Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

31 juillet 2015


Malgré les bruits nocturnes des motards du dessus, je dors encore une fois suffisamment bien à La Dorlotine. Au petit-déjeuner, l’hôtesse m’entretient du peu d’intérêt de la population locale pour la vie intellectuelle. Une amie à elle ayant ouvert une galerie d’art a dû rapidement la fermer. Toutes les manifestations culturelles sont un échec.
-Il n’y a que les lotos qui les intéressent. Le moindre loto dans un village, c’est deux cents personnes. Mais si le lot gagné, c’est une nuit en chambre d’hôtes dans un château, ils font la tête. Ce qu’ils veulent, c’est des paniers garnis.
Internet ne fonctionnant pas dans le jardin ce jeudi matin, je pars sans m’attarder, quittant Rupt-sur-Saône avec l’intention d’aller un peu plus loin, toujours au bord de la rivière, mais les endroits repérés sur la carte sont peu attrayants. Du coup, de kilomètre en kilomètre, me voici de retour en Haute-Marne à Bourbonne-les-Bains où je vais cette fois passer la nuit, prenant une chambre à l’Hôtel de l’Agriculture pour quarante-six euros. « Qu’est-ce qui vous amène par ici ? », me demande la patronne. Si je savais.
Je remonte une nouvelle fois la Grande Rue à pied et rejoins les Thermes cernés par des hôtels pour malades et des pensions meublées avec ou sans cuisine. A côté brille exagérément le Casino. On annonce soigner les rhumatismes, l’arthrose, l’ostéoporose et même les fractures. Une recherche scientifique clinique du Céhachu de Nancy prouve que les eaux thermales d’ici « augmente la formation de l’os ». Je ne vois guère de curistes dans les rues.
Faute de mieux, je déjeune au restaurant de l’Hôtel de l’Agriculture. La salle, vieillotte, est fréquentée par des locaux, dont un agriculteur. Ce jeune homme est en conversation avec un responsable de la Safer qui veut le convaincre de se diversifier dans le tourisme.
-Il y aura toujours une clientèle demandeuse de coins paumés à la campagne, dit ce dernier.
-Ma ferme, mon élevage, cela me suffit, lui répond le jeune agriculteur. Je ne serai jamais mon père.
Au menu, c’est avocat au thon, sauté de veau niçois et mousse au chocolat, Avec un quart de vin rouge d’Ardèche, cela fera dix-sept euros.
La Safer revient à la charge avec l’exemple des Anglais qui lorsqu’ils viennent quinze jours en vacances ne quittent jamais la maison avec piscine où ils logent. Pour des gens comme ça, la Haute-Marne ou le Lot, c’est pareil. Le jeune homme ne commente pas. Il préfère parler des broutards achetés à un vieux monsieur et d’une vache dont il a tiré mille euros.
Après ce repas sans étoile, je marche jusqu’au lac de la Mezelle, lequel n’est pas plus grand qu’un étang. Je ne peux faire le tour car Côté Lac (pêche pédalo restaurant) est en faillite depuis longtemps si j’en juge par l’état du bâtiment et au premier petit pont, c’est barré.
Plus qu’à rentrer au bourg et à boire une menthe à l’eau au Café des Sports d’où j’observe le peu de vie locale.
                                                                    *
Bourbonne-les-Bains adhère à Voisins Vigilants, officine privée qui fait de chaque habitant(e) un œil surveillant les alentours, par exemple ce type là-bas, descendu de la voiture rouge immatriculée dans le Soixante-Seize, qu’on ne sait pas ce qu’il fait par ici et qui marche de tous les côtés.
 

30 juillet 2015


La maison d’hôtes de Rupt-sur-Saône se nomme La Dorlotine. J’y occupe la chambre du bas aménagée pour les handicapés, quarante-huit euros pour un célibataire. A l’étage sont deux motards de mon âge qui, le soir venu, après avoir fait un peu de bruit de vaisselle dans la salle commune, ne passent heureusement pas leur temps à marcher sur le parquet qui craque. J’y dors bien, réveillé par la lumière du jour, un peu avant que ne sonnent les cloches de l’église à six heures et demie. A huit heures, je partage le petit-déjeuner avec l’un des motards pendant que l’hôte nous fait la causette.
Il pleut un peu. Les motards se rendront dans le département des Vosges visiter un marchand de motos spécialiste des italiennes. Pour ma part, j’ai surtout prévu de faire peu de kilomètres en voiture. Aussi, c’est à proximité de Ray-sur-Saône que je me gare pour une promenade pédestre à l’abri du parapluie au bord de la rivière jusqu’à l’écluse automatique puis au travers d’un pré mouillé afin de me rapprocher du château façon Dordogne dont s’enorgueillit ce village. J’en fais quelques photos.
Je reprends ma voiture un peu avant l’heure du déjeuner et me dirige vers Soing dont ma logeuse m’a vanté le restaurant Aux Rives de Saône. Ce village possède à son entrée une époustouflante copie en modèle réduit de la Tour Eiffel. Je pourrais presque me croire à Paris comme chaque mercredi, n’était que côté animation c’est zéro, hormis à la halte de plaisance où j’assiste aux manœuvres des caravanes flottantes de location toutes occupées par des étrangers : « Morgen », « Morgen ».
Le bar restaurant Aux Rives de Saône est tenu par un jeune et sympathique couple, lui aux cuisines, elle au service. Le menu du jour est à treize euros et me convient tout à fait : quiche comtoise, échine de porc sauce charcutière et sa purée, fromages, tarte aux pommes et aux poires.
Dans la salle ne sont encore là que deux commerciaux en costume, le genre qui demande la moutarde pour le plat du jour avant même de l’avoir goûté. Bientôt arrivent un couple de plaisanciers, leur fille adolescente et leur bébé qui chouine régulièrement. Dire qu’ils naviguent sur la Saône et qu’ils n’en profitent pas (un accident est si vite arrivé).
La cuisine du restaurant Aux Rives de Saône est délicieuse. Je l’accompagne d’un quart de vin blanc inclus dans le prix du menu et demande un verre de vin rouge en sus pour le fromage. Les commerciaux sont déjà partis. Une famille (grands-parents, parents, trois enfants tranquilles) s’est installée à ma droite et, face à moi, sont deux couples de trentenaires du genre que je déteste (élevés avec Canal Plus). L’une des femmes annonce au cuisinier qu’elle est enceinte et qu’elle ne peut donc manger qu’une grande salade mais sans salade. Qu’on me jette ça dans la Saône avant l’accouchement.
Mon addition s’élève à quatorze euros vingt avec le café. Le verre de vin rouge n’a pas été compté. Je le fais remarquer à la jeune patronne qui sait sourire en toutes circonstances. Elle refuse que je le paie.
- C’est bien comme ça, me dit-elle.
Je suis tenté de la prendre dans mes bras pour lui donner un bisou mais ça ne se fait pas.
Rentré à Rupt, la pluie ayant cessé, je vais voir de plus près le château à donjon du douzième siècle. La visite en est gratuite en juillet, indique la pancarte à l’entrée du parc de huit hectares. Sur ce point, mon Guide du Routard de deux mille quatre est encore d’actualité. La propriétaire est à l’accueil, au pied de son donjon, une femme âgée marchant avec difficulté. Elle me remet le livret d’accueil et m’explique que je peux me promener partout dans le parc et grimper jusqu’au chemin de ronde du donjon où je pourrai ouvrir les volets pour profiter de la vue à condition de bien les refermer derrière moi car ils claquent par grand vent. Las, arrivé au premier niveau, je rebrousse car l’escalier étroit aux marches hautes et inégales est trop dangereux pour qui n’y voit pas grand-chose dans la semi-obscurité. Je me contente du parc, faisant moult photos du bâtiment, du tulipier de Virginie vieux de plus de trois cents ans, de l’église en contrebas, des toits du village, de la Saône au loin et de la maison blanche où je vais passer encore une nuit.
« Quelle belle journée », est-il écrit sur les abat-jours des lampes de chevet de La Dorlotine.
                                                                  *
La Tour Eiffel jaune de la Haute-Saône : échelle un vingtième, deux mille cinq cent kilos de fer, seize mètres de haut, cinquante litres pour deux couches de peinture, d’abord installée à Seveux puis déplacée à Soing, bel effort.
 

29 juillet 2015


Une moitié de voyageurs et une autre de travailleurs emplissent l’Hôtel de la Terrasse de Villersexel. Quand ce mardi à sept heures et demie je prends le petit déjeuner standard, façon buffet de base, mais à huit euros cinquante, les seconds sont déjà partis œuvrer.
Je prends la route à mon tour, direction le sud de la Haute-Saône, et découvre que deux autres bonnes adresses pour manger du Guide Du Routard deux mille quatre ont disparu : la ferme auberge de Palise et Chez la Marie à Cussey-sur-l’Ognon. Un habitant de cette dernière bourgade m’indique la route pour Pesmes « l’un des plus beaux villages de France » mais je ne le verrai jamais car je me perds totalement. Quand j’en suis à désespérer, ne croisant aucun lieu pour faire étape, découvrant même au bord de la route un distributeur automatique de pizzas, ce qui en dit long sur la pénurie de gargotes dans cette ruralité, j’arrive en un lieu nommé Seveux où s’épanouit le restaurant Chez Berthe.
A défaut de la Marie, ce sera donc Berthe. Le patron, derrière son comptoir, me serre la main et sa femme aussi quand elle m’installe dans la partie agrandie de l’immense établissement où l’on sert un menu du jour à douze euros qui attire des locaux et du passage. Les locaux parlent de la chaleur et de la sècheresse qui sévissaient jusqu’à la semaine dernière. Je suis comme eux, je préfère le temps mitigé de maintenant.
C’est moyen côté cuisine : filet de poisson mayonnaise, veau marengo, fromages, tarte à l’abricot, mais le service est aimable (la patronne ne s’appelle pas Berthe, son aide se prénomme Alice).
Une carte routière pour cyclistes obtenue au port me permet de me repérer et m’incite à suivre la Saône vers le Nord. C’est ainsi que je trouve une chambre d’hôtes pour deux nuits à Rupt-sur-Saône, village surplombé par son église et un château dont le donjon du douzième siècle fait trente-trois mètres de haut.
Mes bagages posés, je fais une longue balade à pied le long de la Saône jusqu’au tunnel/canal de Saint-Albin dans lequel s’engagent courageusement les bateaux de plaisance. Je fais aussi quelques photos. Il ne manque qu’un estaminet dans ce village pour que je sois tout à fait satisfait.
                                                                         *
En deux jours, faire tout le tour de la Haute-Saône, ce n’est pas ce que j’avais prévu.
 

28 juillet 2015


Un couple d’Anglais et moi-même sommes les seuls clients de l’Hôtel du Vieux Chêne à La Quarte. Dans la nuit noire souffle un vent à décrocher les draps du fil à linge et tombe une pluie à les tremper. Au matin, je descends dans la salle où m’attend un copieux déjeuner campagnard : saucisson, tomate, gros pain, motte de beurre, jus d’orange, confiture de mure, café à volonté, tout cela pour quatre euros et en regardant sur Arte un film expliquant l’astrologie en Inde.
Sous une petite pluie, je prends la route qui mène à Jussey, vieux bourg typique dans lequel ne sont ouvertes que les boulangeries et les pharmacies ainsi que le Péhemmu qui ne connaît pas la ouifi et la Maison de la Presse où j’apprends qu’une carte Michelin jaune comme je cherche ça n’existe plus depuis au moins quinze ans. Je refuse d’acheter le nouveau modèle.
« C’est plus le même temps », me dit un autochtone qui me voit passer sous le parapluie. Je n’ai pas connu l’autre. Il s’améliore quand je passe dans les Vosges pour voir Châtillon-sur-Saône et bientôt je me retrouve en Haute-Marne à Bourbonne-les-Bains, curieuse station thermale. J’y trouve la ouifi à l’Hôtel de l’Agriculture puis repasse en Haute-Saône.
Mon intention de déjeuner au Trianon à Saint-Loup-sur-Semouse est mise à bas par la marchande de chaussures qui m’apprend qu’il est fermé depuis des années. Voilà ce qu’il en coûte de voyager avec un Guide du Routard d’il y a dix ans. Il n’y a pas de restaurant ouvert le lundi, m’apprend-elle, à part une pizzéria à la sortie. Elle en oublie un qui se trouve aussi à la sortie, le restaurant gastronomique Remy, sis dans un manoir, qui propose le midi un menu à treize euros. Je fais marche arrière et y entre. Une belle salle donnant sur le parc, une hôtesse charmante qui parle comme à Neuilly, une clientèle majoritairement composée de trios, de duos ou de solos, je me sens tout de suite à mon aise. Ici on déjeune le pull posé sur les épaules, Lacoste ou non. Derrière moi s’installe un trio composé de Martine et Robert, qui ont du mal à faire oublier leurs origines populaires, et de leur petite fille blonde à chignon de danseuse, complètement hamiltonienne. « Tu raconteras ça à ta mère », lui dit le grand-père.
Pour accompagner mon risotto d’épeautre aux trompettes et le poulet sauté à la moutarde, je choisis une demi-bouteille de vin du Jura : un Arbois-Pupillin de la maison Ploussard, ici proposé à quinze euros.
-Y a maman qu’a répondu : « Tu as de la chance, ils te gâtent tes grands-parents ».
Bientôt le téléphone du grand-père sonne bruyamment. Il explique que tout le monde mange à des tables rondes et que la petite est contente.
Pour dessert, c’est un excellent café accompagné d’une boule de glace à la violette. L’hôtesse se renseigne sur la demoiselle qui est en sport études. Elle va bientôt faire un championnat du monde de natation. Ce sera à Versailles. L’an dernier, c’était à Rio. Dommage.
Je quitte l’endroit content, échangeant un sourire avec la jolie nageuse. Il me faut ensuite aller bien plus loin que j’en avais envie, passer Luxeuil-les-Bains, traverser le plateau des Mille Etangs (tous privés, dont je vois au moins six), ignorer la chapelle du Corbusier à Ronchamp, voir Lure, gros bourg qui me repousse, pour enfin trouver une chambre en bordure de l’Ognon à l’Hôtel de la Terrasse de Villersexel. C’est cinquante-cinq euros pour un solitaire et comme il n’en restait qu’une, c’est la meilleure, celle disposant de la vaste terrasse qui donne nom à l’établissement où sont installés une table avec deux chaises et un seul transat dont je profite avant d’aller à pied jusqu’au bourg.
Soulagé d’être casé pour la nuit, je prends un diabolo menthe à un euro cinquante au Café du Centre, au rez-de-chaussée d’une bâtisse sans cachet qui date pourtant de mil six cent dix-sept. On y parle du Marcel, le copain de la mère au Christian, qui savait faire les paniers comme les manouches.
                                                                       *
Je n’accroche pas vraiment avec cette Haute-Saône. Elle ne me donne pas envie de la photographier.
 

27 juillet 2015


Pourquoi pas la Franche-Comté, me suis-je dit quand il s’est agi de partir un peu de Rouen cet été, une région où je n’ai fait que passer, que je connais peu. Me voici donc parti ce dimanche vingt-six juillet, sans grande envie et avec la volonté d’éviter la région parisienne. Il fait gris et pour arranger les choses, ma petite voiture démarre encore plus mal que d’habitude, non plus au deuxième coup de clé mais au quatrième ou cinquième. Je descends jusqu’à Dreux puis bifurque vers l’Est, passe par Nogent-le-Roi, Maintenon, Etampes, Milly-la-Forêt, Fontainebleau
Une pause s’impose à Pont-sur-Yonne, joli bourg où c’est jour d’imposant marché. Il possède un vieux pont façon Avignon. On n’y danse pas mais on y boit en terrasse, pour ma part un café à un euro vingt. On n’est pas bien loin de Paris mais c’est vraiment la province. « Pourquoi payer plus cher pour bien manger » est-il écrit sur le mur du Tire-Bouchon, un restaurant hélas définitivement fermé.
Je reprends la route, frôle Sens et Troyes sans voir le moindre restaurant de bord de route ouvert. Avant Bar-sur-Aube, à treize heures, je m’arrête au seul possible, nommé La Mangeoire, un grand bâtiment dont le sol est en pavés de rue. Des familles du terroir y mangent. Un jeune homme est dans l’Armée. Sa grand-mère lui demande s’il change ses draps lui-même. Le premier menu est à vingt-six euros. J’y choisis la terrine de lapin et son chutney de figues, la poularde aux petits légumes, fromage et tarte aux pommes. C’est cuisiné sans effort et peu bon. Derrière moi s’installe un jeune couple. Elle l’appelle Mamour. Je dis au serveur que je suis pressé, qu’il m’apporte vite l’addition, et je file.
Après Bar-sur-Aube, c’est Colombey-les-Deux-Eglises et sa croix de Lorraine visible d’aussi loin que la Cathédrale de Chartres ou le Mont-Saint-Michel. Je frôle Chaumont et Langres et entre en Haute-Saône. « Evite Vesoul », m’a écrit quelqu’un qui connaît bien la ville. J’en suis proche quand arrive la fin d’après-midi. Où me loger ? Les maisons d’hôtes sont rares et désertes, les hôtels fermés. Je fais demi-tour et en trouve un au bord de la nationale à La Quarte, nommé Le Vieux Chêne. J’y prends chambre pour la nuit alors qu’il se met à pleuvoir, quarante-quatre euros petit-déjeuner compris sans ouifi. « On aura peut-être Internet en deux mille dix-sept », me dit le patron.
                                                                *
Bar-sur-Aube : souvenir d’une de mes premières vacances. J’étais en compagnie de mon meilleur copain de lycée qui y retrouvait celle qui deviendrait sa femme, dont les parents avaient déménagé des environs de Louviers et ce bourg lointain. J’avais ma première voiture (une Méhari), il n’en avait pas, ceci explique peut-être ma présence. Nous campions et l’après-midi je devais aller prendre un café pendant qu’elle et lui baisaient dans la tente. Au retour, il m’avait demandé d’aller chercher les photos de vacances au Studio Henry à Louviers. Le photographe était furieux : les deux dernières montraient la demoiselle nue les cuisses écartées. « Regardez ! » m’a-t-il dit. Il ne les avait pas tirées et refusa de me donner les autres. Je n’ai jamais dit à mon copain que j’avais vu les négatifs.
 

25 juillet 2015


Est-ce raisonnable d’acheter les Oeuvres (complètes, sans les pamphlets évidemment) de Louis-Ferdinand Céline publiées au Club de l’Honnête Homme en mil neuf cent quatre-vingt-un, neuf lourds volumes tirés sur Vergé d’après des maquettes de Massin, avec des reliures exécutées et gravées à l’or fin et dorées par les Ateliers Mellottée à l’aide de fers originaux, et cela quand je devrais être occupé à préparer mes bagages ? C’est ce que je fais ce vendredi en début d’après-midi, me rendant sous le ciel lourd à la bouquinerie rurale Détéherre qui les propose à deux cent cinquante euros.
La fille de la maison trouve deux cartons, y range mon pesant et volumineux achat et se propose pour m’aider à les porter jusqu’à ma voiture.
-C’est surtout à l’arrivée que j’aurais besoin d’une aide. Si vous voulez, je vous emmène.
-Je ne crois pas que ce soit possible, me répond-elle, on a besoin de moi au magasin.
Son père semble de cet avis. C’est donc avec mes deux bras que je transporte les neuf volumes depuis l’île Lacroix jusqu’à chez moi.
Je me remets de l’effort à la terrasse de L’Interlude, songeant qu’une fois encore j’ai raté les soldes qui m’auraient permis de renouveler ma garde-robe, trop chaud au début, trop d’averses ensuite, et les jours qui passent. C’est mal vêtu que je prendrai dimanche matin la route qui mène en Haute-Saône.
Comme il me manque la carte Michelin de cette contrée, je demande ce samedi matin à Joseph Trotta s’il n’a pas ça dans ses vieux papiers du Clos Saint-Marc. Oui, il a des cartes Michelin dans un carton, me dit-il, mais il n’est pas encore prêt. Je repasse donc à onze heures. Il cherche, me dit qu’il a vu ça quelque part, ne trouve pas, m’abandonne pour aller faire des guili-guilis à un nouveau-né. Je laisse tomber, dis bonjour à un autre bouquiniste plus sympathique qui m’apprend qu’il a une correspondance de Flaubert en quatre volumes, celle de l’édition du centenaire, Ce pourrait être mon premier achat de livres après retour de vacances.
                                                                     *
Le point faible de l’édition de Céline au Club de l’Honnête Homme : elle est illustrée par Raymond Moretti, celui qui a salopé les couvertures du Magazine Littéraire pendant des années.
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Rue de la Croix de Fer, un jeune homme au regard éperdu m’aborde. Je m’attends à une demande d’argent mais c’est la Seine que cherche et vers laquelle court cet échappé de la chanson de Nougaro.
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« De Flaubert à Monet, en passant par Malot et Hugo, ou, plus récemment, Matthieu Chédid, la Seine nourrit les imaginaires. » (Valérie Fourneyron, ancienne Ministre des Sports, ancienne Maire de Rouen, Députée, voulant une part de gâteau pour Le Havre aux Jeux Olympiques convoités par Paris)
 

24 juillet 2015


Assuré de trouver musique à mon goût ce troisième jeudi de terrasses avec Hot Slap, découvert lors de la dernière Fête de la Musique, je vais d’abord place des Floralies et du Socrate réunis voir et entendre Thomas Schoeffler Jr.
Venu d’Alsace, il joue du folk américain, chemise à carreaux et djine à genoux troués. « Bonjour Rouen », « Rouen, je vais te chanter une chanson qui… ». C’est un de ces artistes qui s’adressent à un public globalisé et défini par son lieu d’existence, ce qui me hérisse d’emblée. Le public est composé d’assis des terrasses et d’assis sur les marches et le pourtour du bassin. Un zonard fait son numéro en dansant à sa façon. « Je vous ai amené le soleil du Périgord » déclare-t-il, se croyant l’objet des applaudissements. Je quitte au bout de trois morceaux.
Une splendide voiture au nom de château jouxte la scène où doit jouer Hot Slap Trio, place du Lieutenant-Aubert. Il s’en échappe un musique d’époque. Je salue quelques connaissances. Un petit homme souriant à casquette vient me dit bonjour.
-On se connaît, me dit-il, mais je ne sais plus d’où.
-Val-de-Reuil, tu es instit, non ?
-Ah oui, ça y est, j’y suis, me répond-il.
Il me rappelle son nom.
-Tu as l’air de bien connaître les musiciens, lui dis-je.
-Je suis obligé, c’est mon fils qui tient la guitare.
Ce jeune guitariste, Martin Vivien, est aussi le chanteur et le meneur du trio. Il distribue la liste à jouer au batteur, Franky Wankers. « Pour toi, j’ai écrit en majuscule », lui dit-il. Didier Sel, le contrebassiste à l’impressionnante banane, les rejoint sur scène. Place à la bonne musique des fifties, au rockabilly mâtiné d’un peu de country.
Mon ancien collègue de Val-de-Reuil se lance dans un rock endiablé (comme on dit) avec une jolie créature. A l’invitation de son fils, le public se rapproche, ce qui nuit un peu à la possibilité de danser et aussi (ce n’est pas un mal) aux déplacements dommageables des photographes.
Cette fois-ci, je suis tout à fait disposé à acheter le cédé récemment sorti chez Smap Records, ce que je fais à l’issue du premier set auprès du producteur, l’ami Claude Levieux.
Avant que le Hot Slap Trio ne rejoue, j’ai le temps de passer à la maison. En arrivant rue Saint-Romain, j’ai une grosse frayeur en découvrant à hauteur de ma ruelle plusieurs camions de pompiers le gyrophare en bataille. Par bonheur aucun des hommes du feu n’est présent dans celle-ci. Ils se concentrent sur l’Archevêché. Le service de recherche toxicologique fait des prélèvements dans les soupiraux d’où semble émaner des vapeurs méphitiques ou méphistophéliques.
Un peu avant vingt et une heures, les camions de pompiers sont toujours là, le moteur tournant, quand je rejoins la place pour le second set. Au numéro trois, le jeune homme du premier étage, sous lequel est installé la scène, ferme sa fenêtre et ses rideaux d’un air excédé dès le début du premier morceau.
Un nombreux public se masse devant les musiciens, dont des enivrés de premier rang parmi lesquels quelques-uns que je côtoie parfois à différentes heures et j’ai toujours vus saouls. L’un, au surnom évocateur, danse avec sa bouteille. Près de moi, un homme à salopette fait danser savamment la femme d’un autre. L’harmoniciste prénommé Jean-Luc se joint au trio sur quelques morceaux. A un répertoire surtout composé de reprises s’ajoutent quelques compositions. C’est un excellent moment qui s’achève vers vingt-deux heures trente et me réconcilie temporairement avec les concerts. Quand je rentre à la maison, les pompiers ne sont plus là.
 

23 juillet 2015


Dans le sept heures cinquante-neuf de ce mercredi, à ceux qui utilisent régulièrement ce mode de transport pour aller travailler à Paris s’ajoutent des inhabituels qui ont abandonné la voiture de crainte d’être bloqués au retour par les éleveurs de bovins. Hier soir, avec leurs gros tracteurs, ces derniers ont empêché quiconque d’entrer à Rouen, après avoir fait de même à Caen et Evreux, barré les ponts de Brotonne et de Normandie et déversé du fumier à l’entrée de centres commerciaux.
A l’arrivée, les métros Douze et Huit m’emmènent jusqu’à l’angle des rues Ledru-Rollin et du Faubourg-Saint-Antoine où s’affiche le justicier Nicolas Dupont-Aignan : « Automobilistes méprisés, ne vous laissez plus faire ». Je fais mes courses chez Book-Off puis déjeune rue de Charonne à la terrasse de Chez Céleste pour dix-huit euros cinquante : mixte de pasteis (beignets de poissons divers), colombo de poulet, quart de vin portugais.
Près de moi un trentenaire est rejoint par un peute pas vu depuis longtemps. Ils se parlent avec la gaieté exagérée qui caractérise la conversation de beaucoup de garçons de cette génération. Pourtant celui qui attendait est dans une mauvaise passe : « Victoria s’est barrée du jour au lendemain ». Alors qu’ils s’entendaient très bien. Elle lui a dit : « Je sais pas pourquoi je pars, mais je pars ». Lui qui était si gentil et faisait tout ce qu’elle voulait. Heureusement qu’il n’a pas pris un appartement avec elle. Dans quelle merde il serait. « Je serais en train de pleurer chez mes parents. »
Avant de passer par l’autre Book-Off dont me rapproche le bus Vingt-Neuf, je vais prendre l’ombre dans le jardin du Palais Royal où je réussis à choper une chaise métallique près du bassin à jets d’eau. De jeunes pique-niqueurs y engagent une partie de pétanque (heureusement Barbey d’Aurevilly n’est pas là pour voir ça).
Ils sont remplacés par une poupée vivante en robe rose que l’on maquille et que l’on coiffe avant de la filmer marchant sur le bord du bassin avec à la main des ballons colorés qu’elle laisse s’envoler. A peine le dernier ballon a-t-il disparu dans le ciel mi-bleu mi-nuageux que des autorités badgées arrivent et virent cette équipe artistique qui passe devant moi en manifestant sa mauvaise humeur :
-Les fumiers ! Les veaux !
Le Parisien retourne à ses origines paysannes quand il est en colère.
                                                          *
Un des habituels voyageurs de l’aller travaillant à Paris dans le big data à l’un des inhabituels de sa connaissance travaillant dans le paramédical de pointe :
-Même si vous désactivez les cookies de votre ordinateur, il y a des moyens pour vous repérer grâce aux particularités techniques de chaque machine, par exemple le petit décalage entre son horloge interne et l’heure universelle. On est sûr que c’est vous et on peut vous envoyer des publicités ciblées.
-En même temps, lui répond le novice, je préfère que les publicités qu’on m’envoie soient ciblées, Si je cherche un abri de jardin, c’est bien que j’aie des liens vers les abris de jardin.
-Oui, mais comme on sait dans quelle gamme de prix vous achetez d’habitude, si vous êtes un habitué du premium on vous enverra directement sur les abris de jardin les plus chers, vous ne saurez pas qu’il y avait aussi bien pour moins cher.
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Parmi les livres rapportés de la capitale : La force de vivre, les mémoires d’Erskine Caldwell publiés chez Belfond.
 

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