Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 avril 2025


Ce Lundi de Pâques, j’achève ma carte Zou ! dix voyages avec une troisième et dernière virée à Sainte-Maxime. Je descends une nouvelle fois juste après le pont du Préconil. Le temps est frisquet mais le soleil va réchauffer ça.
Je m’éloigne de ce pont en marchant le long de la mer vers la Pointe de la Croisette où devrait se trouver une Villa La Croisette due à l’architecte René Darde mais je ne la trouve pas. Au-delà doit être, du même René Darde, la Villa Mirages appartenant au Roi de Suède, mais trop loin pour que je puisse l’atteindre. Je ne pourrai donc pas en envoyer une photo à l’ami de Stockholm qui justement ce soir organise dans sa ville un concert de SuperBravo, « dream pop from Paris + art exhibition & bar », durée cinq heures.
Revenu les pieds cuits, je fais escale au Café de France pour un café verre d’eau lecture de dix à onze. Dix bicyclistes en maillot de sport (neuf hommes, une femme, trois avec le casque sur la tête) animent la terrasse. Des retraités, plus souvent sur une chaise qu’en action, comme moi. 
Quand je repars, c’est pour aller voir, au-delà de la Tour Carrée, L’Arbois (encore du René Darde) qui a inspiré une peinture à David Hockney en mil neuf cent soixante-huit. Outre cet Hôtel L’Arbois Sainte-Maxime, Hockney a peint la même année un tableau intitulé Early Morning Sainte-Maxime. Ce qui prouve qu’on peut être un artiste et se lever tôt.
Je monte ensuite (c’est la direction à prendre en cas de tsunami, signale une pancarte) découvrir le lavoir puis l’Hôtel de Ville. Du parvis de ce bâtiment municipal, on peut voir les toitures de la vieille ville, la mer et le rivage d’en face. En redescendant, je rencontre une Mairie Annexe qui doit être là pour qui n’arrive pas à aller plus haut. Revenu dans les petites rues commerçantes, j’entends une boutiquière s’adresser à sa voisine. « T’as vu, le Pape, il est mort cette nuit. » « Non ! » « T’as vu dans quel état il était hier. » Je vais m’asseoir sur un banc du port pour me remettre de cette nouvelle. Devant moi est un petit bateau de pêche, le Quatre Frères II.
La Réserve n’a pas de formule aujourd’hui car c’est un jour férié. L’Escapade a gardé la même qu’hier. Faute de mieux, je déjeune pour dix-sept euros au restaurant Chez Sophie, place des Sarrazins, d’un médiocre faux-filet avec frites industrielles et petite salade suivi d’une honorable mousse au chocolat.
Je retourne au port et marche jusqu’au bout de la petite digue, assistant à l’arrivée d’un voilier allemand et au départ d’un Bateau Vert pour Saint-Tropez (seize euros l’aller retour) puis je vais boire un ultime café maximois au Café Maxime, perché à une table haute, sous un soleil un peu trop chaud. Derrière moi sont deux boutiquières dont l’une dit à l’autre : « Vouloir et ne pas pouvoir, on est de plus en plus nombreux à le vivre ». Après une enfance comme la mienne, il faut croire à un soir resplendissant ou se jeter à la rivière, écrit Balzac qui attend impatiemment le jour où il pourra retrouver et épouser Madame Hanska.
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Donc le Pape est mort. Il est mort après des semaines d’acharnement thérapeutique le mettant dans un drôle d’état.
Ce que je constate, c’est que cet homme, qui plus qu’aucun autre est censé croire en Dieu, a tout fait pour retarder le moment de le retrouver. Il en est ainsi de tous ceux qui affirment croire en ce Dieu, des religieux comme des laïcs.
S’ils étaient vraiment croyants, ils se réjouiraient d’attraper une maladie grave et ne la soigneraient pas, pour être le plus vite possible au royaume de leur Dieu. Or, tous ont recours à la médecine, même au-delà du raisonnable.
Ma conclusion est la suivante : personne ne croit en Dieu, pas même le Pape.

21 avril 2025


« Joyeuses Pâques ! », me lance la gentille employée de service à la Boulangerie du Soleil quand j’y entre pour acheter mon pain au chocolat quotidien (elles ne sont pas toutes gentilles). Je lui réponds la même chose, tout en me demandant à quoi correspond un tel souhait.
Ce dimanche, je retourne à Sainte-Maxime, avec comme objectif de suivre plus ou moins fidèlement le parcours de découverte Architecture et Patrimoine Contemporains que m’a remis hier l’aimable employée de l’Office de Tourisme (Il semble qu’à Sainte Maxime, on ait une meilleure idée de la Culture qu’à Saint-Raphaël).
Pour ce faire, je descends du car Zou ! à l’arrêt Le Préconil proche du pont du même nom qui enjambe ce fleuve Préconil, pont en arc sous-tendu que Man Ray a photographié en mil neuf cent trente-six. Je fais de même. Ensuite, comme toujours, je vais au gré de mon plein gré, incapable de la discipline exigée par mon projet, oubliant mon plan et les constructions du guide et m’arrêtant devant des bâtiments qui n’y sont pas, que peu regardent, dans les rues intérieures.
Puis, profitant du ciel bleu et de l’absence de vent, je contourne le port par le haut de la grande digue. Au milieu d’icelle, vue sur Saint-Tropez, là-bas en face. Au bout d’icelle, vue sur le pont du Préconil et le sommet derrière dont j’ignore le nom.
Après ce bel effort pédestre, je m’offre une pause au Café de France. En terrasse cette fois. A une table haute avec vue sur les mâts au-delà des voitures et un serveur sympathique prénommé Axel qui se souvient que pour moi, c’est expresso sans sucre avec verre d’eau. « Tiens, c’est fini la messe », commente ma voisine alors que passent de nombreux endimanchés (tout à l’heure, ça carillonnait fort). Certains d’entre eux s’installent ici pour se remettre de leur bel effort pieux.
Le ciel devenu voilé, c’est à L’Escapade, entre le Café de France et La Réserve que je déjeune de la « formule bistrot ». Pour seulement seize euros quatre-vingt-dix en ce jour férié, c’est gigot d’agneau pascal flageolets et poire Belle-Hélène.
Le café, comme hier, je te prends au Café Maxime et y reste à lire Balzac jusqu’à ce qu’il soit l’heure du car Zou ! pour Saint-Raphaël.
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En fin de matinée, une deuxième messe pascale dans la petite église Sainte-Maxime. L’affluence est telle qu’une partie des fidèles suit la cérémonie sur le parvis via des enceintes sous la protection de la Police Municipale.
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Au détour d’une rue, une assez belle statue de Frédéric Mistral accompagnée d’une niaiserie écrite par lui : Quand le Bon Dieu en vient à douter du monde, il se rappelle qu’il a créé la Provence.
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Autre rencontre artistique : Agility, la Bugatti 35 en aluminium qui semble filer devant La Réserve, une sculpture d’Antoine Dufilho qui s’est pris de passion pour l’automobile à cause de son grand-oncle, le comédien Jacques Dufilho, et de son grand-père, tous deux collectionneurs de Bugatti.
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Pour le jeune couple d’à côté de mon Air Bibi, Pâques se célèbre dans l’après-midi en faisant craquer le lit.

20 avril 2025


Je monte dans le car Zou ! numéro Huit Cent Soixante-Seize de huit heures quinze ce samedi sous un ciel gris. Son terminus est Saint-Tropez et s’il est un endroit où je ne veux plus mettre le pied, c’est bien dans cette ville. Mon objectif est Sainte-Maxime où je suis passé trop vite autrefois. On l’atteint au bout de trois quarts d’heure après avoir longé la côte par Les Issambres.
Je descends à l’arrêt Théâtre de la Mer (rien à voir avec celui de Sète, c’est un chapiteau installé en saison pour des concerts gratuits). Il y a des endroits où je me sens bien dès l’arrivée. Sainte-Maxime est de ceux-là. Cette voisine de Saint-Trop a su garder une certaine forme d’authenticité. Je passe par le port à taille humaine et à bateaux ordinaires dont quatre bateaux de pêche, la hallette de vente directe du poisson peu fournie, les jolies rues intérieures avec un petit marché, la Tour Carrée, la petite église Sainte-Maxime, l’olivier millénaire, le Casino Barrière et j’arrive au Café de France qui affiche fièrement qu’il est là « depuis 1852 ».
Il est dix heures. Je m’installe sous sa véranda. La clientèle est bourgeoise mais non ostentatoire, locale et étrangère. Pour la servir, un ballet de serveurs et serveuses à tablier. « Chaud ! », ne cesse-t-on d’entendre quand filent au bout de bras les plateaux porteurs de petits-déjeuners. « Et c’est parti pour le show ! », commente l’un d’eux. Mon café à deux euros dix bu, je lis Balzac.
A midi, je déjeune à côté, à La Réserve, « maison fondée en 1949 ». Pour vingt euros, une formule du jour propose un tajine d’agneau à l’orange et cumin et une mousse au chocolat. L’agneau doit être du mouton mais c’est bon. La clientèle est composée d’habitués un peu exigeants quant au choix de leur table. On a peur des courants d’air qui « donnent des maux de gorge ».
Je marche jusqu’au bout de l’avenue pour boire un café à deux euros au Café Maxime où je reprends Balzac. Maintenant ma vie est monotone et sans accident.
Le ciel est toujours gris quand je rentre à Saint-Raphaël avec le car Zou ! de quatorze heures douze dans lequel je suis loin d’être seul.
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A Sainte-Maxime, comme à Paris, on n’est jamais à l’abri de croiser une célébrité. Cet homme bronzé aux cheveux en arrière, accompagné d’une blonde à lunettes noires, qui commande une bouteille de rosé et un plateau de fruits de mer pour deux à La Réserve en est peut-être une, inconnue de moi.
Cette ville plaît à beaucoup. Y ont résidé, entre autres, Louis Lumière, Victor Margueritte, Paul Géraldy, François Deguelt, Emmanuelle Béart, Bertrand Tavernier, Jean de Brunhoff, Colette, René Crevel, Gaston Rébuffat, Théodore Botrel, Antoine Pinay, Antonin Artaud, Michel Sardou, la famille royale de Suède, et Aguigui Mouna.

19 avril 2025


L’azur a réapparu ce vendredi. Avec le premier bus Vingt-Trois, je prends une nouvelle fois la direction des Issambres et choisis d’en descendre à l’arrêt Le Corsaire.
Un chemin mène à un petit port discret et mignonnet nommé Port Ferréol. Le sentier du littoral n’est pas dangereux à cet endroit. Il me permet de rejoindre le Vivier Gallo-Romain, « monument historique ». Je m’attendais à autre chose. S’il n’y avait pas un panneau l’indiquant, je n’aurais vu qu’un amas de rochers battus par les vagues.
Le sentier devenant trop ardu pour moi, je dois remonter sur le bord de route mais je descends dans chaque calanque. L’une abrite Port Tonic Galerie d’Art, un bâtiment en déshérence qui a dû connaître son heure de gloire. J’arrive au Village Provençal. Il s’avère n’être qu’un quartier résidentiel, néanmoins doté d’une église de style néo-provençal nommée Sainte-Thérèse. Elle sonne dix heures. Un couple d’Anglais attend là le car Zou ! pour Sainte-Maxime Saint-Tropez. Quand il arrive, ils hésitent, n’y montent pas. Le car reparti, elle le traite de « stupid ! » en lui donnant de petits coups de poing.
Je continue à marcher sur cette route côtière dans l’espoir de trouver un endroit où prendre un café. Je passe devant la salle de spectacles Espace Robert Manuel (l’intellectuel bien connu), arrive à l’arrêt de bus Les Sirènes (sans voir la queue d’une) et finis par échouer dans le Parc des Issambres.
Celui-ci traversé, j’arrive à Saint-Paëre, ce quartier de boutiques touristiques moches où il y a enfin des cafés. La plupart donnent sur la route. Je les snobe au profit d’un plus chic installé en bord de plage. Je m’installe en terrasse avec vue sur le large et les jolies baigneuses qui hésitent à entrer dans l’eau. A la table de la pointe, comme dit le serveur. Il est onze heures. En attendant le bus pour rentrer à Saint-Raphaël, je bois un café à un euro quatre vingt-dix, ce qui n’est pas cher pour cette brasserie avec accès direct à la plage qui a pour nom L’Arpillon.
J’arrive à Saint-Raphaël à midi et quart et déjeune au Kashmir. Je n’y ai jamais vu autant de monde. C’est partout pareil, constaté-je, en sortant. La Promenade est encombrée. Le soleil revenu et Pâques arrivant en sont les causes.
Heureusement la terrasse du Coq Hardi dispose de nombreuses tables, une moitié au soleil, une moitié à l’ombre. C’est sous l’auvent, où s’installent les locaux, que je lis Balzac. Aux deux tables voisines, on fait connaissance. Lui avait un restaurant à Saint-Raphaël près de la Mairie. Il travaillait avec sa femme et pour des problèmes de personnel, la situation s’est tendue entre eux. Ils ont décidé de vendre et après elle est partie. « Maintenant, je suis tout seul avec mon chien ». Eux aussi avaient un restaurant, à Paris. Au bout de sept ans, ils ont dû déposer le bilan avec des dettes à l’Urssaf. « On nous a tout pris. Toutes nos économies pour acheter une longère à la campagne. Même la voiture, ils nous l’ont pris. » Balzac, lui, va mieux, moins d’idées dragonnantes. Il vient d’apprendre une bonne nouvelle : la mort du mari de Madame Hanska.
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Un client du Kashmir à celui avec qui il mange : « On va faire une terrasse pour ne plus être obligé de descendre dans le jardin. »
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A L’Arpillon, le rappel à l’ordre donné par téléphone à sa mère octogénaire par un fils quinquagénaire qui glande en terrasse: « Tu n’oublies pas que tu as ta balade à faire. »

18 avril 2025


Plic, ploc, plac chantent les gouttes de pluie dans les récipients censés limiter l’inondation de la véranda du Café Kro. Il ne pleut cependant pas autant que la veille ce jeudi à sept heures trente. A l’horizon, une lueur d’espoir éclaircit le ciel mais pour le moment je reste à l’intérieur avec Balzac et les présents qui peinent à trouver quoi se dire : « Hier dans le bus, y a une personne qu’a oublié son parapluie. » Au bout d’un moment, l’horizon se bouche et la pluie redouble au désespoir des habitués et, comme dans les cafés on rencontre plus de dépressifs qu’ailleurs, c’est un concours de plaintes et de gémissements.
A neuf heures et quart, je me translate vers Au Coq Hardi dont la véranda est étanche et la clientèle plus reluisante. Le ciel est désormais complètement gris. Une jeune serveuse pas encore vue m’apporte mon café verre d’eau et je rouvre Lettres à Madame Hanska. Tout cela me préoccupe, me tourmente, et m’assiège de mille idées dragonnantes. écrit l’auteur de La Comédie humaine aux Jardies en juillet mil huit cent trente-neuf. Le petit train touristique circule à vide. Le café, lui, fait le plein. Un bourdonnement de ruche m’empêche de saisir la moindre conversation, hormis celle de Balzac … hélas ! pas de plaisirs, tout est soucis, contrariétés, ma vie est une étrange et continuelle déception, moi fabriqué, je crois, tout exprès pour le bonheur.
A midi, je déjeune comme hier aux Sablettes : rôti de veau petits légumes, clafoutis aux fruits de saison et café. Cette fois, la terrasse fermée est chauffée. Il ne pleut plus à la sortie. Au large mouille un trois mâts de croisière. Je marcherais bien jusqu’à Port-Fréjus mais un vent froid m’en dissuade. Je ne vais pas plus loin qu’Au Coq Hardi où je retrouve Balzac. Mon énergie s’est abattue et en ce moment je ne vaux pas un insecte fiché sur du carton dans la boîte de quelque naturaliste amateur.
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Ce ne sont pas les richesses culturelles de Saint-Raphaël qui pourraient me tenter les jours de pluie. On y trouve un Musée Louis de Funès et les Rencontres Théâtrales en cours proposent des comédies grand public. Nous avons ici un Maire Les Républicains.

17 avril 2025


De la pluie toute la nuit et au matin de ce jeudi ça continue et pas qu’un peu. Mon imperméable acheté en Bretagne m’est utile pour aller de la Boulangerie du Soleil au Café Kro. A l’intérieur de l’estaminet, on est unanime « C’est la cata » « Et demain la même ». Le devant de la véranda est inondé. La serveuse s’emploie à limiter les dégâts en plaçant des récipients sous les principales fuites. Ma place habituelle reste au sec. Je lis Balzac sur fond de la musique concrète générée par l’eau qui goutte. Me voilà tout seul et j’aime mieux cette solitude dans ma solitude que cette haine doucereuse qu’à Paris on nomme amitié.
Un malheur ne vient jamais seul (comme dit Madame Michu). Le Coq Hardi ne chante pas le mercredi. Je rebrousse en longeant la plage jusqu’au Vieux-Port, monte en ville et trouve refuge au Café Coullet, place du même nom, un lieu trop petit pour que l’on s’y incruste, où je sors néanmoins Balzac et mes lunettes. Cet endroit est fréquenté pas des familles comme il faut débordées par leur descendance. « J’veux une sucette ! » « C’est moi qui mets la carte bleue ! » Ici aussi on se plaint du temps : « Moi c’est dimanche lundi que je voudrais qu’il fasse beau, je fête Pâques avec la famille. » (Comme c’est original).
Je déjeune en terrasse couverte aux Sablettes, un établissement tout en longueur de bord de plage avec bruit de vagues. La formule du midi à vingt et un euros comporte la daube de bœuf façon grand-mère avec gnocchis, le tiramisu et le café. Manger Boire Bronzer Aimer, est-il écrit dans le dos des serveurs. Viser la lune chante celle qui sort des enceintes. (Je ne sais de quel postérieur elle parle.) Je repars de là content, me demandant pourquoi je n’y suis pas venu plus tôt.
Au Café Kro où je prends un autre café, les récipients débordent car le serveur de l’après-midi se fiche un peu de tout. Un homme se donne le rôle de conseiller en immobilier auprès d’une qui veut vendre son appartement près du Casino de Fréjus. « Faut pas que tu parles que t’as pas de soleil. Faut pas que tu parles de tes problèmes de voisinage. C’est à eux de se renseigner. »
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Au restaurant Les Sablettes, une quinquagénaire à l’une des serveuses :
-On n’a pas regardé le plat du jour.
-C’est la daube avec des gnocchis.
-C’est du poisson ?
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Ces hommes seuls à une table de bar. S’ils n’avaient pas leur smartphone à branler, qu’est-ce qu’ils feraient ?  (Lire, je ne crois pas).

16 avril 2025


De la pluie toute la nuit mais au matin de ce mardi c’est terminé. Météo France prévoit le retour des précipitations dans la soirée. Je décide de lui faire confiance et monte dans le bus Quatre de sept heures cinquante, terminus Coopérative, qui dessert le centre de Roquebrune-sur-Argens, c’est-à-dire la partie haute de cette vaste commune qui descend jusqu’à la mer aux Issambres.
Ce bus se remplit vite, plus qu’aucun que j’aie pris. Une moitié de ses passagers descend au Centre Commercial des Arènes, tellement étendu qu’il est desservi par quatre arrêts. L’autre moitié, composée de bizarres, fait de même à l’entrée de Puget où doit se trouver un hôpital de jour. Je reste seul avec le chauffeur et, après quarante minutes de trajet, descends à l’arrêt Roquebrune Village.
Il suffit de monter à droite pour être au cœur du bourg. Il est fort beau, peu pentu, agréable à visiter. Ses ruelles et placettes sont décorées de fleurs géantes en plastique. Je passe par les Portiques (imposantes maisons à arcades), la Fontaine Vieille, la Fontaine Neuve et son Lavoir, la Tour de l’Horloge, l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, le Castrum de Roca Brunae, la Maison du Chocolat et du Cacao et la Chapelle Saint-Michel puis j’atteins la sortie du village et sa Chapelle Sainte-Anne, point de départ des randonnées.
Revenu sur mes pas, j’entre à l’Office de Tourisme et demande un plan qui ne me servira pas à grand-chose à celle qui me reçoit. Je l’interroge sur Le Café de Roquebrune, à côté, qui devrait être ouvert depuis un quart d’heure. « Il ouvre quand il veut », me répond-elle.
De quoi me laisser le temps d’un nouveau tour du bourg alors qu’un peu de ciel bleu est visible à travers les nuages. Des oiseaux chantent. Le rocher rouge qui domine Roquebrune (« On se croirait dans le Colorado », s’excite Le Routard) est un peu caché par la brume.
A neuf heures et demie c’est bon, le Café de Roquebrune est ouvert. « Eh bonjour ! » Les gens du pays arrivent un par un. « Oh, lui, il a mis la tenue de combat, il va partir en Ukraine. » « Ça va Nino ? » « Allez, salut Aldo ! » « Eh bien, il est là le soleil. Pourtant y avait le chapeau ce matin. » Une camionnette de location France Cars arrive dont le conducteur répand par terre des sacs de colis Mondial Relay que le patron du troquet réceptionne. Le livreur en reprend d’autres. « Ne fais pas ça, l’entend-je dire au cafetier, il serait dévoyé. » Il n’y a pas que certains humains qui soient dévoyés, des colis aussi.
Trouver où manger est toujours un défi. Ce sera la pizzeria Robinson pour une formule lasagnes fondant au chocolat à seize euros. Je retourne ensuite au Café de Roquebrune pour un café lecture en terrasse. Rien n’a bougé ici depuis des décennies, sauf le prix du café, un euro quatre-vingt-dix. En redescendant vers l’arrêt de bus, je croise une équipe télé de l’Agence France Presse.
Dans le car du retour, alors qu’il commence à pleuvoir, monte un tas de jeunesse. Près de moi est un treize ans et demi qui raconte à ses copains qu’hier, il est allé faire des courses avec sa daronne. Il lui a dit « Tu peux laisser les clés de la voiture, je ne veux pas t’accompagner dans le magasin, je reste ici. » « Tandis qu’elle faisait ses achats, j’ai fait cinq fois le tour du parking et je me suis garé à la même place. Elle n’a rien vu. »
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C'est à Roquebrune-sur-Argens, le quinze avril deux mille onze, qu’a été vu pour la dernière fois, sortant de l’Hôtel Formule Un où il avait passé la nuit, Xavier Dupont de Ligonnès.
Début janvier deux mille dix-huit, une intervention de la Police Judiciaire a eu lieu au Monastère Saint-Désert de Roquebrune-sur-Argens où quelqu’un pensait l’avoir reconnu.
Présent dans la commune le jour anniversaire de sa disparition, je n’ai aucune information d’actualité à donner sur cette affaire, si ce n’est que l’Hôtel Formule Un est toujours là près d’un rond-point donnant accès à l’autoroute.

15 avril 2025


Le bus Quatre de huit heures cinq me conduit ce lundi gris à son terminus l’Hôtel de Ville de Puget-sur-Argens (L’Argens est le fleuve coulant entre le Massif des Maures et le Massif de l’Estérel).
Il ne pleut pas à mon arrivée dans ce petit bourg d’arrière-pays. Je ne mets guère de temps à le visiter en parcourant les quelques rues typiques avec climatiseurs sur les façades. Deux bâtiments remarquables : une jolie petite église en pierre et un élégant campanile. Entre les deux : le Grand Café de la Place. Il est hélas fermé. Rien ne peut me retenir ici.
Je monte dans le premier bus Quatre et en descends à l’arrêt Gare Routière de Fréjus. Je constate avec plaisir que les rues du centre sont piétonnières vingt-quatre heures sur vingt-quatre, fermées par de sévères bornes escamotables. Les gars de la ville terminent d’ôter les bottes de paille « 100 % Nature ». Un café est le bienvenu que je prends en terrasse au Bar Tabac du Marché situé au carrefour le plus animé et dont la serveuse est toujours aussi peu aimable.
Je lis là Lettres à Madame Hanska. Une femme tient à informer l’ensemble de la clientèle de ses grosses crises d’angoisse en téléphonant à son psychiatre de qui elle veut un rendez-vous en urgence « J’arrive pas à pas penser ». Le sentiment de l’abandon et de la solitude où je suis me poigne écrit Balzac le samedi premier octobre mil huit cent trente-six. La serveuse ne veut pas être en reste : « Avant j’étais une warrior mais maintenant avec l’âge que j’ai ». Je me demande qui va bien. Quand elle en a marre de me voir, cette serveuse enlève ma tasse vide. Il me reste le verre d’eau et ma mauvaise volonté à libérer la place.
Rien ne me convenant pour déjeuner dans ce centre ville, je décide de rejoindre Fréjus-Plage avec la navette A. Le soleil tente une percée quand je descends à l’arrêt République. Je longe la mer jusqu’au Kashmir pour déjeuner à volonté et ensuite dans l’autre sens jusqu’au Coq Hardi pour le café. Pas pour le prix dérisoire du noir breuvage qu’on y pratique mais parce que les serveurs sont beaucoup plus agréables que celui de l’après-midi au Café Kro. Ma voisine de table voit son billet de vingt euros refusé par le contrôle. « Il n’est peut-être pas faux mais il est vieux, c’est peut-être pour ça » lui dit le serveur. « Ça ne fait rien, dit-elle, je le passerai au marché dimanche, ils n’ont pas de machine. »
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Balzac, le samedi premier octobre mil huit cent trente-six : Je perds parfois le sens de la verticalité, qui est dans le cervelet, même dans mon lit… C’est ce qu’on appelle une histoire à dormir debout.

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