Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Au Havre, le premier samedi du mois d’août

7 août 2017


Nous sommes peu, sur le quai Un de la gare de Rouen, à attendre le train pour Le Havre en ce premier samedi du mois d’août. En face, sur le quai Deux, moult vacanciers attendent celui pour Paris, là un autre les emmènera loin. Deux amoureuses sont particulièrement heureuses de partir. Elles s’embrassent sans cesse et je ne peux en détacher mon regard. Les deux trains arrivent presque en même temps.
A l’arrivée, je longe les rails du tramouais sur le boulevard de Strasbourg et salue au passage la statue de Bernardin de Saint-Pierre près du Palais de Justice. Devant l’Hôtel de Ville je tourne à gauche, rue de Paris, avec en ligne de mire, au croisement avec le quai de Southampton, les deux arceaux croisés géants composés de conteneurs colorés. L’installation phare des cinq cents ans du port voulu par François le Premier est due à Vincent Ganivet. L’artiste s’est servi de la technique de la chaînette, mise au point par Antoni Gaudi, pour envoyer ces lourdes boîtes vers le ciel. J’en ai vu tant de photos, jusque dans les couloirs du métro parisien, que je craignais d’être peu séduit mais il n’en est rien et à mon tour, j’en fais une quantité d’images, profitant du peu de présence humaine. Une médiatrice à souite bleu « Un Eté au Havre » fait les cent pas sous le monument temporaire. Elle joue le rôle de la fille qui gêne pour faire des photos.
Longeant la mer, je me rends dans le quartier Saint-François. J’y prends un café à la terrasse du Grand Carrefour face au Marché aux Poissons. J’entre ensuite l’Hôtel Dubocage de Bléville (marin et corsaire). Il abrite un Musée d’Art et d’Histoire que l’on peut visiter gratuitement. Non seulement les vieux objets maritimes exposés m’ennuient mais ils me dépriment. J’en ressors assez vite et vais me rasséréner au Taj Mahal.
Ce restaurant propose un buffet à onze euros cinquante, même le samedi midi. Si la cuisine et la musique sont indiennes, le patron et la serveuse non. Un chignon tiré comme les patineuses synchronisées de la French Cup rouennaise donne à celle-ci un aspect bien sévère. C’est bon et on peut tout goûter, mais on n’a droit qu’à un seul dessert. Je choisis le rasmalaî « très typique, surprenant, aux éclats de pistache ». Avec le vin et le nan au fromage, l’addition reste inférieure à vingt euros.
Au coin de la rue, en sortant, je découvre un bar tout noir nommé Chez Ducon « bière gratuite, serveuses topless et publicité mensongère ». Sur la façade, Ducon exprime sa philosophie de la vie : « Quand on est mort on ne sait pas qu’on est mort. C’est pour les autres que c’est difficile. Quand on est con c’est pareil » et y va de son conseil à la clientèle « Prière de ne pas marcher sur les mains des gens qui sortent tranquillement du bar ! ».
« Ouverture selon l’humeur du patron ! » « Fermeture selon l’état du patron !!! » C’est évidemment fermé. Je ne peux pas voir quelle tête a Ducon.
Regagnant le bord de mer, je me dirige vers le MuMa afin d’y voir l’exposition Pierre et Gilles, Clair-Obscur. Ceci fait, je vais jusqu’à l’église Saint-Joseph due à Perret. En son sein, l’artiste japonaise Chiharu Shiota a installé Accumulation of Power, un tourbillon de laine rouge qui monte de l’autel jusqu’au sommet de la tour. Je m’assois pour photographier cette symbolique. Les sièges sont aussi confortables que ceux d’une salle de spectacle où l’on a de la place pour ses genoux. Cela donne presque envie de rester pour la messe.
Après avoir demandé à la médiatrice en souite bleu « Un Eté au Havre » si ça n’est pas trop dur de passer ses journées dans une église et obtenu d’elle une réponse qui ne fait pas douter du sérieux avec lequel elle effectue sa tâche saisonnière avant de reprendre ses études, je rejoins la gare. Il y a encore bien d autres choses à voir à l’occasion des cinq cents ans du Havre mais point trop ne me faut à la fois.
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Bernardin de Saint-Pierre, né au Havre en mil sept cent trente-sept, l’un des rares écrivains du dix-huitième siècle à s’être opposé à l’esclavage des Noirs :
Je suis fâché que des philosophes qui combattent les abus avec tant de courage n’aient guère parlé de l’esclavage des noirs que pour en plaisanter. Ils se détournent au loin ; ils parlent de la Saint-Barthélemy, du massacre des Mexicains par les Espagnols, comme si ce crime n’était pas celui de nos jours, et auquel la moitié de l’Europe prend part.
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Sur un banc du bord de mer, là où était le Frascati : « Louis-Ferdinand Céline a rédigé une partie du roman Mort à crédit dans l’ancien hôtel balnéaire Frascati. Certaines évocations maritimes ressemblent au paysage que devait apercevoir l’écrivain depuis ce lieu. Dans ce même roman, le personnage d’Auguste, inspiré du père de Céline, est natif du Havre et a la passion des bateaux.»
Mon père, il se méfiait des jeux de l’imagination. Il se parlait tout seul dans les coins. Il voulait pas se faire entraîner… À l’intérieur ça devait bouillir… Au Havre, qu’il était né. Il savait tout sur les navires. (Mort à crédit)