Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

14 août 2025


La chaleur et la maigre récolte des deux précédentes me conduisent à sagement annuler mon escapade à Paris. Il fait chaud ce mercredi à Rouen mais moins qu’à Paris. Je dirais qu’il fait lourd mais je n’entends plus personne dire qu’il fait lourd. Bref, le ciel est sombre et l’orage menace.
C’est sous les stores baissés du Son du Cor puis des Floralies que je passe la moitié de l’après-midi. Pour me rafraîchir, je lis Été froid d’Ossip Mandelstam.
Cette évocation :
Les petites vendeuses de parfum campent sur la Pétrovka, en face de Muir-Merrilies, appuyées au mur, une pleine couvée, éventaire contre éventaire. Ce petit détachement de vendeuses n’est qu’un vol de moineaux. Armée aux nez retroussés de jeunes filles moscovites : gentilles dactylos besogneuses, fleuristes pauvrettes aux jambes nues – vivant de miettes et fleurissant l’été…
Cette constatation :  
Du fait d’une longue vie commune, un mari se met à ressembler à sa femme. Si l’on y regarde de près, le marchand ressemble aussi à sa marchandise…
                                                              *
Au Son du Cor, un qui demande « une pinte de bière de soif ». J’en déduis qu’il y a des bières de non soif, des bières de boit-sans-soif.
                                                              *
Aux Floralies, une qui parle chiffon avec un peute à elle : « L’hiver, j’ai plus de style qu’en été. »
                                                              *
Une mendiante à l’une qui lui dit qu’elle n’a pas de monnaie : « Vous n’avez pas à vous justifier. » En plus de vous déranger, elle vous fait la morale. J’y échappe grâce à ma lecture.
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Touristes rue Saint-Romain, un six sept ans à sa mère :
-J’aime pas les colombages.
-Ah bon ! Mais pourquoi t’aimes pas ça ?

12 août 2025


La lecture aux terrasses rouennaises de J’ai toujours su de Barbara Chase-Riboud (un mauvais titre pour le livre qui groupe les lettres qu’elle a envoyées à sa mère depuis je jour où, âgée de dix-sept ans, elle quitta la maison de Philadelphie, jusqu’à la mort de sa génitrice), m’a fait faire un voyage dans ma jeunesse.
Nous allons à Marienbad au début de juillet, pour faire un reportage. Tu te souviens du film ? On doit le donner en ce moment à Philadelphie. Va le voir : tu ne comprendras rien, personne n’y a jamais rien compris. Mais c’est intéressant et rempli de fringues Chanel. (premier juin mil neuf cent soixante-trois)
Bon, je commence à être jalouse des « filles-de-17-ans ». Tu remarques comment je les appelle… Les robes sont si courtes, ici et à Londres, c’est incroyable. On les appelle « minijupes » à Londres et elles ont à peu près la longueur de jupettes de tennis. Ça n’a pas encore atteint Paris, mais je suis sûre que ça va arriver… Que vais-je faire alors ? J’appartiendrai à la « vieille génération ». (dix-huit avril mil neuf cent soixante-six)
Marc a vraiment besoin de repos : entre sa mission et les émeutes, il a une tête de déterré. Je dois dire que ça a été une période fantastique – une sorte de vie suspendue. Personne ne FAISAIT rien d’autre que d’écouter la radio, essayer de trouver des journaux, déambuler dans les rues et discuter interminablement. Tout cela a disparu ce week-end aussi vite que c’était arrivé : c’était un week-end de congé, avec un temps magnifique, et le premier depuis trois semaines où il y avait à nouveau de l’essence… Tout le monde a quitté Paris pour aller se détendre ailleurs ! Il n’y a que les Français pour faire une révolution, puis partir tranquillement pour un long week-end de repos… (trente mai mil neuf cent soixante-huit)
Pourquoi n’essayes-tu pas un petit joint de marijuana ? Cela fait réellement des merveilles, crois-moi : rien de tel qu’un petit pétard pour la vie sexuelle. Je t’en apporterai de New York et je te montrerai comment fumer. C’est également excellent pour les nerfs : bien meilleur que l’alcool pour la santé – et sans gueule de bois le lendemain matin… Tout est limpide et tu es libérée de tous les problèmes du monde. Hé, je ne plaisante pas : je crois bien que je vais changer ta vie. (premier janvier mil neuf cent soixante-treize)
Je commence à devenir française en prenant de l’âge. J’aime la solitude et laisser les gens hors de mes affaires. (dix-neuf juin mil neuf cent soixante-treize)
Antoine a un nouveau jouet : un téléphone dans sa voiture. Tout ce qui lui reste à faire est le raccordement à son jet privé. En tout cas, cela fait son bonheur : il a appelé tout le monde dans la famille, à divers moments de la journée, pour informer des conditions de circulation partout où il roulait (sauf dans les tunnels). Après cela son fils emprunte la voiture ainsi équipée pour passer tous SES coups de téléphone… J’espère seulement que Marc ne s’inspirera pas de cette idée. Le téléphone est suffisamment tyrannique dans la maison sans l’avoir en plus dans la voiture… (un lundi de mil neuf cent soixante-quatorze) (Antoine Riboud, pédégé de Danone, frère de Marc Riboud)
Mon ami Jackie Goldman a vendu son appartement à Mitterrand, qui lui reprochait ses soirées : elle habite juste à côté et les services secrets venaient frapper à sa porte chaque soir à 22 h 30, alors qu’elle était évidemment en pleine soirée : « Couvre-feu ! » (Les riches changent de logement – les pauvres ne peuvent pas en trouver.) (novembre mil neuf cent quatre-vingt-un)
                                                                      *
Je n’ai pas lu La Virginienne (histoire de l’esclave noire maîtresse de Thomas Jefferson) qui a fait connaître Barbara Chase-Riboud. Je ne savais pas que c’était aussi une plasticienne est sculptrice renommée, ni qu’elle fut l’épouse de Marc Riboud. Une femme très intéressante.
                                                                      *
Heureuse époque où l’on s’inquiétait de la présence d’un téléphone dans une voiture, loin d’imaginer que quelques dizaines d’années plus tard, quatre-vingt-quinze pour cent des humains vivraient les yeux rivés sur leur onoto (objet nomade totalitaire, comme le nomme Alain Damasio).

11 août 2025


De la douceur chaque jour à Rouen en ces jours où on n’entend parler que de canicule. Comme voisins de table au Son du Cor ce dimanche, des peutes en culotte courte et leurs femmes en robe à fleurs venus manger du pâté acheté au marché tout en tripotant leur téléphone et se raconter des histoires de vacances en mobil home tout en riant bêtement. Je m’arme de courage pour supporter cette clientèle.
Au Son du Cor, en semaine, il y a celui habillé en marron, employé municipal, joueur d’échecs, autour duquel font grumeau des chômeurs joueurs d’échecs. Quand ils viennent de toucher le Revenu de Solidarité Active, ces oisifs le dépensent dans des burgueurs, des cartes à gratter et des commandes chez Amazon et Temu. Chacun veut prendre la gagne (comme ils disent). C’est toujours le municipal le gagnant, jamais pressé de retourner travailler.
Au Sacre, ce n’est pas mieux. Il y a celui venu avec sa chienne non attachée qui lui tient lieu de fille ou de femme, pour laquelle il a acheté un vélo cargo, qu’il a dû faire électrifier, parce qu’« on dirait pas comme ça, mais elle est lourde ». Cet animal aboyeur va voir tout nouvel arrivant au contentement de son propriétaire qui en une heure trente n’a pas d’autre sujet de conversation.
La meilleure terrasse pour ouvrir un livre, c’est celle des Floralies dont la clientèle est souvent constituée de gens de passage. Les nouveaux propriétaires ont repris le nom historique qu’avait abrégé les précédents (terminé le Flo’s). Tout en lisant, j’ai vue imprenable sur la terrasse d’en face, celle du Socrate, dont les serveuses ne sont ni désagréables, ni vulgaires.
Pour lire au jardin, la température est idéale. Le calme règne. La plupart des résidents sont partis en vacances. Les vacanciers venus d’ailleurs ne regagnent leur logement Air Bibi qu’à la nuit tombée. La vieille voisine qui perd la tête est de nouveau hospitalisée. Ses trois chats errent sur la pelouse et dans les bosquets sans faire le moindre bruit. Quand même ma plus proche voisine et son fils s’inquiètent d’un bruit de rats dans leurs murs ou leur plancher. Un professionnel, dépêché sur les lieux, n’a pas su y faire grand-chose. Elle et son fils ont placardé sur toutes les portes des avertissements dans toutes les langues visant celles et ceux qui jettent leurs détritus dans les poubelles sans les mettre dans des sacs fermés. J’en sais peu sur les rats, mais je suis néanmoins sûr qu’ils ne peuvent pas soulever les couvercles des conteneurs.
                                                                   *
Tous ces hommes en pantacourts, chortes, bermudas, bref, habillés en petits garçons quand ils accompagnent leurs femmes en robes longues ou pantalons, cela témoigne de rien de bon.

8 août 2025


Un livre lourd et volumineux, Correspondance de Marie-Antoinette, qu’en conséquence j’ai lu sur le banc du jardin le soir venu.
On sait comment la malheureuse a fini. Ses débuts m’ont fort intéressé. Marie-Antoinette, Archiduchesse d’Autriche, a quatorze ans quand elle arrive en France en mil sept cent soixante-dix pour épouser le Dauphin qui deviendra Roi le dix mai mil sept cent soixante-quatorze à la mort de son grand-père, Louis le Quinzième.
Le premier devoir de cette jeune Marie-Antoinette est de donner un héritier à son mari et à la France. Elle en a très envie mais lui, pendant des années, ne sait comment s’y prendre. Au point qu’un jour de mil sept cent soixante-dix-sept, Joseph, frère d’icelle, vient à Paris pour s’en mêler. Ce qu’il raconte dans une lettre à un autre frère, Léopold :
Dans son lit, il a des érections fort bien conditionnées, dit-il. Il introduit le membre, reste là sans se remuer, deux minutes peut-être, se retire sans jamais décharger, toujours bandant et souhaite le bonsoir. Cela ne se comprend pas, car avec cela, il a parfois des pollutions nocturnes mais en place, ni en faisant l’œuvre jamais. Et il est content, disant tout bonnement qu’il ne faisait cela que par devoir et qu’il n’y avait aucun goût. Ah ! si j’aurais pu être présent une fois, je l’aurais bien arrangé. Il faudrait le fouetter pour le faire décharger de foutre comme les ânes. Ma sœur avec cela a peu de tempérament et ils sont tous deux francs maladroits ensemble.
Cette visite débloque les choses, comme le raconte Marie-Antoinette à sa mère Marie-Thérèse, le dix-neuf août mil sept cent soixante-dix-sept :
Pour ce qui regarde mon état, il est malheureusement toujours le même, ce qui fait que je n’en importune pas ma chère maman. Mais je n’en désespère pourtant pas, car il y a pourtant un petit mieux, qui est que le roi a plus d’empressement qu’il n’en avait, et c’est beaucoup pour lui.
Ce qu’elle confirme le trente août, dans une nouvelle lettre c’est à sa mère :
Je suis dans le bonheur le plus essentiel pour toute ma vie. Il y a déjà plus de huit jours que mon mariage est parfaitement consommé. L’épreuve a été réitérée, et encore hier plus complètement que la première fois. J’avais pensé d’abord envoyer un courrier à ma chère maman. J’ai eu peur que cela ne fit évènement et propos. J’avoue aussi que je voulais être tout à fait sûre de mon fait. Je ne crois pas être grosse encore, mais au moins, j’ai l’espérance de pouvoir l’être d’un moment à l’autre.
Le dix-neuf décembre mil sept cent soixante-dix-sept, elle écrit à la même :
J’espérais, il y a quatre jours, que le courrier porterait à ma chère maman la nouvelle de ma grossesse. Depuis le retour de Fontainebleau, le roi a couché habituellement avec moi et a très souvent rempli tous les devoirs de véritable mari. Mes règles sont revenues hier, j’en suis bien fâchée, mais à la manière dont le roi est et vit actuellement avec moi, j’ai grande confiance qu’avant peu je n’aurai plus rien à désirer. 
Le dix-neuf avril mil sept cent soixante-dix-huit, Marie-Antoinette peut enfin annoncer à sa chère maman qu’elle est enfin enceinte :
Je n’ai jamais eu de retard, et au contraire toujours quelque avance. Au mois de mars, j’ai eu, le 3, mes règles. Nous voici au 19, et il n’est question de rien.
Elle donne naissance à une fille. Éprouvée par l’accouchement, elle déclare au Roi qu’elle ne tient pas à reprendre la vie conjugale avant plusieurs mois. Il y a aussi que la Reine a tenté de retenir à Versailles le séduisant comte suédois Axel de Fersen dont elle est tombée amoureuse.

7 août 2025


Le métro Quatorze est en travaux cette semaine. Je prends donc le bus Neuf qui dévie toujours le Marais et descends à Bastille. C’est Paris au mois d’août : des travaux et peu de monde dans les rues.
Personne chez Re-Read, mais ça c’est souvent. La libraire rachète de moins en moins de livres, m’en refusant un sur deux. Dans ses rayons : trop de livres invendables à quatre euros, c’est mon avis, et rien pour moi. Cela ne me surprendrait pas que cette boutique finisse mal.
Est-ce que le Book-Off de Ledru-Rollin file aussi un mauvais coton (comme on dit). Toujours est-il que je n’y trouve pas le moindre livre pour moi. Les rayonnages ne sont pas réassortis depuis des semaines.
Au Diable des Lombards n’étant plus en travaux (je me demande ce qu’on y a fait), j’y déjeune d’une rillette de thon et d’un gigot d’agneau pommes sarladaises, puis remonte du sous-sol du Book-Off de Saint-Martin avec deux livres à un euro : Tour du monde en 80 jours de Jean Cocteau (L’Imaginaire) et Voyages à l’île Maurice et La Réunion de Bernardin de Saint-Pierre (Magellan & Cie).
Au troisième, celui de Quatre Septembre, pourtant inexploré depuis un moment, c’est un seul : Les deux rives de Jean Grenier (Gallimard).
C’est décevant. D’autant que désormais, par la faute de Pécresse, un trajet de métro coûte deux euros cinquante. En trois trajets, je dépense autant que pour faire Paris Rouen avec le train Nomad. Ça n’a pas de sens.
Est-ce que mon circuit hebdomadaire parisien en a un ? C’est ce que je me demande au comptoir du Bistrot de Edmond, On y essuie les verres avec un torchon sale. « Vous avez supprimé la terrasse ? » demandé-je au serveur. « C’est pas nous, c’est la Mairie. » Il ne m’en dit pas plus. Ce n’est pas la première fois que ça leur arrive. Ils ont du mal à suivre la réglementation.
En attendant le train de seize heures quarante pour Rouen, je lis à Saint-Lazare Lettres à sa fille Myriam de Groucho Marx. Des missives publiées par celle-ci. Dans sa préface, elle se réjouit d’avoir eu un père intransigeant. Près de moi s’assoit une jeune femme cherbourgeoise qui vient de rencontrer par hasard deux connaissances cherbourgeoises. Ils rentrent chez eux, elle part au Canada depuis Orly. « C’est facile, leur dit-elle, j’ai le Quatorze qui m’emmène directement là-bas. » « Excusez-moi, lui-je, la ligne Quatorze est fermée pour travaux cette semaine. » « Oh, me dit-elle, heureusement que vous êtes là. »
C’est ce que je pense aussi.
                                                                      *
A peine acheté, déjà lu, le soir au jardin, Voyages à l’Île Maurice et La Réunion (cette dernière appelée alors Bourbon) de Bernardin de Saint-Pierre. Je ne me souvenais pas qu’il fût né au Havre et j’ignorais tout de sa jeunesse aventureuse. Son récit de navigation pendant les tempêtes est saisissant. Je découvre aussi que Bernardin de Saint-Pierre fut l’un des premiers à être opposé à l’esclavage. Quant à Paul et Virginie, jamais lu. Aucun goût pour ce genre de littérature sentimentalo-romantique.

2 août 2025


Parmi mes lectures de juillet deux mille vingt-cinq : Journal de galère d’Imre Kertész, dont je n’aime pas le titre en raison de l’emploi courant qui est fait du mot galère. L’auteur faisait référence à Molière. Et aussi à Camus dans son discours de Prix Nobel : Tout artiste aujourd’hui est embarqué dans la galère de son temps.
Dans mon petit carnet Hema, j’ai noté ceci :
L’incroyable cécité de la conscience humaine me bouleversera toujours. Ils parlent de déjeuner et de sieste et ne voient pas que le canapé où ils s’allongent est leur cercueil. (mil neuf cent soixante-cinq) 
Dieu (en feuilletant le livre de Mary McCarthy) : mais pour l’amour de Dieu ! Ce qui compte ce n’est pas de savoir s’Il existe ou non, c’est uniquement de savoir pourquoi nous croyons qu’Il existe ou non. (mil neuf cent soixante et onze)
Le suicide qui me convient le mieux est manifestement la vie. (mil neuf cent soixante-quatorze)
Je suis descendu acheter un journal. Je n’avais qu’à traverser la rue et donc, sachant que je reviendrais tout de suite, j’ai branché ma cafetière électrique. Et qu’est-il arrivé ? Je suis revenu. Comment ai-je pu faire preuve d’une telle assurance ? (mil neuf cent soixante-quinze)
Le monde est mauvais parce que je suis mauvais. (mil neuf cent soixante-dix-sept)
La plus terrifiante inconnue : moi-même. (mil neuf cent soixante-dix-neuf) 
Autrefois, la littérature montrait comment « ils » vivaient ; aujourd’hui, l’écrivain ne peut plus parler que de lui-même : dire comment « il » vit (essaie de vivre), à quel point il est perdu et désemparé. (mil neuf cent quatre-vingt-un)
On condamne chez les autres ses propres particularités les plus secrètes, les plus délicates et voluptueuses. (mil neuf cent quatre-vingt-cinq)
J’ai toujours eu une vie secrète, et c’était toujours celle qui était la vraie. (mil neuf cent quatre-vingt-huit)
Quand on connaît ses propres habitudes, on est moins perdu. (mil neuf cent quatre-vingt-neuf)
L’ennui est le piment de la vie. (mil neuf cent quatre-vingt-dix)
La ville que je traverse tous les jours, la tête basse, sans regarder autour de moi. cherchant seulement un trou où je pourrais me cacher et souffler, me dire que j’ai échappé, aujourd’hui encore, au spectre de ce qu’on appelle la vie par ici… (mil neuf cent quatre-vingt-dix)
Je commence à voir que ce qui m’a sauvé du suicide (empêché de suivre l’exemple de Borowski, Celan, Améry, Primo Lévi, etc.), c’est la « société » qui, après mon expérience concentrationnaire, a prouvé sous la forme de ce qu’on appelle le « stalinisme » qu’il ne pouvait être question de liberté, de délivrance, de grande catharsis, etc., c’est-à-dire de tout ce dont les intellectuels, les penseurs et les philosophes de régions plus chanceuses du monde ne se contentaient pas de parler mais à quoi ils croyaient manifestement ; cette société qui a assuré la continuation de ma vie de prisonnier excluant ainsi toute possibilité d’erreur. (mil neuf cent quatre-vingt-onze)

31 juillet 2025


J’innove ce mercredi en prenant à Saint-Lazare le métro Neuf, terminus Mairie de Montreuil, un lieu où je ne suis plus attendu.
J’en descends à l’arrêt Voltaire. Sur le boulevard du même nom, j’entre au bar Chez Justin pour un café verre d’eau lecture. Au mur, la reproduction d’un tableau de Keith Haring. Une porte de toilettes rafistolée avec une plaque de contreplaqué sur laquelle est inscrit, à l’intérieur, Gouines pour la Palestine (elles seraient accueillies comment par les Palestiniens ?). Ecrivains en robe de chambre de François Bott, ma lecture du jour, guère palpitante. De banals portraits rédigés d’un ton blasé par celui qui dirigeait Le Monde des Livres (il semble ignorer la vie de hors-la-loi d’Henri Calet). Ça ne me botte pas. Le café est à deux euros vingt.
Une trentaine de mètres et je suis chez Re Read où opère la jolie employée pas vue depuis longtemps. Je m’y fais rembourser mon café à l’aide de quelques livres légers.
Comme souvent, je suis devant le Book-Off de Ledru-Rollin à dix heures cinquante-cinq à côté de celles et ceux munis de chariots et de sacs emplis de culture à vendre. Parmi eux, un homme énorme qui dit bonjour à une vieille qui passe. Elle ne le reconnaît pas. « Je suis le boucher. Vous vous rappelez ? Je suis à la retraite maintenant. » « Et vous mangez trop de viande », lui répond l’interpelée. « Non, j’en mange pas du tout. C’est hormonal, m’a dit le docteur. » Elle le plante là. Je pense qu’il réfléchira avant de dire à nouveau bonjour à quelqu’un. Parmi tous les livres à un euro, je ne trouve pour moi qu’Articles de mode de Louise de Vilmorin (Le Promeneur).
D’un coup de métro, je rejoins Sainte-Opportune et trouve Au Diable des Lombards fermé pour travaux. J’opte pour L’Amazonial qui propose une formule à seize euros quarante : thon mayonnaise œuf dur et selle d’agneau au thym purée maison. C’est bon.
Il fait toujours trop chaud dans le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Cela nuit à ma recherche de livres à un euro. Quand même, je remonte avec La Vie singulière de Thomas W. Higginson - L’homme qui fit connaître Emily Dickinson de Christian Garcin (Actes Sud), Charlotte Delbo de Violaine Gelly et Paul Gradvohl (Fayard) et Souvenirs du Marquis de Valfons (Le Temps Retrouvé Mercure de France).
Je rejoins la rue Beaubourg où je veux voir les photos d’une qui était placeuse à l’Opéra de Rouen quand j’y étais abonné, mais à l’endroit prévu je trouve des rideaux métalliques baissés.
A L’Opportun, la jolie serveuse cette fois n’est pas là. Tous les quarts d’heure, un ou une entre qui veut utiliser les toilettes sans consommer et se voit opposer un refus. J’achève là Ecrivains en robe de chambre.

28 juillet 2025


Depuis je ne sais combien de jours, le terrain de pétanque du Son du Cor ressemble à une pataugeoire. Il ne se passe quasiment pas de midi sans que la serveuse ne soit obligée de faire descendre l’auvent à cause d’une averse aussi dense que brève. Je ne me souviens pas de quand date le dernier bel été en Normandie. Les touristes qui viennent ici pour éviter la chaleur ont raison. Qu’ils n’oublient pas le parapluie. Ces derniers jours sous l’auvent du Son du Cor je lis Journal volubile d’Enrique Vila-Matas.
Ce temps médiocre me permet néanmoins de lire également la plupart des soirs sur le banc du jardin d’où les fleurs ont quasiment disparu et dont la pelouse est désormais tondue de temps à autre par un professionnel. Ce jeudi, c’est Partir à Permanbouc de Maurice Pianzola. Je prends un risque car la vieille voisine qui séjournait en hôpital spécialisé est de retour et rien ne dit qu’elle ne va pas, un jour ou l’autre, se remettre à balancer ses affaires par la fenêtre du troisième étage située au-dessus de ma tête. Pour l’instant, elle se contente d’en jeter dans les poubelles et, nouvelle dinguerie, met parfois sa télé à fond au milieu de la nuit sur l’une des chaînes d’info, de quoi empêcher toute la copropriété de dormir. Pour ma part, j’ai la solution du repli dans la petite chambre.
Entre deux lectures et entre deux averses, je me risque à fureter dans la drouille du Marché du Clos Saint-Marc. J’en reviens avec un livre acheté deux euros à un vendeur jamais vu : Le Père Peinard d’Emile Pouget (Galilée).
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La littérature n’est pas un métier, c’est une maladie. On n’écrit pas pour gagner de l’argent ou plaire aux gens, mais pour essayer de se soigner parce qu’on est infecté, parce que la tristesse s’est emparée de nous. (Ricardo Menéndez Salmón cité par Enrique Villa-Matas dans son Journal volubile)
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Ils regardèrent avec curiosité les cassettes dans lesquelles s’entassent les différents journaux et le guide ne manqua pas de leur expliquer que personne ne vole jamais aucun de ces journaux et que chacun glisse sa pièce dans la fente en haut de la boîte. Je devinai aisément le sens de leurs commentaires étonnés et admiratifs. Pareille honnêteté était un attrait touristique de plus, ils auraient quelque chose à raconter. Le guide leur fit un signe de son parapluie, ils purent s’engager sur la chaussée et moi, enfin seul, je pus prendre le journal dans une des boîtes, sans le payer évidemment. (Maurice Pianzola Partir à Permanbouc, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Genève)

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