Le Journal de Michel Perdrial
Le Journal de Michel Perdrial



Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

Quand Heinrich Böll faisait la guerre (Nord de la France)

23 janvier 2021


Parmi mes lectures d’avant-guerre, Lettres de guerre 1939-1945 d’Heinrich Böll chez L’Iconoclaste. Car avant d’être Prix Nobel de Littérature, Böll fut sous l’uniforme nazi, soldat malgré lui dans l’armée d’occupation allemande. Ses premières lettres sont pour ses parents, puis le voici marié écrivant à sa femme.
Mon choix :
A ses parents, Osnabrück, le vingt-sept octobre mil neuf cent trente-neuf : Je vous remercie pour toutes ces affaires, surtout pour les fixe-chaussettes, qui me sont très utiles.
A ses parents, Beaucourt-sur-l’Hallue, douze août mil neuf cent quarante : Notre chef de section, un sous-lieutenant de vingt-deux ans, a même la Croix de fer de première classe, je ne l’ai vu jusqu’ici qu’en état d’ébriété dans un café français ; il avait l’air plutôt sympathique.
A ses parents, Beaucourt-sur-l’Hallue, dix-huit août mil neuf cent quarante : Nous menons donc, en apparence, une vie radieuse, malheureusement ce n’est qu’une apparence…
A ses parents, Bientques, près de Saint-Omer, le dix mai mil neuf cent quarante-deux : Le plus agréable, c’est encore de parler de temps en temps de la guerre avec de bons vieux Français ; qui va la gagner ou la perdre, quand va-t-elle se terminer, et de conclure que la vie de soldat est une sacrée merde… 
A sa femme, Bientques, dimanche de Pentecôte mil neuf cent quarante-deux : De douces collines se succèdent dans le paysage aussi loin que porte le regard, partout des arbustes et des arbrisseaux, la moindre petite propriété est entourée d’un buisson épais ; c’est l’endroit idéal pour faire l’école buissonnière, c’est-à-dire sécher l’école. Ah, sécher l’école, pouvoir encore sécher l’école. Je ne pense pourtant pas être devenu moins raisonnable au fil des années, absolument pas, mais je regrette vraiment de ne pas avoir manqué l’école plus souvent, chaque jour aurait été un jour de gagné sur la vie.
A sa femme, Calais, le seize juillet mil neuf cent quarante-deux : Notre vie est vraiment et véritablement habitée par cette guerre, cette guerre qui s’empare totalement de nous…
A sa femme, cap Gris-Nez, le dix-huit juillet mil neuf cent quarante-deux : Mais aujourd’hui, je suis trempé, frigorifié et triste. Je suis triste à cause de cette misère immense et absurde qu’est la guerre, qui nous use et nous détruit tous : j’ai les nerfs complètement à plat, au point qu’il m’arrive d’oublier des choses qu’on m’a dîtes une minute plus tôt ; ce métier de soldat, je le déteste au-delà de toute expression.
A sa femme, cap Gris-Nez, le dix-neuf juillet mil neuf cent quarante-deux : Quand je rentrerai de la guerre, tu devras au début, avoir beaucoup de patience avec moi, je serai compliqué, paresseux, instable, j’aurai du mal à bien comprendre l’utilité du travail…
A sa femme, cap Gris Nez, neuf août mil neuf cent quarante-deux : Rends-toi compte, il a suffi qu’une petite catin vienne de Calais ou de Boulogne et barbote dans la mer pour que l’on se réjouisse ; je ne l’ai pas regardée longtemps, et ne suis, pas allé la voir à la jumelle – tous les troufions s’y sont précipités comme des sauvages…
A sa femme, cap Gris-Nez, le cinq septembre mil neuf cent quarante-deux : Aujourd’hui, la mer a rejeté beaucoup de morts de l’expédition de Dieppe ; des Anglais, mon Dieu, ils ont un aspect épouvantable ; dans toute la baie, il en est arrivé beaucoup sur le rivage, l’un d’eux juste devant notre bunker, apparemment un Canadien, un homme brun, à part ça on ne distinguait plus rien de son visage, il avait une petite croix dorée sur la poitrine ; un Canadien catholique sans doute ; c’est une chose vraiment horrible de voir ainsi le vrai visage de la guerre.
A sa femme, cap Gris-Nez, le neuf septembre mil neuf cent quarante-deux : Souvent, ces ouvriers français en guenilles qui nous croisent sur leurs vélos antédiluviens et boueux, et qui nous regardent avec indifférence, me font l’effet de jeunes dieux ; le soir venu, ils peuvent embrasser leur femme et boire du vin, et même s’ils sont privés de toute liberté politique – chose terriblement humiliante pour un homme – ils n’en sont pas moins auréolés de cette grandeur de la pauvreté et de la douleur, qui élève le mendiant au niveau du noble…
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Nous avons affaire à un jeune homme plutôt content de lui, outrecuidant à souhait, assez vert et immature pour répéter pieusement les pires poncifs de la raciologie de son temps et d’une psychologie de peuples apprise en famille, à l’école et au comptoir. écrit dans la préface Johan Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Je ne sais où ce professeur est allé chercher ça. Chacune des lettres d’Heinrich Böll montre le contraire.