Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

24 février 2016


Le Pogge Florentin (dit aussi Le Pogge), de son vrai nom Gian Francesco Poggio Bracciolini, érudit, copiste, historiographe, moraliste et secrétaire du pape, est l’auteur de contes grivois (comme on dit) qu’Anatolia a publiés sous le titre Facéties. Il en explique l’origine dans sa conclusion :
Je ne veux pas finir sans dire un mot de l’endroit, de la scène en quelque sorte où la plupart de ces menus propos furent tenus. C’est notre Bugiale, véritable officine de mensonges, qui correspond à une tradition instituée jadis par les secrétaires du pape pour se distraire entre eux. (…) On n’épargnait personne : nous disions du mal de tout ce qui nous déplaisait, en commençait souvent par le souverain pontife lui-même ; aussi beaucoup de gens venaient-ils à nos réunions, de peur d’être les premiers raillés.
Je viens de lire ces Facéties avec grand plaisir. Certaines portent des titres qui sont déjà un ravissement, ainsi : D’un imbécile qui croyait que sa femme avait deux cons ou D’une jeune femme qui trouvait son mari petitement monté.
Dans cette dernière, comme le mari s’en défend, la jeune femme demande aux convives d’un banquet d’en juger :
Et aussitôt, sortant de dessous son pourpoint court, alors de mode, les pièces à conviction, il les étale sur la table et prie la société émerveillée de dire si vraiment elles étaient à dédaigner. Les femmes pensaient en elles-mêmes que leurs maris eussent dû en avoir de pareilles, et les maris, de leur côté, convenaient que le jeune homme possédait un outil de maître ; aussi tous furent-ils unanimes à taxer de sottise la jeune mariée. « Pourquoi me blâmer et vous moquer de moi ? riposta celle-ci. Notre âne, qui n’est pourtant qu’une bête, en a long comme cela (et elle étendait le bras), tandis que mon mari qui est un homme n’en a pas moitié autant. » La naïve enfant croyait qu’en cela l’homme devait être supérieur à la bête.
En voici quatre qui ont l’avantage d’être courtes et bonnes :
Les préférences d’un prédicateur
Un frère peu circonspect, prêchant un jour à Tivoli avec véhémence et indignation contre l’adultère, s’écria : « C’est un pêché si épouvantable, que j’aimerais mieux coucher avec dix pucelles qu’avec une femme mariée. » Beaucoup parmi ses auditeurs étaient de son avis.
Comment on enseigne la luxure
Un autre prédicateur que j’ai connu, un nommé Paolo, prêchant à Sezze, ville de Campanie, contre la luxure, se laissa aller à dire qu’il y a des gens si lascifs et si sensuels que pour se procurer une plus grande jouissance ils mettent un coussin sous les fesses de leur femme. Ceux de ses auditeurs qui ne connaissaient pas le procédé s’empressèrent naturellement de l’expérimenter.
Piquante réponse d’une femme
Une fois, un homme, causant avec une femme, lui demanda pourquoi, l’homme et la femme ayant égale jouissance à faire l’amour, ce sont plutôt les hommes qui sollicitent les femmes. Celle-ci lui répondit : « On a eu grandement raison de faire que ce soit plutôt les hommes qui recherchent les femmes. En effet, nous autres, nous sommes toujours prêtes et disposées à faire l’amour, mais vous, non ; nous perdrions notre temps à vous solliciter quand vous ne seriez pas en mesure. »
Plaisant propos d’une jeune femme en couches
Une jeune femme de Florence assez niaise, sur le point d’accoucher, souffrait depuis assez longtemps déjà de vives douleurs, et la sage-femme, une chandelle à la main, examinait la place pour voir si l’enfant n’allait pas bientôt sortir. « Regarder donc aussi de l’autre côté, lui dit l’innocente, car mon mari a quelquefois opéré par là. »
Le Pogge est mort à Florence en mil quatre cent cinquante-neuf à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Le grand âge le rendit nostalgique :
Aujourd’hui mes collègues sont morts, le Bugiale n’existe plus ; soit par la faute des hommes, soit par celle du temps, on a perdu l’habitude de rire et de converser.
Ainsi, à toutes les époques, certains se plaignent que soit perdue l’habitude de rire et de converser, alors qu’elle perdure ailleurs et sans eux, devenus vieux.
                                                        *
Que d’impiétés, que de saletés, que de fléaux dans les écrits du Pogge !
Le Pogge, un braillard si ignorant qu’il ne mériterait pas d’être lu, quand même on ne trouverait pas chez lui d’obscénités, et du reste si obscène que, fût-il très savant, il devrait être rejeté par les gens de bien… (Erasme)
 

23 février 2016


Où boire un café le dimanche après-midi à Rouen? Depuis quelques semaines, je retourne au Bar des Fleurs, brasserie fréquentée par la bourgeoisie qui s’ennuie en famille. Il a changé de main. Un patron d’un certain âge, sa femme et la mère de l’un des deux, forcément appelée « la mamie », s’y démènent de façon désordonnée aidés par une serveuse et un garçon qui prépare les boissons.
L’autre semaine, vers quinze heures trente, un groupe de quinze personnes se présente à la porte. Le patron les fait attendre dehors puis se précipite sur une grande table dressée pour un repas qui n’a pas eu lieu. Il en ramasse les couverts, choquant les verres tout en houspillant le garçon pour qu’il vienne l’aider « au lieu de ne rien foutre ». Quand ils ont terminé, le groupe a disparu. C’est au tour du patron de se faire houspiller par « la mamie » pour ne pas les avoir fait entrer.
Ce dimanche, quand j’arrive, un serveur pas encore vu à la carrure de vigile me refuse la table de quatre où je peux lire à peu près tranquillement sans être gêné par les familles ni trop dérangé par la mauvaise musique de la radio commerciale qu’on y écoute. Au prétexte que je suis seul.
Je le plante là, ne lui réponds pas quand il me rappelle et traverse le centre ville désert dont tous les cafés sont fermés jusqu’au quartier touristique du Vieux Marché. Là, je trouve refuge au Guillaume où l’on n’a pas la prétention de m’imposer l’endroit que je peux m’asseoir. Évidemment, on y entend aussi de la mauvaise musique déversée par une télé, ce travers des villes de province.
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Comment faire parler de soi quand on est un obscur sénateur ? Hervé Maurey, Centriste de Droite, par ailleurs Maire de Bernay (Eure), a trouvé en déposant un projet de loi visant à rendre obligatoire le port du casque à vélo. C’est pour le bien d’autrui.
Le député écologiste Denis Baupin lui a répondu par anticipation l’an dernier : « Pourquoi les automobilistes n’en ont pas ? Ils ont plus de traumatismes crâniens que les cyclistes. »
Viendra le jour où un politicien tentera de rendre obligatoire le port du gilet jaune à bandes réfléchissantes pour les piétons.
                                                           *
Désir mimétique : une monnaie locale « citoyenne et éthique » tente de s’implanter à Rouen. Elle a pour nom l’agnel, rapport au symbole de la ville : le mouton.
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Est-on plus seul quand on est « tout seul » que lorsqu’on est seulement « seul » ?
 

22 février 2016


C’est avec cinquante minutes de retard qu’arrive à Rouen le train de Paris ce samedi matin. Un « problème d’alimentation » en a différé le départ. Je suis d’autant plus impatient de retrouver celle qui en descend.
Après qu’elle m’a offert une cafetière d’anniversaire et quelques chocolats, nous poussons la porte de La Petite Auberge « plats traditionnels à l'ancienne et spécialités d'escargots dans le cadre typique d'une maison à colombages », rue Martainville, où j’ai réservé une table tranquille. Il n’est que midi mais c’est rapidement complet.
Nous connaissons le menu et avons vite fait de choisir : une douzaine d’escargots pour moi et pour elle une entrée dont je ne retiens pas le nom avec du saumon dedans, confit de canard au pommes rissolées pour nous deux, salade pour elle, fromage pour moi, enfin elle opte pour une crème brûlée et je choisis un dessert cauchois dont j’oublie aussi le nom. Une bouteille de bordeaux « réserve du Père Tranquille » ne nous est pas suffisante, nous en commandons un verre supplémentaire en fin de repas. Tout cela est bien à notre goût, servi avec discrétion et efficacité. Ce bon moment nous permet de parler de ce qui nous importe.
Nous sommes fort surpris à la sortie de constater qu’il est presque quinze heures.
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Hervé Morin, le centriste de droite désormais duc de Normandie, propose de reprendre à son compte la circulation des trains Paris Rouen Le Havre et Paris Caen Cherbourg et de faire arriver tout ça à l’heure en raccourcissant les temps de trajet, on va voir ce qu’on va voir.
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Trois jours de calme au jardin grâce à l’absence d’Aboyus, d’Abrutus et de leurs deux propriétaires. On pourrait se croire revenu au temps où la copropriété n’était habitée que par des résidents respectueux de la tranquillité du voisinage.
Las, ce bien-être a cessé samedi en fin d’après-midi.
 

20 février 2016


« Mon marché ? Il est en bas de chez moi », veut me convaincre par courrier personnel le responsable du nouveau Carrefour Express ouvert depuis ce mercredi, rue de la République, là où se tenait Bang & Olufsen. « Vous pourrez y faire vos courses « en voisin » et en toute facilité ». Il y a même une offre réservée à mon nom : quatre euros à créditer sur ma carte Carrefour dès quinze euros d’achats.
Ce vendredi après-midi, j’y mets le pied, en fais le tour et constate que les prix sont plus élevés que dans mon U Express de la place de l’Hôtel de Ville où j’ai pris mes aises pendant que mon Intermarché de la place Saint-Marc était fermé pour travaux suite à un incendie.
La rénovation de ce dernier, avec chamboulement des rayons et présence d’armoires réfrigérées dont il faut ouvrir les portes pour prendre un produit frais, m’a conduit depuis sa réouverture à le bouder.
Je pourrais aussi évoquer mon Simply Market de la rue de la Jeanne (là où se tenait autrefois la Camif) dans lequel je n’achète que fruits et légumes et mon Franprix de la rue Orbe où je n’achète que biscottes et papier toilette, j’ai une vie passionnante dans le domaine des courses quotidiennes.
« Votre Carrefour Express », « votre U Express », « votre Intermarché », etc. A force de lire sous la plume des publicitaires que ces supermarchés sont les miens, je vais un jour en réclamer les titres de propriété.
                                                                    *
Nouvelle mesure antiterroriste : des soldats lourdement armés tournent autour de l’église de Louviers On en trouve d’autres à Evreux et Vernon. C’est pour seulement quinze jours. L’Eure est un département rural qui craint l’attentat temporairement.
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Laurent le Fabuleux n’a pas le droit d’être à la fois Chef du Conseil Constitutionnel et Chef de la Cop Vingt et Un mais il sera encore une fois commissaire d’exposition pour l’opération touristique et commerciale Normandie Impressionniste dont le thème passe-partout, Le Portrait, permettra à toutes les institutions culturelles publiques (et aux faussement privées vivant de subventions) de bénéficier de la manne en montrant des têtes. Qu’importe si ces têtes n’ont rien à voir avec l’Impressionnisme.
« Tous Impressionnistes », c’est le mot d’ordre officiel.
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Bonne idée gouvernementale : pour lutter contre le chômage, faciliter les licenciements.
 

19 février 2016


La Maison Victor Hugo, aisément repérable grâce aux barrières de Vigipirate qui empêchent le stationnement devant, est située à l’un des angles de la place des Vosges. J’ouvre mon sac au vigile avant de le mettre au vestiaire. Muni de mon billet à sept euros, je monte l’escalier majestueux jusqu’au premier étage afin d’y voir, ce mercredi, l’exposition Eros Hugo, laquelle « comprend des images susceptibles de heurter la sensibilité d’un public non averti, en particulier mineur ». Cette formulation permet de tenir compte de la pudibonderie actuelle tout en autorisant l’entrée des moins de dix-huit ans. Il en est une dans la première salle qui s’attarde devant Esméralda, gravure anonyme montrant l’usage plaisant que cette héroïne de fiction fait de sa chèvre.
De nombreuses jeunes femmes nues sont accrochées aux murs des salles suivantes dont le parquet craque presque autant que celui de ma petite chambre. Elles sont dues au talent de Vivant Denon, Millet, Devéria, Richomme, Corot, Chassériau, Ingres, Guys, Rops, Böcklin et Hugo himself. Je découvre que Théophile Gautier savait peindre, dont est montré Une jeune femme nue – L’innocence (de façade).
Plus loin sont quelques statues de Rodin, parmi lesquelles Eve, et des dessins du même dont le titre dit tout, ainsi Femme allongée, aux jambes écartées, le vêtement relevé. En face, également signé Auguste Rodin, un plâtre de grande taille, étude pour le monument Hugo : Victor Hugo, assis nu. Lui aussi a les jambes écartées mais il lui manque un bras.
On trouve même là une reproduction du Rêve de la femme du pêcheur d’Hokusai. C’est que dans Les Travailleurs de la mer celui que Juliette Drouet appelait mon Toto évoque la même scène version masculine, laquelle est lisible sur le mur d’à côté (un homme y est bu par une créature marine fantastique).
-C’est juste un prétexte pour faire une exposition qui attire du monde, commente une jeune femme qui trouve cela un peu tiré par la queue.
C’est oublier que si l’œuvre littéraire de Victor Hugo n’est pas franchement marquée par l’érotisme sa vie sexuelle fut bien débridée (comme on dit). En témoigne la présence sous verre de l’un des carnets secrets et codés ultérieurement déchiffrés et publiés par Henri Guillemin. Ah, les secours de quelques francs que donnait le vieil Hugo à de jeunes pauvresses contre avantage en nature !
Rebroussant, je regarde mieux les photos frustrantes de Jules Vallou de Villeneuve et de Félix-Jacques-Antoine Moulin, les pornographiques Scènes d’atelier de Francesco Hayez dessinées au crayon sur papier vélin (il faut avoir de bons yeux) et le bronze anonyme Satyre aux trois femmes (toutes occupées à le sucer, il en a trois).
Je n’ai pas un goût effréné pour les intérieurs d’écrivains mais, étant sur place, je monte au deuxième étage où vécut Hugo, locataire de deux cent quatre-vingts mètres carrés entre mil huit cent trente-deux et quarante-huit. Balcon et couloirs ont disparu. Les pièces en enfilade sont occupées par un mobilier reconstitué retraçant les diverses périodes de la vie de l’écrivain dans ses habitations successives. Ainsi trouve-t-on ici le salon chinois de Juliette Drouet à Guernesey et tout au bout la dernière chambre de Toto avenue d’Eylau avec le lit à baldaquin étroit et court que l’on voit sur les murs dans plusieurs tableaux montrant l’écrivain mort, raison pour laquelle on y parle à voix basse.
 

18 février 2016


Brouillard et prés givrés, au chaud dans le train de huit heures douze pour Paris, je vois défiler la campagne normande ce mercredi. Un mendiant passe de voyageur en voyageuse et demande « juste trente centimes ». Un homme qui lit La Sonate à Kreutzer dans une édition du Livre de Poche du temps où les tranches étaient colorées est plus généreux que moi. Dans la capitale, le soleil est parfois voilé.
Je passe chez Book-Off, rue du Faubourg Saint-Antoine. On y diffuse les Beatles en concert, un cédé que j’ai déjà eu l’occasion d’écouter ici ou dans l’autre, Les morceaux sont tellement rodés qu’on ne sait qu’il s’agit d’un enregistrement public que par les hurlements des filles à la fin de chacun.
Je déjeune au Café des Phares, place de la Bastille. La formule plat du jour et café est à neuf euros. La banquette est creusée d’avoir supporté beaucoup de fesses et la saucisse de Toulouse a les lentilles un peu croquantes. Je la mange entre un homme qui sera au cimetière à quatre heures pour un hommage à un dominicain mort il y a un an (« un p’tit gros aux cheveux longs, dit-il à la jeune femme qui prend un café avec lui, la Mairie donne son nom à une maison relais, mais ils font ça à l’heure de la messe en sa mémoire, ces cons-là. ») et une femme qui attend sa sœur (« mets-toi là, lui dit-elle quand celle-ci un peu grosse et plus âgée arrive, tu auras davantage de place, et tes lunettes elles sont où ? dans ton sac ? mets-les ! »)
Avec un quart de côtes-du-rhône, cela fait seize euros. Sur son ticket de caisse, le Café des Phares se vante encore d’avoir été le premier café philo. De là, je gagne la place des Vosges afin de visiter l’exposition Eros Hugo puis, avec la ligne Huit du métro, je rejoins le deuxième Book-Off.
J’y croise le vieux bouquiniste que j’ai soupçonné un jour d’avoir le droit d’entrer avant les autres dans le premier. Ici, il n’a pas plus qu’autrui le droit de fouiller dans les livres non encore mis en rayon. Son panier est vide et il désespère. « C’est fini l’époque des bonnes affaires, me dit-il, maintenant il y a trop de concurrence et puis on ne leur vend plus autant de bons livres. Autrefois, j’achetais pour mille euros par mois. »
Après un passage Chez Léon, dont de hardis touristes anglophones goûtent la cuisine rustique en milieu d’après-midi, je vais attendre mon train et suis surpris de trouver dans la gare Saint-Lazare le Playboy Communiste, bien connu artiste de rue sans abri rouennais, comme toujours hirsute sous sa couverture.
C’était couru, me dis-je, à force de zoner dans la gare de Rouen il a fini par monter dans un train. Je me demande s’il bénéficiera ici de la même tolérance de la part de la Secenefe et surtout s’il saura rentrer.
Revenu à la maison, j’envoie un message à certains qui propagent ses gravages de portes et de palissades via Internet.
« Bonjour, j'ai vu cet après-midi Alain Rault errant dans la gare Saint-Lazare, je ne sais si c'est inquiétant ou pas. Comme vous le connaissez, je préfère vous en avertir. Cordialement. »
« Bonjour merci pour ce message mais il le fait régulièrement en effet. Il lui arrive de prendre un train et de faire son retour quelques jours plus tard. Cordialement. »
                                                                *
Tous ces cuisiniers des restaurants parisiens que je croyais pakistanais sont en fait sri lankais et précisément tamouls, ai-je appris d’un article de Street Press. Dans le métier, on les appelle les photocopieurs. Tu leur montres une fois comment on fait un plat traditionnel français et ils le refont à l’identique.
 

17 février 2016


Soixante-cinq ans ce mardi, un anniversaire que je fêterai samedi en compagnie de celle qui viendra de Paris, un pas de plus dans la vieillesse avec à chaque fois l’idée que ce pourrait être le dernier.
Ce seize février est aussi l’ultime jour des soldes d’hiver et encore une fois j’ai raté l’occasion de renouveler le contenu de ma penderie, pas eu envie de me heurter à la foule du début, trop de mauvais temps depuis dix jours, et ce mardi ensoleillé autre chose à faire. J’en connais une qui va me dire : « Je te l’avais bien dit. »
Au début de l’après-midi, je me poste dans l’île Lacroix et vois arriver à l’heure dite le camion jaune du démolisseur d’autos. Ma petite voiture est hissée sur la plate-forme. Je monte dans la cabine et en route pour Canteleu remplir les papiers.
Je rentre par le bus Teor avec au cœur la tristesse d’avoir abandonné cette voiture où pendant douze ans était assise quelqu’une à mon côté avec laquelle j’explorais les provinces et des petits bouts d’étranger. Celle qui viendra fêter mon changement d’âge samedi l’appelait Twinnie.
                                                                           *
Ce mardi matin, pendant que ma sœur, qui n’oublie jamais mon anniversaire, m’appelle pour me le souhaiter bon, les pompiers sont dans le jardin. La fenêtre réparée est à nouveau brisée par l’un d’eux chez la voisine de l’étage. Quand je demande ce qu’il en est à la propriétaire d’Aboyus (animal criard interdit par le règlement de copropriété), elle me tourne furieusement le dos en haussant les épaules et lâche un : « C’est la vie ».
Pas de doute, elle m’aime de plus en plus.
 

16 février 2016


Plusieurs mois que je me demande quoi faire de ma petite voiture en bout de course, plus de cent trente mille kilomètres et de nombreux problèmes : tout un côté rayé suite à un endormissement au volant, l’embrayage fatigué, un frein qui couine, les pneus usés et l’électronique de la clé qui va lâcher.
Impossible de la vendre dans cet état et ce n’est pas la peine de faire des réparations pas rentables. Impossible de la donner à une association (qui la remettrait à quelqu'un n’en ayant pas pour aller travailler) sans passer par le contrôle technique et rien ne dit que la clé ne lâcherait pas dès qu’offerte, pas terrible le cadeau.
M’a traversé l’idée de bricoler un faux accident afin d’en être remboursé par l’assurance, mais l’honnêteté a eu le dessus. Ne restait que la casse, solution que je repoussais de jour en jour.
Ce lundi matin, voulant la démarrer, je ne puis. La batterie est déchargée. J’appelle donc une casse auto agréée par la Préfecture où l’on me dit que celui qui pourrait se charger de venir la chercher n’est pas là : « Rappelez demain matin ».
Peu probable que j’en rachète une. Conduire ne m’a jamais passionné et j’en ai encore moins le goût depuis que l’on risque l’amende et le retrait de points de permis à chaque traversée de ville ou de village. Par ailleurs, pour diverses raisons, je n’en ai plus un besoin indispensable, notamment l’hiver, cette saison où je ne savais que faire de celle dont les jours sont comptés, m’obligeant à aller où je n’avais rien à faire uniquement pour qu’elle roule.
 

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