Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 avril 2021


Du soleil et la compagnie épisodique de Chat Noir ce mardi pour terminer le second volume publié au Seuil du Journal de Victor Klemperer dans lequel le philologue narre les persécutions incessantes qu’il subit de la Gestapo en raison de son origine juive (bien que converti au protestantisme), n’évitant la déportation et l’extermination que par son mariage avec une aryenne. Le morceau de bravoure est le dantesque bombardement de Dresde auquel lui et sa femme survivent par miracle (comme on dit). La dernière partie, moins intéressante, raconte comment Klemperer se débat pour retrouver son poste de professeur à l’Université de Dresde dans cette partie de l’Allemagne en ruine contrôlée par les Russes. Il devra pour cela se résoudre à adhérer au Parti Communiste.
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Rebelle : pas de masque.
Demi-rebelle : masque sous le menton (prêt à le mettre dès l’apparition d’un képi)
Quart de rebelle : masque sur la bouche (ah il fallait le mettre aussi sur le naseau, je ne savais pas)
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Casquette à l’envers. Masque sous le menton.
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Jargon du moment : cranter. Se dit pour qui franchit une étape en excluant de revenir en arrière. Exemple : Xavier Bertrand a cranté en annonçant sa candidature à la prochaine Présidentielle.
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Jargon du moment encore : à date. Remplace : à ce jour.
 

12 avril 2021


Il est cinq heures et demie quand piaillent les goélands. C’est l’époque de la reproduction de l’espèce. Mon radio-réveil se déclenche un quart d’heure plus tard.
Sur France Culture, l’invité de l’émission Les Matins du Samedi de Chloé Cambreling est David Bobée, Il parle de la future reprise à Lille de son Lucrèce Borgia, évoquant le jeune (qu’on devine des quartiers), pour qui Hugo n’est qu’un mauvais souvenir scolaire, traîné là par sa prof de français et qui appréciera la pièce grâce au hip hop de danseurs en qui il pourra se reconnaître, et la p’tite dame (la prof de français ?) venue là pour le texte d’Hugo et qui aura, grâce à lui, l’occasion de découvrir le hip hop.
Peut-on faire preuve, à la fois pour le jeune et pour la p’tite dame, de plus de mépris ?
Ce début de printemps se fait remarquer par la froidure. Il pleut un jour sur deux. L’autre, j’en passe l’après-midi sur le banc du jardin, toujours dans la lecture des mille pages du second volume du Journal de Victor Klemperer. Au soleil, mais pas toujours au calme, car sous le pansement de la flèche de la Cathédrale le décapage a repris dans un bruit de cimenterie.
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Report à des temps meilleurs du retour des trains de nuit Paris Nice, la Senecefe aurait pu éviter de se ridiculiser en promettant le premier pour le seize avril.
 

7 avril 2021


« Votre plus bref billet ? », m’interroge un fidèle lecteur à propos de celui d’hier. « A ce jour, peut-être. Le néant me (nous) guette. », lui réponds-je. En effet quoi raconter, si ce n’est que la neige est de retour. Après quelques jours d’été trop tôt, voici quelques jours d’hiver trop tard.
Hormis quand je peux m’échapper vers le bord de la mer, il ne se passe absolument rien dans ma vie (comme dans celle de beaucoup d’autres). Chaque jour est la lamentable répétition du précédent.
Avril est foutu ou quasiment. Je ne vais donc être présent qu’en pointillé au travers de ce Journal dans les semaines qui viennent, jusqu'à ce qu'on en finisse avec ce troisième confinement.
 

6 avril 2021


Quoi faire d’autre en ce Lundi de Pâques gris et mouillé que des tâches ménagères : lessive, dégivrage de frigo, lavage de sol, etc. Pour me donner du courage, France Culture ne suffit pas. D’autant qu’en raison du nouveau confinement des émissions ont disparu de la grille des programmes, Le Réveil culturel, Entendez-vous l’éco ?, La Compagnie des œuvres, toutes trois remplacées par les rediffusions d’autres émissions. Faudra-t-il que je me remette à écouter mes cédés ?
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Il fut un temps où l’on disait « Je quitte mon appart », « Je rends mon appart » ou  « Je laisse mon appart ». Aujourd’hui, du côté de la jeunesse, c’est plutôt « Je lâche mon appart ».
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Recherche vaine pour savoir si c’est d’Henri Poincaré La jeunesse est une maladie qui se soigne jour après jour.
 

5 avril 2021


C’est à sept heures vingt-deux que les cloches de la Cathédrale sont de retour à Rouen. « Christ est ressuscité », annoncent-elles à toute volée. Le ciel est bleu quand je me rends au marché du Clos Saint-Marc.
Il en est de même l’après-midi, ce qui me permet de passer une longue partie de ce dimanche pascal à lire sur le banc du jardin, bien que la température globale soit moindre qu’en début de semaine. Le printemps reviendra et je repartira.
Maintenant que toute la France métropolitaine est concernée par le troisième confinement, une nouvelle mouture de l’attestation de déplacement dérogatoire a été publiée ce jour, avec un point numéro six intitulé « Achats, établissements culturels ou lieux de culte (au sein de mon département) ».
Il stipule que sont autorisés entre six et dix-neuf heures les déplacements pour effectuer des achats de première nécessité, pour les retraits de commandes ou pour bénéficier de prestations de service ainsi que les déplacements pour se rendre dans un établissement culturel ouvert ou un lieu de culte.
Voilà qui me donne plusieurs alibis pour excursionner de nouveau.
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Dès mon plus jeune âge, le boniment de la « bonté de la nature » m’a toujours rempli de la plus profonde amertume. (Victor Klemperer, Journal, quatorze août mil neuf cent quarante-deux)
 

4 avril 2021


Point de concert de carillon ce samedi pour cause de cloches absentes, elles seraient parties à Rome. Aurait-il eu lieu que je n’aurais pu le suivre depuis le banc du jardin. Le temps a changé, fini l’été d’avant l’heure.
Je fais une courte sortie l’après-midi quand point le soleil entre deux nuages pour commencer le second volume du Journal de Victor Klemperer, publié au Seuil et surtitré Je veux témoigner jusqu’au bout. Bien qu’ayant lu des quantités de témoignages sur les atrocités nazies, je suis terrifié par les horreurs que faisait subir la Gestapo aux Juifs de Dresde en mil neuf cent quarante-deux, les brimant, les volant, les frappant quotidiennement. Bilan de Pâques : à ce jour, quatre suicides parmi les Juifs. Un couple, convoqué à la Gestapo après une perquisition, a pris du Véronal. Un tailleur et un commerçant se sont pendus en prison avant leur déportation en KZ.
Il n’y a rien à espérer de la nature humaine. Je le sais depuis que l’on m’a montré Nuit et Brouillard au Lycée de Louviers.
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Cavelier de La Salle n’étant plus en odeur de sainteté et comme il manque des noms de femmes aux rues et bâtiments publics rouennais, la municipalité socialo-écolo débaptise deux écoles portant le nom de l’explorateur. L’élémentaire s’appellera Anne Sylvestre. La maternelle s’appellera Les Fabulettes.
Elle qui ne voulait pas qu’on la ramène à sa condition de chanteuse pour enfants, c’est réussi.
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Malaisant, il l’est cet adjectif qualificatif que j’entends de plus en plus souvent, même sur France Culture.
 

3 avril 2021


En pause, au soleil, sur le banc du jardin ce vendredi, je constate avec satisfaction que la pelouse a été tondue pendant mes absences. Certes il eut mieux valu en ôter les quatre fagots, résidus de la haie tronçonnée, plutôt que de les contourner. Quand donc quitteront-ils la copropriété ? A la place de l’herbe tuée apparaîtront des rectangles de terre.
Trois tulipes rouges font office de fleurs, ainsi que deux bicolores contre le mur, là où autrefois était un grand rosier arraché par l’un de ceux qui se mêlent de jardiner.
Je lis Au-delà de la mémoire, un ouvrage publié chez Samuel Tastet Editeur. Il regroupe les poèmes, les textes critiques et la correspondance de Monny de Boully. C’est cette dernière qui m’intéresse. J’ai rencontré Monny de Boully en lisant Le Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann. Sa mère vivait avec lui.
Songeant à la probabilité qu’il y ait un autre lecteur de ce livre au moment où je le lis, je la pense nulle. Peut-être même de tout ce mois d’avril, en serai-je le seul lecteur. Ce qui me convient parfaitement.
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A lire et à entendre ce que disent les journalistes de la possibilité de se déplacer pendant ce troisième confinement élargi à toute la France métropolitaine, je constate qu’ils n’y comprennent rien, parlant encore d’un rayon de trente kilomètres autour du domicile, lequel rayon n’existe pas. Il faut dire à leur décharge que la plupart des rédactions sont parisiennes. Elles ignorent donc ce que signifie « déplacement dans le département ».
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Je ne le savais pas quand je me plaignais à l’ouverture de chaque site sur Internet de devoir « Tout accepter » mais une loi était en route et il est désormais loisible, pas encore partout, de « Continuer sans accepter ».
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Continuer sans accepter, ce pourrait être une philosophie de fin de vie.
 

2 avril 2021


Rien de ce qu’a décidé notre Président mercredi soir n’étant de nature à empêcher mon ultime excursion de beau temps ce jeudi, je me rends pour la quatrième fois à la Gare de Rouen. Cette fois, je ne voyage que vingt minutes dans le train qui va au Havre, un confortable Corail, car je descends à Yvetot.
Sur l’un des nouveaux bancs municipaux, j’attends un quart d’heure que se présente le car qui va à Saint-Valéry-en-Caux. Sa conductrice donne un coup de tampon à mon billet et je vais m’installer à ma place habituelle dans ce genre de véhicule : le premier siège après la double porte centrale.
Je suis le seul passager à l’heure du départ. Ma tranquillité est néanmoins troublée par la radio Air Thé Aile et il y en a pour une heure.
Grémonville et sa belle église de briques rouges, Doudeville, Yves Calvi à une romancière : « L’envie d’écrire vous a-t-elle longtemps habitée ? », de la plaine, des routes de plus en plus étroites, Saint-Vaast-Dieppedalle, la romancière parle d’un cheval, « Etes-vous écuyère vous-même ? » « Cavalière, oui », des éoliennes, un détour par Cany-Barville où monte une femme, des publicités radiophoniques pour la Cégété et Lideule, Octeville et sa grosse église, Crasville-la-Mallet par le bord, Neville où descend la femme, la ligne haute tension de la centrale nucléaire de Paluel et c’est enfin Saint-Valéry-en-Caux où le terminus est au port.
Le soleil est là quand je passe le pont. Je fais une photo de la bien connue Maison Henri le Quatrième et d’une villa un peu décatie, puis grimpe sur la falaise d’aval. De là-haut, j’observe le ballet des tracteurs géants et des pelleteuses de l’entreprise Sisyphe qui, à marée basse, se hâte d’ôter des tonnes de galets du chenal pour aller les déposer sur la plage.
Redescendu, je repasse le pont et longe le chenal jusqu’à la plage. De ce côté, les maisons de la reconstruction me rappellent celles de Louviers, ville natale. Saint-Valéry serait sinistre s’il n’y avait la mer. Je marche jusqu’au laid Casino ne croisant que de rares autochtones. Il y a si peu de monde dehors que je crains d’être repéré par la maréchaussée locale.
Sur la place centrale qui sert de parquigne, la plupart des commerces sont fermés. Le charcutier traiteur où l’on vante le porc normand, le Porlin, a une petite annexe à kebab. Je choisis le royal, avec merguez, et ses frites maison, à six euros trente, que je vais manger sur la promenade de la plage. La difficulté est qu’il reste chaud, d’autant que la température ne monte pas comme les jours précédents.
Après ce repas sommaire, je retourne de l’autre côté. A mi-hauteur du chemin qui mène sur la falaise est un banc qui m’accueille. J’y entreprends la lecture de Journal de guerre d’Hans Carossa (Les Cahiers Rouges / Grasset). Peu à peu, le ciel se voile et la brise s’accroît. J’ai frais mais je tiens bon. La mer en contrebas s’énerve. Je n’aimerais pas être sur le bateau de pêche qui l’affronte à la sortie du chenal.
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Je suis également le seul passager au départ du car de retour, avec la même conductrice, mais avec la radio Tendance Ouest et ses chansons niaises. Un homme monte à l’ancienne Gare. Il ne va pas plus loin que Doudeville.
 

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