Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A Dieppe, le vendredi treize

14 mars 2020


Ce vendredi treize, tandis que je prends un billet pour Dieppe à l’automate, un homme jeune est allongé sur le sol. Il est entouré d’employés de la Senecefe. L’un d’eux le recouvre d’une couverture de survie. Je n’en saurai pas plus.
Comme souvent il n’y a pas grand monde dans ce train de neuf heures quinze, ce qui me permet d’être à plus d’un mètre de quiconque. Par la fenêtre, j’observe les premiers signes d’un printemps qui s’annonce mal.
J’ai bien conscience qu’en ce qui me concerne, bien que je n’atteigne pas l’âge fatidique de soixante-dix ans, deux mille vingt pourrait être deux mille fin.
Comment savoir si en allant à Dieppe, le lendemain du jour où Macron ferme les écoles et recommande de ne plus bouger de chez soi, je n’évite pas d’être contaminé à Rouen, ou bien si inversement je vais au devant du danger.
Au Tout Va Bien, dont le nom n’a jamais été autant à prendre au second degré, la vie suit son cours. Dans un coin de la salle, trois femmes (fille, mère, grand-mère) se chamaillent à qui envoie le plus de cœurs aux deux autres. Dans un autre, trois marins pêcheurs parlent d’une femme vue dans un porno en train de faire du vélo un gode fixé sur la selle enfilé dans la chatte. Je lis le Journal particulier de l’année mil neuf cent trente-cinq de Paul Léautaud.
C’est une journée ensoleillée et ventée. La mer roule ses vagues quand je la longe jusqu’a la piscine de plein air dans laquelle personne ne nage.
Ce n’est qu’à midi et quart que j’entre à La Musardière. S’y trouvent déjà trois couples d’âge divers. Je m’installe à hauteur du plus jeune. « Ça fait du bien de faire un truc à deux », lui dit-il. « Oui cela faisait longtemps », répond-elle. Ils jouent la scène des amoureux ensemble depuis huit ans qui ont laissé les enfants aux grands-parents le temps d’un ouiquennede.
Le premier menu est à dix-huit euros quatre-vingt-dix. J’y choisis la douzaine de bulots, la cuisse de canard à la bourguignonne et le creume-beule aux pommes. J’accompagne cela d’un demi de vin rouge du Pays d’Oc à quinze euros quatre-vingt-dix. Un quatrième couple, entré après moi, préfère le cidre car « ça fatigue moins et ça va avec tout ».  J’apprécie beaucoup la rustique cuisse de canard et ses frites fraîches, ainsi que le dessert.
-Il est treize heures quarante et une, on n’a jamais mangé aussi longuement, constate mon voisin romantique.
Au moment où je règle, les aimables tenanciers parlent d’un incendie dans une usine Seveso à Rouen. Je les interroge. Il s’agit de Saipol où une explosion a eu lieu. Dois-je rentrer ou rester à Dieppe ? Cela n’a pas l’ai trop grave, me dit-elle.
Je prends le café au Brazza, à distance raisonnable de deux profs qui parlent d’un troisième, déprimé, il a perdu sa maman, puis je manque m’endormir en lisant Léautaud et ce n’est pas la faute de ses écrits. Un quidam plein d’espoir s’adresse à la fille de la maison qui s’occupe du tabac. « Vous vendez du gel hydro alcoolique ? ».
« C’est la fin du monde », conclut un habitué du comptoir.
                                                                   *
Mon trajet de retour dans le train de seize heures cinq est semblable à celui de l’aller. Quand retournerai-je à Dieppe ? Et à Paris ? Que faire pour mon projet déjà payé d’escapade dans le Sud après le second tour des Municipales. Je n’en sais rien.