Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 mars 2017


De la musique religieuse russe est au programme de l’Opéra de Rouen ce mardi soir. Cela a dû en effrayer certains encore plus que moi car l’affluence est faible. C’est pourtant le chœur accentus. J’ai une bonne place en corbeille, mais en trouve une meilleure en fond d’orchestre à la fermeture des portes. Sur fond noir, vêtus de noir et sous un éclairage étudié, les membres du chœur entrent en scène. Ils sont dirigés par Marc Korovitch, imposant personnage au souffle puissant. On entend sa respiration quand il se démène pour les extraits de la Liturgie de Saint Jean Chrysostome de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Je ne m’intéresse pas au surtitrage et trouve que j’ai bien fait de venir.
Encore plus quand est donné L’Ange scellé, une cantate en neuf mouvements que composa Rodion Chtchedrine pour célébrer le millénaire de la conversion de la Russie au christianisme en mil neuf cent quatre-vingt-huit. Cette œuvre est chorégraphiée par Lars Scheibner qui fait entrer les choristes par la salle. Les cahiers de partition munis des deux antennes qui font loupiotes sont autant de papillons géants posés dans les mains des interprètes. Ceux-ci circulent et occupent différentes positions sur le plateau sous une lumière recherchée. Le chef fait des demi-tours sur le pupitre, toujours respirant fort. Une flûtiste, Mathilde Calderini, et une danseuse, Clarissa Gehring, sont de la partie. Cette dernière vêtue couleur chair enrichit de son talent la musique de Chtchedrine que je peux fort bien imaginer profane. Deux jeunes garçons de la Maîtrise des Hauts-de-Seine interviennent également.
De longs applaudissements saluent les interprétations. Le massif Marc Korovitch serre contre lui et embrasse copieusement Mathilde Calderini et Clarissa Gehring. Je repars de l’Opéra plus content que je n’aurais cru pouvoir l’être.
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Le chorégraphe Lars Scheibner travaille en frilance, de même que le chef Marc Korovitch, apprends-je du livret programme.
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Etudiantes au Son du Cor. L’une a lu une affiche à la Cité Universitaire, où était écrit « La clé de votre appartement est dans votre vote ».
-Ça veut dire que si tu vas voter, ils le savent, et que t’as plus de chance d’obtenir un appart parce que t’es un bon citoyen, dit-elle aux autres.
Un peu étonnées, elles ne trouvent cependant rien à redire à cette interprétation.
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Collégiennes allemandes dans ma ruelle. Elles me demandent son nom dans un français presque parfait et de l’inscrire sur leur questionnaire, puis elles estiment sa largeur.
Il y a donc au moins un professeur allemand n’hésitant pas à laisser ses élèves se débrouiller seules afin qu’elles fassent encore des progrès, y compris lorsque leur chemin doit passer par ce que la plupart des touristes qualifient de coupe-gorge.
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Preuve est faite qu’on peut oublier un livre sur un automate de la Poste de la Champmeslé et le retrouver posé à côté un quart d’heure plus tard.
 

30 mars 2017


Je suis, ce lundi un peu avant vingt heures, sur le parvis de la Cathédrale de Rouen. Un spectacle gratuit « poétique et féerique » y est promis par les Passeurs de Lumières à l’occasion du Salon International du Tourisme au Parc Expo.
« Rouen capitale mondiale du tourisme », claironne l’affichette de Paris Normandie près de laquelle j’attends. J’y côtoie des responsables de Comités Régionaux. Ils parlent de management, ont des têtes à voter pour Macron. Celui de la Bourgogne regrette l’absence de terrasses de café face à la Cathédrale. Il y a foule de curieux, des militaires armés et des policiers du même genre.
A l’heure dite arrivent six chevaux en tissu blancs gonflés d’air dont les jambes arrière sont celles d’un humain. Ils sont éclairés de l’intérieur. Une sorte de Monsieur Loyal à plume les accompagne. Des jeunes filles habillées en noir l’éclaire avec des petits projecteurs manuels. Le hic, c’est qu’il fait grand jour. À croire que lorsque a été fixée l’heure du spectacle, le passage à celle d’été n’a pas été pris en compte. Les fumigènes qu’un homme allume font flop.
Et les chevaux, que font-ils ? Ils dansent sur des musiques variées. Ça va un moment mais là ça dure beaucoup trop longtemps.
A la fin, ces chevaux cabrés comme ceux de Marly se dégonflent. Leurs porteurs saluent, le tissu en boule sur le ventre.
Suit un concert de cuivres par des musiciens installés aux fenêtres de l’étage de l’Office de Tourisme. Ils sont dirigés par un chef à lunettes depuis le parvis, C’est mauvais. Je me crois à la messe de la Saint-Hubert.
C’est fini ? s’interroge le peuple. Eh oui ! On reste sur sa faim.
Un couple de touristes me demande ce qu’il y a de bien à voir à Rouen. Je les envoie vers la rue du Gros et la place du Vieux où sont accrochées de jolies loupiotes destinées à éblouir les invités du salon touristique international. Celles, rococo, de la rue Saint-Romain ressemblent à des décorations de Noël qu’on aurait oublié d’ôter.
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Poétique et féerique ? Je dirais plutôt pathétique et rachitique
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A la terrasse du Sacre, deux trentenaires joueurs de jacquet :
-Tu vas voter ?
-Non, et toi ?
-Je ne crois pas.
 

29 mars 2017


Jamais entendu parler de cet Avishai Cohen qui est l’invité de Rouen Jazz Action ce dimanche à dix-huit heures à l’Opéra de Rouen où j’ai place au premier rang de la corbeille côté pair. J’apprends qu’à vingt-deux ans, il partit à l’aventure à New York. Il jouait dans des bars et parfois dans la rue jusqu’à ce qu’il se fasse remarquer par Chick Corea.
Michel Jules, président de l’association depuis quarante-cinq ans, dit son mot. Il indique que la formation Avishai Cohen’s Jazz Free est inédite et que les morceaux joués ce soir feront prochainement l’objet d’un enregistrement.
La jolie Yael Shapira commence seule avec son violoncelle acoustique augmenté par l’électronique. Elle est rejointe par Itamar Doari aux percussions et clochettes, par Elyasaf Bishari au oud et à la basse et par Avishai Cohen à la contrebasse et au clavier. Tous les quatre chantent.
Je suis vite conquis par cette musique grouveuse et par ce que chacun(e) fait de son instrument en solo ou en complicité. Le trio violoncelle oud contrebasse est particulièrement plaisant. Le répertoire est métissé, puisant parfois dans la musique libanaise ou dans la salsa. Avishai Cohen ne sait dire en français que. « Ça va ? ». Bien sûr que ça va. Pour le reste, il nous parle en anglais. Je comprends quand même qu’avec la musique on peut faire la paix avec n’importe qui. C’est un triomphe pour le quatuor dont je savoure les rappels. Lorsque Yael Shapira traverse la scène dans sa longue robe noire en emportant son violoncelle, on sait que c’est malheureusement fini.
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Quand j’ai appris que l’Opéra s’ouvrait au jazz, je n’ai pas sauté de joie. J’ai eu tort.
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« Jazz métisse », est-il écrit plusieurs fois sur le livret programme. Jazz métissé ou jazz métis ?
 

28 mars 2017


Mon premier vide grenier de l’année est rouennais. Il est petit, se tient au pied de la Cathédrale, place de la Calende, laquelle est balayée par un vent froid à l’heure où j’y arrive, dès que le jour est levé. Il possède une excroissance rue du Bac où pour la fourrière les affaires reprennent. Même les voitures ne gênant pas l’installation des vendeuses et vendeurs sont emportées.
Je ne me donne pas grand chance de trouver des livres à mon goût, mais j’ai tort. J’aperçois sur le sol un beau livre consacré à George Grosz. Il s’agit du catalogue de l’exposition Berlino-New York qui lui eu lieu en deux mille sept à la Villa Médicis.
Celui qui le vend a un accent que je n’arrive pas à préciser. Il m’en demande quinze euros.
-J’ai été en résidence là-bas, vous ne trouverez pas ça à L’Armitière, me dit-il pour justifier son prix.
J’objecte que le texte est en italien. Son prix tombe à huit euros. J’ajoute à ce catalogue, celui de l’exposition Gilles Aillaud – Evasioni ayant eu lieu au même endroit la même année. Celui-là est bilingue français/italien.
-Vous ne trouverez pas ça non plus à L’Armitière.
-Dix euros pour les deux, ça pourrait aller ?
Le sympathique vendeur acquiesce, me serre la main pour sceller notre accord et m’offre même un livre de poche en cadeau. Je lui demande quel pays l’a envoyé à la Villa Médicis
-Le Chili, me répond-il.
-Et vous faites quoi ?
-De la peinture.
Il n’a pas exposé ici, n’a même pas d’atelier. Il ne veut pas être sous la coupe de la ville ou de la métropole. Je n’en saurais pas davantage.
Un peu plus loin, je trouve un vendeur turc que je connais. Un jour, il m’avait invité chez lui en banlieue pour voir ses nombreux livres à vendre. Il ne put venir au rendez-vous donné place Saint-Marc. Ultérieurement, alors qu’il avait déballé ses livres dans un vide grenier, je vis que c’était de la daube. J’avais évité un déplacement inutile. Dans son bric-à-brac, j’aperçois un carton de ramettes de papier bleu. C’est deux euros pièce. J’en obtiens trois pour cinq euros.
Voilà qui commence bien, me dis-je, lourdement chargé.
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Ce dimanche matin, une équipe d’artistes techniciens installe des suspensions lumineuses rococo rue Saint-Romain à l’aide d’engins à nacelle télescopique. Ce sont Les Passeurs de Lumière qui donneront un spectacle gratuit sur le parvis de la Cathédrale lundi soir. La lumière rouge du bout de la ruelle n’est peut-être pas sans rapport avec ça.
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Au Son du Cor, plus moyen de ne payer son café qu’en partant. Le nouvel apprenti serveur, vêtu et coiffé comme il faut l’être à son âge et communiquant avec le bar à l’aide d’un boîtier électronique afin d’économiser sa mémoire, en exige le prix dès qu’il l’apporte en terrasse. J’ai horreur de ça.
Je lui donne un billet de dix euros pour l’obliger à aller chercher la monnaie. C’est ma façon de me venger.
 

27 mars 2017


Ce jeudi, à l’Opéra de Rouen, pour le nouveau concert dirigé par Antony Hermus, ce n’est qu’au dernier moment que je peux avoir une meilleure place que celle qui m’était promise, un strapontin en haut du deuxième balcon. « J’ai une chaise qui s’est libérée en loge sept », m’apprend l’aimable guichetière lorsque j’arrive, à dix-neuf heures.
S’il y a foule pour ce concert, c’est qu’il fête les dix ans d’intervention de musicien(ne)s de l’Opéra volontaires à l’Hôpital dont l’initiative, toute personnelle, revient à la violoniste Elena Pease. Des officiel(le)s sont donc de sortie, dont Fourneyron (Valérie), Députée, Socialiste, qui se tient en haut des marches du foyer avec le maître des lieux. Elle n’est pas seule sur le coup, car Bures (Jean-François), Droitiste, qui souhaite la remplacer prochainement, n’est qu’une marche plus bas. En avant concert, deux autres artistes intervenant au Céhachu, Virginie Trompat (chant) et Olivier Hue (oud), interprètent l’oriental Vox felicitas.
Je suis le premier dans la loge sept, ce qui me permet de choisir ma chaise, près de l’équipe technique qui occupe la loge voisine. Trois femmes seules s’installent à ma gauche, un homme derrière.
C’est d’abord le Concerto Dumbarton Oaks d’Igor Stravinsky puis la Symphonie numéro vingt-neuf en la majeur de Wolfgang Amadeus Mozart.
A l’entracte, sortant de la loge, j’ai la surprise de voir deux jambes pendantes, celles d’un danseur de la troupe de Sylvain Groud qui intervient aussi à l’Hôpital. Ce téméraire est suspendu au garde-corps du premier balcon. D’autres danseuses et danseurs évoluent au milieu de la foule assoiffée. Cela se termine par Le Tourbillon de Rezvani.
Nous ne sommes plus que quatre dans la loge à la reprise. L’une des femmes a disparu. Du côté des officiels, il y a aussi des manques mais je ne veux dénoncer personne.
Antony Hermus revient pour Introduction and Allegro d’Edward Elgar puis la Symphonie numéro cent deux en si bémol majeur de Joseph Haydn.
Ce programme ne me plaît que modérément. La magie de l’autre jour ne se reproduit pas, bien qu’Antony Hermus ne ménage pas sa peine. A l’issue, il fait faire aux musicien(ne)s un double salut penché. « Quel clown ! », commente l’homme de derrière.
Il pleut à fond à la sortie. Venu sans parapluie, je suis complètement saucé avant d’être à la maison.
                                                                *
J’ai récemment trouvé la tête de Jean-François Bures en photo dans ma boîte à lettres sur laquelle il est pourtant écrit de ne pas mettre de publicité. Son tract a virevolté jusqu’au fond de la poubelle collective.
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Qui donc a eu l’idée d’installer une lampe rouge allumée nuit et jour à l’entrée de la venelle côté rue Saint-Romain ? On va la croire habitée par des femmes de petite vertu.
 

25 mars 2017


Après avoir montré mes livres au vigile du Centre Pompidou, je laisse mes sacs au vestiaire puis descends au sous-sol afin d’y voir La fabrique d’exils, l’exposition consacrée à Josef Koudelka.
Josef Koudelka photographia l’invasion soviétique de son pays la Tchécoslovaquie en mil neuf cent soixante-huit. Ses photos furent alors publiées anonymement à l’Ouest (comme on disait). Ce sont elles qui ouvrent cette exposition qui s’intéresse ensuite aux photos prises en exil, Koudelka ayant fui la Tchécoslovaquie en soixante-dix (on ne saura donc rien de celles prises dans son pays avant soixante-huit).
Pendant la décennie soixante-dix quatre-vingt, Koudelka habite à Londres puis à Paris pendant l’hiver et le reste du temps il vagabonde sur les routes d’Europe avec son appareil photo et un sac de couchage passant souvent la nuit dehors.
Parmi les images montrées, toutes sans titre, simplement désignées par le pays où elles furent prises, j’ai mes trois préférées. L’une est connue, montrant, en France, un ange à bicyclette près d’un attelage à deux chevaux. Les deux autres sont celle d’une mariée gitane à froufrous au regard effrayé en amazone sur la croupe d’un cheval (Espagne) et celle d’une impasse où sont en action quatre pisseurs à chapeau ou à casquette d’un certain âge (Irlande).
Quelques propos de l’artiste inscrits sur les murs méritent que j’en fasse copie :
« Etre un exilé exige de repartir à zéro. C’est une chance qui m’était donnée. »
« C’est en quittant la Tchécoslovaquie que j’ai découvert le monde. Je ne voulais pas avoir ce que les gens appellent un « chez soi ». Je ne voulais pas avoir à revenir nulle part, je devais être là où j’étais, et si je ne trouvais plus rien à photographier, il était temps de partir ailleurs. »
« Je savais que je n’avais pas besoin de grand-chose pour vivre et photographier –juste de quoi manger et une bonne nuit de sommeil. Ma règle était : Ne t’inquiète pas de savoir où tu vas dormir ; jusqu’à présent, tu as toujours dormi quelque part et tu dormiras à nouveau ce soir. »
Les autoportraits de Koudelka à son réveil après les nuits passées dehors sont ici visibles mais hélas en petit format.
Je vais ensuite au premier niveau voir en quoi consiste l’exposition Imprimer le monde. Elle se penche sur les imprimantes en trois dimensions et présente une sélection d’objets obtenus par ce moyen, dont des mochetés. Une visite de groupe s’emploie à me faire fuir, la guide s’adressant à son public avec un micro, nouveauté fâcheuse.
Je ne reste pas davantage enfermé au Centre Pompidou. Après être passé par Boulinier et Gilda sans rien y acheter, j’emprunte la ligne Quatorze pour me rapprocher du Book-Off de Quatre-Septembre.
Un train sans histoire me ramène à Rouen où le pavé est sérieusement mouillé. C’est le moment d’ouvrir mon parapluie.
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Dans ce train de retour, deux voyageuses qui s’installent à l’étage « pour voir le paysage ».
                                                        *
Contrôlé dans le train de l’aller, je le suis également dans celui du retour. L’être dans l’un et l’autre le même jour est rarissime. Dans le métro parisien, le contrôle n’est pas fréquent. Quand ça m’arrive, c’est à Opéra plutôt qu’ailleurs. Dans le bus parisien, je n’ai jamais vu de contrôleurs, mais tout le monde montant par l’avant, le chauffeur sait qui n’est pas en règle et envoie un message sonore en boucle tançant le fraudeur. Cela dissuade.
 

24 mars 2017


Dix minutes de retard sont affichées ce mercredi pour le sept heures cinquante-neuf allant à Paris. Il ne l’est que de six. Son vaillant conducteur met la gomme et nous arrivons à l’heure officielle.
Autre bonne nouvelle, la météo annonçait un ciel gris devant donner de la pluie, il n’en est rien. Il fait même presque beau.
Je passe au marché d’Aligre, chez Book-Off puis chez Emmaüs. Pour déjeuner, je renoue avec Chez Céleste et le regrette. Je suis lassé de la présence quasi systémique dans le plat principal d’une boule de riz et d’une poignée de frites, et aussi de la clientèle. Cette fois, c’est un trio de jeunes collègues, deux filles et un garçon. Elles lisent des bluettes qui les font pleurer. Il lit Ken Follet. Une quatrième les rejoint quand ils ont presque terminé. Elle commande le plat végétarien.
Il est midi et demi quand j’en sors. C’est précisément l’heure à laquelle ouvre à côté, au numéro vingt-sept de la rue de Charonne, la Galerie Arts Factory qui expose les artistes figurant au sommaire du numéro vingt-neuf de la très belle revue Hey ! dont le sous-titre est « modern art and pop culture ». Cette revue œuvre « pour la défense de territoires affranchis de la norme » : « Outsider arts, art pop outsiders et singuliers, lowbrow et folk art, bande dessinée et l'ensemble des arts graphiques dérivés d'une culture de rue sont présentés dans les pages et défendus par la revue en tant qu'expressions majeures de notre temps. ».
La jeune fille blonde à l’accent scandinave de l’accueil s’offre à me délester de mes sacs. Allégé, je vaque.
Sur mon petit carnet Muji, je note le nom de Murielle Belin, artiste taxidermiste dont je retiens particulièrement L’oiseau de malheur et Léda et le colibri. Elle fait aussi des sculptures en bocaux.
Plus loin, j’ai la surprise de retrouver Gilbert Shelton avec notamment des dessins originaux récents en noir et blanc des Fabuleux Freak Brothers qui n’ont pas dû lui prendre beaucoup de temps et sont vendus deux mille euros pièce.
Je demande à la blonde demoiselle si elle sait que François Angelier a consacré sur France Culture ses Emois du petit matin au dernier numéro de Hey ! et incidemment à cette exposition. Que non. Elle prend note pour en informer l’attachée de presse. Shelton était là pour le vernissage, me dit-elle, presque tous les artistes exposés sont venus, même ceux résidant à l’étranger.
A nouveau chargé, je constate que la pluie annoncée ne sera pas. Je décide d’aller quand même au Centre Pompidou, où je comptais me réfugier pour éviter d’être mouillé, mais pédestrement. L’exposition des photos de Josef Koudelka m’y invite.
                                                           *
Dans un groupe de convives, la fille qui arrive en retard est souvent végétarienne.
                                                           *
J’ai un titre pour Libération quand Ken Follett mourra : « Feu Follett ». C’est quand même mieux que le « Chuck périt « de cette semaine.
Evoquant Chuck Berry, la plupart des médias (comme on dit) ont eu des pudeurs de gazelle (comme dit Mélenchon), parlant parfois des braquages de sa première jeunesse mais passant sous silence le séjour en prison pour sa relation avec une Apache de quatorze ans et ses ennuis ultérieurs à cause des caméras qu’il fit installer dans les toilettes pour femmes de son restaurant. Ah, ces artistes !
J’étais à l’école élémentaire quand Chuck Berry fit ses prodigieux débuts. Comme à la maison il n’y avait que la radio, j’ai mis des années avant de savoir qu’il était noir.
                                                          *
Lowbrow késako ?
J’interroge Ouiquipédia.
« Lowbrow, ou « lowbrow art », est un mouvement d'art pictural apparu à Los Angeles en Californie, à la fin des années soixante-dix. Le terme lowbrow (littéralement « sourcils bas ») a été construit d'après son contraire, le mot highbrow (« sourcils élevé »), qui désigne l'expression faciale hautaine que peuvent prendre les amateurs d'art contemporain sous ses formes les plus élitistes. Le lowbrow se réapproprie les codes issus des médias populaires tels que le comics, la publicité, le graffiti, le dessin animé et tout ce qui n'est pas considéré comme appartenant au monde des « beaux-arts » classiques. Il est considéré comme faisant partie de la « pop surréaliste ». Le lowbrow art est souvent humoristique, tantôt joyeux, parfois espiègle et, d'autres fois, sarcastique. La plupart des œuvres lowbrow sont des peintures, mais elles peuvent également utiliser d'autres supports ou techniques : jouets, art numérique, sculpture. »
Me voilà bien avancé.
                                                        *
Deux des livres de mes sacs : la Correspondance de Marie d’Agoult et Georges Sand (Bartillat) et, acheté pour son titre mais c’est peut-être intéressant, Passage aux îles Féroé avec des bottes en caoutchouc de Karin Huet (La Part Commune).
 

23 mars 2017


-Attention, on a ajouté une marche, me prévient celle qui fut autrefois mon élève, actuellement placeuse à l’Opéra de Rouen pour financer ses études, lorsque je me dirige vers les chaises au pied du plateau, après qu’elle m’a donné le programme de Cosmophonies, le concert conférence d’Hubert Reeves et  de l’Ensemble Calliopée, ce mardi soir.
J’évite la chute et m’installe face au fauteuil dans lequel doit s’asseoir l’éminent astrophysicien, conteur et poète. Au pied de celui-ci sont disposés en un désordre étudié une dizaine de ses livres avec en couverture sa photo, des fois qu’on ne saurait pas qu’il en écrit. Une voix féminine nous invite à ne pas applaudir en cours de concert puis le vieil homme (quatre-vingt-quatre ans) et ses ami(e)s musicien(ne)s entrent en scène. Tou(te)s ont les pieds nus pour bien ressentir les vibrations de notre mère la Terre, sauf le pianiste qui a une dispense à cause des pédales.
Au pied du savant (comme on disait autrefois) s’assoit en tailleur sur des coussins celle qui a conçu le spectacle, l’altiste Karine Lethiec. C’est le maître et son disciple, l’homme qui sait et la femme qui écoute. Tandis qu’il conte la naissance de l’univers et son évolution risquée, évoquant tour à tour le feu, l’eau, le cœur, le langage, la terre, la conscience et l’air, elle le regarde avec admiration et orne le discours de citations poétiques. Des images sont projetées, parfois redondantes, assez inutiles. Côté musique, après Claude Debussy, le programme est résolument contemporain avec de courtes œuvres ou des extraits de Tristan Murail, Olivier Messiaen, Toru Takemitsu, Thierry Pécou, Kaija Saariaho, Krystof Maratka, Philippe Hurel, Philippe Hersant, encore Olivier Messiaen, et Daniele Gasparini.
L astrophysique ne m’intéresse pas beaucoup, savoir d’ou vient la vie et comment elle a évolué non plus, de plus l’optimisme de vieux sage serait plutôt pour m’effrayer, cependant la soirée m’est agréable.
                                                             *
C’est une bénédiction de pouvoir entendre une heure de musique contemporaine sans qu’une partie du public puisse faire entendre son mépris et sa désapprobation.
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Hubert Reeves, Michel Serres, Edgar Morin et feu Albert Jacquard : les trois mousquetaires de la sagesse écolo mystique.
 

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