Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Le bon docteur et la petite orpheline

6 mars 2018


Lecture de lit ces derniers temps : D’un Céline l’autre, une recension de témoignages de contemporains de l’écrivain parue chez Bouquins/Laffont en deux mille onze dans une édition établie et présentée par David Alliot, l’occasion pour moi de croiser des figures connues et d’en découvrir d’autres.
Dans les années trente, Charles Bonabel est un patient du docteur Destouches au dispensaire de Clichy. Il lui amène en consultation sa nièce Eliane, orpheline de dix ans dont il a la charge. Céline invite cette dernière à venir jouer avec sa fille Colette, qui a le même âge, dans leur appartement de la rue Lepic :
J’ai surtout été frappée par une alcôve dont un mur entier était couvert d’inscriptions. Elles partaient du traversin pour arriver jusqu’au plus haut où il était possible d’écrire en montant sur le lit. Il ne s’agissait pas d’inscriptions obscènes, seulement de signatures de femmes et de dates : « Lula, le 3 mai », des choses dans ce goût-là. Colette qui sautait sur le lit, m’a dit : « T’as vu tout ça, mon père il a couché avec toutes ces femmes. » Je savais ce que cela voulait dire. J’ai trouvé que cela faisait beaucoup. Mais j’étais bien plus choquée par le fait qu’une grande personne pût écrire sur les murs.
La petite Eliane est douée pour le dessin. Quand paraît Voyage au bout de la nuit, celui qui est devenu Céline lui propose d’illustrer son roman.
A l’époque on faisait très attention aux lectures des enfants, surtout des filles, et le Voyage était considéré comme scandaleux. Mais mon père adoptif avait des principes éducatifs extrêmement libéraux.  (…) il pensait que les mauvais bouquins sont ceux où la dactylo rencontre un monsieur très riche et finit par l’épouser, parce qu’on arrive à croire que dans la vie les choses vont se passer de la sorte. On me donne donc le Voyage ; je trouve le volume bien épais, 623 pages, le chiffre m’est resté, je me dis que ça va être long. Mais je n’ai pas du tout été rebutée, j’étais au contraire ravie parce que l’écriture m’a paru simple, les gens parlaient comme dans la vie, on disait « Y flotte terrible » au lieu de « Il pleut terriblement ». Quant au contenu, une enfant de douze ans vivant à Clichy et allant en vacances à la campagne n’a pas grand-chose à apprendre.
Céline est fort satisfait du résultat :
« Oh ben dis donc, alors moi je vais te faire une préface et une belle couverture. »
Et Eliane Bonabel de conclure :
Plus tard, lorsqu’il sera question d’une édition illustrée du Voyage, Céline pensera à mes dessins. Mais il a renoncé car on n’aurait pas compris qu’il ait demandé à une fillette de douze ans de lire et d’illustrer son livre. Je crois que c’est ce soupçon possible de quelque chose de trouble qui l’a fait reculer.
Eliane Bonabel est âgée de soixante-dix-huit ans quand elle raconte son histoire d’enfant artiste à Emile Brami pour la préface du livre enfin fait avec ses dessins : Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit ». Cet ouvrage a été publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit aux Editions de la Pince à linge sises à Bry-sur-Marne.
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Chez Rakuten (anciennement Price Minister), on trouve un exemplaire d’Illustrations pour « Voyage au bout de la nuit » d’Eliane Bonabel proposé à quatre-vingts euros. Les originaux ont été vendus chez Arcurial en deux mille dix pour onze mille quatre cent soixante-seize euros. Des reproductions sont visibles gratuitement via Internet. De quoi constater que la jeune orpheline avait du talent.
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« Les adultes ont l'habitude d'illustrer les beaux livres pour l'enfance, voici la petite Bonabel qui se mêle (à douze ans) d'illustrer à son tour le livre (tout a fait estimé, raturé) des adultes. On remarque qu'elle y met bien de la malice et certaine fausse pudeur bien de son âge.  L.-F. Céline. » (préface au dossier de dessins)
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Eliane Bonabel n’aura jamais coupé les ponts (comme on dit) avec l’écrivain, lui rendant visite avec son oncle dans sa prison danoise en mil neuf cent quarante-six, illustrant Ballets sans musique, sans personne, sans rien paru chez Gallimard en mil neuf cent cinquante-neuf et le revoyant à Meudon jusqu’à sa mort. Elle-même est morte en deux mille.