Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Une veille de Noël dieppoise

26 décembre 2019


Fuir Rouen le jour du paroxysme de la fièvre acheteuse, tel est mon projet. Je peux le mettre en œuvre grâce aux trains qui circulent malgré la grève entre Rouen et Dieppe ce vingt-quatre décembre. Nous sommes fort peu dans le neuf heures quinze qui mène à la mer. La campagne a un air désolé, arbres nus et champs gorgés d’eau, mais les nuages laissent voir du bleu.
A l’arrivée, je rejoins le quartier du Pollet où j’ai repéré un restaurant nommé La Cale. Je le trouve fermé et m’apprête à rejoindre le Tout Va Bien quand devant la Poste je croise Bernard Clarisse et sa compagne. Cela fait longtemps que je n’ai vu cet artiste plasticien dont je fus le stagiaire à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres. Nous devisons un bon moment de nos activités respectives. Incidemment, il me fait une description peu flatteuse d’un autre de ses stagiaires, tête de liste aux prochaines municipales rouennaises. Quand nous nous séparons, je passe à la boîte à livres. Un vandale en a arraché les portes. Les quelques ouvrages présents sont trempés.
Trop tard pour le Tout Va Bien où les tables sont dressées dès onze heures pour le déjeuner, je me rabats sur L’Escale où j entreprends la lecture du Journal Particulier (1936) de Paul Léautaud.  D’autres lisent la presse locale qui s’intéresse à Henri, quatre-vingt-six ans, Père Noël depuis trente ans.
Beaucoup des restaurants des quais sont fermés. Je trouve place au Sully, une table avec vue sur le port ensoleillé à ma gauche et sur une décoration de Noël surchargée à ma droite, choisissant le menu à dix-neuf euros quatre-vingt-dix : six huîtres numéro trois, haddock sur lit de chou, camembert frit, crème brûlée, avec un demi de vin blanc à douze euros et du mauvais pain sorti d’un congélateur. La table voisine est occupée par un duo de Parisiennes dont l’une d’origine allemande qui s’efforce de garder à sa vie une part de naïveté, comme Romain Gary. Elles parlent d’une femme qui a acheté une maison « Lui il n’a rien. Il a juste le droit de faire les travaux. »
Le service est à l’ancienne, très Ecole Hôtelière, comme les tenues. Le changement de couverts s’effectue à l’aide d’une assiette couverte d’un carré de tissu marron sur lequel ils reposent.
-Vous êtes écrivain ? me demande la serveuse me voyant écrire sur mon carnet Muji.
-Je publie des choses sur Internet, lui réponds-je
Elle n’en demande pas plus, m’apporte mon dessert. Cette crème brûlée est plus grande que la moyenne, et moins bonne que la moyenne.  
A la sortie, je longe la mer sur une promenade presque déserte puis trouve refuge au Brazza. Le couple de tenanciers y passe le relais à un père et sa fille qui ont repris l’affaire. La clientèle regrette le départ des uns et considère les autres de façon expectative. « C’est une page qui se tourne ». On parle de Noël, comment on va le fêter : « Faut essayer de rester un peu traditionnel. »
Vers quinze heures, je vais boire un autre café au Café des Tribunaux, le seul endroit de la ville où il y a foule, un mélange de bourgeoisie locale et de pré-fêtards venus d’ailleurs. « C’est joli ici, on dirait l’Alsace », commente l’un de ces derniers en entrant dans la taverne. « Oui, c’est dommage qu’on y trouve tant d’abrutis », ai-je envie de lui répondre.
Le train omnibus de dix-sept heures dix-sept, quasi vide, me ramène dans une ville de Rouen débarrassée des porteuses et porteurs de sacs de boutiques.
                                                              *
Désormais plus de période bleue plus de période blanche, tous les trains Dieppe Rouen sont au même prix pour les détenteurs de la Carte Avantage Senior, soit huit euros quarante. En période bleue, c’était six euros. Cela correspond donc à une augmentation de quarante pour cent du prix du billet. Et celui-ci n’est maintenant valable que pour un train précis, plus question de prendre le précédent ou le suivant.
A qui faut-il dire merci ?
A Hervé Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite, qui a pris le contrôle de la ligne.
                                                              *
Maudite soit la décentralisation. Jacobin, je suis, l’ai toujours été, me réjouissant dans ma vie professionnelle de dépendre d’un lointain Ministre de l’Education Nationale et non pas d’un chefaillon régional, ou pire, municipal.