Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

A Dieppe, en payant deux fois mon billet de train

27 décembre 2018


Météo France ayant prévu le soleil après la pluie et voulant fuir la dernière journée de commerce rouennais d’avant Noël, je prends ce lundi matin le chemin de la gare. Arrivé sur place, je veux retirer à l’automate mon billet acheté la veille via Internet et ne le peux. Une guichetière m’explique que c’est impossible et que c’était écrit. Je l’ai lu en effet mais comme je peux chaque semaine retirer en gare mon billet pour Paris, cela m’a incité à ne pas tenir compte de l’avertissement. C’est un Téheuherre, me dit-elle, c’est pourquoi on ne peut pas. La peste soit de la régionalisation ! Je dois racheter un billet à demi-tarif auquel me donne droit ma carte de vieux, dite Senior Plus. Cela a pour effet de me faire voyager à plein tarif.
Ce train régional part à neuf heures quatorze et arrive à Dieppe sous un ciel gris deux minutes avant dix heures. L’un des voyageurs, venu de Paris, s’épanche auprès de celui venu le chercher :
-Tu sais pas ce qui m’est arrivé ? J’ai acheté mon billet à la machine. C’était pour le train suivant. Y en avait deux à peu près à la même heure. Je suis pas monté dans le bon. Cinquante euros d’amende.
Voilà qui relativise ma propre perte.
J’achève de m’en consoler au Tout Va Bien où l’on est d’humeur joyeuse. Un des serveurs a enfilé le costume du Père Noël et distribue des bonbons à tous les moutards passant sur le quai. L’établissement a installé une extension temporaire de terrasse en forme de téléphérique, trois cabines rouges avec une table à l’intérieur, en face de la ridiculement petite patinoire municipale. L’ambiance musicale est de saison, des noëls américains. Pas loin de la table où je lis Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel s’installent deux très vieilles.
-Couchée neuf heures, réveillée trois heures, dit l’une à l’autre. Y avait du bruit dans la rue. Je me suis dit : si ça continue, je vais me lever.
-Un franc soixante le café, remarque l’autre sans être corrigé par son amie.
Celle-ci travaillait dans un bar quand elle était toute jeune. Un jour de Noël, un client lui avait dit « Vous savez ce qu’on fait cette nuit : on met Jésus dans la crèche. » « Ça, c’est pour les gens mariés », lui avait-elle répondu.
Le téléphone sonne :
-C’est soixante-neuf euros par personne pour le réveillon du jour de l’an, hors consommation. Non, pas de menu enfant. Il ne reste qu’une table de quatre. Tenez-nous au courant vraiment vite.
Celle qui je pense est la patronne arrive de courses :
-Je viens de Monoprix. J’ai acheté un rouleau de papier cadeau. Trois euros. C’est cher. Heureusement, il m’en reste un autre, un moche. Les gamins que j’aime bien, je vais leur mettre le beau. Les gamins que j’aime pas, je leur mettrai le papier pourri.
-Et vous ouvrez demain ? demande un habitué.
-Vous, vous allez finir dans le port.
Le soleil n’est toujours pas là quand je longe ce port à la recherche d’un restaurant ouvert, mais il fait doux et c’est marée haute, de quoi bien voir les bateaux. Le Sully a le mérite de proposer un menu à treize euros cinquante. J’y prends place à une table donnant sur le port. La serveuse et le serveur sont habillés comme on l’était pour ce travail il y a quarante ans. La déco de Noël est surabondante. Côté bande son, c’est Starmania en boucle. Je choisis les bulots à l’ail puis la dorade grillée avec pommes vapeur et prends un quart de vin blanc à six euros. A ma droite s’installent un couple de quinquagénaires et leur fils trentenaire. C’est ce dernier qui choisit le vin. « Notre œnologue préféré », explique sa mère au serveur (elle n’a pas droit au gluten).
Au milieu du repas se présente un immense navire vert à quatre cylindres dressés vers le ciel transportant des pales d’éolienne. Le pont tournant lui permet d’entrer dans le port en frôlant une maison qui n’arrive qu’à la moitié de sa hauteur. C’est le E-Ship One de la société allemande Enercon, sur sa coque « Energy for the World ».
La « pâtisserie du jour » est une salade de fruits et c’est le meilleur moment du repas.
Quand je règle l’addition, le monde est stone encore une fois. Je suis la promenade de la plage, quasi déserte, jusqu’au bout. Côté mer, le ciel est bleu mais le soleil est de l’autre côté, caché par les nuages. Quelques jolies filles nagent dans la piscine à ciel ouvert.
De retour en ville, je trouve place à ma table préférée au Café des Tribunaux qui sert de cantine à la bourgeoisie locale. Après mon café, je poursuis la lecture de Rien où poser sa tête. A ma droite, deux quinquagénaires bien mis sont rejoints par leur fille vingtenaire et son copain qui fait connaissance. A un moment, sans que je comprenne pourquoi, le ton monte entre le père et la fille. Celui-ci se lève excédé et se dirige vers la porte.
-Bon aprèm, lui lance sa descendante.
-Il est comme ça, dit la mère au peut-être futur gendre.
Je rentre par le train de seize heures. Comme chaque année, ma nuit de Noël est animée par les carillonnages de la Cathédrale où certains célèbrent la naissance du nommé Jésus. S’y ajoutent les hurlements d’Aboyus venu revoir sa Normandie pour les fêtes.
                                                                     *
Cette mésaventure du billet de train payé deux fois ne va pas faire baisser mon animosité envers Herve Morin, Duc de Normandie, Centriste de Droite et Gilet Jaune (comme pour Wauquiez, il y a des photos). En deux mille vingt, à sa demande, la Région s’occupera aussi des trains Rouen Paris. N’ayant ni imprimante, ni mobile, cela me promet bien du plaisir.
                                                                     *
Les cylindres de l’E-Ship One sont des rotors Flettner à effet Magnus permettant d’utiliser le vent comme force motrice complémentaire à la motorisation conventionnelle, apprends-je au retour.