Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

7 septembre 2024


Ce vendredi la pluie ne devrait pas être présente, aussi après avoir petit-déjeuné au Derby, je monte dans le bus gratuit Néva numéro Deux, direction Saint-Pair-sur-Mer. J’en descends à l’arrêt Centre Bourg, non loin de l’église pointue. Un passage au Crédit à Bricoles où je côtoie des gens du cru à accent prononcé puis je descends vers la mer en longeant le Casino. Il y a peu à faire : une courte promenade dite du Coucher de Soleil.
Le soleil fait une timide apparition quand je remonte au bourg. Je m’assois à la terrasse de L’Encre Marine qui en bénéficie. Le serveur me renseigne sur où manger à Saint-Pair. C’est réduit : le Casino, une crêperie, un restaurant gastronomique et le poissonnier Philippe qui fait quelques plats. Ce café diffuse de la musique propice à la lecture. Elle va de la bande originale d’In the Mood for Love à Nat King Cole chantant en espagnol.
Le soleil disparaît. Il fait presque froid. Cela m’amène à retourner à Granville où dans le Port des pêcheurs bricolent sur leurs bateaux à défaut de prendre la mer. Au Cabestan où je choisis de déjeuner en terrasse, la patronne m’apporte en guise de carte une tablette. « Je ne sais pas me servir de ça », lui dis-je. « Oh, c’est comme un portable. » « Je n’en ai pas. » Elle me la laisse quand même. La formule du jour est affichée prés de la porte d’entrée : cake au chorizo et roussette sauce cajun, quinze euros cinquante. Je demande à la jeune serveuse, qui prend ma commande à l’ancienne avec papier et crayon, ce qu’est une roussette.  « Un petit requin. » Diantre ! Un couple à chien est à ma gauche. Elle, quand il aboie : « Avant tu disais rien. On va plus t’emmener au restaurant ».
Mon repas fini, je décide de rejoindre La Rafale par la rampe de Monte-à-Regret. Ça se fait facilement. Fini le temps où j’étais asphyxié à la moindre grimpée.
La terrasse de La Rafale est agréable, sans voitures à proximité. Le soleil est revenu. La clientèle en majorité bobo baba : « Se poser un peu avec Séb, partir en voyaaage … » « On a deux concerts à faire et le contrôle technique de la voituuure. » « Un chien ça dure dix ans, des enfants c’est toute ta vie » (une qui hésite). Une habituée arrive avec son coussin, les chaises métalliques ça fait mal au cul. Une jeune femme vient emprunter le briquet de mon voisin qui lit une bande dessinée. « Ah oui, les bédés ça passe mieux, lui dit-elle, parce que les bouquins, pff … » (me regardant).
Au fil de ma lecture, tiens Lagarce lit Amours de Léautaud, le ciel redevient gris et la température fraichît. Je lève le camp, un passage dans l’armoire et, par le sentier du littoral et l’escalier de compétition, je rentre à mon Air Bibi où je dicte mon texte du jour, oui mais cette fois, impossible de le recevoir dans ma boîte mail.
                                                                         *
Un nom et une date en page de garde de mon exemplaire du Journal de Jean-Luc Lagarce : « Joël Ochoa 6 mars 2008 ».
Via Internet, j’apprends qu’un Joël Ochoa est mort en mai dernier. Cela pourrait expliquer que j’aie trouvé ce livre d’occasion chez Gibert en juillet. Il avait soixante-treize ans. Mon âge. C’est aussi l’âge de celui qui est devenu Premier Ministre de Macron avec l’autorisation du Rassemblement National.
 

6 septembre 2024


Le vent et la pluie toute la nuit rendent celle-ci peu propice au sommeil. Le vent surtout qui se rue sur ma fenêtre côté mer, s’engouffrant dans l’espace entre Le Normandy et l’Hôtel des Bains lequel se vante sur son mur d être « ouvert toute l’année ».
Il pleut toujours quand je vais à la Boulangerie du Casino. Le Grand Café est presque prêt à huit heures vingt. Une femme termine de passer l’aspirateur. « Je voulais vous dire, des pains au chocolat, on en a ici », me dit l’un des serveurs. « J’aime bien passer à la boulangerie », lui réponds-je. « Oui, mais nous on les fait, alors en principe on n’accepte pas ceux achetés ailleurs, mais pour ce matin pas de souci. » Quand j’ai terminé, vu le mauvais temps, je reste un bon moment à lire le Journal de Lagarce et comme j’ai horreur qu’on me force la main, c’était mon dernier petit-déjeuner au Grand Café.
A dix heures trente, je me pointe avec mon smartphone chez Clinic Phone qui rouvre ce jour après des vacances. Devant moi deux gus, père et fils, chacun ayant crevé à l’arrière avec sa trottinette électrique. Quand c’est mon tour, l’aimable commerçant éteint puis rallume l’objet, ce que je ne sais pas faire. Il fait un essai de micro, ça marche. Peut-être un problème lié à la dernière mise à jour. « Je vous dois quelque chose ? » « Votre reconnaissance ». « Je n’oublie jamais les gens qui m’ont rendu service », lui dis-je.
Cet iPhone ne reste jamais dans ma poche ou mon sac à dos. Aussi je le rapporte à mon logis provisoire. Ce faisant, dans l’escalier étroit, je me rencontre pour la première fois avec l’occupante de l’Air Bibi d’à côté du mien. Nous ne pouvons nous croiser, de près, que sur l’un des paliers. Je ne l’imaginais pas ainsi, jeune et jolie.
Jeune et jolie est aussi la serveuse du Pirate qui m’apporte un café verre d’eau en terrasse avec vue sur les voitures. Un peu de Lagarce et je file jusqu’à Au Tout Va Bien, mon café emblématique, où je déjeune d’une quiche au thon et d’une andouillette avec frites à la petite table du coin, voisinant avec les gars du Port qui ne sont là que pour boire et discuter. L’Administration en prend pour son grade.
C’est le moment d’aller faire quelques photos de bateaux de pêche et de la Ville Haute vue d’en bas puis je m’assois sur un banc sous le ciel lourd et rouvre mon livre.
Quand la pluie menace à nouveau, je regagne le centre de la ville et trouve place au Grand Café pour boire un café et lire. C’est l’heure à laquelle les serveurs dirigent ceux qui veulent manger vers le kebab, là-bas, un peu plus loin. « Cette averse qu’on va se prendre », pronostique l’un d’eux. Effectivement. Plus qu’à la laisser passer.
                                                                          *
J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie cesse. (Variation sur un titre de Jean-Luc Lagarce)
 

5 septembre 2024


Je connais Granville. J’y suis déjà venu seul et aussi avec celles qui me donnaient la main. Pourtant, j’ai du mal à y circuler sans m’égarer. Ce n’est pas une ville lisible.
Quand même, ce mercredi main, mon pain au chocolat acheté en face de ma porte de sortie à la Boulangerie du Casino, je retrouve aisément Le Grand Café qui se définit lui-même comme la « brasserie emblématique de Granville ».
Las, il devrait être ouvert mais ne l’est pas. L’homme à l’intérieur sort pour me dire que c’est trop tôt, la mise en place n’est pas faite. « J’ai lu que vous ouvrez à huit heures. » « Oui c’est vrai mais là on n’est pas prêt, la saison est terminée ». « Bon, je vais retourner au Derby. » « C’est bien aussi », me dit-il. « Oui mais ils écoutent Nostalgie. » « C’est vrai, qu’est-ce que vous voulez prendre, un café ?  Allez-y, entrez. »
L’endroit est chic avec vaisselle au nom de la maison. On y entend aussi de la musique mais c’est une liste à jouer sans publicités. L’allongé est à un euro soixante-dix. Il est huit heures vingt quand tout est prêt et qu’arrive le deuxième client, un homme à mobilité réduite. Il n’en manque pas à Granville, rapport au voisin de droite de mon studio Air Bibi, Le Normandy « Médecine Physique et de Réadaptation », devant lequel se relaient taxis et ambulances.
Comme il ne pleut pas, je prends l’escalier de compétition qui permet d’accéder à la Ville Haute. J’y suis le chemin de ronde, lequel, après le phare, devient un vrai sentier de randonnée menant à la pointe du Roc qui évoque la côte bretonne.
Il pleuviote quand je reviens vers l’église située au centre de cette Ville Haute. J’y entre m’abriter en attendant qu’elle sonne dix heures. Un jeune père y promène son enfançon en landau.
La cloche ayant retenti, je rejoins La Rafale, le seul café d’en haut, lui aussi emblématique, connu notamment pour sa convivialité et ses soirées qui s’achèvent à deux heures du matin, et où je suis venu avec celles qui me tenaient la main. Il vient d’ouvrir, comme indiqué. Déjà des locaux y sont. J’entre dans l’armoire qui donne accès aux toilettes puis je m’installe à une table de la première salle pour un café à un euro quarante. J’entreprends de lire le Journal de Lagarce, ce qui n’est pas chose facile car là aussi il y a de la musique. De plus, les présents s’interpellent de table en table par-dessus ma tête. On parle enfants, insomnies, maladies. «  C’est pour ça qu’on sort, c’est pour parler, on n’est pas des sauvages », déclare l’une. Je ne sais si je dois me sentir viser. « Personne est comme on voudrait qui soit », ajoute une autre. Vers onze heures et demie, je me retrouve soudain seul. Malheureusement, la gérante augmente le volume de la musique, comblant le vide avec du bruit, ce qui me décide à partir.
Je descends sur le Port par la rampe de Monte-à-Regret puis retourne au Grand Café pour déjeuner de la formule à dix-huit euros : wrap thon concombre et pavé de saumon rôti riz à la provençal (sic) crème de poireaux (hier à The Tender Bar, la serveuse annonçait le pavé de saumon comme « la pêche du jour »).
Ce déjeuner terminé, je vais m’asseoir sur un muret au Plat Gousset où c’est la guerre entre les pique-niqueurs et les goélands et je retrouve Lagarce. Une lecture que je vais poursuivre au Derby car la pluie revient, se transformant bientôt en un déluge qui emplit de clientèle ce troquet non emblématique. Un bébé qui braille couvre le son de la radio.
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« La saison est terminée », un propos entendu plusieurs fois depuis mon arrivée, destiné à justifier un certain relâchement.
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Je me pose parfois quelques petites questions sur ma présence ici, le vide de mon existence, mais n’est-ce pas toujours ainsi que les choses se passent ?... (Jean-Luc Lagarce, Journal, jeudi treize décembre mil neuf cent quatre-vingt-quatre)
 

4 septembre 2024


Une première nuit, bonne, dans mon Air Bibi vieillot dont le point fort est la vue sur la mer toute proche, précisément sur l’entrée de la plage et de la promenade du Plat Gousset.
Le ciel est gris au lever du jour. Un peu avant huit heures, j’achète un pain au chocolat à la Boulangerie du Casino (un euro trente) et rejoins Le Grand Café. Las, sur sa vitre, une affichette annonce une fermeture exceptionnelle pour ce mardi. Je me rabats, un peu plus loin dans la même rue, sur Le Derby, un bar tabac dont le patron s’appelle Bruno. On y subit Nostalgie. L’allongé est à un euro soixante. Bruno refuse ma pièce de deux euros. Elle a une sale tête, comme passée sous un rouleau compresseur. Aucun de ses clients n’en voudra. Il faut la rapporter à la banque. Je lui en trouve une autre.
Sorti de là, je fais quelques courses utilitaires chez Utile puis, à l’Office du Tourisme, une agréable hôtesse m’imprime les horaires de rentrée des bus Néva et me renseigne sur les trois cars Nomad du coin.
A la sortie, une drache m’oblige à chercher refuge dans l’entrée du bâtiment de la Douane. Quand ça se calme un peu, je marche jusqu’à Au Tout Va Bien sur le port de pêche. Le café y est à un euro quarante. On y entend une musique planante. Je commence là ma lecture du premier volume du Journal de Jean-Luc Lagarce. De derrière son comptoir, Céline, la patronne s’immisce dans les conversations des habitués assis en salle. Tous ces gens sont des habitués des voyages en Thaïlande. L’endroit fait repas à midi. J’y déjeune du menu du jour à dix-huit euros: tarte fine à l’oignon, cuisse de poulet frites, tropézienne (ce dessert est décevant).
Comme il fait meilleur, je vais marcher sur la promenade du Plat Gousset au-dessus de la plage du même nom et de la piscine d’eau de mer rectangulaire. Les cabines de plage sont encore là, fermées. Tout au bout est le sévère escalier qui permet d’atteindre le jardin public Christian Dior, ce sera pour un autre jour.
Revenu en ville, j’achète chez Deux Vrèdes une ceinture fabriquée en France. Celle fabriquée en Suède, achetée chez Hache et Aime à Lorient début juin, n’aura pas tenu longtemps. Celle-ci est deux fois plus chère.
Suit un café lecture sous la véranda de The Tender Bar avec vue sur le Théâtre de l’Archipel, sur le Casino et sur les cabines de plage, la mer étant cachée par les voitures. Je lis Lagarce jusqu’à ce que la musique de plus en plus forte me fasse partir. Cet endroit est désagréable, je n’aime pas ce bruit, ni l’amabilité forcée de la serveuse. Le café y est à un euro quatre-vingt-dix. Je le paie avec la pièce de deux euros refusée au Derby.
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Un peu partout, par groupes de quatre filles ou quatre garçons, des élèves de collège plan et questionnaire en main. Leur prof les a envoyés à la découverte de la ville. Ce qui lui donne une journée de congé supplémentaire. J’ai déjà vu ça à Guingamp.
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Plus moyen de dicter mon texte à mon smartphone, un problème de micro. Obligé de le taper à deux doigts, avec quasiment une faute de frappe par mot.
 

3 septembre 2024


En ce lundi de rentrée scolaire, je repars en vadrouille, cette fois sans quitter la Normandie. Le jour pas encore levé, tirant ma valise, je rejoins la Gare de Rouen. Le train Nomad de sept heures quatre m’attend voie Deux. Il desservira Elbeuf Saint-Aubin, Bourgtheroulde Thuit-Hébert, Brionne, Serquigny, Bernay, Lisieux et Mézidon Canon. Très peu de monde au départ, il s’emplit un peu au fil des arrêts. La campagne défile sous un ciel gris. Lisieux, la Basilique toujours énorme et les scolaires la tête à l’envers. « J’ai pas envie », dit l’une. Des éoliennes et un peu de ciel bleu avant d’arriver à Caen.
J’ai vingt minutes avant le train Nomad pour Granville, départ à neuf heures huit. Il desservira Bayeux, Lison, Saint-Lô et Coutances. Peu de monde au départ, mes voisins de devant sont deux véliplanchistes avec leur encombrant matériel. Une autre campagne défile, ensoleillée. La belle Cathédrale de Bayeux. Après Lison, ça redevient gris et à Coutances la pluie.
Il pleut toujours lorsque j’arrive à Granville. J’ai repéré, sur le plan envoyé par l’Office du Tourisme, mon trajet jusqu’au studio Air Bibi où doit m’attendre ma logeuse mais je dois me faire aider au départ pour trouver la bonne direction. J’arrive un peu trempé à la boutique devant laquelle elle doit être mais personne. Je m’abrite sous l’auvent d’un salon de thé et attend qu’elle apparaisse.
J’étais prévenu. L’escalier est rude. Dès le rez-de-chaussée cela grimpe hardiment. Il faut d’abord se tenir à une corde. Ensuite les marches sont encore hautes mais la rampe plus traditionnelle. Je suis dans le studio numéro cinq. Je devais être en dessous mais au dernier moment la logeuse m’a changé de lieu pour un problème de lavabo. Je suis donc sous les toits et j’espère qu’il ne va pas faire trop chaud dans les jours à venir.
Mon bagage déposé, je redescends afin de déjeuner quelque part. Quelque part est bien le terme qui convient, je ne sais absolument pas où aller. Une marchande de tabac m’indique sur une place Le Pirate qui est ouvert le lundi. J’y occupe une table à l’intérieur et me satisfais de la formule du jour à quinze euros cinquante : terrine de Saint-Jacques, sauté de porc au curry.
Le Pirate est ainsi nommé en l’honneur de Georges-René Le Pelley de Préville, dit le Pirate à la Jambe de Bois, né à Granville, mousse, marin pêcheur, corsaire et officier de marine, capitaine de bord, amiral, Ministre de la Marine et des Colonies sous la Révolution, armateur sous l’Empire. La clientèle est assez déprimante, des vieux pouvant rester en vacances quand les autres sont rentrés. Derrière moi deux femmes parlent d’une connaissance commune qui vit comme une sans-abri mais à l’hôtel. Elle se balade toujours avec des sacs en plastique et n’a pas changé de vêtements depuis six ans.
A la fin de mon repas, la pluie ayant cessé, je vais rejoins le Port de Pêche espérant y boire le café mais il n’y faut pas compter, le lundi tous les bars du coin sont fermés. Je retourne vers mon logis près de la mer et du Casino. Je me dirige vers le seul café ayant l’air ouvert, The Tender Bar, très éclairé mais aussi très fermé, car, me dit le patron, avec tous les collègues, on fête la fin de la saison. Il me renvoie à l’intérieur de la ville. Je n’ai que le choix du Pirate où le noir breuvage est à un euro soixante. Celui-ci bu, je rentre avant qu’il ne se remette à pleuvoir.
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On est con, mais pas au point de voyager pour le plaisir. (Samuel Beckett par la bouche d’un de ses personnages)
 

31 août 2024


Dernier vendredi d’août, jour de prérentrée des enseignant(e)s. Comme j’aurais été furieux si j’avais dû autrefois retourner travailler avant septembre. J’ai une pensée particulière pour celle qui me tenait la main à la fin du vingtième siècle pour qui c’est la fin des vacances.
Ce trente août, à la terrasse du Son du Cor, j’arrive au bout des mille six cent quatorze pages de Correspondance des routes croisées de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet. Passionnante lecture qui m’aura pris tout le mois, à raison de deux ou trois heures chaque jour, sauf les mercredis.
En soirée, souvent sur le banc du jardin, je lisais autre chose. Récemment, le deuxième volume de Paris Review les entretiens, des rencontres fort intéressantes avec les meilleurs écrivains anglophones. Mercredi soir, j’étais accompagné par les effluves musicaux de la Vashfol. La fanfare donnait concert sur le parvis de la Cathédrale. Son répertoire va de Paint it Black au Pornographe du phonographe.
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Dans la boîte à livres de l’esplanade Marcel-Duchamp, un vieux numéro de France Culture Papiers. Je prends conscience qu’on n’en parle plus à l’antenne, de cette revue. Et pour cause, elle a discrètement disparu. J’avais prévu son échec. Il a fini par arriver.
Dans la boîte à livres du Vieux Marché, comme souvent, plusieurs exemplaires de L’Eau Vive édité par des chrétiens évangéliques. Je les prends à chaque fois, direction la poubelle la plus proche.
                                                                    *
Découverte du parler suisse dans les missives de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet. Ainsi : « foutu loin » pour « jeté à la poubelle » (Les numéros de L’Eau Vive, je les ai foutus loin) et « je me tiens les pouces » pour « je croise les doigts » (Je me tiens les pouces pour qu’il fasse beau en septembre et octobre).
                                                                    *
Le dernier jour d’août, je suis à la Gare, attendant qu’arrive le train de dix heures trente avec à l’intérieur celle qui travaille du côté de la Bastille et me donnait la main au début du vingt et unième siècle. Nous buvons des cafés à la Brasserie Paul qui est toujours fière d’avoir eu comme clients Marcel Duchamp et Simone de Beauvoir (mais elle était ailleurs), parlons de choses graves en écoutant le concert de carillon et décidons d’y déjeuner d’un simple risotto. Vers treize heures, elle me quitte car ce n’est pas pour moi qu’elle est à Rouen ce samedi mais pour un ancien copain de lycée dont elle sera témoin de mariage. Aujourd’hui, il enterre sa vie de garçon.
                                                                   *
Ultime lecture d’août au Son du Cor Comment c’était (Souvenirs sur Samuel Becket) d’Anne Atik. Un livre traduit de l’anglais par Emmanuel Moses à qui j’ai vendu un livre récemment (un autre à Jean-Guy Talamoni).
 

29 août 2024


Ce dernier mercredi d’août est le premier jour des Jeux Paralympiques, celui de la cérémonie d’ouverture et, avant cela, de la balade de la Flamme dans les rues de Paris, une Flamme en douze exemplaires, donc présente un peu partout dans la ville, j’espère néanmoins y échapper.
Le train de sept heures vingt-trois est un long comme prévu et le trajet effectué dans le temps réglementaire, cela sous un ciel bleu.
Ayant rejoint le onzième arrondissement dans des métros de nouveau fréquentés, je bois un café au comptoir du Camélia dont je suis le seul client, explore en vain les livres d’Emile au Marché d’Aligre et rejoins Re-Read cinq minutes avant l’ouverture.
Même si je ne trouve encore une fois rien à acheter, j’y vois de meilleurs livres qu’au Bibliovore rouennais parce qu’à Paris globalement on lit mieux qu’en province. Tiens, je ne savais pas que Mark Twain avait écrit La saga de Jeanne d’Arc, dommage que la Pucelle me laisse indifférent. Tiens, la Correspondance Flaubert Sand, que j’ai déjà, est encore là, depuis plusieurs semaines, et pour ma grande joie, car cela montre qu’on est peu à lire les correspondances et journaux d’écrivains.
Il y a foule chez Book-Off, essentiellement des vendeurs de livres cédés dévédés etc. C’est la fin du mois et c’est la rentrée. Chacun repart avec moins d’argent qu’espéré. Je reste également sur ma faim car côté livres à un euro, Mon journal depuis la Libération de Jean Galtier-Boissière (Phébus libretto) et c’est tout.
Au Rallye, je fais suivre mon coutumier filet de hareng pommes à l’huile de lasagnes bolognaises. Le puîné de la maison met le nez dans son cahier de vacances (il est temps), puis lit avec sa mère, puis tue une mouche avec la raquette électrique. « Il faut tenir en même temps le rôle de parent, le rôle de prof et le rôle de cafetier », commente la maitresse des lieux qui parle un meilleur français que son mari.
Je suis content, entrant au deuxième Book-Off, d’y entendre à nouveau Fip. J’en explore le chaud sous-sol, trouvant, parmi les ouvrages à un euro, à mettre dans mon panier uniquement Comment c’était (Souvenirs sur Samuel Beckett) d’Anne Atik (Editions de l’Olivier).
Le troisième Book-Off sauvera-t-il ma journée ? C’est ce que je me demande devant mon café verre d’eau au comptoir du désert Bistrot d’Edmond.
La question, elle est vite répondue. Rien pour moi. Cependant, à un euro pièce, je me laisse aller à faire miens Nuit de haschich et d’opium de Maurice Magre et Voyage au bout de l’envers de Frédéric Marinacce. Je ne sais pas résister aux petits livres des Editions Kailash de Pondichéry.
Je rentre à Rouen sans avoir vu la queue d’une Flamme. Dans le train de seize heures quarante, mes voisins d’outre couloir sont deux moniteurs de colo qui retournent chez eux après le séjour et se demandent l’un à l’autre « des potins », c’est-à-dire qui a couché avec qui. Je termine là ma lecture des courts récits des voyages de proximité de Francis Navarre réunis dans De l’Hexagone considéré comme un exotisme, un livre qui m’aura moins plu que je l’espérais, écrit par un auteur qui emploie de façon erronée le mot éponyme.
                                                                       *
Au Book-Off de Ledru-Rollin un homme dont l’une des poches du sac à dos bée.
-Votre sac est ouvert, lui dis-je.
-Oh pardon, me répond-t-il au lieu de me remercier.
Comme si c’était sa braguette.
 

27 août 2024


Un nouveau spectacle Cathédrale de lumière est à l’affiche cette année, proposé par la Métropole Rouen Normandie sous le titre Star and Stone : a kind of love… some say. Ce que l’on peut traduite par « Astre et Roc : une sorte d’amour … comme ils disent ». C’est une création de  Bob Wilson.
J’arrive sur le parvis à dix heures moins dix ce lundi soir, y trouve du monde assis sur les pavés et du monde debout. Comme tous les vieux, je dois rester debout.
A dix heures tapantes, ça commence. Des poésies de Maya Angelou sont dites par Bob Wilson et leur traduction en français par Isabelle Huppert sur fond d’extraits des musiques de Philip Glass. Il est surtout question de la vie et de la mort. Vers la fin, des élèves du Collège Fontenelle et des Lycées Corneille et Flaubert ajoutent leurs voix bilingues à celles des deux professionnels.
Pendant ce temps, sur la façade de la Cathédrale se succèdent des séquences évoquant paraît-il l’histoire de Rouen. Des images assez sommaires qui donnent à penser qu’on ne s’est pas foulé ou que l’argent manquait  Bref, je suis plus intéressé par le son que par la lumière, le jeune couple à ma droite ayant lui choisi de s’éclipser à mi-parcours. Lequel dure une demi-heure. Les applaudissements sont mesurés.
 

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