Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

En lisant les Lettres de Robert Musil (deux)

23 août 2017


Certaines missives de la dernière partie de la correspondance de Robert Musil (Lettres, Le Seuil) montrent que l’âge avançant celui-ci a de plus en plus de mal à supporter son environnement. Elles me réjouissent particulièrement :
Il y a longtemps déjà que je songe à demander une protection contre le fléau des mendiants chanteurs ou musiciens qui s’installent de préférence soit au coin de la rue Rasumofsky et des rues Salm et Geus, c’est-à-dire directement sous mes fenêtres, soit, encore suffisamment près de celles-ci, à l’angle ouest du palais Rasumofsky, où la rue s’élargit de part et d’autre. (…) … je reste souvent des journées entières à devoir garder fermées les fenêtres de mon cabinet de travail ; ce qui est produit là n’ayant qu’un lointain rapport avec le chant et la musique. (…)
Je vous serais infiniment obligé de mettre des limites à cet entêtement et d’assurer, à l’avenir aussi, une amicale protection à mon lieu de séjour et de travail. (Au Commissariat de Police du troisième arrondissement de Vienne, dix septembre mil neuf cent trente-six)
Si bien que je me sente dans votre maison, je dois malheureusement vous informer que le vacarme infernal des enfants dans la Delphingasse m’y rend le séjour impossible. Je me suis plaint déjà plus d’une fois et j’ai tenté d’y remédier par moi-même, maïs cela empire de jour en jour. (…) Si l’on ne peut mettre un terme à ce véritable fléau, il ne me restera plus, à mon grand regret, qu’à interrompre mon séjour plus tôt que prévu. (A Rosa Pohl, Pension Fortuna, Zurich, douze octobre mil neuf cent trente-huit)
… j’ai un métier qui me lie en permanence à ma table de travail et que l’on ne peut exercer en gelant : je suis écrivain, et c’est ainsi que j’assure ma subsistance et celle de ma femme (Permettez-moi d’ajouter que je suis un écrivain considéré dans le monde entier et que je cherche à Genève le rétablissement de ma santé et le calme indispensable au travail.) Dans ces circonstances, je vous prie de m’excuser si les chiffres de mon compteur d’électricité ont un peu grossi ces dernières semaines ; quelques efforts que je fasse, naturellement, pour respecter les prescriptions… (…)
Je profite de l’occasion, puisque des restrictions ont été édictées aussi en ce qui concerne les bains, pour vous demander là encore une tolérance particulière. Je joins à ma lettre un certificat médical qui atteste de leur nécessité pour ma santé. (Au service du gaz et de l’électricité, Genève, onze février mil neuf cent quarante-deux)
Peu de temps après l’envoi de cette lettre, sa femme Martha prend le relais :
J’ai écrit hier à Ilse de quelle façon subite, et sans le moindre pressentiment, la mort a frappé mon mari ; je l’ai trouvé étendu par terre, inanimé, les bras levés au-dessus de la tête et quelques minutes plus tôt je lui parlais comme à un homme en santé et de bonne humeur. Partir ainsi sans souffrances et en souriant passe pour une très grande chance ; mais c’est une tristesse indicible pour un créateur de ne pouvoir achever son œuvre ; et il croyait vraiment être en état de travailler au moins vingt ans encore ! (A Valérie et Franz Zeis, après le quinze avril mil neuf cent quarante-deux, jour de la mort de Robert Musil, à l’âge de soixante et un ans)
Il a vécu ici absolument solitaire. Dans la vie et dans sa mort. A l’incinération, il y avait 8 personnes. Je dois faire une exception pour deux, ou plutôt trois amis, mais l’un habite Zurich, l’autre Zoug, le troisième aux environs de Lausanne, c’est pourquoi nous ne les voyions presque jamais ; et de cette grande solitude, Robert a souvent ressenti de l’amertume. (A Carlo Pietzner, le cinq juillet mil neuf cent quarante-deux)