Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 juin 2015


C’est lorsque qu’on veut aller d’un arrondissement du bord à un autre qu’on se rend compte qu’il manque des lignes de métro à Paris, me dis-je une nouvelle fois, ce samedi matin désireux d’aller du Dix-Huitième au Vingtième où c’est vide grenier à Saint-Blaise. J’y arrive quand même et découvre les nombreux exposants installés dans les rues du quartier, dont Vitruve où vécut Barbara au numéro cinquante, une plaque en témoigne, de mil neuf cent quarante-six à cinquante-neuf, dans un immeuble à l’aspect modeste dont je fais des photos.
C’est un cédé de Christophe, Paradis retrouvé, que je convoite. L’aimable vendeuse me le laisse à deux euros au lieu de trois. Nous échangeons nos souvenirs de concert dudit puis je continue ma tournée découvrant quelques livres à mon goût et discutant avec un homme qui en cherche sur son pays d’origine, l’Algérie. L’ambiance est détendue dans ce vaste vide grenier parisien sauf à sa fin où est déballé à même le sol ce que des migrants ont trouvé dans les poubelles. Une vendeuse chinoise est prête à se battre avec son client d’origine arabe.
J’en ai fait le tour quand je m’entends appeler. C’est l’homme aux livres d’Algérie qui me fait savoir que la paroisse d’à côté organise une vente de livres dans les sous-sols près de l’église. Nous y allons ensemble. Le premier livre sur lequel je tombe (comme on dit) en est un de Boualem Sansal que je lui donne, à son contentement. En revanche, je ne trouve rien pour moi et il le regrette.
Par un autre métro indirect et bondé je rejoins la rue Petit dans le Dix-Neuvième. Ce vide grenier est moins étendu qu’annoncé mais j’y trouve quand même de quoi me plaire auprès d’une association dont les vendeurs sont des enfants issus de la diversité (comme disent certains). Après avoir refusé les billets de tombola des pompiers, je déjeune en terrasse d’un couscous brochette et d’un quart de brouilly pour vingt-deux euros à la brasserie Le Gymnase au coin de la rue Laumière. Le gymnase pour les sportifs est de l’autre côté de l’avenue Jean-Jaurès, un beau bâtiment à verrière et à campanile.
Ensuite je fais l’erreur d’aller au vide grenier des Halles, déployé le long de l’église Saint-Séverin. On y vend plus cher qu’aux deux autres et souvent dans un esprit proche de celui qui règne au centre commercial, toujours en rénovation.
Je rentre dans mon appartement temporaire et m’y repose un peu avant de repartir à pied jusqu’à la courte rue Budin où les parents d’élèves de l’école du même nom organisent la braderie. On y trouve beaucoup de gâteaux et de quoi satisfaire plus d’un acheteur mais pas moi. J’aurais pourtant aimé trouver un bon livre parmi ceux que me vantait la jolie jeune fille aux traits asiatiques.
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Ici, quand on cherche son chemin, plutôt que demander le vide grenier, dire la braderie ou la brocante.
« Ah, tu fais la braderie ! » (deux nymphettes d’un même collège se croisant à celle de Saint-Blaise, chacune jaugeant l’habillement de sa semblable).
 

13 juin 2015


Beau temps lourd ce vendredi, dès que je suis lassé d’entendre le bruit de la roulette dans la dent creuse d’en face (deux ouvriers y forent avec de grosses fraises en prévision des fondations de l’immeuble qui va y pousser, un Blanc avec casque sur les oreilles, un Noir sans), je rejoins à pied la station Simplon et d’un coup de métro arrive à Saint-Michel où je fais le tour des librairies mais n’achetant rien car je me réserve pour les vide greniers du ouiquennede.
A midi, je déjeune en terrasse, rue de la Harpe, à la pizzeria Sarno d’une honnête pizza napolitaine accompagnée d’un quart de vin blanc, cela fait quinze euros, puis à pied je passe rive droite où je vais au gré de mon inspiration faisant une pause place des Vosges où beaucoup se prélassent sur les pelouses ou bien se prémunissent du soleil ardent sous les arbres.
Pas loin se trouve, rue Saint-Gilles, la Polka Galerie qui expose les photos de jeunes Italiennes en maillot de bain de Claude Nori. J’en fais le tour assez vite, les ayant pour partie déjà vues à la Maison Européenne de la Photographie et dans des livres que je possède. Un second local, sis dans une cour privée, montre des photos de Marc Riboud, certaines vues jadis dans Libération, les plus récentes ont pour sujet la Chine.
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Sirène hurlante, portière ouverte, pistolet mitrailleur dirigé vers la chaussée, passe la Police, boulevard Saint-Michel.
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Sur le banc, à côté de moi, au jardin de Cluny, une fille et un garçon entretiennent une conversation conflictuelle au sujet de leurs prochaines vacances en Irlande (peut-être les dernières).
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-Non mais, de toute façon, Aurélien, il est pas validé, c’est un bâtard. (Une fille énervée au téléphone)
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Le point commun entre le Seizième et le Dix-Huitième, c’est qu’on y trouve aux carrefours de beaux et jeunes pompiers tentant de vendre des billets de tombola « pour le bal ».
 

12 juin 2015


La nuit fut bonne et le beau temps étant assuré je décide d’aller ce jeudi à la découverte de la Fondation Louis Vuitton jouxtant le Jardin d’Acclimatation, l’entrée à la première donne droit au deuxième.
Pour m’en approcher, je passe par le seizième arrondissement où je me balade un moment y découvrant une piscine Henry de Montherlant. Place Victor-Hugo, je bois un café au Victor Hugo puis déjeune à onze heures moins le quart au Mac Do de l’avenue Victor-Hugo, y côtoyant des élèves de Janson de Sailly et le staff réuni pour une inspection par un supérieur bedonnant qui donne des conseils pour optimiser.
Pas facile de rejoindre la Fondation Louis Vuitton, où Bernard Arnault montre une parte de sa collection, car il faut trouver comment traverser le terriphérique. Après avoir frôlé une prostituée en camionnette et des branlotins jouant au foute enfermés dans de grosses boules en plastique je réussis à passer de l’autre côté et, suivant mon intuition, arrive au pied de l’époustouflant bâtiment à midi. Au bout de la file d’attente, une demoiselle distribue des parasols blancs pour s’abriter du chaud soleil. Je ne juge pas nécessaire de me ridiculiser.
L’attente est courte. Allégé de mon sac à dos je descends au niveau moins un où, dans les galeries un et deux, est montrée une exposition temporaire au titre passe-partout Les Clefs d’une passion (celle de collectionneur) qui donne à voir des chefs-d’œuvre de l’art moderne n’appartenant pas à Bernard Arnault dans de vastes salles blanches bien éclairées et climatisées : la première version du Cri de Munch, le Portrait de la danseuse Anita Berber d’Otto Dix, deux grands Nymphéas de Monet, L'homme qui marche de Giacometti, L’été un si grand Bonnard qu’il ne put entrer dans la demeure de son commanditaire et aussi Bacon, Brancusi, Delaunay, Malevitch, Mondrian, Rothko, une belle série de Picabia ; il n’y a que les Kandinsky qui ne soient pas des meilleurs. Ma découverte, ce sont les autoportraits de la Finlandaise Helene Schjerfbeck. Tout cela est surveillé par des gardiens habillés comme les musiciens de l’Opéra de Rouen : costume noir, chaussures noires, cravate rouge.
Je monte au premier pour redescendre par l’auditorium et atteindre le plan d’eau alimenté par une longue cascade venteuse d’où l’on a belle vue sous les jupes du bâtiment puis, au fil des autres galeries disséminées dans le bâtiment, découvre d’autres œuvres moult intéressantes dont l’immense triptyque de Gilbert & George Class War, Militant, Gateway, ou l’installation collée au plafond Speech bubbles (black) de Philippe Parreno
Arrivé sur les terrasses, j’y admire la charpente mi-bois mi-métal, la Défense d’un côté, la Tour Eiffel de l’autre, et croise une visite guidée. « Frank Gehry n’est pas vraiment un adepte de la ligne droite » croit bon de préciser la guide.
Il me reste à trouver les galeries cinq six et sept au premier étage, si bien cachées que je suis seul dans la sept consacrée aux autoportraits d’Andy Warhol dont il me semble être un intime depuis que je suis dans la lecture de son Journal. Le plus impressionnant est celui, spectral, réalisé en mil neuf cent quatre-vingt-six, un an avant sa mort. Après être passé chez Lavier, je retrouve Andy avec l’un des portraits sur commande peints à partir des photos faites avec son Polaroïd Big Shot et sa série des Dix portraits de juifs du vingtième siècle dont il est beaucoup question dans son Journal. Il est en bonne compagnie : celle de Basquiat dont est montré l’impressionnant Grillo.
Il est quinze heures quand je quitte la Fondation Louis Vuitton avec une dernière pensée pour celle qui s’y est épuisée avant l’ouverture et dont le rythme de travail est heureusement moindre en Chine. La sortie s’effectue par le Jardin d’Acclimatation où s’ébattent de nombreuses classes maternelles. Je regarde quelques bêtes, fais des photos de la Fondation puis rejoins Neuilly à pied d’où je rentre en métro.
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Une plaque à son nom en informe le visiteur. Marc-Antoine Jamet est président-directeur général du Jardin d’Acclimatation. Maire de Val-de-Reuil, il est le chaînon entre la Fabiusie et la Vuittonerie.
 

11 juin 2015


Ce lundi, sur France Culture, l’émission Un nouveau jour est possible commence fort opportunément une série sur la vie culturelle chinoise, le jour où celle à qui je pense s’envole pour Pékin afin de faire bénéficier les Chinois de ses lumières (au propre et au figuré).
Mardi soir (heure de Rouen), elle me téléphone pour me dire d’une voix d’antipode que tout va bien là-bas.
Mercredi matin, je pousse la porte de son appartement parisien et y retrouve ses deux petites bestioles dont je m’occuperai au mieux bien que la plus grosse me fasse peur. Mes bagages posés, je grimpe à Montmartre à pied et redescends de l’autre côté, passant devant le Théâtre de l’Atelier qui me fait songer à Sartre, à Simone et à leurs groupies élèves de Dullin.
En bas de la rue des Martyrs, je prends un café à La Fourmi (un lieu dans lequel je fus autrefois bien accompagné). Ma table en contrebas du trottoir me permet de profiter au mieux des belles jambes qui passent. Près de moi deux hommes dans le genre artiste parlent du « scandale avec Valls » qui a pris l’avion de la République pour aller voir un match de foute avec ses enfants à Berlin en faisant croire qu’il avait une réunion là-bas. Ils évoquent cela avec le mélange d’indignation et d’admiration qui caractérise bon nombre de citoyens d’aujourd’hui.
A midi, je déjeune à Pigalle au Bistrot du 9éme, place Gabriel Kaspereit, en terrasse et au soleil, face à l’avenue Frochot voie privée, d’une pizza quatre fromages accompagnée d’un verre de vin rouge (douze euros quatre-vingt-dix). Près de moi des filles dans le genre artiste cherchent des idées pour une photo. Elles sont remplacées par un mélange de garçons et de filles qui parlent d’une autre :
-Elle est jeune ?
-Oui, trente ans, mais elle est grosse.
-Tu peux pas dire de quelqu’un qu’elle est grosse.
-Moi je le dis, les gens disent aussi que je suis grosse et je l’assume. En mil neuf cent, j’aurais été un canon.
L’après-midi, je suis au Jeu de Paume où l’on entre sans la moindre attente pour les expositions Germaine Krull Un destin de photographe et Valérie Jouve Corps en résistance.
La première souffre de son époque, ses tirages sont de petit format, pas plus grands que la page d’un livre. Ces sujets sont les nus féminins parfois lesbiens, les monuments métalliques, les lieux industriels, des scènes de la vie quotidiennes, quelques portraits (Malraux, Cocteau). Elle eut une vie bien remplie : révolutionnaire bavaroise, prisonnière de la Loubianka, beaucoup d’amants, un mariage blanc avec Joris Ivens, résistante, convertie au bouddhisme, directrice d’un hôtel de luxe à Bangkok et ruinée.
La seconde, contemporaine, s’exprime en grand format et en couleur. Elle interroge « la capacité des corps à résister face à la normalisation sociale et urbaine », ne précisant volontairement pas la localisation de ses photos. J’aime particulièrement sa série de sorties de bureau sur fond neutre et celle montrant les occupants de voitures bloquées dans un embouteillage en pleine chaleur sous un pont que l’on devine être en Palestine.
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Pigalle, peu savent qu’il se prénommait Jean-Baptiste et qu’il était sculpteur. Son nom est définitivement associé au sexe marchand. Grâce à quoi il est non seulement sauvé de l’oubli mais connu dans le monde entier.
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Citation de circonstance :
Ceintures, porte-monnaies, foulards, sacs à main, sacs de voyage, etc. Les Chinois ont toujours au moins un accessoire Louis Vuitton. La révolution culturelle de Mao a trouvé son achèvement place Vendôme. (Gauz Debout-payé, l’auteur et l’éditeur Le Nouvel Attila ignorant que porte-monnaie est invariable)
 

10 juin 2015


C’est l’ultime série de pépites notées lors de ma lecture du volume deux des Lettres à Sartre (1940-1963) de Simone de Beauvoir publié chez Gallimard :
Dès la douane j’ai retrouvé l’atmosphère crasseusement paresseuse et louche des pays méditerranéens –les douaniers ricanaient et caressaient leurs fines moustaches noires sans toucher aux valises. (…) Trois escrocs, dont le titre officiel est d’être agents touristiques, se sont rués sur nous et l’un d’eux nous a accompagnés en taxi jusqu’à l’hôtel pour nous offrir des services d’un coût exorbitant. (jeudi vingt-sept mil neuf cent quarante-huit, à Mexico)
J’ai eu une grande lettre de V. Leduc, toujours dans le même ton ; elle est à Montjean près de La Pouèze, pas trop enchantée ; elle se félicite de n’être pas jalouse de toutes les femmes qui en ce moment m’admirent et m’adulent sur les plages américaines. Un ouvrier a voulu la violer au bord de la Loire, mais elle s’est sauvée. (vendredi quatre août mil neuf cent cinquante)
Il y a aussi aux environs une certaine Joyce, richissime et adulée par un ridicule petit mari, qui pleure et se raconte tout le jour parce qu’elle voulait tant être un grand écrivain et qu’elle a juste produit un livre illustré de quinze pages sur un chat… (mardi huit août mil neuf cent cinquante)
Je suis infiniment plus heureuse près de vous –et je ne sais pas dans quelle mesure ma présence a un sens pour Algren. De temps en temps cette absurdité devient un regret accablant. J’ai l’impression d’être attachée ici par de vieux désirs alors que la nouveauté et le romanesque et le bonheur de ma vie sont avec vous, mon petit compagnon de 20 ans. (même date)
Enfin elle n’a pas dormi de huit jours, elle s’est rendue malade en mangeant l’infâme tambouille mexicaine dans des bistros de dernier ordre, elle s’est tapée quarante heures de train, sans couchette, et elle s’est quand même amenée, fraîche comme la rose. (jeudi vingt-quatre août mil neuf cent cinquante, elle parle de Sorokine)
J’ai été étonnée à l’arrivée, on ne m’a posé à peu près aucune question ni sur mes idées politiques ou mes ressources financières ; on aurait cru entrer dans un pays libre. (en septembre mil neuf cent cinquante et un, aux Etats-Unis où elle retrouve Nelson Algren pour la dernière fois)
Au passage de la frontière le douanier a tiqué sur votre nom et il m’a regardée avec soupçon : « Jean-Paul Sartre. Et comme ça, il vous prête sa voiture ? » « Eh oui ! » j’ai dit. (un vendredi de juin mil neuf cent cinquante-trois, revenant de Suisse)
Séance sinistre au salon de Mai avec ma sœur et de Roulet. Il s’agissait de me prouver que les autres peintres de son âge sont aussi mauvais qu’elle – c’est presque vrai. Par-dessus le marché, j’ai rencontré Laure Garcin, qui a réussi à se rendre méconnaissable, mais sans profit. (un vendredi matin de fin mai mil neuf cent cinquante-quatre)
Nous sommes donc entrés en Espagne par Barcelone ; nous avons croisé devant le musée –plein de beaux primitifs catalans– Marguerite Duras et les V. qui se sont beaucoup retournés sur moi, mais on ne s’est pas salués. (un vendredi de juillet mil neuf cent cinquante-cinq)
Saviez-vous que Hemingway est antisémite d’une manière infecte ? Le soleil se lève aussi, amusant à lire à Pampelune, est de ce point de vue entres autres une saloperie. (vendredi vingt-deux juillet mil neuf cent cinquante-cinq)
 

9 juin 2015


Le beau temps aidant, je persiste à me lever très tôt afin de me rendre dans les vide greniers de l’Eure et de la Seine-Maritime.
Samedi, je suis à Val-de-Reuil où le vaste déballage est opérationnel dès six heures trente puis à Saint-Etienne-du-Rouvray où rien n’est prêt à sept heures trente. Leur point commun, c’est que je n’y trouve rien. A mon retour à Rouen, je dérange un couple enivré se tripotant sur le seuil de ma porte.
Dimanche, je suis à Léry où j’achète quelques livres que je revendrai pour me dédommager de mes frais d’essence du ouiquennede. Le prochain me consolera puisqu’il sera parisien, l’un des meilleurs de l’année question vide greniers.
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Le Métropole, la brasserie de Rouen où le café en terrasse est à un euro soixante-dix, peut-être en l’honneur de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui ont droit à une plaque rappelant qu’ils se donnaient rendez-vous ici. Les toilettes doivent être les mêmes, le robinet du minuscule lavabo encastré dans le mur a lavé des mains plus illustres que les miennes.
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Au Son du Cor, le café en terrasse est à un euro quarante et lorsque j’oublie le carnet et le stylo me servant à prendre des notes pendant ma réjouissante lecture du Journal d’Andy Warhol, on m’en offre du plus beau jaune siglés Ricard, Andy les aurait adorés.
                                                              *
Mediapart publie une enquête décrivant les ressorts de la Fabiusie, ce territoire recoupant la métropole de Rouen et l’excroissance de Val-de-Reuil. On y explique comment, dans le système mis en place par Laurent le Fabuleux, les élus sont les employés d’eux-mêmes.
Cet exercice de journalisme est une humiliation pour la presse locale.
 

8 juin 2015


Pour mon dernier concert de l’année à l’Opéra de Rouen, ce jeudi soir, je suis au premier balcon d’où j’ai vue plongeante sur le plateau où l’on attend beaucoup de monde à en juger par le nombre de pupitres.
Sous la baguette de Leo Hussain cela débute par Passacaille et fugue en do mineur de Leopold Stokowski d’après Johann Sebastian Bach, une réécriture qui me laisse froid, puis Jane Peters est le violon solo du Concerto « A la mémoire d’un ange » écrit par Alban Berg après le décès à dix-huit ans de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler, pendant lequel, plus qu’au violon, je porte attention à l’usage de l’énorme sourdine dans le jeu du tuba.
Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro quatre en mi mineur de Johannes Brahms, qui me confirme que j’aime peu Brahms.
Ces grosses machines orchestrales à nombreux cuivres, il y a toujours un moment où cela me fait penser à la fanfare.
                                                           *
Quatre-vingt-dix euros d’amende, un point de permis en moins, c'est ce qu’il m’en coûte d’avoir été au vernissage de l’exposition Jacques Villéglé, affiche et alphabet au Musée de Louviers le vingt-deux mai dernier, cela pour être entrer à Igoville à cinquante et un kilomètres heure (en fait, j’étais à soixante et un mais la Police offre dix kilomètres heure de rabais),
C’est payer cher ce petit kilomètre en trop (pour le même prix, j’aurais pu rouler jusqu’à soixante-neuf kilomètres heures, soixante-dix-neuf avec le rabais).
 

6 juin 2015


Mercredi, arrivé tôt à Paris et attendu à onze heures trente chez celle qui me prêtera son appartement du dix au dix-sept juin, je vais à pied vers l’Opéra Garnier pour être chez Book Off à l’ouverture. La rue est barrée vers la Madeleine et les lieux de pouvoir qui se cachent derrière, la faute au Roi d’Espagne et à sa femme en visite officielle. Une affiche manuscrite indique que les magasins sont ouverts et qu’il faut demander le passage aux policiers.
Je prends un café à La Clef des Champs, rue des Petits-Champs, y lis Le Parisien où sur deux pages il est question de la Lozère. L’ancien Maire de Marvejols, accusé d’avoir endetté sa ville, s’est pendu.
A dix heures, j’entre chez Book Off et en sors une heure plus tard avec quelques livres, prends le métro jusqu’à la Mairie du Dix-Huitième, achète une baguette aux céréales et arrive chez elle un peu en avance, annoncé par la clochette d’un rémouleur ambulant comme je n’en avais pas vu depuis le vingtième siècle.
Nous déjeunons d’un pain de thon aux petits légumes accompagné de bon vin rouge et devisons de nos vies respectives. Elle me donne quelques consignes pour mon futur séjour puis le travail l’appelle. Je la regarde filer sur son beau vélo noir et reprends le métro à Simplon. Je sors à Château d’Eau, un carrefour où presque tous les présent(e)s ont la peau noire. Beaucoup de jeunes hommes semblent surveiller je ne sais quoi. Des jeunes femmes sont également immobile ici ou là. « Défense de racoler devant la vitrine », est-il écrit sur une boutique.
Je descends à pied cette rue du Château d’Eau qui à un moment devient blanche et bourgeoise. Au numéro quatorze, je cherche la galerie éphémère Nordic Contemporary qui m’a été conseillée depuis Stockholm, trouve une porte cochère rouge. Une petite étiquette invite à sonner. Je monte au premier. La galerie est installée temporairement dans un appartement où m’accueille une jeune femme blonde qui s’ennuie avec son ordinateur mais ne parle pas un mot de français. Elle me remet un document en anglais, met en marche une vidéo montrant de dandinantes fesses féminines cachées par des collants. Je fais le tour des trois grandes pièces au parquet qui grince, chacune munie d’une cheminée surmontée d’un grand miroir, le genre d’endroit où je n’aimerais pas vivre. Les deux œuvres de l’artiste suédois, inspirées des dessins érotiques de Rodin, m’intéressent peu et le reste de l’exposition dénommée Too much of a good thing pas du tout.
Je ressors un peu énervé dans la chaleur de l’après-midi, rejoins la place de la République et m’offre une manifestation de mauvaise humeur jusqu’à la Bastille. Je bois un café au Café du Faubourg en feuilletant Libération qui vient une nouvelle fois de changer de formule. Que des articles de fond, l’actualité est maintenant traitée via Internet. « De l’air », demande la une consacrée à la pollution. J’ai l’impression que c’est aussi la nouvelle typographie du journal, aux lettres trop hautes et trop serrées, qui appelle à l’aide.
Je passe un bon moment au Book Off d’à côté et y retrouve mon calme puis je regagne les parages de la gare Saint-Lazare, en métro, de crainte d’être bloqué dans un bus par la monarchie espagnole.
« Notre périple touche à sa fin », annonce le contrôleur à l’arrivée du train à Rouen.
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Assis sur un banc du square Louvois, j’assiste à la restructuration du quadrilatère Richelieu et précisément, j’apprends comment on remplace une benne pleine de gravats par une benne vide :
J’arrive avec la benne vide sur le plateau du camion. Je soulève la benne pleine et la mets dans la benne vide. Je soulève les deux bennes et les pose au sol. Je recharge la benne pleine, laissant la vide au sol.
L’ouvrier est malin.
 

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