Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

29 mars 2016


Ce dimanche de Pâques, plutôt que de me rendre dans des vide greniers de parquignes de supermarchés (Oissel et Bihorel) d’où je crains de revenir bredouille, je profite pour la première fois de la gratuité mise en place au Musée des Beaux-Arts depuis qu’il est passé sous la responsabilité de la Matmutropole Rouen Normandie.
Il faut quand même prendre un ticket et avouer son code postal pour les statistiques. De nombreuses salles du rez-de-chaussée sont fermées en vue de la nouvelle opération fabiusienne Normandie Impressionniste, mais on peut encore voir celles données à Agnès Jaoui pour la quatrième édition du Temps des Collections. Dans le coin d’une, un petit écran diffuse Le Goût des autres, le film partiellement tourné à Rouen de ladite. Un couple de quinquagénaires est scotché devant.
Une salle consacrée aux pastels de grande taille me retient où l’on voit fillette, jeune fille et jeune femme qui pourraient aussi bien être la même à des âges différents : Portrait de fillette de Sonia Routchine-Vitry, Portrait de Mademoiselle Lia Lévy d’Emile Lévy, La femme au singe de Charles Lucien Léandre.
Celle consacrée aux hommes nus ne tient pas ses promesses, les sexes étant couverts de tissu ou invisibles, sauf un mais il est dans la pénombre, d’où l’absence d’avertissement en direction d’un public mineur ou particulièrement sensible. S’y trouve la photo d’un dos nu partiellement couvert d’une longue chevelure blonde, une image androgyne non titrée signée Collier Schorr.
Ailleurs sont côte à côte pour leur air de famille le Chevalier à la main sur la poitrine du Greco et Paul Alexandre devant un vitrage de Modigliani.
Une salle « Corps fragmentés » montre des dessins divers sur ce thème. S’en détache le rouge Twins de Françoise Pétrovitch.
D’autres salles jaouisées ne me retiennent pas. Le sculpteur Puget m’indiffère et la Jeanne peinte rassemble des œuvres qui me sont trop connues.
Je ne manque pas en revanche d’aller saluer mes préféré(e)s de la collection permanente : Démocrite, Rigolette, la fausse religieuse, les énervés et quelques autres, celles et ceux que je peux approcher toutefois car une moitié d’aile est fermée sans rapport avec la prochaine exposition. Même si je m’en doute, j’en demande la raison à une gardienne :
-C’est à cause du manque de personnel, me répond-t-elle, m’expliquant que cela se produit régulièrement.
Certains venus de loin pour voir une toile particulière doivent être fort déçus, mais comment se plaindre maintenant que l’entrée est gratuite.
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Idée saugrenue : sortir un empaillé du Muséum d’Histoire Naturelle pour l’installer dans la salle des Orientalistes. Ce ridicule chamelon est muni d’une étiquette le précisant fragile afin qu’un moutard n’y grimpe pas.
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En ce dimanche pascal est annoncée la mort de Jim Harrison survenue la veille, d’une crise cardiaque alors qu’il écrivait un poème. Un bon jour pour mourir est l’un des titres avec lesquels je l’ai découvert.
J’ai raconté sa venue à Rouen, invité par la librairie L’Armitière lors de la parution d’En Marge (ses mémoires).
Grand amateur de la gastronomie et des vins français, il dîna ce soir-là à La Couronne « plus vieille auberge de France », comme en témoigne au mur une photo dédicacée. Mon exemplaire d’En Marge l’est aussi.
 

28 mars 2016


Un consternant spectacle au cinéma Omnia la semaine dernière, c’est ce que je découvre dans la vidéo faite par l’un des présents. On y voit Marc-Antoine Jamet, Maire de Val-de-Reuil, Socialiste, par ailleurs Secrétaire Général de Louis Vuitton Moët Hennessy et, à ce titre, personnage malgré lui du film Merci Patron de François Ruffin (rédacteur en chef du journal Fakir), présent dans la salle lors de la projection rouennaise du film, être conspué par les spectateurs alors qu’il tente d’exprimer son point de vue.
Que ceux qui disent qu’un autre monde est possible se comportent ainsi me rappelle s’il en était besoin que cet autre monde ne serait pas davantage le mien que celui qui est en place.
La vidéo de ce face-à-face est due à l’un de ces despotiques. Il l’a intitulée Irruption de Marc-Antoine Jamet à la projection de Merci Patron à Rouen, une malhonnêteté intellectuelle car Jamet avait été invité par Ruffin et c’est à la demande de celui-ci qu’il se lève et prend la parole.
Aurais-je eu l’intention de voir ce film qu’après ça j’aurais changé d’avis (mais pas plus que je ne supporte le populiste Michael Moore et ses films, je ne suis intéressé par François Ruffin et son film).
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Cent trente-cinq euros d’amende pour les bicyclistes qui circulent sur les voies des bus Teor. En revanche, on peut toujours y marcher gratuitement, ce dont je ne me prive pas.
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Un garçon au Socrate : «  Quand on a un problème, on le regarde dans les yeux. »
 

26 mars 2016


Ce samedi matin, après avoir fait mien pour deux euros au marché du Clos Saint-Marc l’édition grand format due à Christian Bourgois des Vies parallèles de Boris Vian de Noël Arnaud, je passe à la Pharmacie du Drugstore afin de faire renouveler mon ordonnance (comme on dit), s’agissant des gouttes que je dois mettre dans mes yeux chaque soir.
Me précède un client dont je sais le nom, une notabilité rouennaise autant connue pour son activité professionnelle que pour ses responsabilités publiques. J’attends donc derrière la ligne verte marquée « limite de confidentialité ».
Macache, cette ligne est si proche du comptoir que j’apprends tout des problèmes de transit de ce notable, et du sang dans les selles qui l’inquiète. Je sais aussi ce que lui conseille la pharmacienne. Heureusement, s’il y en a un sur qui on peut compter pour la discrétion, c’est moi.
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Jeudi soir sonne à l’interphone, porteuse de tartelettes aux pommes, celle qui m’avait envoyé un message pour me dire que le Plouk Town de Ian Monk (Editions Cambourakis) l’intéressait et à qui j’ai logiquement voulu offrir le deuxième exemplaire trouvé ensuite chez Book-Off.
Voilà un livre entre de bonnes mains, me dis-je, quand elle repart une heure et demie plus tard.
 

25 mars 2016


Place de la République, où je passe ce mercredi matin dans le bus Vingt qui m’emmène vers la Bastille, des drapeaux belges ont rejoint les drapeaux français au pied du monument devenu lieu de recueillement perpétuel. Je songe au séjour fait à Bruxelles avec celle qui me tenait la main. Nous nous réjouissions d’être dans un pays qui venait de battre le record de la plus longue durée sans gouvernement. Après ces nouveaux attentats islamistes, je me dis qu’il aurait mieux valu qu’il y en ait eu un, capable de surveiller ce qui se passait dans les banlieues. La dérive de Molenbeek a été favorisée par une longue négligence.
Le midi, je mange encore une fois Chez Céleste dans une ambiance inhabituelle, les deux serveurs s’engueulant copieusement, puis par la ligne Une du métro je gagne le Grand Palais afin d’y voir moyennant aucune attente et treize euros, l’exposition Carambolages. Ces carambolages sont inspirés de celui du jeu de billard, Une boule choque une boule qui choque une boule, tel est le principe de cette exposition, qui l’on aurait aussi bien pu nommer marabout de ficelle. « Listen to your eyes », est-il écrit au néon à l’entrée.
On passe donc d’une œuvre à une autre selon un chemin obligé, œuvres de toutes les origines géographiques, allant de l’Antiquité à la période contemporaine. Elles ne sont pas accompagnées d’un cartel. Pour savoir de qui et de quoi il s’agit, il faut se placer devant un petit écran au bout de chaque section et regarder les images défilant horizontalement. C’est fastidieux et je m’en passe souvent. Comme le dit une jeune fille qui en pousse une autre en fauteuil : « Des fois c’est beau de pas savoir qui a fait le truc. »
Néanmoins, j’ai besoin de savoir pour certaines, ainsi Gloria Friedman pour son Painting as a pastime, installation montrant côte à côte des reproductions de paysages peints par Eisenhower, Churchill et Hitler. Suit de la même : Absurdistan, croix gammée constituée de quatre jambes en uniforme et bottées.
Cette exposition permet à certain(e)s de découvrir l’art contemporain. « Oh putain », s’exclame une fille découvrant la double hélice Adéhenne de Wim Delvoye confectionnée avec des crucifix. Plus loin, plusieurs hommes sont successivement à l’arrêt devant L’étui pour mobylette du même. Ils sont davantage intéressés par le contenu que par le contenant, prétendant tous avoir eu la même quand ils étaient jeunes.
Il va de soi que d’association d’idée en association d’idée l’exposition passe par le sexuel. Une tige appelle une tige tout comme une fente appelle une fente.
L’une de mes bonnes découvertes est un tableau de Mignard pas du tout dans le registre gnangnan, c’est violent et tragique: Le Temps coupant les ailes de l’Amour. Si je devais jouer le jeu des carambolages je mettrais à côté La Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins de Max Ernst.
Cette exposition due à Jean-Hubert Martin valait le détour, me dis-je en rejoignant à pied le quartier de l’Opéra Garnier. Les lieux de pouvoir sont plus que jamais protégés. Marchant avec mon blouson et mon gros sac à dos vers l’un des policiers lourdement armé, je compte sur mes cheveux gris pour ne pas lui paraître suspect. D’autres hommes en uniforme patrouillent avec des chiens. L’écran géant de la Grande Roue du roi des forains Marcel Campion est aux couleurs de la Belgique.
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Parmi les œuvres carambolées, la sculpture d’un animal sur une petite boîte, une bestiole en forme de saucisse noire à oreilles pendantes qui me rappelle l’Aboyus qui me crie dessus dès que je mets le pied dans le jardin. Il ne s’agit pas d’un chien, m’apprend l’écran. L’œuvre provient de l’Egypte ancienne, c’est un Sarcophage de musaraigne de basse époque. Aboyus est aussi de basse époque.
 

24 mars 2016


Ce mardi soir, je suis assis au bout du deuxième rang près d’une femme à tics sous la verrière à l’étage de la librairie L’Armitière. Jean-Pierre Levaray y est invité à présenter Je vous écris de l’usine (Libertalia), livre qui regroupe les chroniques qu’il écrivit pour le mensuel CQFD pendant ses dix dernières années passées à turbiner dans l’usine d’engrais chimiques du Grand-Quevilly ancienne filiale de Total classée Seveso Deux seuil haut.
Récent retraité, il a fêté ça lors d’une soirée « Bye bye turbin » au Centre Culturel André Malraux (je n’ai pas eu à m’interroger pour savoir si j y allais ou non, car en ce lieu je suis non grata).
Désintoxiquez-vous, Vivez mieux et plus longtemps, tels sont les titres en forme d’injonction faisant arrière-plan dans les rayonnages. Tue ton patron, semble leur répondre l’un des livres de Jean-Pierre Levaray posé sur la haute table derrière laquelle il s’installe en compagnie de la libraire chargée des rencontres avec les auteur(e)s. Celui habituellement chargé de filmer ce genre d’évènement (qui ne jure que par le libéralisme mais bénéficie ici d’un emploi subventionné grâce à l’argent public) est absent et avantageusement remplacé par une jolie jeune fille.
Je suis là par sympathie pour Jean-Pierre Levaray que je connais depuis On @ faim label musical et fanzine dont il s’occupait il y a un certain temps (il publia l’un de mes textes). Je l’ai ensuite croisé à L’Insoumise, la librairie de la Fédération Anarchiste sise à la Croix de Pierre, et dans les manifestations. Il écrit sur ce qu’il connaît trop bien : le travail à l’usine. Il y est entré à l’âge de dix-huit ans et y est resté quarante-deux années (toute une vie de labeur épuisant dans la même usine, très dangereuse, comparable à celle qui a explosé à Toulouse, avec en bonus l’amiante et les poussières ionisantes.
Les poussières ionisantes, la libraire poseuse de questions est contente d’avoir appris quelque chose. Elle a cette honnêteté d’avouer qu’elle ne connaît rien au monde ouvrier et a préparé sérieusement l’entrevue sur des fiches. Elle présente Je vous écris de l’usine comme « Coup de cœur des libraires «  de L'Armitière.  Elle cite les bonnes critiques du livre faites par Le Matricule des Anges, Le Canard Enchaîné et Médiapart, en insistant un peu trop. Comme à chaque fois, elle me crispe avec ses intonations exagérées et ses mimiques.
Jean-Pierre Levaray dit qu’il n’aime pas parler en public. Il lit la dernière de ses chroniques de CQFD qui constitue le dernier chapitre de son livre. Il y est question de Nono, l’ouvrier qui remplissait à son profit un jerrican d’essence dans le coffre de la voiture de l’usine qu’il conduisait, comment il a été dénoncé photo à l’appui par un autre ouvrier, et comment la hiérarchie, qui aurait dû le virer, lui a donné une deuxième chance.
Jean-Pierre Levaray, militant syndicaliste et libertaire, n’est pas manichéen, ni ouvriériste, ce pourquoi je le lis avec intérêt depuis son premier livre Putain d’usine.
Les questions posées à la fin portent sur l’affaiblissement des luttes sociales et du syndicalisme plutôt que sur le livre qu’un seul des présents a lu, un ancien ouvrier de la même usine qui le recommande vivement. Cette galerie de portraits de travailleurs me plaira sûrement, mais je n’achète pas Je vous écris de l’usine à L’Armitière, préférant le faire ultérieurement à L’Insoumise.
                                                                 *
Que cette rencontre avec Jean-Pierre Levaray ait lieu à L’Armitière le jour anniversaire de l’Appel du Vingt-Deux Mars, préambule à Mai Soixante-Huit, est une coïncidence, il y a lurette que cette librairie a oublié ce qu’elle était quand elle se trouvait rue des Ecoles.
 

23 mars 2016


Il y a au moins deux ans, l’agitateur musical polymorphe rouennais Seb Petit mit sur le réseau social Effe Bé une vidéo d’un certain Micah P. Hinson et l’ayant regardée, ce devait être un dimanche matin et j’étais désœuvré, je fus séduit par ce folkeux texan.
C’est pourquoi ce lundi soir je prends le bus Teor Trois pour aller le voir et ouïr au Kalif, route de Darnétal, où il est en concert, une coproduction Europe and Co/Avis de Passage, dix euros l’entrée (somme modique). Sur place le premier, j’assiste à l’arrivée de l’artiste, chaussettes dépareillées, blouson, bonnet, écharpe plusieurs fois tournée autour du cou, lunettes démodées, sac à dos, guitare et canne. Certains des organisateurs viennent le saluer, parmi lesquels l’ami Masson, puis il va faire des essais de micro.
A l’entrée dans la salle je me perche sur un haut tabouret d’où j’observe le futur public. Pour certain(e)s aller au concert c’est d’abord acheter une bière au bar et la boire au goulot. Pendant ce temps Micah Paul Hinson va et vient appuyé sur sa canne. La faute aux séquelles d’un accident de scouteur en Espagne où il a été renversé par une voiture, m’explique Seb Petit. L’artiste blessé joue quelques notes sur le vieux piano collé contre la console technique puis disparaît.
Une jolie fille blonde entre en scène. C’est, venue de Paris, Pauline Drand. S’accompagnant à la guitare, elle chante en français d’une voix chaude ses compostions qui parlent d’amour esquissé ou esquivé. Je l’écoute et la regarde attentivement depuis mon tabouret. Cela me plaît bien.
Je me lève quand c’est le tour de Micah P. Hinson. Il s’effeuille : blouson, pull, chemise tombent en tas sur le sol. Ne lui reste qu’un ticheurte blanc informe. Il boit une grande lampée de jus d’orange au goulot d’une bouteille de trois quarts de litre. Quelques problèmes de micro plus tard, il fait entendre sa voix acérée. Je regrette une nouvelle fois de ne pas comprendre l’anglais. Lui aussi s’accompagne à la guitare, celle de son adolescence peut-être, ornée de slogans « This machine kills fascists » « Kill the head, the body will die ». Par des bidouillages de boîtiers électroniques plus ou moins difficiles à mettre en place « It sucks » « Shit » « Motherfucker », il en fait pour certaines chansons une guitare arrangée. Impossible de savoir s’il est vraiment brouillon ou s’il en rajoute. Cela me plaît bien mais s’il jouait uniquement de la guitare simple, ça m’irait encore mieux et on ne le verrait pas sans cesse penché sur la technique. Sa liste à jouer est écrite sur un papier pas plus grand qu’un ticket de carte bancaire, ce qui l’oblige à d’autres contorsions. En arrière-son, on doit supporter l’entrechoc des bouteilles vides du bar et, pire, le grincement de la porte à double battant, honte à toi Kalif.
Quand ce drôle d’oiseau un peu Peter Pan à montre rose remet sa chemise et son pull, c’est sa façon de signifier qu’on en est aux rappels, puis seule chose que je comprends il explique à la fin qu’il a des disques à vendre et qu’il les signera après être sorti fumer. Ce pourquoi Micah P. Hinson remet blouson, bonnet et écharpe à plusieurs tours.
N’étant pas certain de l’écouter chez moi, je n’achète pas. J’aurais été davantage tenté par un disque de Pauline Drand mais elle n’en est pas encore là.
Alors que je commence à descendre la côte de Darnétal pour rejoindre mon logis à pied, je m’entends héler d’une voiture. C’est le sympathique Claude Levieux, cheville ouvrière du label Smap Records, présent lui aussi à ce concert. Il me ramène jusqu'au bout de la rue Saint-Romain.
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Bonne nouvelle au courrier de ce lundi : mon loyer baisse de cinq centimes.
 

22 mars 2016


Ma bonne pêche de samedi m’incite à faire un nouveau déplacement à Val-de-Reuil où la vente de livres d’occasion d’Amnesty International se poursuit ce dimanche de Rameaux. Pour ce faire, je dois prendre le train de sept heures douze et me lève donc avec les mouettes.
Je voyage en compagnie de jeunes fêtards en fin de parcours, cravates et nœuds pap de traviole. Ils s’endorment avant Oissel. A l’arrivée à Védéherre, j’ai la chance de trouver Le Tatoo ouvert, un bar que j’ai connu lounge et que je retrouve chinois, tenu par un jeune couple dont l’enfant joue sur tablette.
Il est surtout fréquenté par des hommes d’origine turque ou kurde, comme le kebabier d’à côté, mais aussi par quelques Gaulois, et même des Gauloises, venues là pour gratter, des joueuses, bientôt perdantes. Sans doute y voit-on peu souvent quelqu’un lire. C’est ce que je fais pendant presque deux heures, ayant emporté Lettres de Drancy (Taillandier).
Un peu avant dix heures, je me pointe à la barrière du lycée Marc Bloch où je ne trouve qu’une femme. Elle est d’Amnesty mais n’a pas la clé. Elle me demande ce que je pense de la vente. J’en profite pour lui dire à quel point est insupportable l’homme qui régente la partie livres anciens et livres d’art. Les prix dans cette section n’étant pas comme pour les autres donnés par un code couleur, il faut obligatoirement passer par lui pour en obtenir un, lequel est souvent exagéré et parfois à la tête du client. Certains savent le flatter. J’ai choisi de le boycotter. « C’est un véritable Etat dans l’Etat », dis-je à cette femme d’Amnesty. A sa réaction prudente, je sens qu’aucune révolution démocratique n’aura lieu pour renverser le petit dictateur d’occasion.
A l’ouverture, nous sommes trop peu nombreux pour que je me livre à une facétie. Je révèle mon véritable nom au Préfet sur le cahier prévu à cet effet.
Ma récolte est beaucoup moins importante cette fois-ci, mais rien que pour Une histoire des haines d’écrivains de Chateaubriand à Proust d’Anne Boquel et Etienne Kern (Champs Essais), je ne regrette pas ce deuxième passage.
-Ce qui est bien c’est qu’en plus, on voit les goûts des gens, me dit celle à qui je paie.
-J’espère que vous n’irez pas raconter ça au Préfet, lui réponds-je.
Le train d’onze heures quarante-cinq me ramène à Rouen. Rue du Gros, j’achète une baguette tradition Chez Paul alors que, dans un grand carillonnage, la messe des Rameaux se termine. Sur le parvis, des porteurs de branches vertes discutent avec l’Archevêque en tenue d’apparat.
Un autre de ces porteurs de verdure, vieux bourgeois de la rue Saint-Romain, au moment de rentrer chez lui, se ravise et offre l’un de ses rameaux au clochard dont c’est la place habituelle. Ce dernier contemple le cadeau d’un air circonspect.
-Ça me fait une belle branche, semble-t-il se dire.
                                                                *
L’après-midi, je repasse par le vide grenier Augustins Molière qui dure également deux jours, sans rien trouver mais y croisant Seb Petit, l’agitateur musical polymorphe à cause de qui ce lundi soir je vais au Kalif voir et ouïr Micah P. Hinson.
                                                                *
En passant devant Guidoline où pour le vide grenier l’on vend des bouts de vélo d’occasion, je vois pour la première fois l’ancien café transformé en boutique de bicyclettes, triste spectacle.
 

21 mars 2016


Ce samedi, le train de douze heures douze me conduit à Val-de-Reuil où le groupe local d’Amnesty International organise au lycée Marc Bloch sa vente annuelle de livres d’occasion. Mon vieux fond de malhonnêteté me dit que pour une vingtaine de minutes j’aurais pu me passer d’acheter un billet (même à demi-tarif). Heureusement qu’il n’en est rien, car sitôt passé Oissel, je suis contrôlé.
La gare de Védéherre est toujours en travaux (destiné à la faire plus petite). C’est par un escalier poutrellique que l’on rejoint la terre ferme. Délaissant le bus rouge, je traverse la ville à pied. Elle a évolué depuis que je suis passé par là : nouveau théâtre L’Arsenal, médiathèque Le Corbusier refaite, voie piétonnière sinuante remplaçant l’horreur appelée « la dalle ». Les commerces ont changé aussi (pas en mieux). Identiques sont restées la Maison de la Presse et l’agence immobilière où j’eus, dans les années quatre-vingt, la curieuse idée d’acheter un appartement au numéro trente-sept de la rue du Pas-des-Heures.
La vente ne commençant qu’à quatorze heures, je passe un certain temps au café kebabier turc (ou kurde) dont le personnel et la clientèle sont exclusivement composés d’hommes.
Le lycée est en dehors de la ville. Pour le rejoindre (en avance), je passe devant un nouvel immeuble sur lequel est écrit en gros : Rouen 23 km. A la barrière, je trouve un concurrent, croisé ici ou là, avec qui je lis sur une affichette cette injonction : « Pour des raisons de sécurité, merci de bien vouloir indiquer vos noms et prénoms, merci, bonne journée. »
« Ordre de la Préfecture », nous disent les membres d’Amnesty présents de l’autre côté de la frontière. Des cahiers posés sur des tables sont prévus pour ce que chacun s’accorde à qualifier d’idiotie. Une femme arrive, journaliste, accompagnée de sa vieille mère. Elles peuvent entrer sans laisser leurs noms. Une jeune bénévole doit, elle, obtempérer.
Comme d’habitude, la vente est précédée d’un banquet qu’Amnesty offre aux élus socialistes. La table est moins longue maintenant, suite à la perte du Département et de la Région. Seuls sortent le vieux Député Loncle et le Maire de luxe de Val-de-Reuil Jamet. Ce dernier, usant de ses privilèges, emporte une pile de livres. Il me semble reconnaître, en plusieurs exemplaires, Le Socialisme pour les Nuls (sans doute pour offrir à ses amis du gouvernement).
Quand la barrière nous est ouverte, je laisse un nom d’emprunt sur le cahier : Bernard Cazeneuve. Une deuxième attente nous est imposée à l’entrée de la salle. La journaliste vient nous voir, un verre de vin du banquet à la main. Elle veut savoir s’il y a des bouquinistes parmi nous. Aucun ne se dénonce. Elle tente alors de savoir pourquoi nous venons. Personne n’a envie de lui répondre. Une femme lui conseille de se ranger si elle veut éviter de se faire culbuter quand on aura le droit de rentrer.
La file est longue derrière mais aucun de mes principaux concurrents habituels n’en fait partie. J’en profite, remplissant mes deux sacs. Quand je ne peux en porter davantage, il est l’heure de retraverser la ville à pied en évitant de croiser le Carnaval et de rentrer par le train de quatorze heures vingt-huit.
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Mes deux meilleures prises : le numéro d’Europe consacré à Georges Perros et le Journal 1939-1945 de Pierre Drieu la Rochelle.
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Le soir de ce samedi, je suis à l’Opéra de Rouen où je constate que j’aurais dû lire la présentation du spectacle de danse au programme : des extraits de chorégraphies contemporaines donnés par le Groupe Grenade de Josette Baïz (une vingtaine d’apprenti(e)s âgé(e)s de sept à vingt-deux ans).
Le printemps n’est pas encore là mais c’était déjà le gala de fin d’année de l’Ecole de Danse, me dis-je à la sortie, énervé contre moi-même.
 

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