Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 décembre 2018


Ce samedi à Rouen, comme ailleurs, c’est la septième venue en ville des gestionnaires de ronds-points. Ici, les autres fois, cela n’a été qu’un cortège au trajet contrôlé par la Police avec quelques gazages à la fin et comme en plus nous sommes entre deux fêtes, je ne m’attends pas à grand-chose.
Quand je sors au matin, je vois venir vers moi, rue de la Rép, une poignée d’hommes et de femmes que je prends d’abord pour des fêtards pas encore couchés jusqu’à ce que j’entende ce qu’ils chantent, une diatribe anti Macron sur l’air d’une rengaine de fouteux. Ils n’ont pas encore enfilé leur uniforme. Au carrefour de l’Hôtel de Ville des Céhéresses sont disposés par petits groupes.
-Bonjour les jeunes, dit l’un d’eux à trois branlotins qui arrivent par la rue de l’Hôpital, on va vérifier vos sacs.
J’en trouve un autre à l’intérieur de l’U Express, faisant comme moi quelques emplettes. Devant l’Hôtel de Ville, lieu de rendez-vous des pro Ric, la tache jaune n'est pas très étendue, constaté-je en ressortant.
Rentré chez moi j’entends vers dix heures et demie une série d’explosions semblant venir de la rue du Canuet, que je prends pour celles de pétards, à moins que ce soit celles de grenades assourdissantes. Les choses ne semblent pas se passer dans le calme. Je me renseigne par le fil Touiteur de 76actu. Effectivement ça chauffe, notamment devant la gare. Il y a beaucoup de manifestants, un millier, conduits, selon les journalistes, par des militants de l’ultragauche.
A onze heures trente, comme si de rien n’était, c’est concert de carillon à la Cathédrale, une série d’airs de Noël qui pourraient nous faire croire que l’on vit dans un monde calme et tranquille.
Plus tard, j’apprends que les émeutiers ont mis le feu à la porte de la Banque de France puis érigé des barricades et fait brûler des poubelles un peu partout. Les Jaunes sont répandus dans toutes les rues du centre de la ville. Rue du Gros, les commerces ferment en urgence. La Police semble dépassée. Une nouvelle série d’explosions se fait entendre jusqu’à chez moi.
Quand je ressors pour faire une course pas loin du marché de Noël en début d’après-midi, le coin est paisible mais des colonnes de fumée s’élèvent du côté du Palais de Justice. Si  les Jaunes sont mille à mettre ou à permettre le désordre en ville, c’est par dizaines de milliers que se comptent celles et ceux qui sans s’en soucier sacrifient au culte de la consommation.
N’ayant envie de côtoyer ni les uns ni les autres, je m’éloigne de l’hypercentre pour un café lecture place Saint-Marc. Las, l’armée jaune envahit bientôt la rue Armand-Carrel à la grande joie du patron du bar qui soutient le mouvement depuis le début
-Bravo, bravo, ça met un peu d’animation, s’excite-t-il derrière le comptoir.
En fin de cortège, un groupe de jeunes garçons en noir se dirige vers les poubelles stockées devant la pharmacie. Ils les font rouler jusqu’au milieu de la chaussée. Une escouade de Gendarmes Mobiles déboulent et lancent les gaz. La rue disparaît dans un brouillard blanc. Les clients assis en terrasse se précipitent à l’intérieur du café. Les employés du poissonnier d’à côté tentent désespéramment de baisser l’auvent de la remorque qui sert d’extension au magasin pour les fêtes. Au menu de Nouvel An, ce sera huîtres et poissons à la lacrymo. Le nuage dissipé, trois branlotins reviennent vers les poubelles. L’un d’eux sort son briquet.
-Robert, Robert, y vont mettre le feu aux poubelles, crie la patronne en direction de son mari.
-Mais pourquoi tu cries comme ça ? lui répond-il.
-Y a ta moto à côté ! hurle-t-elle.
Animé par le désir de défendre son bien, mon Robert fonce à l’extérieur et retient le bras du pyromane. A l’aide de je ne sais quels arguments, il le convainc de renoncer à son funeste projet. Ces jeunes gens pourraient facilement être arrêtés par la maréchaussée, mais aucun policier ne semble disponible. Ils courent rejoindre la queue de la manifestation qui se dirige à nouveau vers l’hypercentre. Le calme revient, ici du moins. Un client de la terrasse a profité de l’occasion pour partir sans payer.
-C’était bien le défilé au début, commente la patronne, mais à la fin ça c’est pas bien.
Quand même, ça n’aurait pas manqué de piquant de voir brûler la moto d’un soutien des Gilets Jaunes sur le vote duquel, lors des élections, je n’ai guère de doute.
                                                               *
Seulement huit cents Gilets Jaunes à Paris ce samedi, douze mille dans toute la France, mais plus de mille à Rouen, dont deux cents d’ultragauche selon 76actu. Je suppose que ces derniers étaient à Paris les samedis précédents et qu’on leur doit une partie des dégâts.
Sur l’un de leurs sites, ces professionnels de l’insurrection se vantent d’avoir bâti la plus haute barricade jamais faite à Rouen (l’as-tu vue, ma belle érection) et se plaignent des violences policières (comme s’ils n’y étaient pas pour quelque chose).
Ils se gardent bien de dire que les deux blessés les plus graves sont un policier brûlé à la main par un feu de poubelle et une passante qui a reçu en plein visage un parpaing lancé par un manifestant (elle se serait de plus cassé la jambe en tombant).
 

29 décembre 2018


Ce vendredi matin, j’ai rendez-vous au Bar du Sacre à dix heures et demie avec l’un pour qui j’ai trouvé, après des années de recherche,  Ferdydurke de Witold Gombrowicz dans l’édition grand format qu’en fit Christian Bourgois, mais quand j’arrive le serveur vient seulement d’entrer dans ce tripot qui en principe ouvre à dix heures.
Tandis qu’il commence à sortir la terrasse, je me réfugie en face, au Rêve de l’Escalier où il fait bien chaud. Je demande au bouquiniste s’il a lu Georges Hyvernaud dont il a sur un présentoir deux des livres réédités par Le Dilettante. Il ne le connaît pas, ne sait pas qu’il fut professeur à l’Ecole Normale de Rouen.
Celui que j’attendais a le même réflexe que moi, il entre dans la bouquinerie. Il ne connaît pas davantage Georges Hyvernaud. Je lui en fais si bien la promotion qu’il achète les deux ouvrages.
Au lieu du Sacre, nous allons boire des cafés au Rivoli, un établissement de la rue du Guillaume où je ne suis jamais entré et qui s’avère tout petit, quelques tables rondes le long de la vitre et le mur du fond en miroir pour que l’endroit ait l’air deux fois plus vaste. Je remets le livre à son nouveau propriétaire puis nous parlons de ceci et de cela. Au moment où nous nous apprêtons à partir entre une famille qui d’emblée demande les toilettes. Cela semblait urgent.
De même l’après-midi dans le café pro Gilets Jaunes où l’on me tolère et où je tapote sur mon ordinateur des notes de lecture, les arrivants à peine assis se lèvent l’un après l’autre pour aller aux toilettes.
Il y aurait beaucoup moins de monde dans les cafés et autres bars si leur usage premier n’était d’y uriner.
Vers seize heures entrent plusieurs familles à moutards qui créent une file d'attente devant la porte des toilettes et m’incitent à partir avant qu’on me fasse comprendre que je nuis au commerce en occupant seul une table de quatre où je ne bois qu’un café.
                                                                         *
L’entrée dans les cafés pour soulager un besoin naturel (comme disent certains) est d’autant plus nécessaire à Rouen que les toilettes publiques y sont très rares et peu signalées.
L’une d’elles située au sous-sol de la place de la Calende est en passe d’être détruite pour cause de réfection du « Cœur de Ville ».
Du temps que Patrice Quéréel était vivant, les duchampiens locaux y ont posé une plaque : « Toilettes Marcel Duchamp, artiste défroqué ». J’ai prévenu par mail l’un de ces zélateurs de Duchamp qu’il était temps de la récupérer avant qu’elle disparaisse, mais ma bonne action n’a pas été suivie d’effet, autant pisser dans un violon.
                                                                          *
S’il y avait eu, depuis les années cinquante, parmi les élus municipaux, un ou une qui s’intéressait à la littérature, il y aurait une rue Georges Hyvernaud à Rouen.
 

28 décembre 2018


C’est la bétaillère de sept heures vingt-trois qui m’emmène à Paris ce mercredi lendemain de Noël. Peu de coutumiers s’y trouvent ; ils sont en congé pour les fêtes. Des isolés, venus à Rouen pour retrouver la famille, rentrent à Paris ou plus loin. Certains sont tellement chargés de cadeaux que la hotte du vieux barbu a dû se déverser sur eux. Je lis Poésies de Michel Houellebecq, un J’ai Lu groupant trois recueils dudit. Face à moi, une fille se maquille. J’ai l’impression d’être le miroir de sa salle de bains.
Il fait de plus en plus froid dans la voiture dont les vitres se couvrent de buée. Peut-être est-ce mieux dans une autre, mais je n’ai pas l’énergie d’aller voir. Je crains que ce soit l’influence de la littérature dépressive de Houellebecq.
Il n’y a guère de monde dans le bus Vingt dont je descends à Bastille. Pas beaucoup non plus au Café du Faubourg, où la serveuse regrette de ne pas avoir mis sa polaire.
-J’aimerais bien connaître la date des soldes, annonce-t-elle, faut que j’achète mes cadeaux de Noël.
Cette année, mon Noël présente un bilan particulièrement équilibré, cadeaux offerts : zéro, cadeaux reçus : zéro.
Chez Book-Off, Œuvres de Nicolas Bouvier publié par Gallimard dans sa collection Quarto (mille quatre cent quarante pages et deux cent cinquante-deux documents) me coûte dix euros et Les exploits d’un jeune Don Juan de Guillaume Apollinaire, dans l’édition qu’en fit Jean-Jacques Pauvert en mil neuf cent quatre-vingt-cinq, un seul.
Chez Emmaüs, on solde avant l’heure. Tous les livres sont à un euro. Hélas, il n’y a que des rossignols (si l’on peut dire).
Beaucoup de restaurants sont fermés, dont le Péhemmu chinois. J’atterris aux Mousquetaires, rue Saint-Antoine, qui a le mérite de proposer un menu à treize euros cinquante. Je commande un quart de vin italien à six euros puis choisis le filet de harengs suivi de l’épaule d’agneau purée de pommes terre. Cette viande est fort rustique. Je la mâchonne assis à une table surélevée qui me permet de voir qui passe sur le trottoir. Une famille italienne me tient compagnie dont je ne comprends pas le langage. Comme dessert, c'est une crème brûlée au café.
Je prends le bus Vingt dans l’autre sens et en descends à Opéra. Où prendre un café ? Les Ducs fermé, le Royal Bourse Opéra fermé, j’opte pour La Bombe, face à la sortie du métro Quatre-Septembre près de laquelle j’ai donné rendez-vous à quinze heures à une certaine Cécile dont je ne sais rien sinon qu’elle s’intéresse au féminisme à en juger par les deux livres qu’elle m’a achetés.
A l’heure dite, je me poste entre les bancs de la placette dans le froid soleil. Elle arrive aussitôt, sans doute étudiante. Notre échange est purement commercial.
Il y a foule dans le deuxième Book-Off, conséquence des vacances qui l’encombre de néophytes. J’y trouve peu.
Pour avoir un billet de train à neuf euros, j’ai avancé mon retour en réservant une place dans le seize heures quarante-huit. Las, la voix masculine de Saint-Lazare annonce puis répète qu’elle doit « retenir son affichage ». La raison, finit-on par savoir, est qu’il « sera mis à quai tardivement ».
Parti avec trente minutes de retard, ce Corail heureusement chauffé me fait arriver à Rouen pas plus tôt que les mercredis précédents.
 

27 décembre 2018


Météo France ayant prévu le soleil après la pluie et voulant fuir la dernière journée de commerce rouennais d’avant Noël, je prends ce lundi matin le chemin de la gare. Arrivé sur place, je veux retirer à l’automate mon billet acheté la veille via Internet et ne le peux. Une guichetière m’explique que c’est impossible et que c’était écrit. Je l’ai lu en effet mais comme je peux chaque semaine retirer en gare mon billet pour Paris, cela m’a incité à ne pas tenir compte de l’avertissement. C’est un Téheuherre, me dit-elle, c’est pourquoi on ne peut pas. La peste soit de la régionalisation ! Je dois racheter un billet à demi-tarif auquel me donne droit ma carte de vieux, dite Senior Plus. Cela a pour effet de me faire voyager à plein tarif.
Ce train régional part à neuf heures quatorze et arrive à Dieppe sous un ciel gris deux minutes avant dix heures. L’un des voyageurs, venu de Paris, s’épanche auprès de celui venu le chercher :
-Tu sais pas ce qui m’est arrivé ? J’ai acheté mon billet à la machine. C’était pour le train suivant. Y en avait deux à peu près à la même heure. Je suis pas monté dans le bon. Cinquante euros d’amende.
Voilà qui relativise ma propre perte.
J’achève de m’en consoler au Tout Va Bien où l’on est d’humeur joyeuse. Un des serveurs a enfilé le costume du Père Noël et distribue des bonbons à tous les moutards passant sur le quai. L’établissement a installé une extension temporaire de terrasse en forme de téléphérique, trois cabines rouges avec une table à l’intérieur, en face de la ridiculement petite patinoire municipale. L’ambiance musicale est de saison, des noëls américains. Pas loin de la table où je lis Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel s’installent deux très vieilles.
-Couchée neuf heures, réveillée trois heures, dit l’une à l’autre. Y avait du bruit dans la rue. Je me suis dit : si ça continue, je vais me lever.
-Un franc soixante le café, remarque l’autre sans être corrigé par son amie.
Celle-ci travaillait dans un bar quand elle était toute jeune. Un jour de Noël, un client lui avait dit « Vous savez ce qu’on fait cette nuit : on met Jésus dans la crèche. » « Ça, c’est pour les gens mariés », lui avait-elle répondu.
Le téléphone sonne :
-C’est soixante-neuf euros par personne pour le réveillon du jour de l’an, hors consommation. Non, pas de menu enfant. Il ne reste qu’une table de quatre. Tenez-nous au courant vraiment vite.
Celle qui je pense est la patronne arrive de courses :
-Je viens de Monoprix. J’ai acheté un rouleau de papier cadeau. Trois euros. C’est cher. Heureusement, il m’en reste un autre, un moche. Les gamins que j’aime bien, je vais leur mettre le beau. Les gamins que j’aime pas, je leur mettrai le papier pourri.
-Et vous ouvrez demain ? demande un habitué.
-Vous, vous allez finir dans le port.
Le soleil n’est toujours pas là quand je longe ce port à la recherche d’un restaurant ouvert, mais il fait doux et c’est marée haute, de quoi bien voir les bateaux. Le Sully a le mérite de proposer un menu à treize euros cinquante. J’y prends place à une table donnant sur le port. La serveuse et le serveur sont habillés comme on l’était pour ce travail il y a quarante ans. La déco de Noël est surabondante. Côté bande son, c’est Starmania en boucle. Je choisis les bulots à l’ail puis la dorade grillée avec pommes vapeur et prends un quart de vin blanc à six euros. A ma droite s’installent un couple de quinquagénaires et leur fils trentenaire. C’est ce dernier qui choisit le vin. « Notre œnologue préféré », explique sa mère au serveur (elle n’a pas droit au gluten).
Au milieu du repas se présente un immense navire vert à quatre cylindres dressés vers le ciel transportant des pales d’éolienne. Le pont tournant lui permet d’entrer dans le port en frôlant une maison qui n’arrive qu’à la moitié de sa hauteur. C’est le E-Ship One de la société allemande Enercon, sur sa coque « Energy for the World ».
La « pâtisserie du jour » est une salade de fruits et c’est le meilleur moment du repas.
Quand je règle l’addition, le monde est stone encore une fois. Je suis la promenade de la plage, quasi déserte, jusqu’au bout. Côté mer, le ciel est bleu mais le soleil est de l’autre côté, caché par les nuages. Quelques jolies filles nagent dans la piscine à ciel ouvert.
De retour en ville, je trouve place à ma table préférée au Café des Tribunaux qui sert de cantine à la bourgeoisie locale. Après mon café, je poursuis la lecture de Rien où poser sa tête. A ma droite, deux quinquagénaires bien mis sont rejoints par leur fille vingtenaire et son copain qui fait connaissance. A un moment, sans que je comprenne pourquoi, le ton monte entre le père et la fille. Celui-ci se lève excédé et se dirige vers la porte.
-Bon aprèm, lui lance sa descendante.
-Il est comme ça, dit la mère au peut-être futur gendre.
Je rentre par le train de seize heures. Comme chaque année, ma nuit de Noël est animée par les carillonnages de la Cathédrale où certains célèbrent la naissance du nommé Jésus. S’y ajoutent les hurlements d’Aboyus venu revoir sa Normandie pour les fêtes.
                                                                     *
Cette mésaventure du billet de train payé deux fois ne va pas faire baisser mon animosité envers Herve Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite et Gilet Jaune (comme pour Wauquiez, il y a des photos). En deux mille vingt, à sa demande, la Région s’occupera aussi des trains Rouen Paris. N’ayant ni imprimante, ni mobile, cela me promet bien du plaisir.
                                                                     *
Les cylindres de l’E-Ship One sont des rotors Flettner à effet Magnus permettant d’utiliser le vent comme force motrice complémentaire à la motorisation conventionnelle, apprends-je au retour.
 

25 décembre 2018


Ce vingt-trois décembre paraît sur 76actu un article de Julien Bouteiller titré Ce Rouennais, inventeur d’un moteur à eau et alcool, contraint de s’exiler au Brésil. J’ai connu celui dont il est question, Jean Chambrin, pour une raison qui n’a rien à voir avec la mécanique, c’était l’amant de ma grand-tante Marthe.
Celle que dans la famille nous appelions la tante Marthe habitait à Rouen, rue Beauvoisine. Elle était la sœur cadette de ma grand-mère Eugénie, femme de mon grand-père Jules. Cartomancienne et radiesthésiste (je me souviens qu’elle craignait d’être poursuivie pour exercice illégal de la médecine), elle n’était pas très bien vue par mes grands-parents et par mon père, des catholiques de première. Cependant, au temps de ma petite enfance, ils ne dédaignaient pas recourir à ses services. J’ai un très vague souvenir de ma présence chez elle avec sur la table une de mes photos et au-dessus un pendule qui va et vient. Plus tard, la critique l’emporta.
Dans la maison du huit bis route de Pacy à Louviers, mes grands-parents occupaient le rez-de-chaussée et mes parents et leurs quatre enfants vivaient à l’étage. Quand la tante Marthe (assez rarement) venait voir sa sœur, elle montait dire bonjour avant de repartir. Elle était accompagnée de son amant du moment (cette succession d’hommes était une autre raison de la critiquer). C’est ainsi que, vers la fin des années soixante ou au tout début des années soixante-dix, avant que je quitte la maison, j’ai rencontré deux ou trois fois celui que dans la famille on appelait Monsieur Chambrin. Il nous parlait un peu de son moteur à eau. Quand ils évoquaient entre eux cette invention, mes parents et mes grands-parents n’y croyaient guère, et moi pareillement.
                                                               *
La tante Marthe ne s’intéressait pas à nous les enfants. Jamais elle ne nous apportait de cadeau, pas même un paquet de bonbons. Nos échanges se résumaient à un bonjour et un au revoir. Néanmoins, ma sœur, devenue adulte et davantage douée pour les relations familiales que moi, a parfois été invitée dans une maison dont elle était propriétaire à Martot dans l’Eure.
                                                              *
Un autre des amants de la tante Marthe m’a marqué. C’était bien avant Monsieur Chambrin. Mes deux frères, ma soeur et moi étions très jeunes. Ce jour-là elle a monté l’escalier et est entrée suivie d’un Africain. De peur, nous prîmes la fuite en criant « un négro un négro ». Comme je suis l’aîné, je crains que ce soit moi qui aie crié le premier. Ce n’est pas sans honte que je raconte cela. J’imagine ce qu’il a ressenti.
Nous n’avions jamais vu un homme à la peau noire ailleurs que dans des livres. Ma mère nous a grondés et lui a demandé de nous excuser.
D’où me venait ce mot de négro ? Pas de mes parents. De la cour de recréation, je suppose.
A Louviers, pendant les dix-sept années où je fus élève de l’enseignement public entre mil neuf cent cinquante-quatre et mil neuf cent soixante et onze, jamais je n’ai côtoyé un(e) élève noir(e).
 

24 décembre 2018


Ci-après un extrait du témoignage qu’a publié sur Touiteur le journaliste de 20 Minutes Thibaut Chevillard :
« J'ai été tellement choqué par ce que j'ai vu, ce soir, dans la ligne 4 du métro, que je ressens le besoin d'en parler ici. Je vais donc vous expliquer pourquoi, ce samedi 22 décembre, j'ai eu honte.
Un peu après 23h, nous sommes montés dans la rame à Réaumur-Sébastopol. A l'intérieur, trois gilets jaunes, un peu éméchés, hurlant : "Macron dé-mis-sion !" Il s'agissait d'hommes d'une quarantaine d'années, plutôt bon chic bon genre, qui rentraient de la manifestation.
Dans la rame, on n'entendait qu'eux. Puis la situation est partie en vrille : ils ont commencé à faire des quenelles, des quenelles "de 40". Une petite vieille, cheveux grisonnants, le dos voûté, s'est levée. Elle est allée vers eux et leur a demandé d'arrêter.
Cette femme âgée leur a dit : "Ce geste est un geste antisémite. Je suis juive, j'ai été déportée à Auschwitz, je vous demande d'arrêter." Les trois hommes n'ont pas arrêté pour autant. Ils ont rigolé, Puis l'un d'eux lui a répondu que les chambres à gaz n'existaient pas.
Un autre s'est ensuite mis à hurler : "dé-gage la vieille ! dé-gage la vieille ! dé-gage la vieille !" Son copain a enchaîné avec un bon vieux : "On est chez nous ! On est chez nous !"     La petite vieille est retournée s'asseoir sous leurs insultes.
A l'arrêt suivant, elle est descendue, silencieuse, tête baissée. Eux avaient l'air très fiers de leur coup. Ils ont recommencé à scander "Ma-cron, dé-mis-sion ! Ma-cron, dé-mis-sion !" A la station Montparnasse-Bienvenüe, ils sont descendus et ont disparu au milieu de la foule. »
                                                              *
Ce même samedi le chant antisémite La Quenelle a été entendu sur les marches du Sacré-Cœur accompagné du salut nazi détourné. On a vu ce geste également chez certains Gilets Jaunes ce samedi dans les rues de Rouen. Le prétendu comique et véritable antisémite qui officiait au Théâtre de la Main d’Or s’est d’ailleurs montré il y a quelques semaines à un rond-point affublé d’un gilet jaune où il a été reçu à bras ouverts par les présents (y compris les policiers).
                                                              *
Ce même samedi, en Charente, une marionnette à l'effigie d'Emmanuel Macron a été décapitée dans une mise en scène particulièrement sanglante.
                                                              *
Vu aussi, et entendu, ce samedi matin à la télé, le chef des Gilets Jaunes de Marseille (ces gens-là n’ont pas de chefs mais en ont quand même) déclarer que grâce à l’action des Gilets Jaunes, les policiers ont eu leur salaire augmenté et Marine Le Pen a fait un bond dans les sondages sur les Européennes.
 

22 décembre 2018


Le Pavillon Carré de Baudouin, qui ne portait pas encore ce nom, fut construit au dix-huitième siècle. Les frères Goncourt y passèrent une partie de leur enfance. Acheté par la ville de Paris, il dépend de la Mairie du Vingtième. Le vaste jardin et le bel édifice sont ouverts au public.
Une exposition Willy Ronis y est organisée dont ce sont les derniers jours. Elle est gratuite. L’employée municipale n’y donne pas de ticket mais clique afin de comptabiliser le nombre de visiteurs. Je lui confie mon sac à dos avant d’entrer dans la première salle.
Y sont exposées les photos du quartier Belleville Ménilmontant. M’intéressent notamment celles d’un café à trois étages, dont j’apprends qu’aujourd’hui il ne reste qu’un tas de ruines. Me plaît beaucoup celle, volée, d’une jeune fille entrant chez elle rue de la Cloche. Viennent ensuite les premières photos prises par celui dont le père était photographe de studio.
Dans l’escalier sont présentés des autoportraits pris à diverses époques. En haut à gauche une salle est consacrée aux nus (c’est-à-dire aux nues) dont le célèbre Nu provençal qui ne peut faire songer qu’à Bonnard. Mon préféré est Le nu au chiffon, celui-ci placé au bon endroit. Un moutard se présente à l’entrée de la salle, jette un œil sur l’ensemble de ces femmes dénudées et s’enfuit en clamant que c’est nul.
De l’autre côté de l’escalier se trouve une très grande salle dans laquelle de nombreuses photos sont groupées en différents thèmes : Paris, l’ailleurs (c’est-à-dire l’étranger) où l’on trouve Les béguines prise à Bruges ce qui me rappelle le délicieux béguinage parcouru bien accompagné, la province, le monde ouvrier, l’intime (c’est-à-dire la famille). La plupart sont remarquables.
« De toutes les choses inattendues, la plus inattendue, c’est la vieillesse. C’est Trotski qui a dit ça », raconte Willy Ronis dans le film diffusé en boucle, dont on peut profiter du son sans subir l’image, expliquant qu’il a abandonné la photo le jour où il lui a fallu lâcher l’appareil pour tenir des béquilles.
Je sors de cette exposition bien content et retrouve l’ascenseur de Pelleport. En passant par République, je vais à Ledru-Rollin. Dans le second Book-Off, impossible d’ignorer que c’est bientôt Noël. Que de monde ici par obligation, occupé à trouver un cadeau pas cher. Je reste moins longtemps que je l’aurais souhaité.
Dans le train du retour s’installe derrière moi un jeune couple à bébé. De quoi parlent les heureux parents pendant une heure vingt : de sieste du matin, de sieste de l’après-midi, de biberon et de tototte.
                                                            *
Sauf rares exceptions, je ne mets pas en scène, je négocie l’aléatoire. Willy Ronis dixit.
Négocier l’aléatoire, une philosophie de la vie que je fais mienne.
                                                            *
La ritournelle du moment : « Bonnes fêtes de findanet ».
 

21 décembre 2018


Cet avant-dernier mercredi de deux mille dix-huit, le train pour Paris de sept heures vingt-trois (nouvel horaire) ne se fait pas attendre. Près de moi sont assises trois femmes de crèches métropolitaines allant à une réunion parisienne. Leur sujet de conversation principal : une supérieure. « Surtout elle veut qu’on soit bienveillante, dit l’une, alors tous mes mails, je les termine par Bien cordialement ». Leur espoir : finir assez tôt pour avoir le temps de faire les boutiques. Je relis l’Anthologie de l’humour noir, une façon de réviser mes classiques. Les textes d’introduction que consacre André Breton à chacun me donne envie de lire des biographies de Swift et de Lichtenberg.
A l’arrivée je vais à pied jusqu’au Book-Off de Quatre Septembre et y échange un sac de livres contre neuf euros dont je dépense deux sur place. Il est onze heures. Le métro Trois m’emmène jusqu’à Gambetta où il y a correspondance avec la Trois bis, une ligne des plus courtes, quatre stations desservies par une petite rame. J’en descends à la suivante nommée Pelleport d’où l’on sort avec un ascenseur.
Une jeune femme m’indique de quel côté la rue de Ménilmontant. Ça monte. Je la trouve à gauche, qui grimpe pareillement. J’atteins le sommet, puis descends jusqu’au carrefour avec la rue des Pyrénées. C’est là que se trouve ce qui m’amène dans le quartier, mais avant d’y entrer je cherche où déjeuner.
Le quartier manque de restaurants. Je finis par en dénicher un nommé La Nouvelle Etoile dans la rue des Pyrénées. Assez chic, il propose un menu à quinze euros. Des moutards sortis de l’école sont déjà présents avec leurs parents du côté où le serveur veut me placer. J’obtiens de m’éloigner et, dans l’autre partie de la salle, m’installe à une table ronde pour solitaire située contre une porte vitrée condamnée. Je peux ainsi observer le spectacle de la rue de ce quartier populaire, au bon sens du terme, tout en écoutant la musique jazzy. Après le feuilleté chèvre et je ne sais plus quoi, arrive le pot au feu avec un poireau comme je n’en ai pas eu dans mon assiette depuis des années. Il a l’air d’une punition. Heureusement, le côtoie un bel os à moelle. Cette moelle que je déguste à minuscule cuillère est excellente. En dessert, je choisis le millefeuille maison. Je paie vingt et un euros, quart de bon côtes-du-rhône inclus.
Il me reste à rejoindre le carrefour où se tient le Pavillon Carré de Baudouin.
                                                               *
A Ménilmontant : une menuiserie solidaire nommée Extramuros et un bureau de poste nommé Edith Piaf. C’est aujourd’hui l’anniversaire de naissance de la chanteuse, ai-je appris avant de partir. Elle serait encore vivante qu’elle aurait cent trois ans.
 

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