Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Confiné (trente-deux)

18 avril 2020


La nouvelle redoutée me parvient au réveil ce vendredi : Christophe est mort. Plus d’un demi-siècle de compagnonnage sonore cesse en cette détestable année deux mille vingt. J’avais quatorze ans en mil neuf cent soixante-cinq, époque des tubes de l’été et du hit-parade, lorsque Aline de Christophe et Capri c’est fini d’Hervé Vilard se livraient à une rude bataille pour la tête du classement sur les ondes d’Europe Numéro Un et de Radio Luxembourg. Ensuite les chansons de Christophe, le dandy de nuit, aux paroles souvent guimauve mais sublimées par la musique (le son, comme il disait) et par sa voix, m’ont le plus souvent séduit d’année en année. Une unique fois je le vis sur scène, un concert d’excellente qualité, au Hangar Vingt-Trois en novembre deux mille dix ; j’ai raconté ça dans ce Journal.
Bizarrement, sa famille s’entête à dire qu’il est mort d’un emphysème. S’il était atteint de cette maladie chronique (facteur de comorbidité), il l’était surtout du Covid Dix-Neuf puisqu’il a fait partie d’un convoi de malades transportés de Paris à Brest. On dirait que sa femme et sa fille pensent qu’il s’agit d’une maladie honteuse.
A huit heures trente-cinq, muni d’une officielle dérogation dont la date et l’heure sont renseignées au stylo magique, j’entre chez U Express et emplis rapidement mon panier. Alors que je suis à la caisse s’approche de moi un bièreux venu chercher sa dose dont la toux m’inquiète. Du doigt, je lui enjoins de rester à distance.
-Je tousse mais c’est pas le corona, me dit-il, je tousse comme ça tous les matins.
Je préfèrerais qu’il se taise. Déjà, en temps normal, je ne supportais pas ce type d’affranchi à capuche, alors en cette saison,…
C’est fou le nombre de chansons que Jacques Brel a consacré au thème de la mort, me dis-je en achevant ma réécoute du dixième cédé du coffret que je possède, acheté il y a longtemps au vide grenier des Andelys. Et qui mieux que lui a évoqué, avec sa chanson Les Vieux, la vie de celles et ceux pour qui le confinement est à perpétuité.
Après avoir essuyé du banc les traces d’une averse, c’est dans un calme appréciable que je poursuis ma lecture du Journal de Samuel Pepys. Jaloux de l’intérêt que sa femme porte à son professeur de danse, il l’expédie à la campagne chez ses parents à lui et, en son absence, oublie ses bonnes résolutions avec des femmes qu’il se reproche ensuite d’avoir « chiffonnées », « lutinées » ou « patinées ».
Depuis quelques jours des fleurs blanches en forme de calice embellissent le jardin et ce vendredi, au faîte d’un bâtiment voisin, un oiseau lance des trilles jamais entendus. Je ne connais ni le nom de la plante ni celui du volatile et n’ai pas envie de les savoir.
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Capri c’est fini était la chanson préférée de Marguerite Duras. J’ai entendu un jour Yann Andréa avec qui elle formait un couple hors du commun, raconter sur France Culture que lors d’une de leurs disputes, alors qu’il quittait les lieux avec son sac, elle lui avait lancé le quarante-cinq tours d’Hervé Vilard du balcon de son appartement des Roches Noires. Sur la pochette, elle avait rageusement écrit : « Cette fois c’est vraiment fini ». Quelques jours plus tard il sonnait à sa porte. Elle le fit entrer et la première chose qu’elle voulut savoir,  c’est s’il avait le disque d’Hervé Vilard.