Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

22 février 2021


D’abord, un temps ensoleillé et doux est annoncé par Météo France pour ce samedi. Ensuite, la suggestion que les vieux devraient se cloîtrer refait surface. Cela ne peut que me donner envie de bouger.
Nous ne sommes pas beaucoup dans le Rouen Dieppe de neuf heures quinze car il n’est pas en correspondance avec un train parisien. Je retrouve avec plaisir la vue sur la campagne normande le long de la Scie sinueuse et, à dix heures une, je fais mes retrouvailles avec la cité portuaire.
Sachant que ce jour est celui du marché hebdomadaire et que toute la ville y court, je l’évite en passant les deux ponts qui mènent au Pollet. De là, je grimpe sur la falaise où j’ôte mon masque. J’ai vue sur la sortie du port et justement un navire industriel peint en vert le quitte cependant que le Transmanche attend de voir si certains ont envie d’aller à Newhaven. Las, sur cette hauteur, il fait frais, la faute à un vent venu des terres.
La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours étant malheureusement fermée, je poursuis sur le sentier de Grande Randonnée. Celui-ci est en retrait car cette falaise a pour habitude de choir. En contrebas, la rocade qui permet de gagner le Transmanche achève de gâcher la vue. Sitôt empruntée la passerelle l’enjambant, à Neuville-lès-Dieppe, au lieu-dit Puys, je renonce.
Redescendu au Pollet, je m’assois sur un banc avec vue sur le port inactif et y sors mes sandouiches. Une banane fait office de dessert. Dédaignant Le Mieux Ici Qu’En Face en mode dégradé avec café à emporter dans un gobelet en carton, je bois le mien issu d’un thermos.
Vers midi et demi, je fais le tour du port de plaisance et rejoins la plage où souffle également le vent frais. Peu de monde sur les galets mais il y a foule sur la promenade. Manifestement le désir de mer est là, le manque de gaieté aussi. Je m’assois sur un banc (que faire d’autre ?) et regarde passer les familles. J’ai un livre avec moi mais il ne fait pas assez chaud pour l’exhiber.
Quand je suis lassé de voir aller et venir le populo, je marche à mon tour afin de rejoindre un coin où peu d’autres que moi auraient idée d’aller : le port industriel. J’y photographie d’imposantes grues et y croise une fille imprévue. Les ports n’étant plus ce qu’ils étaient, quand je la vois prête à ouvrir la bouche, je ne m’attends pas à une proposition tarifée. Elle me dit simplement bonjour. Au moins, aurai-je échangé un mot avec un humain.
                                                             *
Je rentre à Rouen avec le dernier train du jour, un seize heures cinq où chacun peut ne pas avoir de voisinage immédiat. A l’arrivée, je trouve moins de vent et encore plus de monde qu’à Dieppe. Le square Verdrel a des allures de cour de récréation. Les terrasses debout sont blindées, notamment l’une d’elles où a été créée avec un mobilier succinct une sorte de comptoir d’extérieur. Une jeunesse dépourvue de masque y boit et rit. Il est dix-sept heures, le couvre-feu ne va pas pouvoir être respecté par tout le monde.
                                                              *
Triste d’avoir appris la mort de Philippe Chatel, d’une crise cardiaque, une semaine avant son soixante-treizième anniversaire.
Présenté partout comme « le papa d’Emilie Jolie », il était plus que cela avec des chansons comme J’t’aime bien Lili, Mister Hyde, Tout quitter mais tout emporter, J’suis resté seul dans mon lundi ou Ma Lycéenne.  
Cette dernière est un bon exemple de ce que l’autocensure empêche désormais d’écrire.
                                                               *
Au premier rang de ceux qui prônent à nouveau l’auto-isolement des personnes âgées (comme ils disent) : le vieux Delfraissy, soixante-douze ans, Président du Conseil Scientifique.
L’heure de la retraite a sonné, Delfraissy, rentre à la maison et restes-y.
 

21 février 2021


Ecoute est faite de l’Intégrale des  Entretiens Radiophoniques de Paul Léautaud avec Robert Mallet, un coffret de dix cédés, chacun de plus d’une heure, publié par Frémeaux & Associés. Outre le plaisir d’ouïr les propos de Léautaud et la manière bien à lui de les exprimer, il y a celui d’entendre Mallet bousculer le vieil écrivain, le questionner sans déférence, le contester, le mettre face à ses contradictions, dénoncer sa mauvaise foi.
Ce dialogue, dont les dernières étapes furent diffusées en mil neuf cent cinquante et un alors que je vagissais dans mon berceau, est bien différent de ceux compassés alors en vogue à la radio, dont les questions et les réponses était préparées à l’avance et lus au micro. En résumé, malgré les contraintes engendrées par la censure, le naturel y règne.
                                                                       *
Dans les propos de Léautaud, ce qui touche à la famille, au sexe, à l’homosexualité (et notamment à celle de Gide), à l’armée, à la patrie et aux comportements des gens de lettres à la Libération a été victime de  la censure. Mallet et lui ont dû revenir enregistrer certains passages pour les rendre conformes à ce que la radio tolérait. Ainsi, Léautaud note le deux novembre mil neuf cent cinquante dans son Journal littéraire, à propos de la scène, racontée par lui, où son père couche avec sa mère et sa tante dans le même lit : Le directeur de la radio a jugé qu’on ne pouvait offrir un pareil sujet aux familles, les familles dans la plupart desquelles il s’en passe bien d’autres.
                                                                       *
Les Entretiens avec Robert Mallet, non censurés, ont été publiés au Mercure de France en mil neuf cent cinquante et un, un ouvrage signé Paul Léautaud (Voilà que je signe un livre que je n’ai pas écrit !).
L’exemplaire que je possède a appartenu à mon frère Jacques. Ecouter les entretiens en suivant sur le papier est compliqué, non seulement à cause des différences entre ce qui est présent à l’oral et à l’écrit mais aussi à cause d’une réécriture plus conforme à la syntaxe des propos de l’écrivain.
                                                                       *
Le neuf avril mil neuf cent cinquante et un, à l’Assemblée Nationale où l’on vote le budget de la Radiodiffusion Française, un Député Démocrate-Chrétien interpelle le Gouvernement : « Nous avons entendu récemment pendant des semaines un critique, dont j’ai appris le nom en l’écoutant à la radio, déblatérer, traiter de tous les noms possibles ses contemporains et prétendre ne se plaire que dans la société des animaux. Je ne crois pas indispensable que de telles réflexions soient produites à la Radiodiffusion Française. » Le Ministre Socialiste de l’Information lui répond : « Je crois, et une très nombreuse correspondance le confirme, que c’est tout à l’honneur de la radiodiffusion d’avoir donné à Monsieur Paul Léautaud un public plus large que celui du Mercure de France et qu’il n’est pas inutile que, sortant d’un conformisme quelquefois excessif, des voix comme la sienne puissent se faire entendre. »
                                                                       *
En bonus aux vingt-deux entretiens de l’Intégrale des  Entretiens Radiophoniques de Paul Léautaud avec Robert Mallet, la conversation volée entre Paul Léautaud et Julien Benda, enregistrée à leur insu dans les studios de la radio.
En illustration, sur le coffret de cédés, Léautaud et Mallet assis dans le jardin du premier à Fontenay-aux-Roses. Léautaud fume et Mallet a son bébé sur les genoux. Une belle provocation quand on sait à quel point l’écrivain détestait les enfants.
                                                                       *
De Mallet, j’ai tenté de lire il y a longtemps dans l’édition Folio l’épais roman Ellynn. Suis pas allé bien loin. L’ennui était au rendez-vous.
 

19 février 2021


Avant de remettre le premier volume de son Journal dans ma bibliothèque, cette nouvelle giclée de Tchoukovski :
Premier août mil neuf cent vingt-cinq : Ainsi Moukha-Tsokotoukha, mon livre le plus gai, le plus musical, le plus réussi est réduit à néant pour la seule raison que l’anniversaire dont je parle a des couleurs trop « ancien régime ». De sa voix très suave la camarade Bystrova m’a expliqué que le petit moustique n’était qu’un prince déguisé et la mouche une princesse déguisée. (…) … elle a même affirmé que les dessins étaient indécents, que le moustique se tient trop près de la mouche et qu’ils étaient en train de flirter. (…)
Ainsi, mon Crocodile est interdit, Moukha-Tsokotoukha est interdit, l’Enorme Cafard est en passe d’être interdit, mais Grigori Efimovitch aime bien le Nekrassov que je n’ai pas encore fini d’écrire.
Onze janvier mil neuf cent vingt-six : Marchak nous a raconté quelque chose d’intéressant sur son fils qui a neuf ans, je crois. Le garçonnet a dit de sa propre initiative à la dame qui venait lui enseigner la musique : « Ne revenez plus. La musique est une occupation oisive pour gens sans travail. »
Dix-sept mars mil neuf cent vingt-six : Hier j’ai fait une conférence sur Nekrassov à l’université. Les étudiants ont été choqués par mon orientation si contraire aux règles de l’Association des écrivains prolétariens, et leurs questions étaient franchement stupides.
Vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-six : Je maudis ces salauds de petits fonctionnaires qui ont posé leur derrière sur la littérature et sont en train de l’étouffer, qui nous étouffent à chaque pas, qui usent nos nerfs et font de nous des vieillards de quarante ans.
Cinq avril mil neuf cent vingt-six : Ah, si quelqu’un pouvait me prendre par la main et m’éloigner de moi-même !
Treize avril mil neuf cent vingt-six : Sadi a donc fait un four. A la fin du spectacle : pas un seul applaudissement. Je n’en suis pas particulièrement ébranlé, mais je crains que ça ne m’éloigne du théâtre pour longtemps.
Vingt-trois août mil neuf cent vingt-sept ; Mon Dieu, je reçois de ces lettres ! Quelqu’un m’écrit par exemple de province pour me proposer ses services de collaborateur : « Moi, j’écrirai, et vous, vous vendrez, et on partagera l’argent. » Et en fin de lettre : « Avec mes saluts communistes. »
Trois novembre mil neuf cent vingt-huit : Et quand je crie ma colère et ma douleur, ils disent que je suis neurasthénique. Ils ont peut-être raison. On ne peut pas en vouloir aux gens d’être ordinaires.
                                                                   *
Le second volume reste sur mon bureau. On ne perd rien pour attendre (comme on dit).
 

18 février 2021


Parce qu’il pleut, parce qu’il ne se passe rien dans ma vie, parce que ça plaira à certains, parce que ça en soûlera au moins un, tiens, encore des extraits du premier volume du Journal de Korneï Tchoukovski publié chez Fayard :
Vingt-neuf septembre mil neuf cent vingt-deux : A l’institut Ténichev on demande aux enfants où travaillent leurs parents. La plupart répondent : Au marché Maltsevski, car c’est là que leurs parents vendent leurs affaires.
Premier janvier mil neuf cent vingt-trois : Voilà ce que c’est que d’avoir quarante ans : quand quelqu'un vient me voir, je suis pressé qu’il reparte. Je n’ai aucune curiosité pour les gens. Et pourtant avant j’étais comme un chiot : j’allais renifler chaque passant et lever la patte à chaque borne.
Huit janvier mil neuf cent vingt-trois : Dans l’un de ses articles sur le suicide, il cite la lettre qu’un ouvrier a écrite juste avant sa mort en 1884. L’ouvrier écrit : « Il est devenu difficile de vivre », etc. La censure a exigé de Koni qu’il ajoute : « Il est devenu difficile de vivre sous le régime capitaliste. Vive la commune ! » 
Quatorze octobre mil neuf cent vingt-trois : Le désespoir se lit sur les visages. Un automne difficile nous attend. Pour le prolétariat intellectuel c’est la catastrophe. Des gens au visage hagard parcourent la ville à la recherche d’un travail.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Je viens de découvrir qu’on nous a volé tous les vêtements au grenier, les miens, ceux des enfants, absolument tout. Nous n’avons plus rien à mettre pour l’hiver.
Vingt-huit novembre mil neuf cent vingt-trois : Hier, en quête d’argent, je suis allé à l’Association des cinéastes du Nord-Ouest. J’ai été accueilli à bras ouverts, j’ai proposé de porter à l’écran mon Crocodile, mais ils m’ont demandé de le modifier un peu : il fallait que je transforme le petit Ivan Vassiltchikov en komsomol, et le sergent de ville en milicien. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a mis mal à l’aise, et j’ai déclaré qu’Ivan était issu d’une maison bourgeoise. Ça a fait capoter toute l’affaire, et me voilà sans le sou.
Quatorze avril mil neuf cent vingt-quatre : Lakhta. Petite ville touristique. (…) Je suis seul ici, et je me sens bien. Il y a là un établissement dont l’inutilité est pathétique : le musée. Les jeunes gens qui séjournent ici s’en désintéressent royalement, préférant passer leurs nuits à jouer aux cartes. Les soldats, eux, le visitent mais c’est pour voler les bocaux à grenouilles et boire l’alcool qu’ils contiennent.
Seize janvier mil neuf cent vingt-cinq : L’aspect le plus étonnant de la situation actuelle est que ce ne sont pas les lecteurs qui veulent la liberté de publication, mais seulement un groupe d’écrivains auxquels personne ne s’intéresse. .
Vingt et un février mil neuf cent vingt-cinq : La pauvre Anna Ivanovna Khodassévitch a tellement souffert de la faim qu’elle se met à écrire des comptes rendus de films. Elle a vu un film américain très intéressant, mais son compte rendu dit : « Voilà bien un navet américain, dont la morale bourgeoise », etc. « Je suis obligée, dit-elle, sinon ils ne publient pas, et adieu mes trois roubles. »
Vingt-neuf mars mil neuf cent vingt-cinq : Il a illustré un abécédaire, et là-dedans la censure a interdit deux illustrations, celles de l’usine et de l’ouvrier. Pourquoi ? « Parce que l’ouvrier est assis et qu’il se repose. Et l’usine parce que ses cheminées ne fument pas ! »
Lundi treize avril mil neuf cent vingt-cinq : Dimanche j’ai eu la visite d’I. Babel. La dernière fois que je l’avais vu, c’était un étudiant aux joues rouges qui simulait très bien l’exaltation et la naïveté. Maintenant, il n’y arrive plus aussi bien, mais j’ai toujours la même confiance en lui et je l’aime toujours autant. (…)
Il se plaint de la censure qui ne veut pas de cette phrase : « Il la regardait comme regarde un professeur renommé une jeune fille en mal de conception. » (…)
Babel n’a pas plu à Lida : « Je n’aime pas les écrivains célèbres. »
Treize mai mil neuf cent vingt-cinq : Avant, à l’office des morts, l’intelligentsia ne se signait pas – c’était comme une marque de protestation. Maintenant elle se signe – et c’est encore un signe de protestation. Quand est-ce que vous vous mettrez à vivre pour vous-mêmes, et non en signe de protestation ?
 

17 février 2021


Ce Mardi Gras où tout le monde est masqué (quelle farce !) me voit atteindre l’âge déplorable de soixante-dix ans. D’un côté, je pourrais m’en réjouir, certains n’ont pas cette opportunité. D’un autre, cela indique à quel point je suis défraîchi et en chemin vers la fin.
70 ans ! Nous nous suivons de peu, mon cher Valéry – (j’entends comme âge). C’est le 18 janvier prochain que, moi, je bouclerai ce chiffre qui ne me réjouit guère. Quand on regarde la vie derrière soi et qu’on pense à l’incertaine durée qui vous reste ? – Je n’aime pas la mort. Je ne m’y résigne pas. J’entre en rage quand j’y pense. écrivait Paul Léautaud à Paul Valéry le mardi quatre novembre mil neuf cent quarante et un.
Quand le téléphone sonne, vers huit heures et demie, je devine que c’est ma sœur. Elle n’en manque pas un.
-Bon anniversaire mon grand frère, me dit-elle.
-Tu devrais plutôt dire mon vieux frère.
Elle proteste, s’emploie à me convaincre que soixante-dix ans, c’est mieux que d’en avoir quatre-vingts. Notre conversation dure un certain temps. Elle m’apprend la mort récente d’une connaissance commune puis évoque les problèmes de santé des uns et des autres dans son entourage, tous ayant à peu près notre âge. Surtout, que je n’oublie pas de boire assez d’eau, une infection urinaire chez un homme âgé, ça peut être grave.
-Tu es parfaite pour me faire oublier ce qui me tourmente, la félicité-je.
La surprise est pour midi et demi. Lorsque j’ouvre ma boîte à lettres, un gros carton en occupe tout l’espace. L’expéditrice travaille à Paris près de la Bastille.
Ce carton en contient un plus petit emballé dans un papier blanc et empli de bonbons, chocolats et café. Des douceurs qui mettent un peu de gaîté à ce jour compliqué.
La dernière fois que je l’ai vue, c’était pour fêter en retard mon anniversaire précédent, juste avant le premier confinement. Nous nous promettons de fêter comme il se doit celui des septante ans. Quand ce sera possible.
                                                        *
Septuagénaire : un mot qui fâcheusement commence comme sépulture.
 

16 février 2021


Et le Covid, où en est-on ? Eh bien, « à ce stade », comme disent désormais de façon généralisée journalistes et médecins de télévision, la situation s’améliore tout en s’aggravant.
Parmi les tics de langage, ce variant a pris le dessus sur « au jour d’aujourd’hui » et « à l’heure où on se parle », au point de les faire quasiment disparaître. Côté virus, on ne sait pas, « à ce stade », quel variant l’emportera, l’anglais, le sud-africain, le brésilien. Les deux derniers font plus peur que le premier.
Faudrait pouvoir vacciner vite fait et dans le monde entier mais on est bien trop nombreux. Personnellement, je me trouve dans la tranche d’âge pour laquelle rien n’est prévu « à ce stade ».
Les vieillards ont droit au bon vaccin. Les moins de soixante-cinq ans qui risquent peu de mourir auront bientôt l’incertain AstraZeneca. Les soixante-cinq à soixante-quinze ans n’ont droit à rien. Economiquement, ce n’est pas sans fondement. Il vaut mieux que meure du Covid un septuagénaire débutant à qui il faudrait encore payer une ou deux décennies de pension de retraite qu’un nonagénaire dont les années à venir se comptent sur les doigts d’une main.
                                                                 *
Des qui doivent en avoir plus que marre d’entendre ce tic de langage devenu dominant, ce sont les sportifs qui aimeraient bien y retourner, à ce stade.
 

15 février 2021


Voici donc David Bobée, Directeur du Centre Dramatique National de Normandie-Rouen (qui regroupe trois petits théâtres situés à des kilomètres l’un de l’autre) nommé à sa demande Directeur du Théâtre du Nord à Lille (qui trône sur la Grand’Place).
Je m’en réjouis.
J’imagine qu’il n’en est pas de même pour ses adulateurs locaux, notamment ceux qui lorsqu’il se fut excusé d’avoir jeté mon nom en pâture sur Effe Bé après avoir pris un texte de cinglé signé de mon nom pour une de mes productions, des excuses à minima accompagnées de la republication de sa réaction empreinte de hauteur magnanime à ce faux texte, lui ont écrit « Peut-être que c’était pas lui mais ta réponse, ô mon David, était si belle ».
J’espère qu’à Lille on aime le théâtre pour cours d’éducation civique.
                                                               *
Ce dimanche c’en est presque fini du vent du nord qui a transformé pendant plus d’une semaine mon habitation en glacière malgré que tournait à fond mon compteur électrique. Plusieurs hivers que ce n’était pas arrivé. J’avais oublié que je détestais la froidure autant que la chaleur.
Sorti vers midi, je croise dans les rues de la ville plusieurs jeunes hommes portant de façon malhabile le bouquet destiné à leur Valentine. S’ils marchent si rapidement ce n’est pas forcément pour être au plus vite chez leur amoureuse, peut-être est-ce aussi de crainte de croiser un de leurs peutes, ou pire leur chef de service.
 

13 février 2021


Temps interminablement glacial, actualité totalement déprimante, je ne peux être bien qu’ailleurs et autrefois, ainsi à Saint-Pétersbourg en compagnie de Korneï Tchoukovski dans les premières années d’après la Révolution d’Octobre :
Dix octobre mil neuf cent dix-huit : Dans le train Rozanov a reproché à Pavel Berline de porter le même nom que la capitale de l’Allemagne. « Et puis il y a aussi Jack London ! Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle mode ?! Est-ce que je m’appelle Pétersbourg, moi ? Et Tchoukovski, il ne s’appelle pas Moscou. Nous sommes des gens modestes. Pas comme cet Anatole France. Il ferait beau voir que je m’appelle Vassili Russie, moi, je n’oserais pas mettre le nez dehors. »
Quatre décembre mil neuf cent dix-huit : Il faut que je voie le docteur à propos de mes insomnies, que je m’achète des caoutchoucs et une chapka, et que je me plonge dans Nekrassov.
Vingt-huit avril mil neuf cent dix-neuf : J’en arrive à la conclusion que tout grand écrivain est pour une part un maniaque de l’écriture. Il faut qu’il écrive, des vétilles au besoin, mais il faut qu’il écrive.
Mai mil neuf cent dix-neuf : J’écris un chapitre sur la technique de Nekrassov, mais je sais bien qu’il n’y a pas en Russie une seule personne que ça intéresse.
Deux novembre mil neuf cent dix-neuf : Benkendorf raconte qu’à l’église, quand les gens se mettent à genoux, on voit toute une collection de trous sur leurs semelles. Il n’y a pas une seule semelle vierge !
Onze novembre mil neuf cent dix-neuf : Vladimir Pozner est dans la pièce voisine et recopie à la machine sa petite pièce sur le Studio, L’instruction est une lumière, l’ignorance l’obscurité. Il a quatorze ans, et sa pièce est très caustique, il y a de bons vers.
Quatorze novembre mil neuf cent dix-neuf : Aujourd’hui j’ai parlé à Lénine au téléphone ; c’était à propos du décret sur les chercheurs. Il rit. Il rit tout le temps. Il promet de tout faire, mais demande : « Comment ça se fait qu’on ne vous ait pas encore donné des postes de responsabilité…, à vous, les gens de Pétersbourg, c’est pourtant dans nos intentions depuis longtemps. »
Vingt-cinq novembre mil neuf cent dix-neuf : Je travaille de façon originale en ce moment : chaque jour je commence une chose nouvelle, que je ne termine pas, et passe à la suivante.
Dimanche trente novembre mil neuf cent dix-neuf : Alexeï Pavlovitch (Koudriavtsev) est le président de la commission des Bibliothèques, c’est un voleur et un ivrogne. J’ai vu, de mes yeux vu, un bouquiniste (de l’avenue Liteïny) lui sortir une bouteille de derrière son comptoir.
Dix avril mil neuf cent vingt : On nous attaque de toutes parts : et pourquoi ne rejoignons-nous pas le ministère, les sections, sous-sections, les secteurs et sous-secteurs, etc. ? Je réponds que nous autres, écrivains, nous ne sommes pas très compétents pour ça, que nous serions heureux de … mais que… 
Même date : J’étais très jeune à l’époque de « mon apparition » à Pétersbourg. Ma jeunesse a rapidement lassé tout le monde. « Tchoukovski va bientôt fêter le vingt-cinquième anniversaire de ses dix-sept ans », disait Kouprine.
Cinq décembre mil neuf cent vingt : Hier Maïakovski, que j’avais invité à venir faire des conférences, est arrivé à Petrograd. (…) quand je lui ai dit qu’à la Maison des arts, où il serait hébergé, il y avait un billard, il m’a tout de suite donné son accord. Il est venu avec Lili Brik, sa femme, qui est merveilleuse avec lui : amicale, gaie, simple. On voit que leur relation est forte, et ancienne : elle dure depuis 1915. Je n’aurais jamais pensé qu’un homme comme Maïakovski puisse rester aussi longtemps avec une femme.
Premier avril mil neuf cent vingt et un : Les livres attaqués par la Pravda attirent instantanément l’attention compatissante du public. Les Izvestia de Moscou ont par exemple dénigré le Recueil de Pétersbourg et le livre a été épuisé en quelques jours !
                                                                                 *
Je donne à lire mes notes de lecture du Journal de Korneï Tchoukovski mais je sais bien qu’il n’y a pas dix personnes que ça intéresse.
 

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