Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

26 mai 2016


Ce lundi matin, dans Le Temps des Librairies de France Culture, Christophe Ono-Dit-Biot reçoit Manuel Hirbec de la librairie La Buissonnière à Yvetot. Ce dernier évoque (très bien) le dernier livre d’Annie Ernaux Mémoire de fille et à l’issue indique que celle-ci sera présente dans la librairie de sa ville d’enfance et d’adolescence le lendemain à dix-sept heures.
Ce pourquoi mardi, à quatorze heure trois, je suis dans le train quittant Rouen pour Le Havre et en descends à la gare d'Yvetot. Huit cent six mètres me séparent de La Buissonnière. J’emprunte la rue de la République, la rue de la Victoire et arrive place Victor-Hugo. Je prends un café en terrasse du Six, le bar voisin de la belle librairie moderne qui fait face à l’église rose du vingtième siècle. C’est la première fois de ma vie que je suis à Yvetot, que je n’ai jamais fait que traverser pour aller au bord de mer. Je peux ainsi vérifier de visu que cette ville est aussi exaltante que Louviers, ma ville d’enfance et d’adolescence. Trois jeunes excités montent dans une voiture. « J’ai été une seule fois à Paris, dit l’un, et je recommencerai jamais. »
J’entre dans la librairie à seize heures et informe l’un des employés de la présence du livre de l’invitée dans mon sac à dos.
-Je l’ai acheté ailleurs, lui dis-je, omettant de préciser où, j’espère que ce n’est pas un problème ?
-Pas du tout.
Cinq minutes plus tard, arrive Annie Ernaux, polo noir, veste rouge, blue-jean et baskets blanches. Elle est venue avec sa voiture et a eu un peu de mal à trouver de l’essence à la sortie de Rouen.
-C’est vrai, lui dit une dame lectrice, si vous n’aviez pas du tout eu d’essence, vous n’auriez pas pu venir.
-Ah, mais non, j’aurais pris le train, répond-elle, montrant que le temps où revenir à Yvetot était pour elle impossible, puis difficile, est révolu.
Comme elle commence, à la demande des premières arrivées, à dédicacer des exemplaires de son livre, j’ose l’aborder avec le mien.
-J’ai lu votre livre, lui dis-je, et je l’ai beaucoup aimé. Je trouve que c’est votre meilleur.
Elle me remercie.
Des femmes évoquent avec elle sa vie à Yvetot, des gens qu’elle a connus.
-C’est incroyable comme elle accessible, s’étonne l’une déjà assise face aux deux fauteuils en rotin où sont posés des micros.
Je trouve place au deuxième rang. Il y a bientôt beaucoup de monde, surtout des femmes, surtout d’un âge certain, mais aussi des hommes, et quelques jeunes dans le fond. Devant moi est quelqu’un de ma connaissances, muni d’un appareil photo, à qui je demande de m’en envoyer. Annie Ernaux fait un essai de micro : « On croirait que je suis à la foire Saint-Luc, elle existe toujours ? « 
Manuel Hirbec n’a pas besoin de fiches pour évoquer Mémoire de fille qui, dit-il, a été pour lui un choc de lecture. Il en indique le succès : vingt mille exemplaires vendus par semaine, puis il interroge l’auteure sur le fond et la forme de son récit, sur l’histoire racontée des décennies plus tard de celle qu’elle était à dix-huit ans et dont elle parle à la troisième personne, « la fille de 58 » dont est narrée la première fois, violente, et ses suites, sur sa manière de le raconter, sur la construction du livre. Annie Ernaux sait aussi bien parler de son travail qu’écrire, C’est toujours passionnant de l’écouter.
A la fin de l’entretien, la parole est donnée aux présent(e)s. J’y vais de ma remarque anecdotique. Dans le livre, la ville où se passe l’évènement déterminant n’est nommée que par son initiale. Il s’agit de protéger l’anonymat des personnes, me dit-elle. Je m’en doutais bien mais c’est illusoire car il suffit de taper « Orne aérium » sur Gougueule pour savoir où cela a eu lieu. Elle en est surprise, bien que dans son livre elle raconte comment elle a fait des recherches sur Internet pour savoir ce que sont devenus celles et ceux qui étaient monitrices et moniteurs de colonie de vacances avec elle dans cet aérium.
D’autres, heureusement, posent des questions plus profondes. L’un des jeunes évoque Duras qui elle aussi mêlait dans ses livres le « je » et le « elle ».
-Ça n’a rien à voir, lui répond-elle un peu sèchement (manifestement Annie n’aime pas Marguerite).
Un homme âgé lui demande ce qu’il adviendra de ses manuscrits quand elle ne sera plus là. Elle répond que la plupart sont déjà à la Bibliothèque Nationale et que les autres suivront. Quant à son Journal il ne sera publié qu’après sa mort (m’étonnerait donc que je puisse le lire, vu la forme qu’elle a, elle ne mourra pas avant cent un ans).
Elle nous dit aussi qu’être lue lui permet d’affronter facilement la vieillesse et même lui enlève la peur de mourir. Un bouquet lui est offert par une employée de la Buissonnière cependant que nous applaudissons, puis celles et ceux qui n’ont pas encore eu droit à une dédicace font file tandis que je quitte la librairie.
La gare d’Yvetot est en travaux. Aucun panneau n’indique clairement de quel quai partent les trains, ce qui fait que j’en loupe un premier. J’aurais dû demander à Annie Ernaux de me ramener à Rouen. J’avais encore plein de questions à lui poser, notamment si elle est préparée à l’éventualité que celui dont elle parle l’apprenne et la contacte.
                                                                         *
« Pour Michel, avec beaucoup d’émotion pour ces mots que vous avez eus, Annie Ernaux, Yvetot le 24 mai 2016 » (mon exemplaire a singulièrement pris de la valeur).
 

25 mai 2016


Ce lundi matin, je me rends chez le syndic dans une agence immobilière du bord de Seine afin de signaler que j’ai à pâtir du non respect du règlement de la copropriété qui stipule que les animaux criards sont interdits.
Le jeune homme qui me reçoit prend bonne note et me dit qu’il va faire le nécessaire auprès des propriétaires.
-Et si une propriétaire continue à ne pas respecter le règlement ?
-Nous n’avons pas de pouvoir de Police, me répond-il. Ce sera à vous de saisir la Justice.
                                                          *
Ce mardi midi, un courrier de ma voisine étudiante qui ne m’a pas trouvé à la maison. Elle s’engage à faire le nécessaire pour que sa chienne me dérange le moins possible en attendant un déménagement prévu dans quelques mois.
                                                          *
Deux étudiantes en ayant terminé avec les partiels au Son du Cor la semaine derrière.
L’une : « Dire que c’est fini, qu’on ne posera plus nos petites fesses sur les bancs de la fac de Mont-Saint-Aignan. »
Au même endroit une tablée de lycéennes avec un lycéen qui aime les garçons.
L’une : « La vodka, je peux plus en boire depuis que je me suis murgé avec Arthur. Le lendemain, rien que l’odeur de la bouteille, ça m’a fait dégobiller »
Lui : « Dégobiller ! J’adore ! »
 

24 mai 2016


Les orages attendus ne sont pas au rendez-vous dans la nuit de samedi à dimanche, mais ce n’est pas calme pour autant car du bruit se fait régulièrement entendre côté jardin : éclats de voix, porte d’entrée qui claque. Et pas moyen d’aller dormir dans la petite chambre car côté rue c’est tapage nocturne au deuxième étage : musique à fond, hommes qui braient, femmes qui gloussent. Pas très reposé, je me lève néanmoins tôt.
Redoutant la pluie, j’attends le Teor Un de sept heures cinquante-deux afin d’aller au vide grenier de Mont-Saint-Aignan Village. Dans la rue ne passent que des alcoolisé(e)s : deux branlotins et une branlotine renversant volontairement un panneau Heudéheffe, un couple de jeunes zigzagant en tenue de soirée (lui : « C’est infernal de rentrer à c’te heure-là ! »,  elle : « Il fait tellement jour ! »).
A l’arrêt Théâtre des Arts monte Adji.
-Tu vas pouvoir me guider, me dit-il.
Nous descendons au terminus du Mont aux Malades. Tandis que nous cheminons à pied pendant un bon kilomètre, Adji me parle d’un Africain qui après des études techniques en Suisse a réussi à faire transporter une énorme fraiseuse jusqu'à son village natal pour faire ou refaire des soupapes de voitures. La machine était tellement disproportionnée avec sa maison que celle-ci fut bientôt fissurée, mais avec l’argent gagné il put en faire construire une autre, plus grande et plus adaptée.
Il ne pleut pas encore lorsque nous arrivons au but et nous séparons. Le mauvais temps prévu a découragé certains vendeurs mais pas les acheteurs, notamment ceux qui me font concurrence pour les livres et comme ceux-ci sont en nombre minime, après avoir fait deux fois le chemin jusqu’à l’impasse de la Mare, c’est encore une fois bredouille que je repars de ce vide grenier, plus qu’à marcher tout seul jusqu’au Mont aux Malades.
La pluie se met à tomber lorsque j’atteins l’abribus. Sept minutes plus tard, un Té Un me redescend à Rouen. Je trouve abri au café Le Clos Saint-Marc y lisant Les Cahiers noirs (Journal 1905-1922) de Marcel Sembat (Editions Viviane Hamy), ce livre que j’ai remporté de haute lutte à la vente de la bibliothèque de Sotteville. L’ouvrage se révèle être aussi décevant qu’il est épais, l’auteur y évoquant de façon décousue et trop succincte les évènements politiques de l’époque, ses tranquilles vacances pendant la guerre, son hypocondrie et ce qu’il appelle ses fausses couches (pollutions nocturnes).
                                                                     *
Ne voilà-t-il pas que mes voisins étudiants se sont à leur tour munis d’un chien. Un animal qui pousse des cris, à défaut de pouvoir déjà aboyer. Je peux en profiter au jardin comme les autres habitants du lieu mais aussi à travers la cloison de ma chambre.
La copropriété, qui n’a pas de nom, pourrait s’appeler Le Chenil.
 

23 mai 2016


-Vous allez me donner un programme, déclare péremptoirement une vieille bourgeoise à l’une des ouvreuses ce vendredi soir à l’Opéra de Rouen.
-Au deuxième balcon ils ne savent pas pourquoi ils viennent mais au moins ils sont aimables, commente après coup l’ouvreur qui opère avec elle.
Mon programme m’a été remis avec le sourire et un bisou par mon ancienne élève. Je suis en loge sept pour le retour du chœur accentus. Un homme et une femme m’y tiennent compagnie. Trois autres sièges restent libres. Pour une fois, ce n’est pas complet pour Laurence Equilbey.
Anton Bruckner est à l’honneur avec d’abord, préludé par trois trombones, divers Motets. Est ensuite donnée une œuvre contemporaine, Fragmenta passionis de Wolfgang Rihm. Elle déclenche un sonore « Bravo ! » chez la dame assise devant moi.
Par bonheur ce soir les toux sont rares mais comme on a eu la mauvaise idée de distribuer avec le livret programme les textes et leur traduction sur un papier annexe, il y a quand même des bruits parasites.
Ils se font encore entendre après l’entracte pendant la Messe numéro deux en mi mineur pour chœur et instruments à vent de Bruckner. Les trombonistes (trois), trompettistes (deux), cornistes (quatre), bassonistes (deux), clarinettistes (deux) et hautboïstes (deux) sont celles et ceux de la maison. Les choristes sont dans leur meilleure forme. Laurence Equilbey dirige tout ça avec le talent qu’on lui connaît.
C’est donc une bonne soirée mais je n’en profite pas autant que je l’aurais pu, ayant l’esprit occupé par une image vue à la télévision juste avant de quitter la maison.
 

21 mai 2016


L’association La Bibliothèque à l’Hôpital organise une vente de livres ce jeudi matin à neuf heures dans l’anneau central du Céhachu de Rouen, ai-je appris un peu par hasard. Ce pourquoi, un peu avant l’heure et sous la pluie, j’entre par la porte de la rue de Germont, emprunte le long couloir et, perdu, apprends d’une blouse blanche que je ne suis pas au bon étage.
Ce n’est jamais sans appréhension que je me trouve dans cet hôpital Charles-Nicolle, comme si je courrais un plus grand risque qu’ailleurs d’avoir un accident de santé dans cet endroit regorgeant de médecins.
Je suis le premier arrivé. D’aimables dames m’expliquent qu’elles ne sont pas prêtes, faute de tables. Celles-ci arrivent en même temps que d’autres acheteurs acharnés. Les livres y sont déposés, provenant de donateurs et tous en très bon état. Leur prix n’est pas discutable : un euro pour les grands formats, cinquante centimes pour les poches (trois pour un euro). Avec l’argent récolté seront achetés des livres neufs. Tout en profitant de l’aubaine, je trouve la démarche un peu étrange, pas très rentable.
Il n’y a pas que les habitués des ventes de livres parmi les acheteurs. Quelques infirmières sont là aussi et un médecin en tenue avec son masque chirurgical autour du cou pour qui je trouve un second Modiano. De mon côté, je suis surtout content d’avoir mis la main sur Alias Caracalla de Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, mais rentré à la maison, je déchante en découvrant que ces mémoires se présentent sous la forme d’un journal écrit au présent bien après les évènements racontés. Quelle que soit la qualité des souvenirs de l’auteur, cela ne me semble pas plausible. Je ne pourrai donc pas le lire.
                                                            *
Rue de la Champmeslé, ce même matin, une femme (d’origine) africaine au téléphone :
-Je ne sais pas pourquoi, hier, en passant devant Charles-Nicolle, je me dis il faut que je téléphone à Maria. Or, elle y était hospitalisée depuis l’autre mercredi. »
Un petit bonheur que d’entendre utiliser à l’oral la conjonction « or » que plus un blanc n’emploie.
                                                            *
L’après-midi, allant déposer un courrier à la Poste Principale de la rue de la Jeanne, je découvre l’état dans lequel certains des manifestants contre la Loi Travail passés par là encore une fois ont laissé cette banque des pauvres.
Les murs sont couverts de slogans peints en rouge et noir : « La fête est à peine commencée » « Le retour du gang des postiches » « Lacrymocratie » « La France, tu la bloques ou tu la niques » « Reprendre ce qu’on nous a volé » et un obscur « Gildas plutôt que Dieudonné ». Les deux distributeurs de billets sont défoncés et brûlés.
Les pauvres n’ont plus qu’à se rendre aux agences de la Gare et de la Champmeslé pour retirer quelque argent. Un peu de marche à pied ne leur fera pas de mal.
 

20 mai 2106


Avant de quitter la maison, ce mercredi, j’apprends que le train de sept heures vingt-huit est retenu en gare par des manifestants descendus sur les voies. Qu’en sera-t-il du huit heures douze ?
C’est jour de grève pour les cheminots. La Senecefe m’a informé par mail que mon train de retour sera supprimé, me conseillant de reporter mon voyage mais si je m’entête elle m’autorise à rentrer par n’importe lequel avec mon billet à dix euros. Cela m’arrange.
A la gare, une employée à gilet rouge me dit qu’il n’y a plus personne sur les voies. Le huit heures douze ne part qu’avec cinq minutes de retard. Juste après Oissel, les billets sont contrôlés, ce qui met à bas ma croyance que les jours de grève les contrôleurs ne passent pas.
Je rejoins Ledru-Rollin par les métros Trois et Huit. Le conducteur de ce dernier annonce que l’arrêt République ne sera pas effectué « sur ordre de la Préfecture de Police ». C’est qu’aujourd’hui, sur la place du même nom, ce sont les Policiers de Droite qui vont manifester « contre la haine anti flics ». « Mais si, les Français vous aiment ! » titre Le Parisien, sondage à l’appui, que je parcours au comptoir du Café du Faubourg.
Je bookoffie à mon habitude, passe au marché d’Aligre où le ciel menaçant a dissuadé certains de s’installer puis rejoins la rue de Charonne afin de déjeuneur Chez Céleste, petite créole (accras et boudins) suivi d’un bitoque (stèque surmonté d’un œuf au plat). Avec le quart de vin rouge du pays, cela fait toujours dix-huit euros cinquante.
Un bus Quatre-Vingt-Six m’emmène ensuite au Quartier Latin où je furète dans les bouquineries. A la Librairie de Cluny me fait signe l’ouvrage illustré que consacra Marie Dormoy à Paul Léautaud dans la Bibliothèque Idéale de Gallimard en mil neuf cent cinquante-huit. J’achète pour cinq euros ce livre tout jauni.
C’est la foule des grands soirs de bazar à la gare Saint-Lazare. Dès qu’un des rares trains en circulation est affiché, il est pris d’assaut. Certains anticipent pour être sûrs de voyager assis en montant dans le train qu’ils estiment aller là où ils veulent avant que celui-ci ne soit affiché. Je suis de ces intrépides et me fais avoir car ce n’est pas dans le dix-sept heures cinquante pour Rouen que je me suis installé.
En conséquence, ayant rejoint le bon train, je dois m’y asseoir en haut des marches avec pour dossier du métal dur. J’ai une petite vitre à ma gauche et vois ainsi défiler le paysage, constatant qu’à l’arrivée j’aurai besoin du parapluie. Beaucoup sont encore moins bien lotis. Épuisés par une journée de travail, ils doivent voyager debout pendant une heure et quart. Personne ne se plaint. Léautaud est là pour me tenir compagnie.
                                                                *
A la Clef des Champs, où je bois un café, un sexagénaire demande à un autre s’il repart bientôt en voyage. « Hélas non, là on va entrer dans une mauvaise période d’engagements sociaux et familiaux, inviter des gens, recevoir les enfants. »
 

19 mai 2016


Sue le conseil d’une guichetière, j’ai place ce mardi soir au premier balcon de l’Opéra de Rouen. Alonzo King LINES Ballet, venu de San Francisco, y donne Shostakovich et Biophony. La première chorégraphie est augmentée de la musique jouée en direct par un quatuor de musicien(ne)s de la maison. D’où je suis perché, je les vois dans la fosse, ou plutôt les devine car elle et eux sont dans la pénombre. Sue scène, la douzaine de danseuses et de danseurs, longilignes, bougent idéalement. Les duos surtout sont remarquables.
La seconde chorégraphie a pour bande soin un montage réalisé à partir de cris d’animaux et de sons de la nature. La facilité d’une danse animalière est évitée, mais parfois frôlée. Là aussi, c’est techniquement parfait.
Cette perfection est pour moi le point faible de cette troupe américaine, beaucoup applaudie à l’issue.
                                                                      *
En début d’après-midi, alors que j’attends le feu vert pour traverser la rue Grand-Pont, une voiture sort à très grande vitesse du tunnel Saint-Herblain. Le franchissement de la voie des bus Téor la fait décoller. Elle retombe brutalement sur ses roues. Le bas de caisse touche le bitume en une gerbe d’étincelles. Le conducteur parvient à maîtriser son véhicule. Il s’arrête au feu suivant près d’une voiture dont les occupants l’ont échappé belle (comme on dit). Il déclenche ses feux de détresse. Je traverse et ignore la suite.
                                                                     *
La dernière fois que j’avais vu une voiture décoller, j’étais au lycée à Louviers. Mon meilleur copain m’avait entraîné à un spectacle de cascade automobile de Jean Sunny, avenue des Peupliers. Ce genre d’attraction semble être passée de mode.
 

18 mai 2016


Passant par le Crédit Agricole de la rue de la Jeanne ce mardi après-midi afin d’y tirer quelque argent, je constate que sa façade a été décorée par des manifestants contre la Loi dite Travail. Plein de « 49.3 » et un « Enculé » témoignent de leur réflexion politique. Je sais aussi, mais ne l’ai pas vu, que la vitrine du local du Péhesse, rue de la Rép, a été pulvérisée.
Finies les manifs saucisses ballons (pour reprendre la formule d’un article de Lundi Matin), c’est le temps des manifs cassage marquage. Les premières étaient l’illustration d’une contestation nombreuse et de peu de résultat. Les secondes sont le témoignage d’une contestation groupusculaire et sans plus de résultat. Je n’arrive pas à m’y intéresser.
Je ne m’intéresse pas davantage à la Nuit Debout rouennaise, aux réunions interminables dans l’église désaffectée Saint Nicaise où quelques dizaines de personnes refont le monde à leur image. Comment feront-ils pour que les électeurs du Front National et les zélateurs du salafisme s’y rallient ?
                                                         *
Une classe de pré-branlotins à l’entrée de la rue Eau-de Robec.
L’un d’eux à un autre :
-Le feu est rouge mais si une voiture veut passer la bitte se baisse. Ben oui, ça s’appelle une bitte, comme pour les bateaux. Tu me crois pas ? T’as qu’à demander à la prof.
L’autre :
-Madame, y a Matthieu qui dit que la borne ça s’appelle une bitte.
 

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