeur pour commencer son service. Il nous débarque en Espagne à Hondarribia, ville que j’ai déjà visitée il y a douze ans et qui pourrait s’appeler « Mieux ici qu’en face ».
Fontarabie (comme on dit en français) me plaît à nouveau. J’en suis la promenade de bord de l’eau côté bateaux de pêche (il en reste peu) puis monte dans la vieille ville dominée par l'église Notre-Dame-de-l'Assomption et le château de Charles Quint, celui-ci étant devenu un hôtel de luxe. C’est l’heure de la recréation pour les écoliers espagnols. Si l’on aperçoit un moutard dans la rue, c’est qu’il est français. Cela me permet d’éviter de loin mes compatriotes. Ce n’est pas toujours possible et alors il me faut entendre des choses comme : « Maman, tes varices, c’est à cause de l’accouchement ? ».
Je redescends vers le quartier des pêcheurs. En retrait de la mer, il est composé de petites rues bordées de maisons typiquement colorées où sèchent le linge. L’une expose six culottes blanches. C’est aussi le quartier des restaurants plus ou moins authentiques. Celui que je choisis est la Taberna Jatetxea « Hondar » dont le menu du jour est à quatorze euros tout compris même la taxe.
Au comptoir se trouvent des hommes du lieu. Ils boivent un verre de vin en grignotant des pintxos. Aux grandes tables en bois sont installés d’autres hommes dont certains à béret. Ils se contentent de boire en menant une conversation animée. Deux couples déjeunent tout comme moi. D’autres hommes encore prennent un verre de vin aux quelques tables de la terrasse et sont servis par une petite fenêtre qui s’ouvre en bout de comptoir. Je suis le seul Français, c’est rassurant. Qu’on y parle français aussi. Je sais donc ce que je vais manger : des haricots blancs avec une saucisse, des anchois d’Hondarribia façon traditionnelle, une pâtisserie locale à la crème, le tout avec une bouteille de vin blanc.
Le ciel est couvert quand je ressors. Quand la Marie-Louise arrive à quatorze heures quinze, elle est bondée. Le capitaine a maintenant un adjoint qui aide les familles à descendre. Nous ne sommes que des Français à faire la traversée vers Hendaye, ce qui n’est pas étonnant.
Un Huit Cent Seize à chauffeur peu aimable me reconduit à Saint-Jean-de-Luz.
                                                                 *
La compagnie Transports-Soixante-Quatre bénéficie d’une délégation de service public pour la ligne Huit Cent Seize. Elle travaille pour le Conseil Départemental.
                                                                 *
En fin d’après-midi, je passe à la réception de l’hôtel Ibis Budget de Ciboure afin de régler la fin de mon séjour. L’employé m’annonce que l’on m’offre les petits déjeuners à venir.
C’est ce qu’on appelle dans ce milieu un geste commercial. Minimal.
 

19 avril 2016


C’est un Huit Cent Seize qui me conduit ce lundi matin à Biarritz (Miarritze), précisément à Biarritz La Négresse, quartier où se trouve la gare, à trois kilomètres du bord de mer. La compagnie Transports-Soixante-Quatre n’a plus le droit de desservir le centre de la ville depuis quatre ans. « C’est politique. », m’a déclaré la guichetière comme si c’était une explication suffisante.
Cet arrêt, La Négresse, n’est même pas devant la gare mais sous une bretelle d’autoroute. Je trouve à proximité le bus Huit qui, moyennant un euro et une longue patience, m’emmène jusqu’à l’Hôtel de Ville. Son aimable conductrice m’indique de quel côté trouver la plage, déjà vue il y a douze ans.
Il fait gris. Je parcours la promenade du bord de mer entre le phare et le rocher bétonné de la Vierge, passant par le Grand Hôtel, le Casino, le vieux petit port et ses gargotes à touristes, tout ce que l’on trouve dans ce genre de ville où se côtoient de riches indigènes et des pauvres exogènes. Deux filles habillées pour l’été se font chouter par des garçons photographes. Un municipal utilise une bruyante souffleuse à feuilles pour envoyer le sable hors de la promenade. Le cousin de Sisyphe sur son tractopelle jaune en remonte des tonnes. L’église orthodoxe est fermée : il y a douze ans, je ne pus davantage y entrer car c’était un dimanche et s’y tenait une cérémonie fort fervente.
Pour déjeuner je comptais sur Chez de Bonnechose, avenue de Verdun, la maison tenue par Monsieur le Comte Hubert de Bonnechose et par Madame la Comtesse, qui y faisaient menu à onze euros en deux mille quatre. Hélas, cette véritable noblesse a rendu son tablier. Leur restaurant est remplacé par une modernité républicaine à prix peu démocratique, qui plus est fermée le lundi.
Je me rabats sur le bar brasserie pizzeria Arroka dont la terrasse offre une vue sur la mer à côté du Casino où j’aurais pu gagner jusqu’à un million d’euros si j’y étais entré. Pour treize euros cinquante, j’ai droit à la pizza Pronto avec ses trois olives, à une terrine banane chocolat, à un quart de vin rouge et à un café. En suppléments gratuits, je peux regarder le Biarrot et la Biarrote descendre à la plage ou en remonter et écouter la conversation de deux filles futiles, mes voisines. Elles parlent de la vie sentimentale de la pipeule Nabila (« C’est vrai que la célébrité, ça doit être tellement chiant. ») puis des séries qu’elles regardent en ce moment. L’une adore celle qui raconte la vie d’un homme qui a un cancer.
Le soleil est maintenant rayonnant, je pourrais refaire avec un ciel bleu les photos que j’ai faites avec un ciel gris, mais je préfère quitter Biarritz, ville pentue. Je retrouve donc le Huit. Conduit cette fois par un jeune homme à catogan, il me ramène près de la bretelle d’autoroute où je n’ai que vingt minutes à attendre le prochain Huit Cent Seize.
Peu avant l’heure indiquée du passage de ce car, une petite voiture se gare sous la bretelle. En sort une jeune fille à bagages et élégant manteau marron qui installe un pare-soleil sous son pare-brise puis me rejoint sous l’abri. Assise sur le banc, elle fouille à la fois dans son sac et dans son téléphone.
-Vous êtes stressée, lui fais-je remarquer.
-Oui, me dit-elle avec un sourire.
Elle m’explique qu’elle rejoint son ami à Madrid et pour cela elle doit prendre ce car  jusqu’à la gare d’Hendaye, puis le Topo jusqu’à la gare d’Irun, enfin le train pour Madrid. Pourquoi ne pas s’être rapprochée davantage de la frontière avec la voiture ? Elle ne connaît pas assez Hendaye et préfère donc la laisser ici bien garée dans un endroit gratuit.
Nous devisons ainsi jusqu’à ce qu'arrive avec un peu de retard notre car. Il me dépose à la halte routière de Saint-Jean-de-Luz. Nous nous disons au revoir à travers la vitre. Il y a un garçon à Madrid qui a bien de la chance.
                                                                           *
« Biarritz, lieu bien connu des lecteurs de Nabokov. En effet il a finement décrit cette station balnéaire où les Russes Blancs venaient séjourner avant 1917, et notamment la Grande Plage où, en 1909, il « se trouva, un jour, en train de creuser, côte à côte avec une petite fille française nommée Colette », son « premier amour ». Biarritz fut donc un lieu où l’écrivain a fait l’une de ses premières expériences sensorielles et émotionnelles intenses, et aussi une source de perceptions sensibles d’une grande richesse : rochers grimaçants, papillons colorés, son de la langue basque, brise qui sale les lèvres, pieds dans le « sable farineux », vagues turbulentes, odeur de pin de la cabine de bain, et goût de « la glace à la pistache d’un vert divin » en un tourbillon sensoriel qui sature la nouvelle « Premier Amour » (également le chapitre VII d’Autres Rivages). » (Extrait du texte de présentation de « Les sens font-ils sens ? » : les cinq sens dans l’œuvre de Nabokov, colloque international organisé par la Société Française Vladimir Nabokov à Biarritz du vingt-huit avril au premier mai deux mille seize.)
 

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