Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
26 mai 2015
C’est sans grand espoir que ce dimanche aux aurores je prends la route d’Andé où chaque Pentecôte se vident les greniers. Je me gare dans l’herbe haute avant le péage et rejoins le déballage par le sentier où je fus, certaines années, bien accompagné. Des bovins me regardent passer. J’atteins l’église autour de laquelle les exposants sont très peu nombreux à être installés. La plupart sont dans la file des voitures, attendant le feu vert des organisateurs. Du côté du château, ce sont des marchands professionnels qui occupent l’allée.
J’attends le temps qu’il faut pour que chacun ait déballé et ne trouve là rien pour moi. Je ne suis pas le seul déçu. Les visiteurs se plaignent du peu d’exposants, les exposants du faible nombre de visiteurs. « C’est la faute au parquigne à deux euros », se plaint l’un d’eux. Le temps n’est plus où le faux Nino Ferrer de l’animation répétait à l’envi : « La foire à tout d’Andé, souvent imitée, jamais égalée ». Je ne reviendrai pas ici.
Sur la route du retour, je fais le crochet par le vide grenier de Tourville-la-Rivière, bourg semi rural où prospère l’un des deux immenses centres commerciaux de l’agglomération rouennaise. On s’y gare gratuitement sur le parquigne de Carrefour. Le déballage est vaste et uniquement le fait de particuliers. L’ayant presque parcouru, je crains d’en repartir bredouille mais non, j’ai la chance de mettre la main sur un livre que j’avais bien envie de lire : Debout-payé de Gauz, ouvrage publié par Le Nouvel Attila, dans lequel l’auteur ivoirien narre son expérience de vigile.
J’en commence la lecture l’après-midi à la terrasse du Son du Cor. Ce début me place en terrain connu :
Le parvis de la mairie du XIe donne sur un rond-point où la circulation est distribuée entre l’avenue Parmentier, le boulevard Voltaire, la rue de la Roquette et l’avenue Ledru-Rollin. Le vélo d’Ossiri passe le feu rouge et se faufile pour rejoindre le Ledru-Rollin. Au croisement avec la rue du Faubourg Saint-Antoine, il y a le Monoprix. Tantie Odette y est chef de rayon depuis 2 ans. Elle y a d’abord été caissière pendant 28 ans.
En face de ce Monoprix, c’est Book-Off, où j’aurais aussi bien pu trouver pour le même prix (un euro) ce Debout-payé.
*
Cette année, mon passage dans les vide greniers ruraux s’apparente à une tournée d’adieu.
J’attends le temps qu’il faut pour que chacun ait déballé et ne trouve là rien pour moi. Je ne suis pas le seul déçu. Les visiteurs se plaignent du peu d’exposants, les exposants du faible nombre de visiteurs. « C’est la faute au parquigne à deux euros », se plaint l’un d’eux. Le temps n’est plus où le faux Nino Ferrer de l’animation répétait à l’envi : « La foire à tout d’Andé, souvent imitée, jamais égalée ». Je ne reviendrai pas ici.
Sur la route du retour, je fais le crochet par le vide grenier de Tourville-la-Rivière, bourg semi rural où prospère l’un des deux immenses centres commerciaux de l’agglomération rouennaise. On s’y gare gratuitement sur le parquigne de Carrefour. Le déballage est vaste et uniquement le fait de particuliers. L’ayant presque parcouru, je crains d’en repartir bredouille mais non, j’ai la chance de mettre la main sur un livre que j’avais bien envie de lire : Debout-payé de Gauz, ouvrage publié par Le Nouvel Attila, dans lequel l’auteur ivoirien narre son expérience de vigile.
J’en commence la lecture l’après-midi à la terrasse du Son du Cor. Ce début me place en terrain connu :
Le parvis de la mairie du XIe donne sur un rond-point où la circulation est distribuée entre l’avenue Parmentier, le boulevard Voltaire, la rue de la Roquette et l’avenue Ledru-Rollin. Le vélo d’Ossiri passe le feu rouge et se faufile pour rejoindre le Ledru-Rollin. Au croisement avec la rue du Faubourg Saint-Antoine, il y a le Monoprix. Tantie Odette y est chef de rayon depuis 2 ans. Elle y a d’abord été caissière pendant 28 ans.
En face de ce Monoprix, c’est Book-Off, où j’aurais aussi bien pu trouver pour le même prix (un euro) ce Debout-payé.
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Cette année, mon passage dans les vide greniers ruraux s’apparente à une tournée d’adieu.
25 mai 2015
Je suis dans la loge neuf de l’Opéra de Rouen, ce samedi soir, pour la soirée de présentation de la saison Quinze/Seize, en compagnie d’un couple à cheveux gris et de leur fille qu’ils ont eue tard. Celle-ci a choisi de s’asseoir le plus loin possible de moi. Je ne le regrette pas car elle est terriblement enrhumée.
Sur scène les musicien(ne)s ont pris place. Dirigés par Leo Hussain, ils jouent l’ouverture de Don Giovanni. Frédéric Roels, Directeur, apparaît, accompagné de Nicolas Meyer-Rossignol, Président. Celui-ci déclare qu’il va faire court. Il qualifie la saison à venir de prometteuse. Pas pour lui, me dis-je, il est assuré de perdre les élections régionales, les cinq départements de Normandie étant désormais à droite. L’an prochain, à sa place, ce sera Hervé Morin, l’ancien Ministre de la Défense de Sarkozy. Il promettra de faire court.
Frédéric Roels parle ensuite de questions « sociétales », d’attentats « pseudo islamistes » (ah bon !), des difficultés « du vivre ensemble » et autres clichés d’époque, tous problèmes auxquels il sera remédié grâce au nouveau programme de l’Opéra de Rouen.
Il égrène la liste des spectacles proposés. C’est long et ennuyeux, malgré les intermèdes musicaux et le recours à des subtilités techniques qui font apparaître en grand format l’image du maître des lieux sur l’écran de fond de scène ou le même en ombre chinoise dans un rond jaune rappelant la grosse boule installée au plafond pour améliorer le son de la Chapelle Corneille. Le cirque faisant une apparition dans le programme, peut-être pourrait-il l’an prochain s’essayer au trapèze ou s’accrocher au lustre.
A un moment, Michel Jules (Rouen Jazz Action) est appelé sur scène pour parler des trois concerts de jazz dont l’un de la chanteuse Dianne Reeves, l’équivalent actuel de Nina Simone et Ella Fitzgerald, nous dit-il. Dans ce cas, pourquoi son nom m’est-il inconnu ? me dis-je. Frédéric Roels indique qu’outre ces trois concerts de jazz estampillés Rouen Jazz Action, il y aura les vingt ans de Laurent Dehors avec Michel Portal. Michel Jules regarde le bout de ses doigts, ce jazz hexagonal n’est pas digne de son intérêt.
Du cirque, du jazz, du participatif, jamais encore je ne me suis autant posé la question du renouvellement ou non de mon abonnement, mais je sais que je vais continuer, ne serait-ce que par paresse. Il y aura quelques bonnes soirées, notamment celle où Alexandre Tharaud jouera les Variations Goldberg (si j’ai une place, il n’y en aura pas pour tout le monde).
Après avoir évoqué les futurs concerts de l’Opéra donnés à la Chapelle Corneille sans dire que les abonnés devront payer pour y avoir droit, Frédéric Roels invite au buffet. Depuis la fin de l’époque Langlois, la parole n’est pas donnée au public afin qu’il pose des questions. Le participatif, c’est réservé à certains spectacles où l’on ne me voit pas. L’an prochain, en plus du quiz et d’un opéra, une soirée « danse participative » sera offerte par Sylvain Groud.
La ruée sur le champagne et les petits fours est, elle aussi, sans surprise. « Il n’y a plus de sucré, se plaint une dame quand elle veut y goûter, j’aurais dû arrêter le salé plus tôt. » La majorité du public de l’Opéra de Rouen est à son image, préférant le sucré au salé, pour les spectacles comme pour les petits fours.
*
Quel bel exemple d’optimisme que d’annoncer les concerts d’ouverture de la Chapelle Corneille (six et sept janvier deux mille seize) là où ont eu lieu les concerts d’ouverture du Cent Six (salle de musiques zactuelles) pour cause de travaux non terminés à temps.
*
« Après vingt ans de fermeture, la Chapelle Corneille rouvre des portes bien huilées… » est-il écrit sur le livret programme. Vingt ans, c’est bien exagéré. Cela fait seize ans que je suis à Rouen et ce n’est qu’au bout de quelques années que je me suis abonné à l’Opéra de Rouen. Pourtant, j’ai assisté à des concerts de musique de chambre à la Chapelle Corneille, des concerts inclus dans l’abonnement.
Sur scène les musicien(ne)s ont pris place. Dirigés par Leo Hussain, ils jouent l’ouverture de Don Giovanni. Frédéric Roels, Directeur, apparaît, accompagné de Nicolas Meyer-Rossignol, Président. Celui-ci déclare qu’il va faire court. Il qualifie la saison à venir de prometteuse. Pas pour lui, me dis-je, il est assuré de perdre les élections régionales, les cinq départements de Normandie étant désormais à droite. L’an prochain, à sa place, ce sera Hervé Morin, l’ancien Ministre de la Défense de Sarkozy. Il promettra de faire court.
Frédéric Roels parle ensuite de questions « sociétales », d’attentats « pseudo islamistes » (ah bon !), des difficultés « du vivre ensemble » et autres clichés d’époque, tous problèmes auxquels il sera remédié grâce au nouveau programme de l’Opéra de Rouen.
Il égrène la liste des spectacles proposés. C’est long et ennuyeux, malgré les intermèdes musicaux et le recours à des subtilités techniques qui font apparaître en grand format l’image du maître des lieux sur l’écran de fond de scène ou le même en ombre chinoise dans un rond jaune rappelant la grosse boule installée au plafond pour améliorer le son de la Chapelle Corneille. Le cirque faisant une apparition dans le programme, peut-être pourrait-il l’an prochain s’essayer au trapèze ou s’accrocher au lustre.
A un moment, Michel Jules (Rouen Jazz Action) est appelé sur scène pour parler des trois concerts de jazz dont l’un de la chanteuse Dianne Reeves, l’équivalent actuel de Nina Simone et Ella Fitzgerald, nous dit-il. Dans ce cas, pourquoi son nom m’est-il inconnu ? me dis-je. Frédéric Roels indique qu’outre ces trois concerts de jazz estampillés Rouen Jazz Action, il y aura les vingt ans de Laurent Dehors avec Michel Portal. Michel Jules regarde le bout de ses doigts, ce jazz hexagonal n’est pas digne de son intérêt.
Du cirque, du jazz, du participatif, jamais encore je ne me suis autant posé la question du renouvellement ou non de mon abonnement, mais je sais que je vais continuer, ne serait-ce que par paresse. Il y aura quelques bonnes soirées, notamment celle où Alexandre Tharaud jouera les Variations Goldberg (si j’ai une place, il n’y en aura pas pour tout le monde).
Après avoir évoqué les futurs concerts de l’Opéra donnés à la Chapelle Corneille sans dire que les abonnés devront payer pour y avoir droit, Frédéric Roels invite au buffet. Depuis la fin de l’époque Langlois, la parole n’est pas donnée au public afin qu’il pose des questions. Le participatif, c’est réservé à certains spectacles où l’on ne me voit pas. L’an prochain, en plus du quiz et d’un opéra, une soirée « danse participative » sera offerte par Sylvain Groud.
La ruée sur le champagne et les petits fours est, elle aussi, sans surprise. « Il n’y a plus de sucré, se plaint une dame quand elle veut y goûter, j’aurais dû arrêter le salé plus tôt. » La majorité du public de l’Opéra de Rouen est à son image, préférant le sucré au salé, pour les spectacles comme pour les petits fours.
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Quel bel exemple d’optimisme que d’annoncer les concerts d’ouverture de la Chapelle Corneille (six et sept janvier deux mille seize) là où ont eu lieu les concerts d’ouverture du Cent Six (salle de musiques zactuelles) pour cause de travaux non terminés à temps.
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« Après vingt ans de fermeture, la Chapelle Corneille rouvre des portes bien huilées… » est-il écrit sur le livret programme. Vingt ans, c’est bien exagéré. Cela fait seize ans que je suis à Rouen et ce n’est qu’au bout de quelques années que je me suis abonné à l’Opéra de Rouen. Pourtant, j’ai assisté à des concerts de musique de chambre à la Chapelle Corneille, des concerts inclus dans l’abonnement.
23 mai 2015
Rien n’est donc perdu, me suis-je dit en recevant le carton d’invitation au vernissage de l’exposition Affiche & Alphabet de Jacques Villeglé, l’arrivée du Maire de Droite, François-Xavier Priollaud, n’a pas eu comme conséquence la fin des expositions intéressantes au Musée de Louviers dirigé par Michel Natier. Je le craignais, en raison de la précédente, consacrée à un artiste local du passé.
Avoir la possibilité de voir une nouvelle fois des œuvres de Villeglé, après celles vues au Centre Pompidou lors de l’exposition La Comédie urbaine en deux mille huit, ne se refuse pas. Ce vendredi après-midi, je prends donc la route de Louviers, faisant un crochet par la bouquinerie rurale Détéherre d’où je repars avec un sac de livres, dont le Guide du Routard deux mille cinq de la Franche-Comté (vingt centimes). Arrivé dans la ville natale, je me gare devant le salon de coiffure Une coupe d’en F’hair et me pose au soleil en terrasse à la Brasserie Juhl’s (anciennement Juhel). De là, je regarde tourner les bus autour de la place Thorel (des rouges, des bleus, des jaunes). La Caisse d’Epargne, maison bourgeoise en pierres et en briques rouges, est toujours là, où j’allais avec grand-mère Eugénie mettre l’argent de ma tirelire sur mon livret, il y a plus d’un demi-siècle.
J’entre tôt au Musée afin de visiter avant la foule et y trouve Jacques Villeglé, petit homme souriant à chapeau, entouré de journalistes à gros appareils photo. Il a quatre-vingt-dix ans. L’œil bleu est vif mais l’oreille faible.
Deux dames et moi visitons les trois salles de l’exposition. Nous sommes rejoints par un monsieur âgé.
-Quand même, il fallait l’avoir l’idée, nous déclare-t-il devant l’une des œuvres à base d’affiches.
C’est un cousin issu de germain de l’artiste.
-Sa mère est morte à cent ans, ajoute-t-il, alors il y a de l’espoir.
Deux autres femmes âgées, dont l’une à canne, arrivent :
-C’est un artiste qui fait surtout des collages, explique l’une à l’autre.
Elle apprendra bientôt que c’est un artiste qui fait surtout décollage.
Les premiers montrés datent de mil neuf cent cinquante-six (j’avais cinq ans et déjà une tirelire). Mes préférés datent de soixante-cinq, ce sont les plus abstraits : Rue Jacob, Boulevard de la Bastille, Rue Brisemiche. « L’affiche prend de l’intérêt lorsque son objet s’efface. »
Certaines des œuvres ici montrées viennent d’une galerie d’art, d’autres de collections particulières. Parmi ces dernières, je serais curieux de savoir à qui appartient Chartres-Fabius (mil neuf cent quatre-vingt-neuf).
Les arrachages d’affiches s’achèvent avec le siècle. Faute de munitions, Villeglé entre alors dans sa deuxième période, tout aussi intéressante, bien représentée dans cette exposition, celle des œuvres graphiques composées à l’aide de son « alphabet socio-politique » qui reprend les symboles monétaires, les sigles politiques ou les signes religieux. « Si les signes vous fâchent, quand vous fâcheront les choses. »
Les moins de vingt-cinq ans sont rares et venus avec leurs parents. Parmi les vernisseuses et les vernisseurs sont essentiellement des plus de soixante ans, dont plusieurs de la Gauche défaite, et sans doute d’autres de la Droite victorieuse mais je ne les connais pas. Ces élu(e)s ont toujours droit à leur catalogue gratuit, le personnel aussi. Certain(e)s le font signer à Villeglé. Près de moi, l’un retrouve l’une qui arrive :
-Vous venez voir l’expo, c’est spécial.
Et d’embrayer sur le marché de l’art : « Vous savez, quand y a une guerre ou une grande crise, tout ça, ça vaut plus rien. »
Monsieur le Maire, Priollaud, de Droite, retardé par une réunion, finit par arriver. Rien de commun avec l’ancien, le suffisant Martin (fils), de Gauche. Dans son discours, il ne parle pas de lui, ni de politique, ni de la ville, uniquement de l’œuvre de l’artiste. Je le soupçonne d’avoir écrit lui-même son texte. Il dit des choses intelligentes sur le travail de Villeglé. Philippe Piguet, critique d’art et commissaire de l’exposition, l’en félicite et lui dit qu’il pourrait exercer sa profession. Quand il a la parole Villeglé se contente de remercier. Infatigable, il sera à New York, vendredi prochain, pour le tournage d’un film au MoMA.
Le buffet est toujours à la hauteur de l’évènement. On y boit le champagne dans des verres et les petits fours sont copieux. Lorsque arrivent les sucrés, des mini pâtisseries crémeuses, certain(e)s se ruent :
-On reconnaît les vrais amateurs d’art, dit l’un qui était prof d’histoire au lycée lorsque j’y étais.
-J’y ai pas le droit, j’y ai pas le droit, claironne une dame tout en s’en goinfrant. Allez, encore un dernier et j’arrête.
C’est ce que je fais moi aussi. Sur la route du retour, à Amfreville-la-Mivoie, je remarque au mur d’un immeuble un panneau publicitaire comme on n’en fait plus, dont les affiches superposées sont artistiquement lacérées, un vrai Villeglé, plus qu’à le signer.
Avoir la possibilité de voir une nouvelle fois des œuvres de Villeglé, après celles vues au Centre Pompidou lors de l’exposition La Comédie urbaine en deux mille huit, ne se refuse pas. Ce vendredi après-midi, je prends donc la route de Louviers, faisant un crochet par la bouquinerie rurale Détéherre d’où je repars avec un sac de livres, dont le Guide du Routard deux mille cinq de la Franche-Comté (vingt centimes). Arrivé dans la ville natale, je me gare devant le salon de coiffure Une coupe d’en F’hair et me pose au soleil en terrasse à la Brasserie Juhl’s (anciennement Juhel). De là, je regarde tourner les bus autour de la place Thorel (des rouges, des bleus, des jaunes). La Caisse d’Epargne, maison bourgeoise en pierres et en briques rouges, est toujours là, où j’allais avec grand-mère Eugénie mettre l’argent de ma tirelire sur mon livret, il y a plus d’un demi-siècle.
J’entre tôt au Musée afin de visiter avant la foule et y trouve Jacques Villeglé, petit homme souriant à chapeau, entouré de journalistes à gros appareils photo. Il a quatre-vingt-dix ans. L’œil bleu est vif mais l’oreille faible.
Deux dames et moi visitons les trois salles de l’exposition. Nous sommes rejoints par un monsieur âgé.
-Quand même, il fallait l’avoir l’idée, nous déclare-t-il devant l’une des œuvres à base d’affiches.
C’est un cousin issu de germain de l’artiste.
-Sa mère est morte à cent ans, ajoute-t-il, alors il y a de l’espoir.
Deux autres femmes âgées, dont l’une à canne, arrivent :
-C’est un artiste qui fait surtout des collages, explique l’une à l’autre.
Elle apprendra bientôt que c’est un artiste qui fait surtout décollage.
Les premiers montrés datent de mil neuf cent cinquante-six (j’avais cinq ans et déjà une tirelire). Mes préférés datent de soixante-cinq, ce sont les plus abstraits : Rue Jacob, Boulevard de la Bastille, Rue Brisemiche. « L’affiche prend de l’intérêt lorsque son objet s’efface. »
Certaines des œuvres ici montrées viennent d’une galerie d’art, d’autres de collections particulières. Parmi ces dernières, je serais curieux de savoir à qui appartient Chartres-Fabius (mil neuf cent quatre-vingt-neuf).
Les arrachages d’affiches s’achèvent avec le siècle. Faute de munitions, Villeglé entre alors dans sa deuxième période, tout aussi intéressante, bien représentée dans cette exposition, celle des œuvres graphiques composées à l’aide de son « alphabet socio-politique » qui reprend les symboles monétaires, les sigles politiques ou les signes religieux. « Si les signes vous fâchent, quand vous fâcheront les choses. »
Les moins de vingt-cinq ans sont rares et venus avec leurs parents. Parmi les vernisseuses et les vernisseurs sont essentiellement des plus de soixante ans, dont plusieurs de la Gauche défaite, et sans doute d’autres de la Droite victorieuse mais je ne les connais pas. Ces élu(e)s ont toujours droit à leur catalogue gratuit, le personnel aussi. Certain(e)s le font signer à Villeglé. Près de moi, l’un retrouve l’une qui arrive :
-Vous venez voir l’expo, c’est spécial.
Et d’embrayer sur le marché de l’art : « Vous savez, quand y a une guerre ou une grande crise, tout ça, ça vaut plus rien. »
Monsieur le Maire, Priollaud, de Droite, retardé par une réunion, finit par arriver. Rien de commun avec l’ancien, le suffisant Martin (fils), de Gauche. Dans son discours, il ne parle pas de lui, ni de politique, ni de la ville, uniquement de l’œuvre de l’artiste. Je le soupçonne d’avoir écrit lui-même son texte. Il dit des choses intelligentes sur le travail de Villeglé. Philippe Piguet, critique d’art et commissaire de l’exposition, l’en félicite et lui dit qu’il pourrait exercer sa profession. Quand il a la parole Villeglé se contente de remercier. Infatigable, il sera à New York, vendredi prochain, pour le tournage d’un film au MoMA.
Le buffet est toujours à la hauteur de l’évènement. On y boit le champagne dans des verres et les petits fours sont copieux. Lorsque arrivent les sucrés, des mini pâtisseries crémeuses, certain(e)s se ruent :
-On reconnaît les vrais amateurs d’art, dit l’un qui était prof d’histoire au lycée lorsque j’y étais.
-J’y ai pas le droit, j’y ai pas le droit, claironne une dame tout en s’en goinfrant. Allez, encore un dernier et j’arrête.
C’est ce que je fais moi aussi. Sur la route du retour, à Amfreville-la-Mivoie, je remarque au mur d’un immeuble un panneau publicitaire comme on n’en fait plus, dont les affiches superposées sont artistiquement lacérées, un vrai Villeglé, plus qu’à le signer.
22 mai 2015
La porte de la Galerie du Pôle Image est ouverte avant l’heure officielle du vernissage de l’exposition London Chronicles de Stephen Gill, ce jeudi soir. Je peux donc découvrir tranquillement ce photographe anglais qui semble être deux, tant les séries de veine réaliste, montrant des pigeons sous des ponts de chemin de fer ou des pierres ayant été lancées sur des policiers ou des arrières de panneaux publicitaires, jurent avec d’autres, de veine fantastique qui sont le résultat de divers traficotages de la pellicule. Si les premières m’intéressent un peu, les autres non, qui me rappellent les fâcheux délires du psychédélisme. Finalement, la seule série qui me plaît est celle montrant des couples s’embrassant goulûment lors de leur mariage, mais elle n’est pas de Stephen Gill. C’est un choix fait par lui dans un lot de neuf mille négatifs qu’il a acheté via eBay.
Ce n’est pas la foule des grands jours (comme on dit). Une femme me demande si je suis le photographe et il me faut la décevoir.
*
Des livres de l’artiste sont montrés sous deux vitrines, qu’il publie lui-même. Dans le domaine de la littérature, cela s’appelle le compte d’auteur et est très mal vu.
*
Comme le foute, les séries se sont emparées en quelques années de la plupart des cerveaux. Ainsi dans Les nouveaux chemins de la connaissance de France Culture, Adèle Van Reeth s’interroge toute la semaine : « Les séries nous rendent-elles meilleurs ? ».
Risquer de devenu meilleur ? Une raison de plus pour ne pas les regarder.
*
Ce jeudi après-midi, alors que je suis installé en terrasse à L’Interlude, passe une ancienne voisine qui vient me dire bonjour et me demande ce que je lis.
-Matzneff, lui dis-je.
-Ah, Matzneff, il est un peu malsain, non ?
-Oui, j’aime bien les gens malsains.
-Alors je m’en vais, me dit-elle, mais elle reste. Elle me raconte ses sempiternelles difficultés pour louer son grand appartement, me demande des conseils, comme si en plus d’avoir de mauvaises lectures j’avais des compétences dans le domaine de l’immobilier.
Ce n’est pas la foule des grands jours (comme on dit). Une femme me demande si je suis le photographe et il me faut la décevoir.
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Des livres de l’artiste sont montrés sous deux vitrines, qu’il publie lui-même. Dans le domaine de la littérature, cela s’appelle le compte d’auteur et est très mal vu.
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Comme le foute, les séries se sont emparées en quelques années de la plupart des cerveaux. Ainsi dans Les nouveaux chemins de la connaissance de France Culture, Adèle Van Reeth s’interroge toute la semaine : « Les séries nous rendent-elles meilleurs ? ».
Risquer de devenu meilleur ? Une raison de plus pour ne pas les regarder.
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Ce jeudi après-midi, alors que je suis installé en terrasse à L’Interlude, passe une ancienne voisine qui vient me dire bonjour et me demande ce que je lis.
-Matzneff, lui dis-je.
-Ah, Matzneff, il est un peu malsain, non ?
-Oui, j’aime bien les gens malsains.
-Alors je m’en vais, me dit-elle, mais elle reste. Elle me raconte ses sempiternelles difficultés pour louer son grand appartement, me demande des conseils, comme si en plus d’avoir de mauvaises lectures j’avais des compétences dans le domaine de l’immobilier.
21 mai 2015
Remontant la rue de la Jeanne, ce mercredi matin, je croise l’un qui me salue mais, comme cela m’arrive souvent, je ne sais pas qui c’est, ou alors ne le reconnais pas. Arrivé à la gare, je trouve place dans le sept heures vingt-quatre pour Paris, un direct qui ne s’arrête donc pas à Val-de-Reuil dont je contemple au passage la gare dévastée. C’est comme si la guerre était arrivée là. Plus rien ne reste de l’étage. Surdimensionnée, elle était prévue pour une ville qui aurait dû avoir cent mille habitants en deux mille et qui n’en compte que treize mille (y compris les prisonniers). Elle va être retaillée, ne ressemblant plus que vaguement à l’endroit où j’allais chercher celle qui me tenait la main lorsque j’habitais là-bas.
Ce train trace sous un ciel partagé entre bleu et noir. Un double arc-en-ciel fait une apparition fugitive. Arrivé dans la capitale, je vais à la Bastille par un bus Vingt partiellement dévié et attends l’ouverture de Book-Off. Entre les deux entrées se trouve celle peinte en rouge de l’Hôtel des Alliés Je n’en vois sortir que des familles immigrées. « Visites interdites » est-il inscrit sur la porte.
Je trouve quelques livres à mettre dans mon sac et d’autres dont le titre m’amène à me gausser, comme ce Transsexuelle et convertie à l’islam. L’averse menaçant, je prends la Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin et y retrouve la demoiselle au violoncelle aussi grand qu’elle. Elle descend à l’Institut du Monde Arabe et moi à Cluny.
Sous le parapluie, je rejoins l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. La maison a changé de propriétaire et, c’est plus grave, de menu. Celui-ci est toujours à dix euros mais adieu salade de saumon, tartiflette et dame blanche. Je me rabats sur les moules, le burger et la mousse au chocolat.
Près de moi mangent deux femmes quinquagénaires dont l’une ne veut pas boire de vin car elle a ce soir sa réunion de copropriété. Elle est au chômage et cherche du travail dans les assurances mais elle en manque pour démarcher les employeurs. « Es-tu sur les réseaux sociaux ? », lui demande l’autre, « tu devrais car un ami d’ami sera peut être assureur, c’est comme ça que ça marche maintenant ». Il est ensuite question de la famille de la chômeuse :
-Mon frère, je peux trop rien lui dire vu que c’est lui qui s’est tapé les parents dans leur vieillesse.
Les moules décongelées sont cassées et minuscules, le burger insipide et la mousse au chocolat « maison » toute petite. Le nouveau patron de l’Hostellerie de l’Oie qui Fume (d’ailleurs rebaptisé Le Bistrot de la Harpe), où l’on n’entend plus de musique jazzy mais Radio Nostalgie, ne me demande pas si ça a été. Je ne lui dis pas au revoir.
L’averse a cessé. Je furète dans les bacs de Gibert Bleu, y trouve Notes d’un musicien en voyage de Jacques Offenbach (Editions Cartouche) et La Femme d’Isodoro Loi (Arléa), un recueil d’horreurs écrites sur les femmes au cours des siècles.
Dans l’après-midi, je passe par le deuxième Book Off puis vais lire Chez Léon où un sexagénaire explique qu’il va bientôt partir pour aller à la manifestation de soutien aux chrétiens d’Orient persécutés, c’est devant la maire du Seizième. Une femme quadragénaire en écoute une autre parler de sa récente perte d’emploi :
-Faut juste que je retrouve un boulot à l’aube de mes quarante-trois ans.
-Je préfère être virée maintenant que dans deux ou trois ans.
-Quand je pense que je me suis payé le Salon de l’Actionnariat !
Dans la voiture du train de dix-neuf heures trente pour Rouen où je suis assis, je vois arriver ma voisine de La Page Blanche qui ne me reconnaît pas et préfère aller s’asseoir à l’autre bout.
*
Nouveautés parisiennes : Le Bustronome (pour touristes mangeant en visitant, « une terrasse panoramique unique »), les Easybus (qui font la navette entre la capitale et l’aéroport) et les Easyjet-taxis.
Ce train trace sous un ciel partagé entre bleu et noir. Un double arc-en-ciel fait une apparition fugitive. Arrivé dans la capitale, je vais à la Bastille par un bus Vingt partiellement dévié et attends l’ouverture de Book-Off. Entre les deux entrées se trouve celle peinte en rouge de l’Hôtel des Alliés Je n’en vois sortir que des familles immigrées. « Visites interdites » est-il inscrit sur la porte.
Je trouve quelques livres à mettre dans mon sac et d’autres dont le titre m’amène à me gausser, comme ce Transsexuelle et convertie à l’islam. L’averse menaçant, je prends la Quatre-Vingt-Six qui mène au Quartier Latin et y retrouve la demoiselle au violoncelle aussi grand qu’elle. Elle descend à l’Institut du Monde Arabe et moi à Cluny.
Sous le parapluie, je rejoins l’Hostellerie de l’Oie qui Fume, rue de la Harpe. La maison a changé de propriétaire et, c’est plus grave, de menu. Celui-ci est toujours à dix euros mais adieu salade de saumon, tartiflette et dame blanche. Je me rabats sur les moules, le burger et la mousse au chocolat.
Près de moi mangent deux femmes quinquagénaires dont l’une ne veut pas boire de vin car elle a ce soir sa réunion de copropriété. Elle est au chômage et cherche du travail dans les assurances mais elle en manque pour démarcher les employeurs. « Es-tu sur les réseaux sociaux ? », lui demande l’autre, « tu devrais car un ami d’ami sera peut être assureur, c’est comme ça que ça marche maintenant ». Il est ensuite question de la famille de la chômeuse :
-Mon frère, je peux trop rien lui dire vu que c’est lui qui s’est tapé les parents dans leur vieillesse.
Les moules décongelées sont cassées et minuscules, le burger insipide et la mousse au chocolat « maison » toute petite. Le nouveau patron de l’Hostellerie de l’Oie qui Fume (d’ailleurs rebaptisé Le Bistrot de la Harpe), où l’on n’entend plus de musique jazzy mais Radio Nostalgie, ne me demande pas si ça a été. Je ne lui dis pas au revoir.
L’averse a cessé. Je furète dans les bacs de Gibert Bleu, y trouve Notes d’un musicien en voyage de Jacques Offenbach (Editions Cartouche) et La Femme d’Isodoro Loi (Arléa), un recueil d’horreurs écrites sur les femmes au cours des siècles.
Dans l’après-midi, je passe par le deuxième Book Off puis vais lire Chez Léon où un sexagénaire explique qu’il va bientôt partir pour aller à la manifestation de soutien aux chrétiens d’Orient persécutés, c’est devant la maire du Seizième. Une femme quadragénaire en écoute une autre parler de sa récente perte d’emploi :
-Faut juste que je retrouve un boulot à l’aube de mes quarante-trois ans.
-Je préfère être virée maintenant que dans deux ou trois ans.
-Quand je pense que je me suis payé le Salon de l’Actionnariat !
Dans la voiture du train de dix-neuf heures trente pour Rouen où je suis assis, je vois arriver ma voisine de La Page Blanche qui ne me reconnaît pas et préfère aller s’asseoir à l’autre bout.
*
Nouveautés parisiennes : Le Bustronome (pour touristes mangeant en visitant, « une terrasse panoramique unique »), les Easybus (qui font la navette entre la capitale et l’aéroport) et les Easyjet-taxis.
20 mai 2015
Simone de Beauvoir s’accommode bien de l’Occupation nazie, allant de cafés en concerts et toujours professeur de lycée, mais elle est inquiète pour Sartre, prisonnier en son stalag, dont elle ne reçoit pas de lettres pendant plusieurs mois, ce qui ne l’empêche pas de continuer à lui écrire régulièrement .
Echantillons :
Jeudi j’ai un peu fait travailler Mouloudji en géométrie. (lundi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante, le jeune Marcel Mouloudji dont je viens de lire Le petit invité (Balland) était alors en rupture de famille, recueilli par Jean-Louis Barrault et Robert Desnos puis par Marcel Duhamel)
Peut-être que d’ici un mois vous serez assis à côté de moi, sur une de ces banquettes, tout pareil à vous-même, svelte et plein d’expérience. Je me rappelle toujours cette terrasse du café « Victor » à Rouen où vous souhaitiez tant une expérience extra-sentimentale : comme une traversée du Sahara en autochenille. Voilà que vous l’avez très bien eue… (mardi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante)
… il y avait dans la salle Cocteau et Marais. Cocteau est marrant avec une sorte de coiffure en hauteur, sa figure de vieille femme. On rencontre mille visages de connaissance à ces concerts qui sont superbes. (lundi seize décembre mil neuf cent quarante)
Il m’a raconté aussi comme il avait couché avec Piquard (son ancienne élève, amie de Védrine et stagiaire chez moi) ; il l’a emmenée chez lui, l’a embrassée et elle lui a dit aussitôt : « Je vous aime » ; il a répondu à peu près : « Il n’y a pas de mal » et l’a renversée –après quoi il l’a crue enceinte mais il n’en était rien ; elle a menacé de faire de la complication sentimentale mais il a rompu presque aussitôt –il cherche la conversation érotique avec moi, tout comme le vieux proviseur, et il me débecte. (dimanche cinq janvier mil neuf cent quarante et un, à propos d’un M. Ponty)
… j’ai été retrouver Kos. et manger avec elle une omelette au « Milk Bar ». Elle était sombre ; elle pense que le seul moyen d’arriver, c’est de coucher avec un type et serait quasi disposée à le faire, mais personne ne lui propose. (vendredi vingt-quatre janvier mil neuf cent quarante et un)
Mon cher petit, vous avez dû voir que malgré tout j’étais moins peineuse ces temps-ci. (mardi vingt-huit janvier mil neuf cent quarante et un)
*
Je suis né à Paris, Hôtel-Dieu, rue d’Arcole,
Mon père était maçon, ma mère femme de ménage,
Mon frère était sauvage et mon oncle bizarre,
Et les autres parents soit drôles soit alcooliques,
Apatrides ou bretons ; et quant aux Arabiques,
Je ne les connus point, par hasard
Et trop tard pour me faire des racines. (Mouloudji)
*
Mouloudji, sa première rencontre avec Sartre :
Au cours Dullin je sympathisais avec quelques élèves, en particulier les sœurs Kosakévitch –Wanda et Olga dite « Olga blonde » –ainsi qu’avec Olga Kéchéliévitch, dite « Olga brune ». J’entretenais avec ces jeunes filles des rapports presque affectueux. Wanda étudiait la peinture. Elle m’entraînait parfois dans un atelier, non loin du Jardin des Plantes qui appartenait à Hélène de Beauvoir, dite Poupette, sœur de Simone, dite le Castor. (…)
Durant les conversations entre les deux sœurs Kosakévitch un nom revenait constamment, celui de Sartre. Elles ne disaient jamais Jean-Paul. (…)
La première fois que je le rencontrai, ce fut dans le petit hôtel où habitait Wanda, face à l’entrée des artistes du théâtre de l’Atelier. En bas, il y avait un bistrot fréquenté par des messieurs et dames de mauvaise réputation. J’étais mal à l’aise. Dans mon esprit conventionnel, un philosophe était un être barbu, planant au-dessus des contingences humaines, respirant la sagesse et le calme. En entrant dans la chambre, j’aperçus, assis sur le haut lit, jambes pendantes, un monsieur qui fumait la pipe et dont les pieds ne touchaient pas le plancher. Quel étonnement ! C’était le fameux Sartre !
Il se leva ou plutôt descendit du lit et je fus sidéré par sa taille exiguë. J’étais très gêné d’être plus grand que lui. On se serra la main.
La suite est à lire dans Le petit invité.
Echantillons :
Jeudi j’ai un peu fait travailler Mouloudji en géométrie. (lundi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante, le jeune Marcel Mouloudji dont je viens de lire Le petit invité (Balland) était alors en rupture de famille, recueilli par Jean-Louis Barrault et Robert Desnos puis par Marcel Duhamel)
Peut-être que d’ici un mois vous serez assis à côté de moi, sur une de ces banquettes, tout pareil à vous-même, svelte et plein d’expérience. Je me rappelle toujours cette terrasse du café « Victor » à Rouen où vous souhaitiez tant une expérience extra-sentimentale : comme une traversée du Sahara en autochenille. Voilà que vous l’avez très bien eue… (mardi vingt-neuf octobre mil neuf cent quarante)
… il y avait dans la salle Cocteau et Marais. Cocteau est marrant avec une sorte de coiffure en hauteur, sa figure de vieille femme. On rencontre mille visages de connaissance à ces concerts qui sont superbes. (lundi seize décembre mil neuf cent quarante)
Il m’a raconté aussi comme il avait couché avec Piquard (son ancienne élève, amie de Védrine et stagiaire chez moi) ; il l’a emmenée chez lui, l’a embrassée et elle lui a dit aussitôt : « Je vous aime » ; il a répondu à peu près : « Il n’y a pas de mal » et l’a renversée –après quoi il l’a crue enceinte mais il n’en était rien ; elle a menacé de faire de la complication sentimentale mais il a rompu presque aussitôt –il cherche la conversation érotique avec moi, tout comme le vieux proviseur, et il me débecte. (dimanche cinq janvier mil neuf cent quarante et un, à propos d’un M. Ponty)
… j’ai été retrouver Kos. et manger avec elle une omelette au « Milk Bar ». Elle était sombre ; elle pense que le seul moyen d’arriver, c’est de coucher avec un type et serait quasi disposée à le faire, mais personne ne lui propose. (vendredi vingt-quatre janvier mil neuf cent quarante et un)
Mon cher petit, vous avez dû voir que malgré tout j’étais moins peineuse ces temps-ci. (mardi vingt-huit janvier mil neuf cent quarante et un)
*
Je suis né à Paris, Hôtel-Dieu, rue d’Arcole,
Mon père était maçon, ma mère femme de ménage,
Mon frère était sauvage et mon oncle bizarre,
Et les autres parents soit drôles soit alcooliques,
Apatrides ou bretons ; et quant aux Arabiques,
Je ne les connus point, par hasard
Et trop tard pour me faire des racines. (Mouloudji)
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Mouloudji, sa première rencontre avec Sartre :
Au cours Dullin je sympathisais avec quelques élèves, en particulier les sœurs Kosakévitch –Wanda et Olga dite « Olga blonde » –ainsi qu’avec Olga Kéchéliévitch, dite « Olga brune ». J’entretenais avec ces jeunes filles des rapports presque affectueux. Wanda étudiait la peinture. Elle m’entraînait parfois dans un atelier, non loin du Jardin des Plantes qui appartenait à Hélène de Beauvoir, dite Poupette, sœur de Simone, dite le Castor. (…)
Durant les conversations entre les deux sœurs Kosakévitch un nom revenait constamment, celui de Sartre. Elles ne disaient jamais Jean-Paul. (…)
La première fois que je le rencontrai, ce fut dans le petit hôtel où habitait Wanda, face à l’entrée des artistes du théâtre de l’Atelier. En bas, il y avait un bistrot fréquenté par des messieurs et dames de mauvaise réputation. J’étais mal à l’aise. Dans mon esprit conventionnel, un philosophe était un être barbu, planant au-dessus des contingences humaines, respirant la sagesse et le calme. En entrant dans la chambre, j’aperçus, assis sur le haut lit, jambes pendantes, un monsieur qui fumait la pipe et dont les pieds ne touchaient pas le plancher. Quel étonnement ! C’était le fameux Sartre !
Il se leva ou plutôt descendit du lit et je fus sidéré par sa taille exiguë. J’étais très gêné d’être plus grand que lui. On se serra la main.
La suite est à lire dans Le petit invité.
19 mai 2015
Début mai, je passe au guichet de l’Opéra de Rouen afin de savoir où je serai assis pour le Lohengrin de Richard Wagner. Ma place me convient, au premier rang un peu décentré du côté pair de la corbeille, mais je ne peux obtenir le billet, il est trop tôt.
Ce dimanche après-midi j’arrive donc à l’Opéra sans billet en poche. « Vous êtes en corbeille », me dit la guichetière qui ne m’apprend rien. Peu avant qu’ouvre la salle, je me dirige côté pair, vérifie mon billet et découvre qu’il est côté impair. Ce n’est que la première surprise. Mon siège est au dernier rang de la corbeille, là où si l’on fait plus d’un mètre soixante-dix on ne peut caser ses genoux. Une seule explication : ma place côté pair a été donnée à quelqu’un d’autre et j’ai été recasé. Impossible de rester là pendant plus de quatre heures, j’envisage déjà de partir à la fin du premier acte, n’ayant vu et entendu qu’un tiers de Lohengrin.
Heureusement, à l’approche de la fermeture des portes un fauteuil reste libre au premier rang de cette corbeille. Je m’y installe. Arrive alors une jeune femme. C’est sa place mais fort obligeamment elle me la laisse, allant s’asseoir sur un strapontin.
Le rideau s’ouvre sur un décor d’amphithéâtre où sont installés les choristes. Cet amphithéâtre est cerné de murs de boîtes d’archives en désordre qui me font songer à une œuvre de Christian Boltanski. Le metteur en scène, Carlos Wagner (qui n’est pas de la famille), a placé l’histoire dans les années trente. Il souhaite mettre en garde contre le recours à l’homme providentiel. Son amphithéâtre se fend en deux, façon mer Rouge, pour laisser passer le chevalier blanc christique tiré par un cygne dépenaillé.
Rien à redire de cette coproduction Landestheater Coburg, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen. Mise en scène, chant (notamment le chœur accentus, Victor Antipenko dans le rôle de Lohengrin et Barbara Haveman dans celui d’Elsa von Brabant), interprétation musicale de l’Orchestre (dirigé par Rudolf Piehlmayer) et, bien sûr, la musique de Wagner, tout cela me convient et il aurait été dommage que je doive partir en cours pour cause de genoux cassés.
*
Quatre heures quinze de spectacle. Au deuxième entracte, je me dirige vers les toilettes. Côté impair, pour les hommes, on ne trouve qu’un seul vécé avec porte et trois urinoirs rapprochés dans lesquels pisser revient à le faire en public. J’y renonce.
Chez les femmes, le nombre de vécés est également très insuffisant comme le révèle l’interminable file d’attente. Cela alors que la salle n’est pas complète. J’espère que les artistes et les membres du personnel sont mieux traités que le public sous cet aspect.
Que sera-ce le jour où la Piccola Familia donnera en ces lieux, devant une salle comble, ses dix-huit heures d’Henry VI. Je conseille à Thomas Jolly de faire installer des toilettes de location sur le parvis.
*
Bientôt sera présenté le programme de la saison prochaine de l’Opéra de Rouen, mais déjà une mauvaise nouvelle : les concerts donnés dans la chapelle rénovée du lycée Corneille (musiques de chambre, vocale et ancienne) seront hors abonnement. Un rabais est offert aux abonné(e)s : douze euros cinquante au lieu de vingt-cinq. C’est gentil.
Ce dimanche après-midi j’arrive donc à l’Opéra sans billet en poche. « Vous êtes en corbeille », me dit la guichetière qui ne m’apprend rien. Peu avant qu’ouvre la salle, je me dirige côté pair, vérifie mon billet et découvre qu’il est côté impair. Ce n’est que la première surprise. Mon siège est au dernier rang de la corbeille, là où si l’on fait plus d’un mètre soixante-dix on ne peut caser ses genoux. Une seule explication : ma place côté pair a été donnée à quelqu’un d’autre et j’ai été recasé. Impossible de rester là pendant plus de quatre heures, j’envisage déjà de partir à la fin du premier acte, n’ayant vu et entendu qu’un tiers de Lohengrin.
Heureusement, à l’approche de la fermeture des portes un fauteuil reste libre au premier rang de cette corbeille. Je m’y installe. Arrive alors une jeune femme. C’est sa place mais fort obligeamment elle me la laisse, allant s’asseoir sur un strapontin.
Le rideau s’ouvre sur un décor d’amphithéâtre où sont installés les choristes. Cet amphithéâtre est cerné de murs de boîtes d’archives en désordre qui me font songer à une œuvre de Christian Boltanski. Le metteur en scène, Carlos Wagner (qui n’est pas de la famille), a placé l’histoire dans les années trente. Il souhaite mettre en garde contre le recours à l’homme providentiel. Son amphithéâtre se fend en deux, façon mer Rouge, pour laisser passer le chevalier blanc christique tiré par un cygne dépenaillé.
Rien à redire de cette coproduction Landestheater Coburg, Opéra de Rennes, Opéra de Rouen. Mise en scène, chant (notamment le chœur accentus, Victor Antipenko dans le rôle de Lohengrin et Barbara Haveman dans celui d’Elsa von Brabant), interprétation musicale de l’Orchestre (dirigé par Rudolf Piehlmayer) et, bien sûr, la musique de Wagner, tout cela me convient et il aurait été dommage que je doive partir en cours pour cause de genoux cassés.
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Quatre heures quinze de spectacle. Au deuxième entracte, je me dirige vers les toilettes. Côté impair, pour les hommes, on ne trouve qu’un seul vécé avec porte et trois urinoirs rapprochés dans lesquels pisser revient à le faire en public. J’y renonce.
Chez les femmes, le nombre de vécés est également très insuffisant comme le révèle l’interminable file d’attente. Cela alors que la salle n’est pas complète. J’espère que les artistes et les membres du personnel sont mieux traités que le public sous cet aspect.
Que sera-ce le jour où la Piccola Familia donnera en ces lieux, devant une salle comble, ses dix-huit heures d’Henry VI. Je conseille à Thomas Jolly de faire installer des toilettes de location sur le parvis.
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Bientôt sera présenté le programme de la saison prochaine de l’Opéra de Rouen, mais déjà une mauvaise nouvelle : les concerts donnés dans la chapelle rénovée du lycée Corneille (musiques de chambre, vocale et ancienne) seront hors abonnement. Un rabais est offert aux abonné(e)s : douze euros cinquante au lieu de vingt-cinq. C’est gentil.
18 mai 2015
Dix-huit heures ce samedi, entouré d’autres d’âges divers, je suis à ma place préférée au Théâtre des Deux Rives après avoir déboursé la modique somme de cinq euros. Au fond de la salle est installé un impressionnant matériel technique. C’est pour Nous autres d’après le roman d’Ievgueni Zamiatine que j’ai lu il y a bien longtemps dans la traduction publiée chez Gallimard, collection L’Imaginaire.
Ici, la traduction est d’Hélène Henry-Safier et l’adaptation et la mise en scène sont d’Ilya Shagalov, venu de Russie pour ce faire, un jeune homme, comme je le découvre quand il se présente devant la scène, né en mil neuf cent quatre-vingt-six à Krasnovar. Il est doublé en français par une jeune traductrice et tient surtout à préciser que ce que l’on va voir n’est que le résultat d’un laboratoire théâtral de douze jours.
Les comédien(ne)s sont sept, trois professionnel(le)s : Catherine Dewitt, Lisa Peyron et Pierre Delmotte, quatre apprenti(e)s du Conservatoire : Clémentine Marin, Harold Batola, Romain Collard et Victor Oligne. Ils nous narrent le monde parfait dans lequel ils doivent vivre, où avoir une âme est une maladie comme le constatera D-503 (joué par Pierre Delmotte) après avoir été débauché par I-330, jeune femme sensuelle, buveuse et fumeuse (jouée par Lisa Peyron, à qui ça va bien), celle-ci étant toujours en relation avec l’ancien monde par le biais de sa grand-mère, l’habitante de la vieille maison (Catherine Dewitt, pas très à l’aise).
L’image enregistrée ou filmée et travaillée en direct est souvent mise à contribution avec efficacité. Shagalov n’est pas seulement metteur en scène, il est aussi « designer de vidéo et vidéo jockey ».
Nous autres est la première dystopie. Ecrite en mil neuf cent vingt, elle préfigure ce que deviendra l’Union Soviétique et vaudra l’exil à son auteur. Le texte en est ici modernisé avec référence aux réseaux dits sociaux d’Internet. Je ne sais comment Ilya Shagalov qui ne connaît pas le français, s’y est pris pour se faire comprendre. J’aurais bien aimé être là pour voir ça.
C’est une belle réussite qui vaut son lot d’applaudissements aux comédien(ne)s, aux techniciens et au jeune Russe talentueux.
*
« L’oracle Zamiatine scrutant les brumes de l’Histoire de demain pousse un hurlement solitaire. Lui-même, en nos temps de surdité, condamné au silence et à l’exil, étouffé par l’angoisse, mourra à Paris en 1937 à l’âge de 53 ans. » (Yvon Hecht, cité dans le texte de présentation)
*
Le matin de ce samedi, encore des vide greniers : Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) et Oissel Les Landaus (Seine-Maritime), encore une fois : que dalle.
Ici, la traduction est d’Hélène Henry-Safier et l’adaptation et la mise en scène sont d’Ilya Shagalov, venu de Russie pour ce faire, un jeune homme, comme je le découvre quand il se présente devant la scène, né en mil neuf cent quatre-vingt-six à Krasnovar. Il est doublé en français par une jeune traductrice et tient surtout à préciser que ce que l’on va voir n’est que le résultat d’un laboratoire théâtral de douze jours.
Les comédien(ne)s sont sept, trois professionnel(le)s : Catherine Dewitt, Lisa Peyron et Pierre Delmotte, quatre apprenti(e)s du Conservatoire : Clémentine Marin, Harold Batola, Romain Collard et Victor Oligne. Ils nous narrent le monde parfait dans lequel ils doivent vivre, où avoir une âme est une maladie comme le constatera D-503 (joué par Pierre Delmotte) après avoir été débauché par I-330, jeune femme sensuelle, buveuse et fumeuse (jouée par Lisa Peyron, à qui ça va bien), celle-ci étant toujours en relation avec l’ancien monde par le biais de sa grand-mère, l’habitante de la vieille maison (Catherine Dewitt, pas très à l’aise).
L’image enregistrée ou filmée et travaillée en direct est souvent mise à contribution avec efficacité. Shagalov n’est pas seulement metteur en scène, il est aussi « designer de vidéo et vidéo jockey ».
Nous autres est la première dystopie. Ecrite en mil neuf cent vingt, elle préfigure ce que deviendra l’Union Soviétique et vaudra l’exil à son auteur. Le texte en est ici modernisé avec référence aux réseaux dits sociaux d’Internet. Je ne sais comment Ilya Shagalov qui ne connaît pas le français, s’y est pris pour se faire comprendre. J’aurais bien aimé être là pour voir ça.
C’est une belle réussite qui vaut son lot d’applaudissements aux comédien(ne)s, aux techniciens et au jeune Russe talentueux.
*
« L’oracle Zamiatine scrutant les brumes de l’Histoire de demain pousse un hurlement solitaire. Lui-même, en nos temps de surdité, condamné au silence et à l’exil, étouffé par l’angoisse, mourra à Paris en 1937 à l’âge de 53 ans. » (Yvon Hecht, cité dans le texte de présentation)
*
Le matin de ce samedi, encore des vide greniers : Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) et Oissel Les Landaus (Seine-Maritime), encore une fois : que dalle.
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