Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

11 novembre 2024


Je vais à pied jusqu’à l’usine ophtalmologique ce jeudi quatre novembre. Mon rendez-vous pour l’opération de l’œil gauche est fixé à sept heures trente. Je marche seul dans la nuit, faisant attention où je mets le pied, notamment sur le pont Corneille en travaux. J’arrive à six heures quarante-cinq. Je ne suis pas le premier. Trois personnes attendent déjà devant la porte fermée.
Quand celle-ci s’ouvre à sept heures, je fais les formalités d’admission auprès d’une secrétaire qui a l’air d’être aussi âgée que moi. Elle m’invite à monter au premier étage rejoindre les autres vieux et vieilles concernés par l’opération de la cataracte. D’autres sont aussi convoqués, plus loin dans le couloir, des jeunes couples qui ont besoin d’aide médicale à la procréation. Il faut attendre encore assez longtemps avant qu’arrivent des infirmières. La moitié des mal voyants apprennent que leur ophtalmo est malade et qu’ils ne seront pas opéré ce matin. Ils doivent aller prendre un autre rendez-vous. Aucun ne proteste : « Ça arrive. »
Mon dossier est étudié par une première infirmière. Elle m’emmène dans une cabine où je dois me déshabiller et revêtir une tenue adéquate. Mes affaires sont mises dans un casier. Je suis emmené dans une salle de pré-opération où sont alignés plusieurs lits à roulettes. L’un est pour moi sur lequel je suis installé. A un moment, je suis emmené un peu plus loin  sans savoir où car je dois garder les yeux fermés à cause des gouttes qu’on y a mis.
Un homme se présente comme étant l’anesthésiste. Il me place un cathéter dans une veine du dos de la main. Il s’agit de me shooter (comme il dit) à l’aide d’une perfusion. Une infirmière me dote d’un tensiomètre, d’une pince sur le doigt, d’électrodes pour surveiller mon cœur. Elle bloque ma tête avec un adhésif. Et puis il faut attendre. J’attends plus que prévu parce qu’il y a eu un carambolage sur le pont Mathilde et le boss est retardé. Quand il arrive enfin, on me dit que c’est bon
Je suis roulé dans une sorte de couloir noir jusqu’à la salle d’opération. Le boss, que je ne vois pas, me dit bonjour, Je ne me sens pas shooté. Je ne sais pas ce qui se passe car aucun mot n’est prononcé. Je ne vois pas arriver une aiguille ou un autre instrument vers mon œil. Je ne perçois qu’un cercle coloré. Je me demande quand ça va commencer quand on me dit que c’est terminé.
Je suis emmené dans la salle de surveillance où je dois patienter. Un appareil automatique prend ma tension régulièrement. Au bout d’une demi-heure, on me conduit dans la salle de petit-déjeuner. J’ai droit à un café, une brioche et un jus d’orange. Il faut encore attendre pour que je sois autorisé à sortir.
Une dernière prise de tension (élevée, contrairement à l’habituelle) et je peux aller me rhabiller. Dans le miroir, je découvre comment mon œil est caché. Ça peut faire peur. Quand je sors de la cabine arrive l’ambulancier appelé par l’une des infirmières pour me ramener chez moi. Il faut repasser par l’accueil afin que je règle cent euros, le supplément d’honoraire de l’anesthésiste. Pour le boss, ce sera plus tard et davantage.
L’ambulancier m’accompagne jusqu’à sa voiture. Il a un peu de mal à sortir parce que le responsable de la barrière ne répond pas. Après un long détour dû aux travaux du pont Corneille, il réussit à entrer dans la rue Saint-Romain elle aussi en travaux. Il me dit qu’avant il était chauffeur de bus et qu’il peut rentrer avec sa voiture dans ma ruelle. Heureusement, il ne s’y risque pas. Il m’accompagne à pied jusqu’à ma porte. Cela est pris en charge par la Sécurité Sociale.
Il est onze heures quarante. Après avoir déjeuné, je ne peux rien faire. Je passe l’après-midi assis dans mon fauteuil de ministre à écouter France Culture puis une nuit un peu agitée.
Le lendemain, à cinq heures du matin, je me débarrasse du cache-œil. Mon œil gauche est semblable à ce qu’il était. Il voit déjà mieux qu’avant et cela doit s’améliorer au fil des jours. L’œil droit ne me sert à rien, myope comme il est, ne voyant même pas le ZU du tableau des ophtalmos. Cette deuxième journée est fort longue. Je ne peux ni lire ni écrire.
                                                                   *
Jour trois pour l’œil gauche, j’ai l’impression de redécouvrir mon appartement. De la profondeur, du volume et de la poussière. Pas question de faire le ménage, c’est une des activités interdites.
Ma première sortie est pour aller acheter une tradigraine à la boulangerie Chez Catherine place Saint-Marc. Pour la première fois depuis l’âge de quatorze ans, je suis dans la rue sans lunettes. Je redécouvre les pavés de Rouen où je risque moins de faire une chute.
Maintenant je vois mieux de près. L’après-midi, je mets en marche mon ordinateur et en forçant un peu, je commence à mettre en forme mon texte dicté.
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Jour quatre pour l’œil gauche, sans changement notable. Un court passage au marché du Clos Saint-Marc. Lire, quand on a un œil réparé et l’autre pas, c’est comme marcher avec une jambe plus courte que l’autre, on se fatigue vite.
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Jour cinq pour l’œil gauche, et veille de l’opération de l’œil droit. Première chose à faire : ce soir me doucher corps et cheveux avec Betadine.
                                                                      *
Ce onze novembre deux mille vingt-quatre marque le dix-huitième anniversaire de mon Journal.

6 novembre 2024


Sur le quai Deux de la Gare de Rouen, attendant ce mardi le sept heures vingt-trois pour Paris, je me dis, pensée on ne peut plus flippante, qu’un jour ce sera pour la dernière fois que je me tiendrai là, que je ne peux savoir quand et que si dans les jours et semaines qui viennent, cela se passe mal pour moi, ce pourrait être cette fois.
Ce bol d’air parisien vient au lendemain de deux heures passées à l’usine ophtalmologique, anesthésiste, échographie, rencontre rapide (à ma demande) avec le boss, secrétariat de celui-ci, pré-admission, un parcours dont je suis sorti avec beaucoup de paperasse et pas moins d’inquiétude.
Stressé comme je suis, j’ai oublié de prendre un livre à lire dans le train. Je n’ai pour penser à autre chose que la vue des jolies jambes de ma voisine d’outre couloir, gainées dans des collants ajourés de type cabaret. Ce n’est pas si mal.
Le bon air et un bain de foule dans le métro Huit que je n’ai pas souvent vu aussi chargé. Mon circuit est inchangé, Camélia pour un café, Marché d’Aligre, Re-Read, Book-Off Ledru-Rollin (la rue du Faubourg Saint-Antoine a désormais une piste cyclable vers la Bastille, nouveauté dangereuse pour les piétons distraits), Le Rallye pour déjeuner, Book-Off Saint-Martin (Hidalgo n’a pas encore décroché les moches décorations olympiques de sa Mairie), Bistrot d’Edmond pour un café, Book-Off Quatre Septembre.
Je n’ai pas l’esprit à acheter. J’essaie de penser à autre chose qu’à ce qui m’occupe l’esprit depuis des semaines (des mois). Ce à quoi j’arrive très partiellement.
Quand même, à l’issue, dans mon sac se trouvent, à un euro : Les Mille Vies d’Agatha Christie de Béatrix de l’Aulnoit (Texto), Journal du huitième hiver de Samuel Brussell (L’Age d’Homme), Cons de Juan Manuel de Prada (Points Seuil), Traces écrites de Roland Simounet (Domens), Dissimulons ! de Noël Herpe (Plein Jour) et, ayant sauté aux miens, Les yeux cousus de Mona Malacar (Editions Dynastes).
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Maintenant, mon actualité m’impose une pause. Je reprendrai l’écriture de mon Journal un jour ou l’autre. Du moins, je l’espère.

2 novembre 2024


Quand je quitte mon logis Air Bibi ce jeudi matin, je laisse la clé dans la boîte à lettres de ma logeuse et descends la rue Arago. Là se trouve la Médiathèque devant laquelle j’attends, seul, le premier bus Un, celui de six heures vingt-sept.
Un passage de ma carte bancaire devant le valideur vaut ticket et me voici dix minutes plus tard à la Gare de Sète. Je me procure un café allongé à un euro cinquante chez Relay pour accompagner mes tartelettes industrielles. Du quai, je vois la Croix Saint-Clair, encore éclairée, et le lever du soleil derrière les mats des voiliers.
Le Tégévé de sept heures vingt-cinq pour Paris est à l’heure. Je voyage en première à une place isolée. Montpellier, Nîmes et Valence sont les arrêts intermédiaires. Jérôme est notre chef de bord. Un jeune père monte à Nîmes avec son rejeton. La jeune mère reste sur le quai. « Amuse-toi bien », lui dit-il. Peu avant Valence, le ciel se couvre. Ensuite, on fonce dans le brouillard. Une allégorie de ce qui m’attend en novembre.
A l’arrivée à Paris, c’est le froid qui me saisit. Je passe dans le tourbillon de la ligne Quatorze. Gare Saint-Lazare, je mange mes sandouiches triangles et attends le train Nomad de douze heures trente-neuf pour Rouen. En choisissant ma date de retour je n’avais pas vu que c’était la veille d’un jour férié. Impossible de compter sur la voiture Cinq pour voyager tranquillement, elle est en réservation aussi. Partout du monde et des familles, sûrement pas pour se rendre sur les tombes des êtres que l’on dit chers.
Le train est à quai mais un bagage y a été oublié. Un Policier à chien va le faire renifler à l’animal puis une cheminote le rapporte à la main. C’est une guitare dans son étui. Nous partons quand même à l’heure, ce qui est un exploit. Ma voisine se goinfre d’une nourriture tirée d’un sac à tout « Marseille, fière d’accueillir les Jeux Olympiques ». Mon voisin d’outre couloir lit Réforme, le journal des protestants. Un article qui dit « Comment remédier à la baisse de la natalité ». Une obsession de toutes les religions qui contribue au malheur de l’humanité.

1er novembre 2024


Je m’étonne lors de mon dernier petit-déjeuner au Classic qu’il ne soit pas question du serveur parti en vacances chez un ami en Espagne à Valence, ville qui vient d’être victime d’une catastrophe climatique aggravée par la société productiviste. Le soleil brille pour la fin de mon séjour d’un mois à Sète. Je mets à profit cette belle matinée pour voir la Pointe Courte sous un ciel bleu.
La Pointe Courte est construite comme Manhattan. Des avenues parallèles reliées par des rues perpendiculaires. Malheureusement, ces dernières, les traverses, servent à garer les voitures des résidents. Les « avenues » sont quasiment désertes à cette heure. Je croise plus de chats que d’humains. Quand même, il y a là Arnaud le Sétois et son petit troupeau de touristes descendus de son minibus rouge. Sa promesse : vous emmener dans les coins secrets de Sète. Ils sont indiqués sur le véhicule et dans tous les guides touristiques (il n’y a pas Le Barrou).
Quand j’ai bien revu et photographié ce quartier de pêcheurs, je bois un café verre d’eau tout au bord du Canal à la terrasse du Passage. Derrière moi, sur le pont de chemin de fer passe un Tégévé qui me fait penser à demain. Vers dix heures trente, ce pont ferroviaire et le pont routier se lèvent de concert pour laisser passer deux voiliers entrant et un sortant.
C’est le moment où commence à arriver le monde qu’il convient de fuir, mais c’est pire en ville, il y a foule, spécialement près des Halles autour desquelles s’étale le marché.
Par chance, je peux disposer d’une table à l’Idéal Bar. « C’est tous les jours », me dit le serveur quand je lui commande mes six huîtres de Bouzigues et mon verre de Picpoul. Il exagère grandement et c’est la dernière. « La lumière est revenue », me dit l’aimable patronne quand je paie mes neuf euros. Je peux donc aller aux toilettes sans son téléphone.
La rue à descendre et me voici au Tabary’s qui propose la macaronade à la sétoise pour quatorze euros. Je choisis une table d’intérieur et ajoute un verre de côtes de Thau à quatre euros. Les plats arrivent du dessous par l’escalier public qui perfore la véranda. Cette macaronade nourrit son homme encore une fois.
Je passe ensuite de l’autre côté du Canal Royal pour le café au Quai Bohème. « Ah ! Jean Hugo ! » s’exclame un autochtone à chariot retour du marché en voyant mon livre. Il lève le pouce et poursuit son chemin.
Quand je quitte les lieux, je fais un détour par le Pont de Pierre afin de voir si les Editions Kailash, que j’ai trouvées ici, alors que je les croyais à Pondichéry, sont ouvertes. Elles le sont, bien que ce ne soit pas l’horaire réglementaire. J’y trouve l’éditeur en personne, qui me dit avoir quitté Pondichéry parce que ça lui coûtait cher et Paris, où la maison avait un pied-à-terre, depuis trois ans pour changer d’air. Cela fait trente ans qu’il s’occupe de ces éditions, me dit-il. J’ai découvert les Editions Kailash chez Book-Off par leur collection de poche Les Exotiques dans laquelle sont republiés des textes d’écrivains décadents, parfois opiomanes ou cocaïnomanes, de jolis petits livres avec des couvertures sérigraphiées à la main sur des papiers colorés naturels ou recyclés. Je suis content de terminer mon séjour à Sète par cette rencontre.

30 octobre 2024


Ultime jour de validité pour ma carte de bus vingt et un jours à volonté, je l’emploie en allant une dernière fois à Mèze avec le bus Vingt de huit heures dix. Le temps est annoncé beau mais il fait gris après la pluie de la nuit.
Je descends à La Marianne pour rejoindre au plus court le centre du bourg. Devant l’arrêt de bus est la boulangerie Le Petit Mèzois où le pain au chocolat est à un euro dix, avec lequel je descends la rue Marius Laurez (Carrièra dels artistas). En bas d’icelle est le Café de Marius, plus fréquentable que le Café du Commerce. J’y bois un allongé à un euro soixante sous la véranda où chante Nina Simone. A la table voisine, quatre jeunes gens (deux filles, deux garçons) sont en réunion de travail : « Mettre des bacs à compost là où il n’y en a pas. »
Mèze a eu plusieurs Maires écolos, en a encore un actuellement, mais à la dernière Présidentielle et aux deux dernières Législatives, le Rassemblement National est arrivé largement en tête.
Sur le côté de l’esplanade qui est au nom d’« Yves Pietrasanta Pionnier de l’Ecologie Maire de Mèze de 1977 à 2001 », je vais enfin voir à quoi ressemble le Château de Girard qui fut construit en mil six cents soixante par la famille Muret sur un terrain hors les murs de la ville. Cette ancienne métairie est devenue demeure seigneuriale au fil du temps, occupée par des familles bourgeoises de Mèze pendant trois cents ans depuis le dix-septième siècle jusqu’à ce qu’un propriétaire cède le château à la ville. Il abrite les services culturels de la Mairie, un beau et sobre  bâtiment
Je marche ensuite longuement dans le dédale des petites rues, m’arrêtant devant les façades partiellement cachées par une végétation fleurie qui ne date pas de la dernière mode. Dans ces rues étroites de Mèze, des crochets sur les façades servent à accrocher les sacs poubelles. Il n’y passe aucune voiture et j’y croise très peu de piétons.
Mes pas me conduisent au Petit Port des Nacelles. Il y a là un café sans nom, à la terrasse un peu déglinguée, celui des pêcheurs. J’y ferais figure d’intrus. Aussi, je préfère continuer jusqu’au Port et au Tabou.
Me voyant arriver, Sami débarrasse la table qui est toujours la mienne. « C’est la dernière fois », lui dis-je. Je reprends ici Le Regard de la mémoire après avoir bu le café apporté par Céleste. « C’est à cause de Marcel Proust que vous vous appelez Céleste ? » « Non je ne crois pas. Mes parents ne m’ont jamais dit ça. » Trois pages sur la mort de l’Abbé Mugnier chez Jean Hugo. Le soleil est enfin présent. Une touriste sort son éventail. Je garde la table pour déjeuner : six huîtres (qui deviennent huit, petit cadeau d’au revoir ?, je n’ose demander), araignée de poulet façon blanquette avec du riz et tarte aux pommes. Le café m’est encore une fois offert au comptoir.
Je fais le tour du Port, direction l’allée Pierre Vassiliu où je m’assois sur le muret qui domine la plage. Ne s’ébattent dans le sable ni Armand ni Charlotte.

29 octobre 2024


De ce mois d’octobre en forme de compte à rebours vers une perspective peu réjouissante ne restent que quatre jours dont celui du retour. Pour mon dernier lundi au bord de l’Etang de Thau, je prends le bus Un de huit heures. Il dessert la Pointe du Barrou au-delà de l’Ile de Thau.
Au bout de cette Pointe du Barrou se trouve le Lycée de la Mer. Je le rejoins à pied. En contrebas de celui-ci est le Port Conchylicole du Barrou. Je fais face à une alignée de bâtiments préfabriqués jaunes et bleus dont certains affichent la vente directe. Près d’eux est garée une flottille de camionnettes blanches. L’intéressant se trouve de l’autre côté. Une digue permet d’avoir la vue sur les installations, les humains qui travaillent et leurs petits bateaux bleus.
Je fais ensuite une bonne et belle balade le long de l’Etang face à Balaruc et ses Thermes. Le chemin est bordé de maisons plus ou moins cossues avec des aménagements privés au bord de l’eau. Des bateaux, dont certains hors d’usage, correspondent à chaque résidence. Arrivé à un petit bout de plage, je reviens sur mes pas et retourne à l’arrêt Le Barrou.
J’attends le prochain bus pendant vingt minutes. A l’arrêt Fort des Crans, avant l’Ile de Thau, il se remplit de personnes à chariots car il y a près du canal un marché pour pauvres d’où l’on vient des hauteurs du Mont Saint-Clair.
Ce lundi, le ciel est totalement gris. Pour mon café lecture, je choisis l’intérieur du Tabary’s. Je vais bientôt en avoir terminé avec l’épais volume de souvenirs de Jean Hugo, une relecture en diagonale, content d’y avoir croisé à nouveau l’Abbé Mugnier et d’être passé par des lieux chers à mon cœur (comme on dit), Tréboul, Les Sablettes et Tamaris. Les habituées quasi permanentes du matin sont là, quatre aujourd’hui, dont une fausse Yvette Horner qui monopolise la parole. De temps à autre, un homme de leur connaissance les salue et parle plus ou moins longuement avec elles. Il reste debout, n’est jamais invité à s’asseoir. « Personne n’est comme nous, on est spécial, tout de suite on aborde les gens » constate Yvette, s’agissant des gens de Sète. A l’appui de ses dires, elle cite un adage local dont je n’entends qu’une partie : « Cette ville sans nom, bâtie sur le rivage, habitée par des sauvages. »
Pour déjeuner, je retourne au Central Bar et prends place en terrasse, bien que le temps soit toujours gris, pour la cuisse de lapin chasseur avec écrasé de pommes de terre, un quart de côtes de Thau rouge et le sempiternel dessert aux griottes et pistache.
Une courte translation me conduit à une table de premier rang du Quai Bohème au moment où le soleil fait son apparition. Cette amélioration n’est que passagère. Le ciel de plus en plus gris fait craindre la pluie. C’est le moment de rentrer. « Voioioilà ! », comme on dit ici, surtout les femmes.
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Je me le dis à chaque fois que je monte l’escalier de l’immeuble où je loge depuis presque un mois. On n’a ici aucun souci des parties communes. Les murs sont lépreux. Les marches de l’escalier mal éclairé sont usées et dépareillées.
J’ai constaté qu’il en est souvent ainsi dans l’habitat populaire des villes du Sud.

28 octobre 2024


Ce dimanche, le jour se lève à sept heures, magie du passage à l’horaire d’hiver, et le ciel montre du bleu après une succession de rudes averses en deuxième moitié de nuit. Cela anime le Classic dont les habitués semblent être tombés du lit.
De quoi me risquer au bout du Canal Royal sur la rive opposée au Port. C’est là que se tiennent les chalutiers les plus gros, dédiés à la pêche au thon. Le soleil est présent sur les façades colorées d’en face, dominées par la Décanale et la Citadelle. C’est bien beau et reflété dans l’eau.
Au retour je passe le pont de la Savonnerie et trouve place sous la demi-véranda du Tabary’s. L’autre moitié est interdite. L’eau tombée dans la nuit, par son poids sur le toit, l’a endommagé. Un serveur fait une photo pour l’assurance. Le samedi soir, c’est lui qui anime le karaoké au Zanzi-Bar.
Vers onze heures, je rejoins L’Idéal Bar pour six huîtres de Bouzigues et un verre de Picpoul. Devant on chante Brassens. C’est Myosotis Trio, costumes crème et cravates vertes, guitare, contrebasse, piano chant. Ils ont mis en musique des textes de Brassens qui n’en avaient pas. « Quand je suis à vos genoux, occupé à une certaine dévotion », chante le pianiste. Une autre chanson évoque les fesses. Il en a botté, mais il prend Dieu à témoin n’en a jamais pincé. C’est d’un Brassens un peu besogneux, dont l’écriture n’a pas l’aisance des débuts.
Au Central Bar où je mange en terrasse sous un soleil inespéré, je commande un quart de côtes de Thau rouge pour accompagner mon magret de canard haricots pommes de terre gratinées. Ce magret est excellent d’où à midi et demi ce constat : « Le plat du jour, y en a plus ». Le vin est aussi à mon goût, de même que la tarte griottes pistache qu’encore une fois je prends en dessert
Le café, je le bois à côté, au Quai Bohème. J’ai la surprise de ne le payer qu’un euro soixante. En face, les terrasses du Classic et du Marina, avec l’horaire d’hiver, sont à l’ombre dès quatorze heures.
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« La lumière a sauté », me dit l’aimable patronne de l’Idéal Bar lorsque je vais aux toilettes. « Oui je sais, vous m’avez déjà dit ça la semaine dernière. » « Je vous reconnais, me dit-elle, je vous ai prêté mon téléphone. » Et donc, elle me le prête à nouveau, en position lampe de poche.
C’est le genre de bar où lorsque la lumière tombe en panne dans les toilettes, personne ne s’occupe de la réparer.

27 octobre 2024


Du vent quand je descends pour le petit déjeuner ce samedi matin et la crainte que ça se mette à tomber. La serveuse retraitée qui fait des dépannages au Classic, à chaque fois que je lui donne deux euros pour payer mon allongé et qu’elle me rend dix centimes, me dit. « Echange de bons procédés », ce qui montre qu’on peut être en pleine forme physique et un peu yoyoter.
Je remonte la pente jusqu’à mon logis provisoire afin d’y laisser mon sac à dos qui n’est pas étanche. Dans les deux poches de ma vieille veste en djine noire, je case mon portefeuille, mon carnet, mon appareil photo et Le Regard de la mémoire de Jean Hugo. J’enfile ensuite mon vêtement contre la pluie et le vent.
En ressortant, je monte plus haut dans la rue Arago, jusqu’à la première à gauche, la rue Révolution, puis je prends la première à droite, la courte rue Georges-Brassens. Au numéro vingt est la maison où il est né et où il a vécu avec ses parents, sa sœur et ses grands-parents maternels et paternels. Du balcon, il pouvait voir les grues du port. Une plaque est posée sur le mur.
Cette maison et toutes les autres de la rue et du quartier sont toujours habitées par des gens modestes. Du linge sèche aux fenêtres de certaines. Il y a encore peu, on trouvait là une boulangerie et une boucherie. C’est fermé définitivement.
Je redescends la rue Georges-Brassens, prends à droite, toujours rue Révolution. Cette dernière mène droit au jardin public du Château d’Eau dans lequel je rentre par la porte latérale. L’endroit a changé depuis que l’enfant Brassens y traînait avec ses copains. Les amoureux des bancs publics, ce jardin lui aurait inspiré, bien qu’il parle de bancs sur les trottoirs. Devenu Parc Simone-Veil, le sol des allées est bétonné, ruissellement assuré. J’en fais le tour et des photos, dont une série de bancs publics inoccupés. Quand ils le sont, ce ne doit plus être par de jeunes couples se bécotant. Le Nouvel Ordre Moral le déconseille.
Arrivé en bas de ce Parc Simone-Veil, je fais un crochet par les Halles où j’entre pour la première fois. Des commerces de bouche et des comptoirs de dégustation, un lieu pour bobos où je ne m’attarde pas, préférant côtoyer les vrais bourgeois locaux au Tabary’s. Ce samedi à neuf heures trente, peu sont déjà levés. Trois vieilles bavardes assurent la permanence.
Vers onze heures tombe une courte pluie. Une difficulté de plus pour les touristes qui font un stage de galérien sur le Canal. Des touristes, il y en a, mais pas tant que ça. La plupart viennent pour la journée, de Montpellier, Béziers ou Marseille.
Je déjeune au Café de la Place, à mi-chemin entre le Parc Simone-Veil et le Canal Royal, du menu à vingt-quatre euros : flan de courgettes à la provençale, hampe de bœuf sauce échalote et ses frites maison, verrine de citron gourmande maison. La cuisine est ouverte sur la salle « Allo, la petite casserole, elle est où ? » « Quatre bons pour la même table, c’est quoi ça ? »
Je paie au moment où arrivent les chiens et les moutards, n’ayant que la rue à descendre pour rejoindre le Classic. L’orage n’éclate qu’à quinze heures, pas fort.
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La petite presqu'île / Où jadis bien tranquille / Moi je suis né natif / Soit dit sans couillonnade / Avait le nom d'un adjectif démonstratif

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