Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

28 avril 2015


La nuit du dimanche au lundi est calme intra-muros à Saint-Malo. Ni le bar de l’Hôtel Port-Malo, ni le Saint-Patrick ne me gênent. Au matin, je descends au moment où le patron installe ses tables et chaises. Il est taiseux, ce qui ne me dérange guère. Son petit-déjeuner à six euros cinquante est parfait : jus d’orange, pot de café, croissant, pain, beurre, confiture, Nutella, yaourt et salade de fruits.
La clé rendue, je me dirige un peu inquiet vers ma petite voiture qui depuis hier a de nouveau des faiblesses au démarrage. Elle y va du premier coup de clé. Je franchis la Rance sur le barrage, laisse Dinard et me gare à Saint-Lunaire, pays de Rohmer le temps du Conte d’été. Le soleil est estival mais un vent frisquet venu du large rappelle que ce n’est que le printemps. Pour au moins une nuit, je prends chambre à l’Hôtel Kan-avel, place de l’Eglise, ambiance marine, toilettes et douche comme dans un bateau et pas de télévision, ce qui devient malheureusement rare.
J’ai un peu de mal à faire redémarrer ma voiture pour aller à Saint-Briac et Lancieux où je ne m’arrête pas, préférant revenir me garer devant l’hôtel et aller explorer le bord de mer de Saint-Lunaire à pied. Je pousse jusqu’au bout de la pointe du Décollé puis reviens au centre du bourg pour déjeuner au restaurant La Résidence à l’aspect art déco d’où l’on a un aperçu de la mer.
Le service est avenant et le menu de mon choix à dix-sept euros : six huitres de Cancale, dos de lieu au beurre blanc citronné, tiramisu tradition, avec un cruchon de sauvignon en sus.
-Vous avez encore besoin du beurre ? me demande l’une des serveuses au dessert.
Comme ma vie serait palpitante si je répondais ce qui me passe par la tête, en rapport avec un film de Bertolucci, mais je lui dis simplement que non.
L’après-midi, à mi-distance de la pointe du Décollé, un chemin tracé dans l’herbe m’incite à le suivre. J’arrive au-dessus de la plage. Une chaine empêche d’y descendre. Un banc de pierre me permet de m’asseoir au soleil à l’abri du vent d’où j’ai belle vue, à gauche la pointe, à droite le Grand Hôtel, au loin Saint-Malo d’où part le navire vert tendre que je photographiais hier. Deux hommes arrivent qui ont eu la même idée que moi. L’un me demande si c’est privé ou public ici. « Je pense que c’est privé », lui dis-je. « Il y avait des dauphins dans la mer hier », me dit l’autre. Ils repartent et un peu plus tard arrive un jeune homme à tondeuse à gazon qui me dit aimablement que je n’ai pas le droit d’être ici.
Je m’excuse auprès de sa mère, restée plus haut.
-J’étais si bien sur ce banc, lui dis-je.
-On vous a dérangé alors ?
-Un peu oui, mais bon, vous êtes chez vous.
-On nous a volé la barrière, m’explique-t-elle.
                                                              *
Une fille à la plage, en maillot de bain, qui hésite à mettre le pied dans l’eau et que je photographie à la dérobée. Elle s’appelle vraiment Pauline, échappée d’un autre film.
                                                              *
Je suis un bourgeois à souliers percés, à veste usée, à voiture rayée et qui ne veut plus démarrer, me sentant bien mieux à Saint-Lunaire qu’à Saint-Malo, préférant boire un diabolo menthe à la terrasse de L’Amirauté qui jouxte la discothèque où l’on danse chez Rohmer plutôt qu’une bière dans un bouge malouin.
 

27 avril 2015


Dimanche, le jour préférable pour aller à Saint-Malo, je me gare pas loin des remparts et entre pédestrement, sous le parapluie, intra-muros (comme on dit ici). Le Bar de l’Univers, autrefois chanté par Bernard Lavilliers, me fait signe. J’y bois un café, seul dans la décoration surchargée, et étudie le Guide du Routard deux mille six qui vante des chambres par chères à l’Hôtel Port-Malo, rue Sainte-Barbe, dans une très belle demeure du dix-septième siècle.
C’est tout près. Elles ont pris dix euros en moins de dix ans. Je me présente à la jeune fille de l’accueil. Une chambre est libre dès maintenant au premier étage. Cela risque d’être un peu bruyant car le bar de l’hôtel est ouvert jusqu’à une heure du matin, me prévient-elle. Je prends quand même, rapport au temps maussade. Dans l’escalier abrupt stagne une odeur du temps où l’on pouvait fumer, à moins que ce soit celle des vieux loups de mer.
Quand la pluie cesse, je fais ce que tout le monde fait ici, le tour des remparts, regardant de haut et de loin les bateaux du port et la tombe de Châteaubriand sur son ilot. A midi, alors que la ville commence à être envahie par les familles, je trouve table en terrasse à la crêperie Margaux, place du Marché-aux Légumes, « car les galettes et les crêpes d’Emilie Gicquel, fines et croustillantes, sont dignes d’éloges » indique le Routard. J’opte pour la galette boudin noir snacké, pommes cuites, cannelle, mâche nantaise puis la crêpe caramel et beurre salé. « Tout se passe bien ? », ne cessent de me demander la crêpière et sa serveuse. Je ne sais pas ce qui pourrait se passer de travers. Avec le pichet de cinquante centilitres de cidre fermier, cela fait juste vingt euros et de quoi confirmer l’avis du Routard.
Je prends un café ailleurs puis fais le tour du port où sont de gros bateaux comme je les aime, ce qui me permet aussi de fuir la foule qu’attire le romantisme de la flibuste. Que de mal peignés à Saint-Malo, ville où les goélands sont apprivoisés et où certains patrons de bar semblent attendre d’être repérés pour faire figurants dans un film de pirates. Il règne ici l’ambiance fin de vacances, moutards à qui l’on rappelle que ce soir il faut se coucher tôt, demain y a d’l’école.
De retour à l’hôtel, je croise la jeune fille de l’accueil dans l’escalier. Elle me propose de changer de chambre pour une à l’étage du dessus, plus loin du bruit du bar. Je ne me fais pas prier. Cependant comme en face est le Saint-Patrick, irish pub renommé ouvert lui aussi jusqu’à une heure, je ne suis pas sûr de m’endormir très vite.
Le soir approchant, je fais le tour des remparts dans l’autre sens, considérant les belles maisons de pierre. Comme le dit une dame dont le patronyme doit être Michu : « On rêverait d’avoir ça. On s’en lasserait peut-être aussi. »
 

26 avril 2015


Etrange impression que celle de se coucher dans un lit de location où autrefois on ne fut pas seul, de quoi penser longuement à ce nous qui n’est plus et à ce moi qui parfois me désole. J’y dors bien cependant, parfois réveillé par les gouttes d’eau sur le Velux. Au matin, il ne pleut plus.
Pas de pévé pour absence de ticket de parquigne sur ma voiture, j’ai eu raison de faire confiance à ma logeuse : « Tous les ans, la Mairie embauche deux jeunes pour contrôler le stationnement et cette année je ne les ai pas encore vus. » Le temps est incertain quand je prends la route de Saint-Malo. Avant d’y être, je tourne à droite vers Rothéneuf, bourg résidentiel de sa banlieue. De là, je reviens vers Cancale en longeant la côte et m’arrête dans l’anse Du Guesclin au centre de laquelle émerge l’île du même nom dont je fais une photo. Dans la maison fortifiée de cet îlot a vécu Léo Ferré, alors homme à singe. L’histoire s’est mal terminée.
Un peu plus loin, je pousse jusqu’à la pointe du Grouin. Je fais le tour à pied sous quelques gouttes de ce très bel endroit breton. L’hôtel installé derrière le sémaphore promet des chambres avec vue sur mer et une avec aperçu sur la mer (cinq euros de moins).
Vers dix heures, je suis de retour à Cancale. Lorsque vient l’heure du déjeuner, j’hésite à céder aux attraits de la pancarte annonçant des fruits de mer à volonté pour vingt-neuf euros cinquante au restaurant Les Pieds dans l’eau situé dans le bout du pays. Cela sent le piège à touristes (comme on dit).
Je constate de visu qu’il n’en est rien et m’installe à une table de terrasse couverte avec vue imprenable sur la mer. Le choix est grand et de qualité. On trouve là tout ce qui constitue le plateau de fruits de mer, moins les algues et la couche de glace. Le personnel est fort aimable.
-Nous ne sommes pas encore tout à fait au point, me dit l’une des serveuses lorsque je lui indique qu’il manque la cuillère dans la mayonnaise, nous débutons cette formule.
« Cela ne fait que deux jours », ajoute-t-elle, attentive comme ses collègues à la satisfaction des client(e)s et encourageant chacun(e) à se servir et resservir copieusement. J’appelle ça le bel enthousiasme des débuts.
Lorsque je paie après le café bu, je me rends compte que je suis resté là deux heures. Rentré, j’ouvre la fenêtre. C’est marée haute. Le vin blanc bu m’a rendu un peu pompette. Le bruit des vagues me berce, Un vieux gréement manœuvre dans le port. Une drache soudaine fait courir les visiteurs vers leurs voitures, puis le soleil revient faisant jouer les couleurs sur la mer qui commence à descendre. Au loin, le Mont Saint-Michel fait office de balise.
                                                                          *
Maléfice de l’âge avancé : où que l’on soit, se demander si c’est la dernière fois que l’on y vient.
 

25 avril 2015


Ce vendredi matin, je pars en vacances énervé comme jamais, la faute à mes deux voisines à chien, dont l’animal (que j’ai renommé Abrutus en mettant un a devant son nom) a depuis quelque temps pris l’habitude de pisser sur ma porte donnant sur le jardin commun. Une fois, je me suis plaint à l’une sans obtenir autre chose que « Je vais nettoyer ». Hier après-midi, c’était à l’autre de me dire « Je vais nettoyer ». Je lui ai vivement dit que je ne voulais pas que ça se reproduise. Ce matin, la bestiole avait recommencé, évidemment seule dans le jardin. Après avoir frappé (à la porte, pas le chien) et crié à cette femme qui ne fait rien pour empêcher que ça arrive puisqu’elle le laisse divaguer dès son réveil que je préviendrai le syndic à mon retour, j’appose une affichette sur ma vitre : « Cette porte n’est pas un pissoir pour chien, prière de surveiller votre animal ».
Il me faut un certain temps pour me calmer. Ce n’est qu’après Caen, cet obstacle qu’il faut contourner pour aller en Bretagne, que je commence à me détendre. J’aperçois le Mont-Saint-Michel malgré le temps brumeux et prends la route indiquant Saint-Malo par la côte, songeant au temps où j’étais bien accompagné, encore plus en arrivant à Cancale où je trouve à me loger, grâce à un désistement, pour cinquante euros la nuit, dans un appartement avec vue sur le port autrefois partagé avec celle qui m’a téléphoné aux aurores.
-Vous venez pour la pétanque ? me demande la logeuse.
C’est qu’il y a ce ouiquennede tournoi de bord de mer avec neuf grands champions. Un terrain a été créé, des gradins et des chapiteaux installés, qui m’empêchent un peu de voir la mer lorsque je déjeune à L’Huîtrière, maison qui appartient aux Cahue père et fils, ostréiculteurs d’ici, d’un menu à quinze euros comprenant douze huîtres, des calamars poêlés au beurre persillé avec frites et un fromage blanc crème fouettée au caramel avec miettes de spéculoos, cela accompagné de verres de muscadet, le tout fort bon.
-Mi-juin pour la moule d’ici, répond le serveur au couple installé près de moi. En ce moment, c’est de la moule d’Angleterre.
-Elle est bonne quand même ?
-Bah oui, sinon on la proposerait pas.
Je fais un tour sur le port, passe près des vendeurs d’huîtres, grimpe sur le sentier côtier par lequel je rejoins la ville haute. J’y fais quelques achats puis redescends et m’installe au café du Port, traditionnel avec ouifi, où l’on se plaint du manque d’affluence ce vendredi, peut-être parce que la pluie était annoncée. Via le réseau social Effe Bé, Zoé me conseille d’aller au Pied d’cheval.
Ce que je fais, y dînant à une table rustique d’une délicieuse écuelle du père Dédé, mélange de coquillages tièdes à la sauce citron crémée, composé d’huîtres de la maison et de moules et d’amandes de je ne sais où, à douze euros cinquante, face à la mer, avec sous les yeux des palmiers et un bout du chapiteau où commencent à jouer les pétanqueurs. Ils sont tous champions du monde, semble-t-il. Les patrons du Pied d’cheval sont producteurs d’huîtres et de moules depuis quatre générations. Côté restauration, ils connaissent les techniques pour gonfler l’addition (vin au verre, frites en sus).
Le pied de cheval, me montre-t-on, est une huître sauvage énorme de vingt ans, grosse comme un stèque, qu’on ne pêche guère souvent (« Quand j’en ai, j’ai un habitué qui vient pour en manger une dizaine »).
                                                                           *
Sur la route, passé par un village nommé Moult, où il n’y en a pas plus qu’ailleurs.
 

24 avril 2015


Ce mercredi de très beau temps, après avoir attrapé quelques livres dans les rayonnages du Book-Off de la Bastille, je me dirige à pied vers le Père Lachaise, près duquel je suis invité à un déjeuner privé par l’une de mes connaissances et son amie.
Entre tarte salée et tarte sucrée confectionnées par l’hôte, l’hôtesse m’apprend qu’elle travaille actuellement sur les cicatrices et sollicite mon témoignage. Je lui raconte le fou rire douloureux qui suivit mon appendicectomie au temps de mes vingt ans, une hilarité due au blessé ivre arrivé dans le lit voisin du mien en pleine nuit et aux gendarmes venus l’interroger au matin. Il s’était battu lors d’un mariage avec un autre invité nommé Lemarié. Les militaires n’y comprenaient rien, n’ayant pas capté que Lemarié était un nom propre et non le héros de la fête. Je riais et souffrais, caché derrière le drap.
Il lui faut une photo de ma cicatrice, me dit-elle. Je ne suis pas chaud. On en reparlera à la fin du repas quand j’aurai bu un peu plus du vin blanc corse que j’ai acheté au passage, avenue Parmentier, chez un caviste nommé L’épicurien voyageur, élégant Chinois. Ce vin me déçoit. Peut-être en est-il de même pour mes hôtes mais ils ne le manifestent pas. De plus, ce breuvage n’est pas capable de me saouler suffisamment pour que j’accepte de montrer la trace laissée par le chirurgien. Avant mon départ, c’est le pan de ma chemise qui est photographié.
Je prends le café en terrasse au Moderne Café en l’entrée de la Cité Joly puis fais un tour à La Petite Rockette, sorte d’Emmaüs où tout a un prix sauf les livres pour lesquels on donne ce qu’on veut. Point de chaussures pour moi, mais je trouve un petit livre orange de Geneviève Bailly, publié par les éditions Freylin, Ravel à Lyons-la-Forêt qui me rappellera l’année que j’ai passée là-bas. J’en donne un euro (prix Book-Off). Cela semble peut-être beaucoup car la caissière me demande combien de monnaie elle doit me rendre.
                                                             *
Dans le bus Vingt qui me mène de l’Opéra Bastille à l’Opéra Garnier, un vieux monte sans composter, s’assoit, répand la moitié de la cendre de sa pipe en voulant la ranger.
La vieille d’en face :
-C’est pas une poubelle le bus, déjà que vous êtes monté sans ticket. Nous, on paye.
Il hausse les épaules, referme son sac, se lève et va biper son passe Navigo.
Cette vieille n’est plus là quand monte une bonne famille bourgeoise (grands-parents, mère, pré-branlotin à trottinette). Après avoir demandé au chauffeur si le bus s’arrête au pied des Grands Magasins, ils vont s’asseoir sans payer. Le chauffeur envoie le message enregistré qui rappelle que le compostage est obligatoire et menace d’un contrôle.
                                                             *
Nouveauté bouffonne, c’est le Train de l’Impressionnisme qui me reconduit en Normandie, locomotive et voitures décorées de jolis paysages « à la manière de », photo et biographie du Claude à l’intérieur.
Depuis quelques mois déjà, on ne s’arrêtait plus à Vernon, mais à Vernon Giverny.
                                                             *
Il est temps ce jeudi soir de faire mes bagages. Direction la Bretagne, où devraient arriver en même temps que moi averses et orages.
 

23 avril 2015


Dimanche, je commence la matinée par une marche arrière aventureuse devant une quinzaine de policiers qui ne sauraient me la reprocher. Ils bloquent l’autre partie de la voie avec leurs quatre voitures et sont occupés à arrêter des bandits. L’île Lacroix n’est pas si tranquille qu’on le croit.
Après avoir grimpé la colline qui domine Rouen, je me gare à Bonsecours où c’est vide grenier sur la place principale et derrière la basilique. Il est sept heures, il fait déjà beau, mais beaucoup d’emplacements ne sont pas encore occupés. Même les croissants chez le boulanger ne sont pas prêts, entends-je. Je fais le tour des installés sans voir le moindre livre, ni quoi que ce soit susceptible de m’intéresser.
Sans attendre les retardataires et omettant une fois encore d’aller saluer José-Maria de Heredia et ses filles au cimetière, je redescends à Rouen où pour la première fois un vide grenier est organisé rue du Gros. Pour une journée seulement, la marchandise clinquante des vitrines de la rue la plus fréquentée de la ville est concurrencée par la marchandise usée répandue sur le pavé. Je n’y trouve pas davantage mon bonheur.
A quoi sert de se lever matin, me dis-je un peu plus tard, replié au Clos Saint-Marc, lisant toujours les Lettres au Castor et à quelques autres de Jean-Paul Sartre.
                                                            *
Les paumés du petit matin aux terrasses des cafés du Clos Saint-Marc le dimanche. En voici qui sont sortis d’un lieu appelé L’Endroit. Ce pourquoi, ils ont la tête à l’envers et continuent à boire de la bière.
L’un, totalement éméché :
-Moi à dix-huit heures, faut que j’aille chercher mes enfants.
Un autre, draguant la seule femme du groupe :
-Par contre, y a un truc qu’on est davantage sûr que les Noirs avec leur gros sexe, c’est que les Chinois en ont une petite, c’est pourquoi les Chinoises aiment les Européens.
                                                           *
Gros titre à l’orthographe hardie en une de Paris Normandie ce lundi, à propos de Hollande : « Il ne veux rien lâcher ».
                                                           *
Bonjour, je viens d’acheter un livre qui s’appelle Les sortilèges du bondage japonais, c’est pour apprendre à attacher les filles, est-ce que tu serais volontaire ? Euh, non, peut-être pas. (dialogue fictif mais livre trouvé au Clos Saint-Marc ce mardi)
 

21 avril 2015


Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev réunis au Théâtre des Arts de leur époque pour évoquer Corneille ? Les temps ont changé (comme on dit) et, ce samedi après-midi, Pierre Bergounioux, Annie Ernaux, Pierre Michon, Christine Montalbetti et Jean-Philippe Toussaint, sont attendus au Théâtre des Arts (Opéra de Rouen) pour parler de Flaubert, à l’invitation de l’Université.
L’entrée est libre et gratuite mais le public intéressé semble mince. Assis sur l’un des bancs du parvis, j’attends la levée des grilles contre laquelle sont vautrés les zonards habituels. Un peu plus loin, la femme au caniche expérimente le ménage à trois, plus calme que sa vie de couple.
Quand la grille se lève, deux des zonards transportent un troisième, ivre mort, jusqu’à la pelouse. Il faut encore attendre l’ouverture des portes, ce qui fait râler les arrivant(e)s. Certaines sont à canne ou à béquille. Enfin, il est permis de s’installer au foyer où une table à micros attend les intervenant(e)s. Dans un coin, la librairie L’Armitière a dépêché son néo barbu pour vendre un choix étique de livres des invité(e)s. D’autres tables permettront à ces cinq auteur(e)s de dédicacer. Une caméra est en place pour filmer les échanges que l’on pourra revoir via Internet.
Que des écrivains actuellement parmi les plus importants de langue française (pour quatre d’entre eux) ne déplacent que quelques dizaines d’auditrices et d’auditeurs en dit long. Aucune de mes connaissances n’est là. Je partage ma table avec deux femmes non moins âgées que moi.
L’installation sonore mise en place par l’Opéra de Rouen dysfonctionne, ce qui complique le début de l’échange entre Pierre Bergounioux (pantalon et chemise rustiques) et son poseur de questions, l’attaché temporaire d'enseignement et de recherche au Collège de France Matthieu Vernet (cravate, élégantes lunettes, soupçon de barbe). Les questions sont floues et les réponses alambiquées, qu’on comprend mieux toutefois quand un technicien remplace enfin le micro défaillant. Le maigre public est invité à poser quelques questions. Le premier à demander le micro est un exalté qui annonce qu’on nous cache que Flaubert était franc-maçon, ce à quoi Bergounioux ne peut répondre.
Annie Ernaux fait suite, interrogée par Françoise Simonet-Tenant, universitaire spécialiste des journaux personnels, pour un dialogue plus concret que le précédent. « « J’ai lu tout Flaubert et sa correspondance. » avez-vous dit, pouvez-vous nous en dire plus sur cette conjonction de coordination ? » demande la questionneuse. Annie Ernaux confirme que pour elle la correspondance de Flaubert ne fait pas partie de son œuvre. C’est pourtant cette correspondance que je préfère, me dis-je, et je donnerais tous les romans pour une poignée de lettres de Gustave.
A la pause, je prends un café puis l’air sur la terrasse, assistant de là-haut à l’arrivée de Pierre Michon et de sa jolie fille Louise (« J'ai de la tendresse pour Louise, Louise Colet », nous dira-t-il plus tard). Le poseur de la question sur Flaubert franc-maçon distribue un flayeur vantant le livre à trente-cinq euros qu’il a écrit sur le sujet. Je demande à Matthieu Vernet ce qu’il en pense. « Cela me paraît bien fumeux », me répond-il.
Pierre Michon est interrogé par Matthieu Vernet. Les questions sont, cette fois encore, un peu obscures mais les réponses parfaitement claires et font montre d’un amusement critique envers l’auteur étudié et son style. Parmi les piques envoyées par Michon à Gustave, réputé pour s’épuiser tel un moine jusqu’à obtenir la phrase parfaite : « On peut faire des ratures toute la journée, ce n’est pas très fatigant. »
Je ne connais pas et ignorais même le nom de  Christine Montalbetti, questionnée par Christine Lecerf, que je connais, elle, par ses émissions de France Culture et son livre d’entretien avec Elfriede Jelinek. « Il semble qu’ici les femmes doivent interroger les femmes et les hommes interroger les hommes » remarque cette dernière en introduction. J’apprends que Christine Montalbetti aime les voyages. C’est une écrivaine de nouvelle génération, à résidences d’écriture à l’étranger et à ateliers d’écriture pour avoir un revenu.
Pour finir, Jean-Philippe Toussaint, de noir vêtu, est interrogé par Thierry Roger, maître de conférence à l’Université de Rouen, dont les questions sont si embrouillées qu’il me fait penser à Desproges interrogeant Sagan. Jean-Philippe Toussaint trouve pourtant des réponses limpides à lui faire.
Une séance de dédicaces suit pour laquelle je n’ai pas de livres à présenter, ayant offert mes nombreux Ernaux et revendu tous mes Michon, mes deux Toussaint et ma miette de Bergounioux.
Yvon Robert, Maire de Rouen, est arrivé. Un cocktail d’inauguration du parcours « Flaubert dans la ville » (uniquement sur invitation) doit suivre, déjà partiellement installé quand je quitte le lieu.
Imagine-t-on Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Edmond de Goncourt, George Sand et Yvan Tourgueniev boire un verre avec le Maire de Rouen d’alors ?
                                                               *
Opportunément, ce samedi, le site Des Lettres en publie une de Gustave Flaubert à Louis Bouilhet, écrite quand en compagnie de Maxime Du Camp il voyageait en Orient et que tous deux pratiquaient ce qu’aujourd’hui les bonnes consciences de toute obédience nomment pour le condamner le tourisme sexuel : Voyageant pour notre instruction et chargés d’une mission par le gouvernement, nous avons regardé comme de notre devoir de nous livrer à ce mode d’éjaculation.
À propos, écris donc cul avec un L et non cu. Ça m’a choqué. conclut Gustave.
                                                               *
Flaubert était un véritable ébéniste littéraire qui astiquait partout pour que ça brille. Résultat: médiocrité, ennui. Paul Léautaud (Entretiens avec Robert Mallet)
 

20 avril 2015


C’est la foule habituelle devant la porte de la Halle aux Toiles, ce vendredi matin, tout le monde attendant avec impatience dix heures pour se précipiter sur les livres d’occasion que vend le Secours Populaire rouennais au profit de ses bonnes œuvres. Je discute avec un malade de mon genre, forcément là lui aussi, comme d’autres de ma connaissance, et à l’heure dite c’est chacun pour soi.
Assez vite me parviennent les plaintes et déconvenues des concurrents, « pas grand-chose d’intéressant », « prix trop élevés ». Il n’empêche que leurs sacs se remplissent et le mien également. S’y trouvent notamment la belle édition André Dimanche de Seins de Ramón Gómez de la Serna et de quoi faire deux surprises.
                                                             *
Je me remets de l’effort en prenant un café verre d’eau au Son du Cor observant la mise en place d’une autre bouffonnerie culturelle d’avril, le parcours Flaubert qui passe par la rue Eau-de-Robec, une aubaine pour les artistes institutionnel(le)s. L’une, que je connais, grimpée sur un échafaudage, accroche des petits papiers dans les arbres fleuris autour du terrain de pétanque avec écrit dessus des citations de Gustave, je suppose.
                                                            *
France Culture n’est plus en grève. Le matin de ce vendredi, émission sur les séries ; l’après-midi, émission sur le foute. La Culture est bien à plaindre.
                                                            *
Pas étonnant que les poissons qu’on ramène du marché empestent : ils sont emballés dans le journal de la veille. William Humphrey à Nick Lyons, le vingt neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-un, in Loin du Texas, lettres choisies (Arcades Gallimard).
J’ignorais jusqu’au nom de cet écrivain américain dont j’ai lu au lit l’intéressante correspondance littéraire, des espoirs de sa jeunesse à l’alcoolisme de sa vieillesse.

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