Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

15 janvier 2019


De Michel Houellebecq, j’ai lu (relu) en train et avec plaisir Le sens du combat, La poursuite du bonheur et Renaissance dans l’édition de poche où les regroupa J’ai Lu sous le titre Poésies dans sa collection « Nouvelle Génération » en l’an deux mille.
Caractérisées par un style néo pompier et un fond déprimé, les poésies de Houellebecq ont pour vertu de me faire sourire.
J’ai tiré de deux d’entre elles un aphorisme :
On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l’âge.
On a beau ne plus imaginer de mots possibles entre soi et le reste de l’humanité, le vagin reste une ouverture.
Curieuse locution verbale que ce « on a beau ». Houellebecq ne l’utilise que deux fois, évitant le tic d’écriture.
J’ai aussi tiré des quatrains d’autres :
La vie s’écoule à petits coups ;
Les humains sous leur parapluie
Cherchent une porte de sortie
Entre la panique et l’ennui
                                                           *
Je ne jalouse pas ces pompeux imbéciles
Qui s’extasient devant le terrier d’un lapin
Car la nature est laide, ennuyeuse et hostile ;
Elle n’a aucun message à transmettre aux humains.
                                                           *
Ah ! ces adolescentes que je n’ai pas aimées
Quand je prenais le train de Crécy-la-Chapelle
Le samedi midi, revenant du lycée ;
Je les voyais bouger et je les trouvais belles.
                                                           *
Est-il vrai que parfois les êtres humains s’entraident
Et qu’on peut être heureux au-delà de treize ans ?
Certaines solitudes me semblent sans remède ;
Je parle de l’amour, je n’y crois plus vraiment.
                                                          *
Tu déjeuneras seul
D’un panini saumon
Dans la rue de Choiseul
Et tu trouveras ça bon.
Enfin ce bout de poème en prose :
Tu parlais sexualité, relations humaines. Parlais-tu vraiment, en fait ? Un brouhaha nous environnait ; des mots semblaient sortir de ta bouche. Le train pénétrait dans un tunnel. Avec un léger grésillement, un léger retard, les lampes du compartiment s’allumèrent. Je détestais ta jupe plissée, ton maquillage. Tu étais ennuyeuse comme la vie.
                                                          *
Un quatrain en bonus, extrait du poème titré Différenciation rue d’Avron
Le dimanche étendait son voile un peu gluant
Sur les boutiques à frites et les bistrots à nègres ;
Pendant quelques minutes nous marchions, presque allègres,
Et puis nous rentrions pour ne plus voir les gens
Ce qui me rappelle la semaine passée au bout de cette rue d’Avron avec celle qui me tenait la main à l’Hôtel Printania, établissement de belle façade où logeaient des familles de Sans Papiers et où le petit-déjeuner était servi dans un sous-sol par des Asiatiques. Nous n’avions jamais connu matelas aussi dur. Heureusement, nous n’étions guère soucieux de bien-être matériel, ayant d’autres envies.
 

14 janvier 2019


Ce vendredi matin, alors que j’y entre pour prendre quelques billets à la tirette, mon Crédit Agricole de la rue de la Jeanne commence à se barricader derrière des panneaux de bois en prévision de la neuvième incursion en ville des Gilets Jaunes. Il y a deux semaines, sa façade a été entièrement repeinte en jaune. La semaine dernière, des vitres ont été cassées et des projectiles lancés sur les employé(e)s. Ce samedi, il sera fermé. Même pas possible d’y retirer de l’argent aux distributeurs automatiques. Les autres agences du centre ville feront de même, et certaines autres banques aussi. C’est une première à Rouen.
Samedi, dès que le jour se lève, comme j’ai le sens de l’effort, je mets le pied dehors. Il s’agit d’aller au marché du Clos, de faire des courses chez U Express puis de passer au Rêve de l’Escalier avant que l’armée jaune ne prenne possession de la rue. Cette fois, un certain nombre de boutiques, cafés et restaurants ont choisi de rester fermés. Rue du Gros, entre commerçants qui ont ouvert, on s’interpelle : « On va encore se manger du gilet ».
Rentré chez moi, j’ai encore une fois au menu sonore de fin de matinée du carillon et des explosions (mais pas d’hélico). Au palmarès des manifestants : une tentative d’intrusion à la Banque de France avec un pied de biche et une tentative d’incendie du Commissariat de Beauvoisine avec des poubelles.
L’après-midi, au moment où je m’apprête à sortir pour aller boire un café place Saint-Marc, les Jaunes déboulent dans le quartier. Me voici assigné à résidence, avec pour spectacle celui de porteurs de gilets pissant dans la ruelle.
Eux disparus, la situation reste suffisamment imprévisible pour que je ne prenne pas le risque  de sortir. J’apprends que ceux qui avaient choisi le Son du Cor pour boire un verre ce samedi ont été bien servis en gaz lacrymogène et que du côté de la place Saint-Marc ça chauffe aussi, poubelles incendiées et vitres de deux logements de la Gendarmerie cassées. Celles du bureau du Procureur de la République au Palais de Justice subissent le même sort un peu plus tard. Place de l’Hôtel de Ville, des journalistes d’information continue sont molestés (comme la semaine dernière mais pas de la même chaîne), l’un de leurs gardes du corps envoyé à l’hôpital le nez fracturé. Pour faire bonne mesure, les agresseurs leur volent leur matériel.
                                                                      *
Curieuse volonté des médias parisiens de minimiser les violences. Des affrontements ? « Cela reste bon enfant ». Le harcèlement de la Police par les Jaunes et réciproquement : « C’est le jeu du chat et de la souris. ».
L’inénarrable Castaner, Ministre de l’Intérieur, se réjouit du peu de dégâts, ses lunettes ne lui permettant pas de voir jusqu’en province.
                                                                     *
La ville est des plus calmes lorsque je vais au marché du Clos Saint-Marc ce dimanche matin. Sur place, les traces du passage des Jaunes ont été effacées hormis un graffiti de haute valeur intellectuelle :
« Rouen en force
BFM on t’encule ».
                                                                    *
Il semble qu’avec Fabien Roussel, son nouveau Secrétaire National, le Pécé ait tiré le gros lot. Ne voilà-t-il pas qu’il se déclare favorable au référendum sur tous les sujets, pas de tabou, de la peine de mort au mariage pour tous allons-y. Pourquoi ne pas commencer par : « Etes-vous pour ou contre l’existence du Parti Communiste ? » On verrait le résultat.
                                                                    *
Emmanuel Macron viendra à Bourgtheroulde ce mardi pour lancer son Grand Débat. Il y sera attendu par des Gilets qui rêvent de lui lancer autre chose.
Combien de fois ne me suis-je pas dit, au temps où j’habitais au Bec-Hellouin, en traversant Bourgtheroulde pour aller à Rouen, et au retour, que pour rien au monde je ne voudrais vivre ici.
Un jour, il ne me fut plus obligatoire de traverser Bourgtheroulde grâce à un contournement, avec plein de ronds-points.
 

11 janvier 2019


Sur le chemin de la gare, ce mercredi matin, je jette dans la boîte à lettres de la place des Carmes un petit paquet contenant un livre que m’a acheté son auteur. C’est la deuxième fois que cet écrivain procède ainsi. Je suppose qu’il les offre, après les avoir payés plus cher que s’il les avait achetés directement chez Book-Off. Il n’aurait pas eu à aller loin pour rejoindre Ledru-Rollin, il habite dans le onzième arrondissement.
Quand j’entre dans la gare, le train de sept heures cinquante-trois est annoncé avec trente minutes de retard, lesquelles deviennent bientôt quarante, la faute à un train en panne.
Comme tout le monde, je me rabats sur le huit heures cinq qui vient de Paris et repart dans l’autre sens en s’arrêtant partout. Pour une raison non précisée, il démarre avec vingt minutes de retard, qui en feront seulement quinze à l’arrivée gare Saint-Lazare.
Les ennuis continuent dans le métro. La ligne Trois est en panne. Je me rabats sur la Quatorze. Lorsque j’entre chez Book-Off, il est onze heures moins vingt-cinq.
C’est calme (comme on dit dans le commerce). En ce premier jour de soldes, certains doivent avoir pour priorité de se nipper à moins cinquante. Je fais bonne récolte de livres à un euro : Les Baumes de l’amour de Piero Camporesi (Hachette), Quelque chose d’écrit d’Emanuele Trevi (Actes Sud), Gustave Flaubert par Albert Thibaudet (Tel/Gallimard), Mes galeries et mes peintres, entretiens de Daniel-Henry Kahnweiler avec Francis Crémieux (L’Imaginaire/Gallimard), Donc c’est non, la correspondance d’Henri Michaux (Gallimard).
Il pleut vers midi moins le quart mais je n’ai que trente mètres à faire sur le trottoir avant d’entrer au Rallye, mon Péhemmu chinois préféré. J’y commande ma formule préférée : hareng pommes à l’huile confit de canard pommes sautées salade avec un quart de côtes-du-rhône. Jusqu’à maintenant, je n’ai rien pu noter dans mon carnet Muji car j’ai oublié mon stylo. La gentille serveuse m’en prête un que je lui rendrai la semaine prochaine même si elle me dit de le garder.
Après avoir réglé les dix-huit euros et quelque, je remonte la rue du Faubourg Saint-Antoine jusqu’à chez Mona Lisait espérant qu’on y solde, mais non. J’y vois néanmoins Le Dossier M. livre 1 de Grégoire Bouillier à cinq euros, un pavé qu’ayant parcouru je déclare indigeste et n’achète pas.
Le métro Huit est censé m’emmener jusqu’à Opéra mais il débarque tout le monde à République pour cause de panne plus loin. Je me rabats sur la ligne Neuf.
Au second Book-Off, il y a davantage de monde. Un nouveau naïf à téléphone scanne les codes barres. Il achète tant de livres à un euro qu’il peine à porter ses deux énormes sacs. Beaucoup lui resteront sur les bras. Personnellement j’achète peu, dont La vie démesurée de François-Marie Banier de Gaspard Dhellemmes (Fayard)
J’en commence la lecture à La Ville d’Argentan alors qu’il tombe une drache qui fait courir tout le monde sur le parvis de la gare. Le train de dix-sept heures vingt-trois est à l’heure. J’y termine la lecture de la biographie du flamboyant flambé. En dernière page, je lis ceci : « Remerciements à Noël Herpe, qui m’a poussé à me jeter à l’eau et pour ses précieux renseignements rohmériens. » Ce qui n’est pas sans rapport avec le début de ma journée.
                                                                     *
A l’aller, lecture de Délectations moroses de Frédéric Schiffter publié au Dilettante. Les considérations et les aphorismes de cet écrivain grognon relèvent de la banalité. Exemple : Moins la télévision offre aux gens des raisons d’admirer, plus elle les conditionne à se lever pour applaudir. Je n’y trouve pas le moindre intérêt. Comment Le Dilettante, qui publie de très bons auteurs (Calet, Hyvernaud) et des bons (Blanchard), peut-il aussi publier celui-ci ? Faut-il prendre ici le mot dilettante dans son sens péjoratif ?
 

10 janvier 2019


Quelle idée d’avoir acheté ce livre ! me disais-je du recueil de poèmes choisis du Prins Henrik intitulé Les bleus à l’âme et publié aux éditions Forlaget Atuagkat, les poèmes étant en trois langues (français, danois, inuit) et illustrés à la manière de Folon par Aka Hoegh, en quatrième de couverture une photo du Prince orné de toutes ses médailles.
Et puis, finalement, après plusieurs années d’insuccès, j’ai réussi à le vendre, presque un an après le décès de son auteur.
Le prince Henrik de Danemark, né Henri de Laborde de Monpezat, est mort en février deux mille dix-huit. Sa poésie ne lui survivra pas, qu’on en juge par cet échantillon :
Sur tes seins couleur de pêche
je tendrai mon avide bouche
mais je crains que mes lèvres sèches
ne caressent de leur légère touche
qu’une gorge revêche
Mon exemplaire était agrémenté d’un envoi de l’auteur, daté de juin deux mille neuf, à un écrivain aristocrate de sa connaissance : « Pour le Comte Jean d'Ormesson, souvenir fidèle, Henrik, Prince Consort ».
Celui-ci, bien avant de mourir lui-même, s’en était débarrassé.
                                                              *
Pour envoyer ce livre, je me rends à la Poste de la rue Orbe. La guichetière refuse mon paquet. Il est trop fragile, il faut un carton, c’est obligatoire. Je lui dis que ses collègues acceptent ce type d’emballage et qu’il n’y a jamais eu de problème de réception. Elle n’en démord pas.
Décidé à ne plus mettre le pied dans cette petite Poste de quartier plusieurs fois objet d’une rumeur de fermeture et que jusqu’à ce jour je privilégiais, je me rends à la Poste Principale, rue de la Jeanne. Le guichetier accepte mon paquet sans sourciller. Il est de plus fort aimable et d’excellente humeur.
                                                             *
Une plaie de ce début d’année : les vœux envoyés par les institutions culturelles à tous les inscrits du fichier, une démarche de pur intérêt commercial. L’Opéra de Rouen, pour sa part, organise une nouvelle soirée de présentation de la saison (ce qu’il en reste). Il faut croire que pour certains spectacles on a du mal à emplir la salle. Comme aguiche pékin : une galette des rois.
                                                             *
A rebours, le sympathique message que je reçois de la Bibliothèque de Lettres Ulm Jourdan de l’Ecole Normale Supérieure : « Cher Monsieur, La bibliothèque vous adresse ses meilleurs vœux pour l'année 2019 et vous remercie pour la générosité que vous lui avez témoignée en 2018. Très cordialement. »
 

9 janvier 2019


Ce lundi, vers quatorze heures trente, alors que je me dirige vers un café de la place Saint-Marc avec mon ordinateur, quatre employés des pompes funèbres font entrer un cercueil dans l’église Saint-Maclou.
En un an, je vois peut-être une dizaine de cercueils. Cela parce que j’habite entre cette église Saint-Maclou et la Cathédrale. En cette dernière, sauf s’il s’agit d’une notabilité, on fait entrer le mort discrètement par la Cour des Libraires. Il ne s’agirait pas de mettre à mal le minimum d’optimisme nécessaire au bon fonctionnement du commerce.
Une dizaine de cercueils, beaucoup n’en voient pas autant. Quelques-uns en voient davantage, qui vivent par exemple près d’un cimetière.
En une année, environ six cent mille Français passent de vie à trépas, mais qui s’en rend compte ? Imagine-t-on, au moment des bilans de fin d’année, à la une des quotidiens : « France, cette année encore : six cent mille morts ».
                                                        *
Employé des pompes funèbres, ce fut la dernière profession de mon père, après qu’il eut fait faillite avec la petite exploitation d’arboriculture héritée de son père (grand-père Jules) au moment où la mondialisation commençait ses dégâts.
                                                        *
Avant de sortir, j’écoute Les Pieds sur terre sur France Culture. Trois Gilets Jaunes racontent comment ils ont été gravement blessés par des grenades de désencerclement à Paris. C’était leur première manifestation, ils étaient pacifiques mais se sont trouvé mêlés aux violents, ça a failli être leur dernière.
Le troisième est boucher et déclare gagner entre deux mille cinq cents et trois mille euros.
Le deuxième est cadre et marié à une militaire.
Le premier est auto entrepreneur en réparation de téléphones et vente de chaussettes. C’est donc le seul à avoir le profil de celui qui n’a plus d’argent le quinze du mois. Pour ne rien arranger, il a fait six enfants. Monter une entreprise non rentable, avoir une tripotée d’enfants, cela relève d’abord de la responsabilité individuelle.
                                                        *
Dans ma boîte à lettres, une circulaire de Gérald Darmanin, Ministre de l’Action et des Comptes Publics, qui doit douter de l’intelligence des destinataires puisqu’il précise :
« Si vous n’êtes pas imposable, le prélèvement à la source ne changera rien pour vous. »
 

8 janvier 2019


La lecture de Michel de Montaigne, la biographie qu’écrivit Madeleine Lazard et que publièrent les Editions Fayard en mil neuf cent quatre-vingt-douze, me ramène brutalement à l’actualité :
Au cours de l’été 1548, alors que prenait fin le cycle de ses études ès arts, survint un évènement dramatique dont Montaigne adolescent devait garder une impression profonde et durable. Dès le mois de juin, les paysans s’étaient révoltés en Aunis, en Saintonge, en Angoumois et en Guyenne, et massacraient les « gabeleurs », officiers royaux chargés du contrôle et de la perception de l’impôt sur le sel. La sédition s’étendit à Bordeaux. (…) La révolte n’oppose pas le menu peuple seul aux autorités officielles, mais les habitants de la province au pouvoir central. (…)
Le 12 août, près de dix-sept mille hommes avaient pris Saintes, ouvert les prisons au son du tocsin, pillé et torturé, exigeant la suppression de la gabelle et le renvoi des gens d’armes. Bordeaux ouvrit ses portes aux émeutiers. Affolé, Tristan de Moneins, lieutenant général et gouverneur de la ville par procuration en l’absence du roi de Navarre, (…) se hasarde à sortir pour parlementer. Les séditieux l’assassinent, avec une vingtaine de gabeleurs, dans la rue des Ayres. Maîtres de Bordeaux pendant vingt-quatre heures, ils arborent même l’étendard anglais. L’émeute sévit dans la ville et dans les faubourgs du 17 au 22 août. (…)
Montaigne assista en personne au meurtre de Moneins. (…)
La précision de sa description est-elle due à l’émotion violente laissée dans son souvenir par ce drame ? Son oncle Bussaguet, son beau-père et le grand-père de La Chassaigne (qui avait failli y perdre la vie), durent en discuter souvent par la suite, il est vrai. (…)
Montaigne s’est borné à faire allusion à l’insurrection. Il n’a point parlé de la répression qui s’ensuivit, deux mois plus tard. (…)  Des nobles furent décapités, cent vingt bourgeois furent suppliciés et périrent brûlés vifs, écartelés, sur la roue ou par le pal. Des manants, attachés dix par dix par le milieu du corps, eurent les membres rompus à coups de barre de fer, et l’on brûla leurs troncs avant de les jeter dans le fleuve.
De cela on peut conclure qu’en matière de rébellion et de maintien de l’ordre on est vraiment modéré aujourd’hui, et que ce n’est peut-être pas par hasard si la ville de Bordeaux est à ce point touchée par le mouvement actuel au point d’être qualifiée de capitale des Gilets Jaunes.
                                                            *
Il me plaît de constater que dans le domaine de la répression, la hiérarchie sociale fut respectée : décapitation pour les nobles, supplices divers pour les bourgeois et massacre groupé pour la populace.
 

7 janvier 2019


Je n’ignore pas en sortant vers neuf heures qu’on en est au huitième samedi. Cette fois les Jaunes, selon les informations de la Police, doivent venir de toute la Seine-Maritime, de l’Eure, du Calvados, de la Manche, des Yvelines et du Pas de Calais C’est à Rouen que ça pète, c’est là qu’il faut être. La bannière appelant à l’évènement sur Effe Bé montre la photo d’une barricade de samedi dernier avec d’un côté les Jaunes et de l’autre les Policiers, manière de faire comprendre qu’on sera là pour en découdre. Ordre a été donné par leur chef local (ils n’ont pas de chefs mais en ont quand même) d’arriver en civil et de ne mettre l’uniforme que groupés, lorsque le lieu de rassemblement sera donné.
Je constate qu’ils sont aussi faciles à reconnaître sans qu’avec, rien que leur façon de marcher. Les hommes vont devant. Les femmes, quand il y en a, suivent.
-Dix-huit, compte l’un des deux Policiers debout près de leurs scouteurs au coin du jardin de l’Hôtel de Ville devant qui passe un groupe.
Rentré chez moi, j’apprends par le fil de Paris Normandie qu’ils sont désormais plus difficiles à dénombrer : au moins deux mille si ce n’est trois mille, deux fois plus que la semaine dernière. Un hélicoptère les surveille de haut, qui me pourrit la vie pendant une partie de la matinée. Quand il s’en va, à son vacarme succède celui de l’explosion des pétards. On brûle les poubelles rue du Canuet et la première barricade est érigée près de la bibliothèque Villon. Les Jaunes sont dispersés par le gaz. Ils se répandent dans les rues de l’hypercentre. Les journalistes de la télé d’information continue et leurs gardes du corps (car il faut maintenant des gardes du corps à certains journalistes) sont violemment agressés rue Beauvoisine.
Ces milliers de Jaunes déambulent de rue en rue, sans but, avec pour seules revendications la démission de Macron et la mise en place de leur foutu Ric. Je dois attendre que les affrontements se terminent rue de la République pour me rendre place Saint-Marc afin de boire un café en lisant.
Dans le troquet, échaudé par la dernière fois, on craint l’arrivée de l’armée jaune. L’alerte vient bientôt sous la forme de deux Policiers qui bloquent la circulation au bout de la rue Armand-Carrel. Le cafetier voisin panique et rentre sa terrasse, moqué par celui qui cette fois a pris la précaution de ne pas garer sa moto à proximité. Fausse alerte : les Jaunes prennent la rue Victor-Hugo. Une heure plus tard, la patronne, au téléphone avec un informateur, pousse un cri de soulagement : « Ils sont partis rive gauche ! »
Quand je rentre, l’hélicoptère réapparaît, assourdissant la ville, mais heureusement c’est pour une courte durée, Après que des poubelles ont brûlé devant la Cité Administrative, les Jaunes sont définitivement dispersés. Il en passe une poignée dans ma ruelle, gueulant et courant comme des dératés.
La suite samedi prochain, il n’y a aucune raison que ça s’arrête tant que ces factieux n’auront pas renoncé à leur espoir de renverser le régime pour instaurer un ordre nouveau.
                                                         *
« En début d’après-midi, la rue de la République est le lieu de fortes tensions entre manifestants et forces de l’ordre. « Ne cassez pas les commerces ! », hurle un « gilet jaune » alors qu’une boutique de vélos est la cible de projectiles. Certains manifestants se chargent d’ailleurs de protéger les vélos exposés à l’extérieur, en aidant le commerçant à les rentrer dans son magasin. Et un autre de répliquer sans se cacher, une grosse pierre à la main : « Mais non ! On est là pour casser du flic ! » » (Paris Normandie)
                                                        *
« Il fut un temps encore proche où on virait ces énergumènes des manifs », écrit l’une mes connaissances. Il ne parle pas de ceux qui agressent les Policiers. Il commente une photo qu’il a prise dans les rues de Rouen ce samedi. Elle montre deux manifestants couverts de chasubles à la gloire d’un mouvement d’ultra droite du style Action Française.
Personnellement, je trouve que ces deux gus sont parfaitement à leur place. Ces manifestations de Jaunes sont constituées d’une majorité de personnes ayant des idées d’extrême droite. Les égarés, ce sont les gauchistes. Ils y jouent le rôle des idiots utiles, quand ils ne sont pas carrément complices au sein du grand rapprochement.
                                                        *
L’interviou de l’Insoumis Corbière, Député, dans l’hebdomadaire d’ultra droite Valeurs Actuelles, illustre ce rapprochement de certains rouges avec les bruns.
Pendant ce temps, le pauvre Mélenchon, qui ne sait plus comment exister politiquement, déclare son amour à l’un des chefs des Gilets, le sournois qui a organisé son arrestation afin de pouvoir ensuite la dénoncer. Le Chef des Insoumis se félicite que ce manipulateur ait le même patronyme que le citoyen délateur qui a permis l’arrestation de Louis le Seizième et de sa famille.
                                                        *
Déposer des bougies en l’honneur des morts dont son action est responsable, comme l’a fait le barbu buté chef des Jaunes avant de se faire volontairement arrêter, c’est fort.
                                                        *
Son patronyme est aussi celui de la famille qui tenait la grande librairie d’Evreux, sise au coin de la rue Chartraine, face à la Poste et au Café de la Poste, que j’ai beaucoup fréquentée au début des années soixante-dix. La vieille libraire m’avait offert L’Antimilitarisme en France comme ça sans raison un jour (je l’ai déjà raconté).
A-t-on déjà vu un Gilet Jaune avec un livre ? Existe-t-il une bibliothèque dans l’une des cahutes construites en bordure des ronds-points, comme il y en a eu une à Notre-Dame-des-Landes ?
                                                        *
Ils crient aussi « CRS avec nous » et « Journalistes collabos », beaucoup des premiers votant comme eux, et sans doute presque personne chez les seconds. Pourtant leur mouvement n’aurait jamais existé sans Facebook où l’organiser et BFMTV (Télé Gilets Jaunes) pour le faire prospérer.
 

4 janvier 2019


Ce mercredi, lendemain de Jour de l’An, des sapins ont poussé en une seule nuit dans les rues de Rouen, comme des champignons mais moins frais et donc destinés à la benne. A sept heures cinquante-trois, au lieu du confortable Corail à places réservées prévu, c’est la bétaillère qui entre en gare. Le voyage jusqu’à Paris se déroule néanmoins sans incident, et même avec du chauffage.
A dix heures, j’assiste au lever de rideau du Book-Off de Ledru-Rollin. Comme ailleurs, on s’y échange la bonanée, mais je ne suis jamais inclus dans la transaction. J’y achète, pour son titre et un euro, Délectations moroses de Frédéric Schiffter édité chez Le Dilettante, puis vais voir comment se porte le marché d’Aligre.
Il vivote, pas la moindre tentation côté livres. En haut d’une pile de Charlie Hebdo de la grande époque figure un numéro dont la couverture est signée Wolinski. Sous le titre « Nouveaux cas de divorce », on y voit une femme nue à quatre pattes se faisant grimper par le petit chien de la maison et son mari en larmes déclarer : « Ma femme me trompe avec mon meilleur ami ». Jamais plus on ne revivra une telle période de liberté, me dis-je.
Allant chez Emmaüs, je croise un rat mort sur le trottoir de la rue de Cotte. Un peu plus loin, sur un commerce, une affichette annonce une « fermeture exceptionnelle pour cause de décès ».
Une fois de plus, il me faut convaincre la caissière d’Emmaüs que Cahiers Rouges chez Grasset est une collection de livres de poche.
L’Auberge Flora est sise au numéro quarante-quatre du boulevard Richard-Lenoir. J’y suis invité afin de bien commencer l’année par celle qui me tenait la main et travaille dans le coin. Arrivant par la rue Boulle, je regarde à quel numéro je suis. C’est le trente-deux, devant lequel je suis passé souvent sans lever les yeux jusqu’au-dessus de la porte. J’y découvre une plaque : « Dans cet immeuble est né le 4 juillet 1900 le poète résistant Robert Desnos. Déporté, il mourut le 8 juin 1945 au camp de Terezin. »
Quand j’arrive au quarante-quatre, je constate que c’est au carrefour Richard-Lenoir/Chemin-Vert, l’endroit où il y a presque quatre ans je suis resté longtemps au milieu des secouristes, policiers, journalistes et politiciens, atterré par ce qui venait de se passer dans les locaux de Charlie Hebdo sis dans une des petites rues derrière.
Je l’attends à l’intérieur de l’Auberge Flora où elle arrive à l’heure dite : midi et demi. Pendant un long moment nous y sommes seuls pour déguster la bonne cuisine, boire des bons vins et parler de nos vies respectives, puis s’y installent des voisins guère gênants, c’est l’avantage des endroits un peu chic.
-Il faudra que je prenne en note notre menu sur l’ardoise, lui dis-je quand nous en sommes au café.
-Mais je m’en souviens, me dit-elle.
Effectivement, et je ne sais s’il me faut admirer sa mémoire ou me désoler de la mienne, elle est capable d’énoncer la suite des plats tels qu’ils étaient formulés : tartare de saumon à la coriandre et boulgour, épaule de cochon snackée sur chou rouge sucré, brioche perdue au coulis de caramel glace caramel.
Je propose de lui faire voir le bâtiment où se cachait, mal, l’équipe de Charlie. Nous traversons le boulevard et arrivons rue Nicolas-Appert «  inventeur de la conserve alimentaire ». Face à un théâtre à façade surchargée, le bâtiment blanc est numéroté six, huit et dix. Au six, un artiste de rue a représenté les membres assassinés de l’équipe du journal. Le dessin est accompagné de la fameuse citation de Charb : « Je n’ai pas peur des représailles, je n’ai pas de gosses, pas de femme, pas de voiture, pas de crédit. C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Derrière la vitre de la porte, une affichette : « Citoyen, souviens-toi des personnes tuées ici par le terrorisme islamique. » La plaque officielle est au numéro dix, là où ça s’est passé, en hauteur par crainte de dégradations.
Nous repartons ensemble jusqu’à la Bastille et nous séparons un peu trop vite, la faute à un bus Vingt que je dois prendre et qui arrive.
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Au second Book-Off, je trouve à un euro un nouvel exemplaire de Montrez-moi vos mains d’Alexandre Tharaud que j’achète avec l’intention de l’offrir.
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Le train de dix-sept vingt-trois a vingt-trois minutes de retard au départ, pour cause de « sortie tardive du dépôt des Batignolles », puis il se traîne en chemin. Cela me donne plus de temps qu’il n’en fallait pour terminer la lecture commencée à l’aller des Grandes Largeurs d’Henri Calet publié chez L’Imaginaire/Gallimard.
 

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