Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

8 décembre 2014


Samedi après-midi, c’est après un délicieux et copieux repas partagé à La Petite Auberge qu’avec celle venue de Paris pour me voir, je pousse pour la première fois la porte de la maison Guidoline, l’ «atelier de bicyclette qui permet d’apprendre librement les finesses de la mécanique », rue Molière. Des bicyclistes s’y activent en effet. L’un d’eux nous demande ce que l’on désire.
-Voir l’exposition David Liaudet.
Il nous indique une porte intérieure qui donne sur un café dont j’ignorais l’existence où nous accueille une jeune personne souriante. C’est sur l’un des murs de cet endroit chaleureux que sont montrées sept étapes de la longue besogne de l’artiste qui s’est donné pour mission de réaliser dans l’ordre alphabétique toutes les illustrations des mots définis dans le Dictionnaire Larousse illustré qui en sont dépourvus, un travail qui doit s’achever dans les années vingt.
Les panneaux que j’avais vus en mars deux mille huit à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Mont-Saint-Aignan étaient en noir et blanc. Ici, six sur sept sont en couleur. Je préfère les dessins de mots en noir et blanc. Parmi ceux-ci est l’extraordinaire illustrant extraordinaire.
Comme on se sent bien dans ce « café culturel », nous y prenons thé et café près d’un sapin de Noël dont l’étoile est un plateau de bicyclette, et même, l’endroit étant ouvert le mardi quand l’Ubi ne l’est pas, j’y prends carte d’adhérent afin qu’à l’avenir je puisse m’y réfugier de temps à autre avec mon ordinateur.
Avant qu’elle ne retourne à Paris, je lui montre le ridicule toboggan géant de la place de la Calende dont elle fait quelques photos. Pour rentrer à la maison, nous devons fendre la foule du marché de Noël, une épreuve dont nous nous serions bien passés.
Pendant un mois, entre dix heures et dix-neuf heures, l’hypercentre de Rouen est une Zaf (Zone à fuir).
                                                                  *
Le vélo, mauvais souvenir du temps que j’étais au collège Ferdinand-Buisson à Louviers. Arriver pédalant avait valeur de double aveu : tu n’habites pas en centre-ville, tes parents n’ont pas les moyens de te conduire en voiture. Et quoi de plus chiant que devoir marcher à côté de son vélo pour raccompagner une fille jusqu’à chez elle après les cours.
Le pire, c’étaient les ennuis techniques : pneu crevé, dérailleur bloqué, frein cassé. Obligé, en rentrant, de m’arrêter chez Georget, rue Saint-Jean, réparateur de cycles moins glamour que Guidoline, et de m’y morfondre en attendant la fin de la remise en état.
Triple engueulade en arrivant à la maison : pourquoi arrives-tu si tard, qu’est-ce que tu as fait pour casser ton frein (ou bloquer ton dérailleur, ou crever ton pneu), et encore de l’argent dépensé par ta faute.
De quoi détester le vélo pour le reste de sa vie.
 

6 décembre 2014


Preuve que le nouvel emplacement de l’Esadhar (anciennement nommée Ecole des Beaux-Arts de Rouen) sur les lointaines hauteurs de la ville n’est pas une bonne chose, ses expositions ont lieu dans les Grandes Galeries de l’aître Saint-Maclou et même, ce vendredi après-midi, c’est en ce lieu central que David Liaudet et Nicolas Moulin donnent chacun leur conférence dans le cadre de l’opération culturelle et artistique Oui Futur.
Le nom du premier ne m’était pas inconnu mais ce n’est qu’après une piqûre de rappel de l’ami Loïc Boyer que je me suis souvenu avoir vu de lui certaines de ses illustrations pour mots en étant dépourvus dans le dictionnaire Larousse à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (qui porte désormais un autre nom) lorsqu’on y organisait des expositions qui valaient le déplacement. D’autres de ces illustrations sont actuellement visibles chez Guidoline, haut lieu de la boboïtude rouennaise, que j’irai bientôt voir.
Deux gros radiateurs électriques d’appoint tentent de palier à l’absence de chauffage dans les Grandes Galeries. Une estrade pas du tout pratique fait face à une table à micros et ordinateurs derrière laquelle prennent place David Liaudet et Nicolas Moulin. Le public est essentiellement composé de profs et d’étudiant(e)s en art, certain(e)s debout, les autres mal assis(e)s. J’ai posé mes fesses sur l’une des rares chaises.
« Mon combat patrimonial est une performance artistique (enfin je crois) » annonce David Liaudet, ancien beauzarteux rouennais. Il ne parlera pas, dit-il, de ses dessins de dictionnaire, ni du livre de Cioran qu’il a recopié à la main, ni de son blog Architectures de Cartes Postales, ni de la Bulle six coques de Maneval qu’il a sauvé de la destruction, mais d’un livre de mil neuf cent soixante-douze, par lui acheté dans un vide grenier, Guide d’architecture contemporaine en France, qui est à l’origine de son intérêt pour l’architecture brutaliste.
Les questions qui se posent à propos de ce livre c’est quand comment pourquoi, déclare-t-il, et pour y répondre la meilleure façon est de téléphoner à son auteur. Ce qu’il fait illico avec l’aide d’un enseignant qui sait composer un numéro. Dominique Amouroux explique donc comment fut conçu ce qui était son travail de fin d’études. David Liaudet raconte ensuite son combat pour que soit inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le centre commercial de Sens dû à Claude Parent, il s’insurge contre Le Grand-Quevilly qui, il y a deux jours, a fait détruire l’église Sainte-Bernadette et termine en citant Cioran : Ne rien avoir accompli et mourir en surmené. Cet obsessionnel de première, mais qui n’en a pas l’air, a tout pour me plaire. Je l’aurais bien écouté plus longtemps.
Je suis moins intéressé par les propos de Nicolas Moulin, auteur entre autres de la série de photos retouchées Vider Paris, qui parle beaucoup et sans que l’on sache où il va ni quand ça va s’arrêter et comme j’ai trop froid, qu’il a tellement de photos dans son ordinateur et qu’il est bien capable de toutes les montrer, je m’en vais avant la fin.
                                                                     *
Gogo dancing, jacuzzi, stripteaseuses, c’est le nouveau visage du Marégraphe, café où je ne donne plus ma clientèle (comme dirait Henri Calet).
                                                                     *
Le magasin Tati de la rive gauche a disparu sans faire de bruit. Si quelqu’un(e) cherche mil neuf cent cinquante-deux mètres carrés à louer, c’est le moment.
 

5 décembre 2014


Ce mercredi, entre les deux trains, je passe pas mal de temps au Book-Off de la Bastille et à celui de l’Opéra. Dans les deux, la place donnée aux livres à un euro est en expansion. Imparable est le théorème de Book-Off : « Que le prix d’origine d’un livre soit deux euros ou vingt-quatre, il finira à un euro sur nos étagères. »
Entre ces deux escales, je déjeune au Rallye, le Péhemmu chinois de la rue du Faubourg Saint-Antoine, de mon habituel confit de canard pommes rissolées salade et quart de vin rouge, près d’un homme à tête de prof. L’un des joueurs présents, jeune homme avec des origines, le reconnaît et vient le voir :
-On m’a donné l’autorisation d’être vétécé, lui apprend-il.
-L’essentiel, c’est que vous soyez content, lui répond celui qui travaille peut-être en préfecture.
Il est ensuite question d’un homme qui a hérité d’une licence de chauffeur de taxi et plutôt que de s’épuiser à conduire lui-même la loue à un employé clandestin pour cent vingt euros par jour.
La conclusion du duo est que le monde est de plus en plus corrompu.
Après le second Book-Off, je trouve comme souvent refuge Chez Léon où règne un calme inhabituel jusqu’à ce qu’arrive un jeune voisin qui annonce son récent cambriolage :
-Ils sont montés au sixième et ont cassé la porte du voisin qui a une chambre de bonne, puis ils sont redescendus chez nous au cinquième et ont forcé la porte qu’on avait seulement tirée, plus d’ordinateur, etc…
La conclusion du comptoir est que le monde est de moins en moins sûr.
                                                        *
Deux femmes dans le bus.
La plus jeune : « Je suis optimiste. »
L’autre : « Ne t’en fais pas, ça ne va pas durer. »
                                                        *
Parmi les livres rapportés :  Le Portatif de Philippe Muray (Les Belles Lettres/Mille et Une Nuits), Journal atrabilaire de Jean Clair (Gallimard) et Rendez-vous sur ma langue de Marie-Laure Dagoit (al dante)
Dans le train surpeuplé du retour, je lis celui de cette dernière (que je ne croise plus en ville), sorte de pièce de théâtre ou de livret pour un opéra à venir, à trois personnages (Blanche-de-Neige, Bambie, Moi). On y croise des types et un chien entreprenant :
Sans doute il est arrivé à mes lecteurs
de traverser le grand salon où je me branle sans plus/
la main en forme d’anecdote.
 

4 décembre 2014


Ce mercredi matin, comme toujours, le sept heures vingt-quatre pour Paris est très attendu en gare de Rouen, essentiellement par des travailleurs et travailleuses ayant envie d’arriver à l’heure dans la capitale (neuf hommes pour une femme). Chacun(e) trouve place assise. On voyage dans le calme. Les quelques-un(e)s qui se parlent le font à voix basse. Mon voisin, qui a tout de l’homme de pouvoir, passe la première moitié du trajet à lire L’Equipe puis l’autre à jouer à Candy Crush. Bien que le train arrive à l’heure, un certain nombre de porteurs d’ordinateurs remontent vers l’avant afin de mettre le pied à quai plus vite.
Le retour se passe moins bien. Lorsque j’arrive à la gare Saint-Lazare elle est noire de monde. Le tableau d’affichage annonce une panne électrique au dépôt des Batignolles. Le train pour Le Havre n’est pas là. Le Rouen direct de dix-huit heures vingt-cinq  pour lequel j’ai un billet est annulé. Le dix-huit heures trente qui va à Rouen en s’arrêtant à Vernon, Gaillon-Aubevoye, Val-de-Reuil et Oissel n’est pas affiché. Un train est néanmoins présent voie dix-huit d’où part habituellement ce dernier. J’y grimpe sans attendre et y trouve place assise. De nombreux autres ont déjà fait ou font de même. Aussi, quand ce train est affiché, cinq minutes avant son départ, il est déjà complet. Le flot de celles et ceux qui y avaient aussi place ou auraient dû prendre le direct ou encore celui du Havre jusqu’à Rouen s’y engouffrent sans trouver de siège et sans comprendre : « Mais comment ils ont fait les gens pour être déjà dans le train ? » Il y a du monde debout aussi bien dans les couloirs que sur les plateformes et dans les escaliers. Les contrôleurs ne se font pas voir. Le chef de train bloque les toilettes en position fermée. Nous partons à l’heure. Personne ne se plaint ni ne commente. Après Vernon, tout le monde peut s’asseoir. Je m’en suis bien tiré, me dis-je à l’arrivée, songeant à celles et ceux qui attendent peut-être encore le train pour Le Havre.
Manque de personnel, manque de moyens, les incidents se multiplient ces derniers mois. Les Présidents de Normandie (Haute et Basse) ont écrit à la Senecefe pour s’en plaindre. Cela ira mieux en deux mille quinze, leur a-t-elle répondu.
                                                                    *
Publicité Orange en gare de Rouen : « Avec Office, travaillez partout ». Message subliminal patronal : « Avec Office, travaillez tout le temps ».
 

3 décembre 2014


Je pensais le sapin métallique de Saint-Maclou le comble de l’horreur rouennaise de Noël deux mille quatorze, c’est que je n’avais pas encore vu le toboggan géant installé devant le portail de la Cathédrale, place de la Calende, une attraction foraine ayant autant à voir avec Noël qu’un tir aux pigeons avec Pâques.
Des pigeons, il n’en manquera pas pour grimper tout en haut de ce Rider Toboggan, se laisser glisser sur le cul et s’écraser contre un rembourrage (« Interdit aux lunettes »). A la mocheté s’ajoutera le boucan.
Robert, Maire, Socialiste, est le responsable de cette opération Rouen Givrée (comme son nom l’indique).
                                                         *
Contribution d’une certaine extrême gauche à une énième tentative de censure : à Saint-Denis, des Noirs et quelques Blancs manifestent devant le Théâtre Gérard-Philipe contre l’installation performance Exhibit B de l'artiste blanc sud-africain antiraciste Brett Bailey, qu’ils n’ont pas vue, mettant en scène des Noirs dans une dénonciation des zoos humains d’autrefois, et parviennent à empêcher une représentation, au nom de l’antiracisme.
Ces protestataires noirs manifestent-ils lorsque sont démantelés les campements de Roms en Seine-Saint-Denis ? Pas que je sache. Y a-t-il eu une manifestation des Noirs de Saint-Denis lorsque l’extrême droite a comparé Christiane Taubira à un singe mangeur de bananes ? Pas davantage.
                                                         *
Celui qui a deux neurones dedans sa tête étant condamné de redevenir Président de la République pour échapper aux Tribunaux, il emploiera tous les moyens pour être celui qui, face à la fille Le Pen, sera obligatoirement élu. Juppé ferait bien de se méfier, un accident est vite arrivé.
 

2 décembre 2014


Horaire inhabituel, dix-huit heures, et musique inhabituelle, jazz cubain, à l’Opéra de Rouen ce dimanche, Frédéric Roels, maître des lieux, a confié les clés à Michel Jules, tête de Rouen Jazz Action. Celui-ci est applaudi par son fane-cleube avant même d’avoir dit un mot au micro. Il se lance dans une longue série de remerciements, se félicite de ce premier concert ici, un autre suivra, et présente rapidement Omara Portuondo et Roberto Fonseca, la première bien connue depuis le film de Wim Wenders Buena Vista Social Club et son duo Silencio avec Ibrahim Ferrer, le second pour avoir été le pianiste du même.
La salle est comble et si une partie du public est également inhabituelle, cela ne modifie pas la moyenne d’âge, bien élevée. J’ai place au premier balcon d’où je vois les choses de haut. Outre Roberto Fonseca sont sur scène un batteur, un percussionniste et un contrebassiste.
Après un morceau instrumental, le pianiste va chercher la chanteuse. Elle arrive à petits pas, accrochée à son bras, quatre-vingt-quatre ans, vêtue d’une robe rouge en lamé, un turban sur la tête, très diva, et va s’asseoir pour sa première chanson. Elle se lève ensuite et esquisse quelques mouvements dans la deuxième, va jusqu’au piano pour les suivantes. Sa voix est intacte et capable de faire passer bien des émotions.
Roberto Fonseca la reconduit en coulisses. Les quatre musiciens laissent parler leurs instruments dont ils savent faire merveille mais, comme toujours dans le jazz, ce côté « tu as vu ce que je sais faire » m’irrite un peu.
Omara Portuondo revient pour la fin et a droit à une première ovation debout (ce qui pour une fois est justifié), donne quelques standards, Guantanamera, Besame Mucho, fait monter sur scène un spectateur du premier rang pour un pas de danse, est de nouveau applaudie debout avant de se diriger comme à regret vers la coulisse. Chacun de ses concerts peut être le dernier.
Tout le monde est très content d’avoir assisté à l’un des quatre donnés en France (deux autres furent pour Paris et le premier à Courbevoie). Je redescends derrière deux femmes lentes, qui ont pour excuse d’être elles aussi nées dans les années trente, songeant à celle qui, alors toute jeune, m’avait fait découvrir le film de Wenders lors de sa sortie et dont je n’ai pas de lettre depuis trois mois.
                                                                *
Public élargi donc pour ce concert de l’Opéra de Rouen, ce qui demande davantage d’interventions des placeuses et placeurs avant l’ouverture des portes, afin notamment d’empêcher certain(e)s de prendre l’escalier :
-Les étages ne sont pas encore ouverts.
-Ah bon, c’est en construction ? demande une novice, croyant être drôle.
                                                                *
Envie réelle d’ouvrir l’Opéra de Rouen à une musique dite populaire ou manque de moyens pour présenter suffisamment de musique dite classique, je ne sais.
 

1er décembre 2014


Retour à l’Opéra de Rouen ce vendredi soir, un lieu que je ne peux fréquenter sans penser à celle qui y était souvent avec moi, d’autant plus quand y revient celui qu’elle appelait le leprechaun, Antony Hermus, chef d’orchestre.
Celui-ci semble ignorer l’entrée des artistes. Sortant de l’ascenseur, casquette et sac à dos, il se dirige franco sur la salle mais comme il ouvre la porte d’une loge ne peut aller loin. Il ressort, trouve la bonne porte, se fait arrêter par une ouvreuse qui lui demande si elle peut le renseigner.
-Renseigner ? répète-t-il avec un regard d’incompréhension totale.
Elle passe à l’anglais.
-I am the conductor, lui apprend-il.
-Oh, pardon.
Une demi-heure plus tard, il réapparaît sur scène dans sa tenue de fonction, survolté, content d’en découdre avec Wolfgang Amadeus Mozart dont il mène à la baguette l’Ouverture de la Clémence de Titus.
Vient le moment de la création mondiale du Concerto pour violoncelle écrit pour la virtuose Emmanuelle Bertrand par le renommé Thierry Escaich suite à leur rencontre ici-même lors d’un précédent concert. Ce concerto obtient un beau succès. Thierry Escaich monte sur scène recevoir sa part d’applaudissements puis en bis est redonnée la fin.
Après l’entracte, Antony Hermus revient sans partition pour diriger la Symphonie numéro trois en la mineur, dite Ecossaise de Felix Mendelssohn, une œuvre qu’il possède à fond et qui semble le posséder, que je découvre et qui me plaît fort. Le triomphe est au bout des quatre mouvements. Le Maestro fait de nombreux allers et retours entre la coulisse et la scène, le ventre en avant, plus leprechaun que jamais.
                                                              *
Pour rentrer je dois contourner le marché de Noël encore illuminé sur lequel veillent les vigiles. Nous sommes en novembre mais c’est déjà décembre bien qu’il fasse doux comme en septembre. « Si ça continue, on n’aura pas d’hiver », entends-je au moins une fois par jour.
                                                              *
Parmi les décorations de Noël rouennaises, le pseudo sapin posé devant la gothique église Saint-Maclou. Constitué d’une haute pyramide métallique maintenue au sol par des blocs de béton et entourée par des barrières de chantier, il est du plus bel effet.
 

29 novembre 2014


Etant à Paris ce mercredi j’ai raté Laure Adler à Rouen venue honorer de sa présence blonde le vernissage de la troisième édition du Temps des Collections au Musée des Beaux-Arts dont elle est la marraine ou l’organisatrice (va savoir) après Christian Lacroix et Olivia Putman. Il en résulte six mini expositions soutenues par la Matmut, ce « Grand Mécène ». La plupart sont consacrées à des artistes rouennais. L’une montre des œuvres de Vladimír Škoda parmi les ferronneries du Musée Le Secq des Tournelles.
En parallèle, une installation de cet artiste, complétée par des dessins, est présentée à la MAM Galerie, sise à l’Ubi. Au fil des après-midi passées à écrire ce Journal, j’ai assisté à sa mise en place qui fut une épreuve pour les petites mains invisibles chargées de transporter dans des seaux les deux cent mille billes d’acier huilées. Ces deux tonnes de métal sont devenues tapis, sous le nom d’Entropia Grande.
Ce jeudi, un peu avant dix-huit heures, j’arrive à l’Ubi pour le vernissage, en avance comme à mon habitude, mais pas assez pour voir avec mes yeux un vieil élève des cours du soir de l’Ecole des Beaux-Arts marcher sur l’installation et en détruire l’harmonie. L’incident vient de se produire. Tandis que Marie-Andrée Malleville s’emploie à garder son calme et à réparer les dégâts, le fautif reste planté là l’air penaud. Sa femme tente de l’excuser d’un « Il n’est pas très dégourdi. » Je fais le tour des dessins dans lesquels les billes deviennent constellations, l’artiste étant familier de ces contrées où ne m’emmènent même pas mes rêves.
Le tapis de billes serrées les unes contre les autres n’a pas tout à fait repris son aspect initial quand arrive Vladimír Škoda. Grand, costaud, muni d’une barbe blanche, il correspond tout à fait à l’idée que l’on se fait d’un travailleur du métal (il fut tourneur fraiseur avant de quitter Prague en mil neuf cent soixante-huit). Il ne s’insurge pas du mauvais sort fait à son œuvre, laquelle est bientôt réparée. Je bois un verre de vin blanc accompagné de chips au wasabi en observant les allées et venues, puis un autre en devisant avec qui je connais.
C’est quand je m’apprête à quitter les lieux qu’un jeune homme met à son tour le pied sur l’installation dont les billes roulent en tous sens. Lui aussi est fort marri, mais il réagit en tentant de réparer sa bêtise.
                                                          *
Un résidant de l’Ubi voyant les petites mains invisibles fléchir sous le poids des seaux de billes huilées :
-J’ai bien fait de choisir la musique.
                                                         *
Une après-midi ordinaire à l’Ubi, passe un homme qui demande si l’on y accepte les œuvres d’art : « parce que moi j’ai fait une péniche en maquette. »
 

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