Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

21 juillet 2017


Troisième semaine de Terrasses du Jeudi, malgré mon envie à la baisse je m’y rends, optant pour un lieu qui m’est familier, Le Son du Cor, mais sans y boire quoi que ce soit, préférant la rive opposée du boulodrome. Bien calé entre deux vélos, j’évite le gros du public.
Celui-ci est nombreux et en majorité masculin pour MNNQNS, un groupe de quatre jeunes rockeurs locaux dont l’un a les cheveux aussi longs que je les avais à son âge. MNNQNS signifie Mannequins (il faut bien se démarquer). C’est du rock à l’ancienne, qui nécessite de s’enfiler des bouchons dans les oreilles. Ainsi protégé, c’est comme si j’écoutais leur musique sans les voyelles. A la fin, le lideur se jette dans le public, une performance un peu trop préparée.
Après avoir fait respirer mes oreilles à la maison, je suis de retour au même endroit, entre deux autres vélos, pour les Goaties, trois petits rigolos à cheveux courts et raie sur le côté, un anneau dans l’oreille et le visage passé à la chaux. Ces Bas-Normands, dont le titre le plus connu est Du whisky pour mon chien, font du « rock-punk des collines ». Ils se recommandent des Frères Jacques et d’Ici Paris, deux excellentes références. Le public est encore plus nombreux et mixte. Je protége une nouvelle fois mon audition et n’entends donc pas grand-chose des paroles des chansons de ces trois zozos mais je profite au mieux de leur jeu de scène et de leurs mimiques de décalqués. Dans le gros du public l’ambiance monte. Ça pogote et ça slamme gentiment. Le photographe officiel arrive en courant lorsque c’est presque terminé. Je ne suis pas surpris de le voir se prendre le pied dans les fils, ce qui a pour effet de  débrancher l’unique projecteur. Deux morceaux joués en rappel augmentent encore l’enthousiasme agité du gros du public. Mes applaudissements m’apparaissent bien silencieux mais ils n’en sont pas moins appuyés.
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D’où je suis j’ai une bonne vision de la terrasse du Son du Cor où picolent de vieux habitués. L’un d’eux tente de trouver encore une goutte d’alcool au fond de son godet en plastique, il aspire le glaçon, le recrache, à moins que ce soit l’une de ses dents.
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Quand le concert de plein air de Cléa Vincent a été annulé pour cause d’orage qui n’est jamais venu, il y a deux semaines, celle-ci s’est rabattue sur le Trois Pièces, ai-je appris tardivement. La page Effe Bé des Terrasses du Jeudi ne l’a pas annoncé, ni celle du Trois Pièces. Cela n’a dû l’être que sur celle de l’artiste, que je ne suis pas. Ce fut donc un concert public mais uniquement pour son réseau d’amitiés réelles ou virtuelles.
Financement participatif pour les disques, concerts en appartement ou plus ou moins réservés à celles et ceux qui sont déjà conquis, la vie d’artiste n’est plus celle que chantait Léo Ferré. Ce copinage omniprésent me désappointe.
Je ne sais si le fait qu’elles et eux se tiennent assez souvent loin d’un vrai public composé de tout venant est l’une des causes de la péremption rapide de ces jeunes chanteuses et chanteurs. Deux ou trois disques, et, ayant lassé leur auditoire, les voilà remplacé(e)s par d’autres qui n’en feront pas davantage.
 

20 juillet 2017


Ce mercredi, la voiture où j’ai place assise dans la bétaillère de sept heures vingt-huit qui mène à la capitale a les deux portières bloquées. Pour y monter ou en descendre, prière de passer par les voitures voisines. Ce n’est pas le moment d’être en situation d’évacuation d’urgence.
L’orage menace. Il est annoncé avec grêle éventuelle par Météo France. Quelques gouttes obligent le chauffeur du bus Vingt à faire fonctionner les essuie-glaces. Une grosse averse s’ensuit, sans éclairs ni tonnerre, pendant que je suis chez Book-Off. J’y trouve à un euro L’Amour mendiant (Notes sur le désir) de Richard Millet (la petite vermillon/ La Table Ronde) et la solitude des mourants de Norbert Elias (Titres/Christian Bourgois).
La drache cesse. Ayant aperçu au passage du bus une exposition de photos qui m’ont semblé intéressantes sur les grilles du square du Temple, je décide d’y retourner à pied.
Arrivé sur place, je déjeune en terrasse chez Manfred, face au jardin à l’angle des rues du Temple et de Réaumur, d’un poulet fermier au Boursin et pommes sautées (très bon) suivi d’un tiramisu traditionnel au café (moyen) que j’accompagne d’un verre de vin rouge de la maison hélas servi frais, ce dont je fais reproche au serveur décontracté avant de payer dix-neuf euros.
L’exposition de plein air est consacrée aux photos prises par Władysław Sławny (né en Pologne et mort à Paris) entre les années mil neuf cent cinquante et un et cinquante-sept, période pendant laquelle il était le chef du service de la photographie du magazine Świat (« Le Monde »).
Ces images relèvent du bon photojournalisme. Elles montrent la vie d’alors dans les Pays de l’Est, à Amsterdam et à Paris. En ce lieu où de nombreux passants passent, je suis le seul à m’y intéresser.
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Le siège tourné vers l’arrière au-dessus de la roue avant gauche des bus parisiens : le meilleur allié de qui aime voir sous les jupes des filles.
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-C’est Cantal le mot de passe, répond la serveuse du Café du Faubourg à celle qui lui demande le code ouifi.
-Cantal ?
Il lui faut épeler.
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« Le silence est révélateur » « Le groupe Flo abandonne ses salariés », manifestation de ceux-ci, soutenus par la Cégété, devant un restaurant fermé du boulevard Saint-Denis.
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Au bout de la rue Béranger, un trentenaire à cravate tente de vendre L’Internationaliste.
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La femme qui découvre que Book-Off ne veut pas de la plupart des livres qu’elle désirait vendre :
-Je suis venu de ma province avec cette lourde valise, si j’avais su…
-On peut les mettre au recyclage si vous ne voulez pas les remporter.
-Ce que je ne veux pas, c’est qu’ils soient jetés.
-Ils vont dans la broyeuse pour faire de la pâte à papier.
-Ah non alors ! Je vais les remporter.
-Voilà, ça vous fait quatre euros soixante.
-Eh bien, j’en ai bavé sang et sueur pour pas grand-chose.
                                                              *
« On se reverra », me dit-elle après que je l’ai fait jouir d’un doigt dextère. Puis elle m’écrit qu’il n’en sera rien.
 

19 juillet 2017


Il y a tout le mal que l’on peut penser de ce qu’est devenu Renaud Camus et ce qu’il était avant, au temps par exemple de son Journal d’un voyage en France publié par Hachette/Pol en mil neuf cent quatre-vingt-un. Ce voyage lui fut payé par Hachette pour qu’en sorte ce livre.
Je l’ai lu avec plaisir il y a quelques semaines.
Renaud Camus se balade en France avec une Air Cinq de location que lui a procurée son éditeur. Il a un budget quotidien, fourni également par Hachette, incluant l’essence, le couvert et le gîte qui ne lui permet que les hôtels modestes, du genre de ceux dont je suis moi-même client.
Il va le plus souvent seul. Parfois sa mère le rejoint à son invitation pour quelques étapes. Selon lui, il n’y a pas meilleur compagnon de voyage mais cela le prive de la pratique de la drague homosexuelle.
Son voyage, effectué entre le mardi quinze avril et le dimanche quinze juin de mil neuf cent quatre-vingt, peut se résumer ainsi : vieux châteaux, menus du jour et sodomies.
Il le mène de Paris à Paris par le Massif Central, la vallée du Rhône, la côte méditerranéenne, les Pyrénées, le Pays Basque, Bordeaux et Poitiers.
Le Nord, l’Est et l’Ouest sont exclus. Dommage que Renaud Camus ne soit pas passé en Normandie. J’y retrouve moult lieux qui me sont familiers et parfois chers, ainsi la ville de Chamalières d’où il est originaire (comme l’une qui une décennie plus tard me tiendra la main).
Durant ma lecture, j’ai pris peu de notes. Celle-ci concerne une ville où je ne suis jamais allé :
Castres a de longue date joui pour moi d’un très grand prestige romanesque, dû pour partie à son nom effrayant, mais surtout à l’absence de toute image précise à elle associée. Je n’ai jamais rencontré, que je sache, personne qui soit de Castres, personne même qui vienne ou revienne de Castres, qui y ait séjourné. (jeudi cinq juin mil neuf cent quatre-vingt)
Mon exemplaire est d’occasion, acheté deux euros à la Librairie de Cluny. Il a été lu attentivement par quelqu’un qui a souligné dans la marge les passages importants pour lui. Ce lecteur a aussi corrigé quelques fautes commises par l’auteur et qu’a laissé passer l’éditeur, barrant par exemple le e de j’aie dans « après que j’aie consulté le garçon ». Ils sont nombreux (comme je l’ai déjà regretté dans un autre texte il y a fort longtemps) à ne pas savoir qu’après « après que » on n’emploie pas le subjonctif, presque tous les journalistes font l’erreur, et pas mal d’écrivains contemporains (certains doivent avoir un bon correcteur).
Ce précédent lecteur ne se contente pas de marquer ce que le retient et de corriger les fautes, parfois il donne aussi son avis. Ainsi quand Renaud Camus écrit le mercredi onze juin mil neuf cent quatre-vingt : J’essaie de penser à une ville de France qui paraisse plus laide qu’Agen sans trouver…, dans la marge il suggère : « Niort ».
Renaud Camus écrit bien, ainsi qu’en témoigne cet extrait :
Devant la porte de la caserne attendent les épouses, souvent dans d’assez grosses et récentes voitures. Une jeune blonde, mâchant du chewing-gum, baigne dans les désirs qu’elle suscite. Sa bouche est incroyablement vulgaire. Trois enfants s’alignent sur la banquette arrière. Tous personnages idéaux pour faits divers à venir. (lundi neuf juin mil neuf cent quatre-vingt à Montauban)
Il me permet aussi d’accroître mon vocabulaire :
Sortie du lycée. Des filles de treize ou quatorze ans tiennent entre le majeur et l’index des mégots dont elles font tomber la cendre d’un pouce dextère. (mardi dix juin mil neuf cent quatre-vingt à Cahors)
                                                     *
Dextère vient de dextérité et signifie donc adroit ou habile.
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales en donne l’emploi suivant :
La conversation est discrète. Chacun dit un mot, presque à son tour, un mot mesuré et vide. (...) Dextères, ils se renvoient le volant. (Joseph Péladan, Le Vice suprême)
 

18 juillet 2017


Recevoir un livre dans un paquet affranchi avec des timbres en francs, c’est possible. Celui-ci, que j’ai acheté via Internet, m’a été envoyé par un bouquiniste de Cuisery, Village du Livre. Il m’est parvenu sans encombre la semaine dernière.
L’enveloppe est couverte de ce qu’on appelait des beaux timbres (comme La Poste n’en fait plus), quatre de cinq francs (Tête de Christ de Wissembourg, Cambodgienne assise de Rodin, Vieira da Silva, Takis), un de quatre francs quarante (Bastia) et un de quatre francs trente (Débarquement de Normandie), l’équivalent à peu près de quatre euros quarante.
La fille Le Pen aurait gagné l’élection présidentielle ? Aurais-je glissé dans une uchronie ?
Point du tout, renseignements pris, cet affranchissement en francs est légal. On peut même utiliser les timbres en anciens francs. Seuls ceux à l’effigie du Maréchal Pétain sont interdits.
Reste à mettre la main sur un vieux stock de ces timbres et à l’acheter à bon prix pour poster à moindre frais.
                                                       *
De passage dans l’île Lacroix où une aimable personne me livre des livres, j’y découvre un monument funéraire temporaire. Celui qu’ont édifié les voisin(e)s d’une résidente de quatre-vingt-cinq ans tuée alors qu’elle traversait la rue par un automobiliste de dix-huit ans ébloui par le soleil.
                                                      *
Le chapeau de JR, les lunettes de JR, la barbe de JR, ils tirent leurs chariots d’où dépasse la botte de poireaux, c’est le retour du marché du dimanche à Rouen.
                                                      *
-On a eu un rancard chez Pias.
-C’est quoi Pias ?
-C’est un gros label. Ils ont leurs bureaux dans le neuvième, donc ça va encore.
Le réalisateur du futur dévédé sur Mingus, qui a un moment a été sorti du jeu et donc a fait une pub pour Sephora, mangeant au Sushi Tokyo de la rue Verte avec un copain qui se laisse facilement éblouir.
                                                      *
« Tu te calmes, tu te calmes, tu cesses de penser que les choses t’échappent et ça ira mieux. Puis là je te laisse, je suis avec ma famille. » (Un garçon un peu énervé au téléphone, il parlait à son copain)
                                                      *
-Tu vas dans le sud alors ?
-En Indre-et-Loire.
 

17 juillet 2017


Auffay, Longueville-sur-Scie, Saint-Aubin-sur-Scie, puis le tunnel, et enfin, après une heure de trajet depuis la gare de Rouen, c’est Dieppe, ce vendredi matin quatorze juillet. A l’arrêt en gare, le chef de bord du petit train tranquille nous souhaite « une excellente journée et une bonne Fête Nationale ». Jamais encore quiconque ne m’a souhaité une telle chose.
De cette dernière, il est question au Tout Va Bien, précisément du feu d’artifice tiré la veille à onze heures : « Ils ont mis le feu à côté du château, ces cons-là ». Je lis là D’un moi à l’autre de Massin, à l’intérieur, car le temps est gris et frais. Ce qui me convient, mais déçoit les vacanciers.
Il est aussi question d’un défilé mais j’ignore où. En revanche je sais que Miss Belgique est attendue à l’hippodrome.
A midi, je déjeune à L’Espérance, quai Duquesne, lequel en ce jour férié propose un menu à treize euros quatre-vingt-quinze dans lequel je choisis la cassolette de bulots, les rognons de bœuf sauce moutarde frites maison et la tarte normande. J’accompagne cela d’une chopine de merlot. Dommage que le pain soit mou et fade, sans doute décongelé.
Ce restaurant est délaissé par les touristes, mais est couru par des gens du cru plus tout jeunes. Les deux tables derrière moi font connaissance :
-A nos âges, à part casser la croûte et faire la sieste, y a plus grand-chose… Ah si, le Tour de France à la télé.
Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance.
Un couple de trentenaires a pour invitée une femme de même âge qui ne cesse de parler. Son dessert est surmonté d’une bougie scintillante. « Bon anniversaire ! », lui dit l’une des serveuses. « Ce n’est pas mon anniversaire, c’est une réussite professionnelle », s’exclame l’invitée. « Bonne réussite professionnelle alors ». C’est décidément le jour des souhaits insolites. Travail, Patrie, il ne manque que la Famille. Elle arrive sous forme d’une mère seule avec ses trois moutards que l’on installe à la table ronde.
-Oh, y a même un menu spécial pour les enfants ! s’exclame la nouvelle arrivée avec la même absence de naturel qu’Edouard Philippe (Premier Ministre) jouant la surprise indignée devant le découvert laissé par François Hollande (ancien Président).
Il est presque treize heures trente quand, le café bu, je quitte le port et entre en ville passant par les deux bouquineries du lieu : A la Bonne Fortune, dans une rue qui a perdu sa plaque, salon de thé, livres, dévédés, vinyles (on y entend Lou Reed), et la Librairie Marc Simon, près de l’église Saint-Rémy complètement bâchée. L’une et l’autre sont peu faites pour moi.
Je grimpe au Château. Effectivement, cela sent le brûlé. L’herbe des talus est bien noircie. Sur un banc dominant la plage où peu s’attardent et la mer où aucun ne nage, je poursuis ma lecture des souvenirs de Massin.
Redescendu, je prends au café aux Tribunaux. Le chic du lieu est gâché par la présence vulgaire d’une télé. On y montre le Tour de France.
Au retour à Rouen, je peux prendre la diagonale par le square Verdrel. Ce qu’il en reste est rouvert à la population. Allées bétonnées, pelouse ayant du mal à pousser, arbres disparus, jeux d’enfants réduits à pas grand-chose et cygnes encore absents lui donnent une apparence sinistre.
                                                                      *
Olivier Py romancier écrit Les Parisiens que publient les amis d’Actes-Sud. Il demande à Olivier Py dramaturge d’en faire une adaptation théâtrale. Ce dernier demande à Olivier Py metteur en scène de la monter (comme on dit). Lequel demande à Olivier Py directeur du Festival d’Avignon de la mettre au programme dudit. Et Py quoi encore.
                                                                     *
Rencontre Trump/Macron : les hommes au château (Donald et Emmanuel), les femmes à l’église (Melania et Brigitte), c’est la toujours nouvelle modernité.
                                                                     *
Le Hulot qui annonce la fermeture de dix-sept réacteurs nucléaires d’ici deux mille vingt-cinq.
Deux mille vingt-cinq, c’est très bientôt. Si je suis encore vivant, j’aurai soixante-quinze ans. Je n’ai pas besoin d’attendre d’avoir cet âge regrettable pour savoir qu’il n’en sera rien.
A moins que d’ici là, une guerre nucléaire ait ravagé la planète.
 

15 juillet 2017


Du bleu et du gris dans le ciel, pas de vent, aucune raison pour les autorités qui nous veulent du bien, ce deuxième jeudi du mois de juillet, d’interdire qu’ait lieu les concerts prévus devant les terrasses rouennaises.
J’opte pour celle du Flo’s et du Socrate réunis mais n’y cherche pas place assise, préférant être debout à dix-neuf heures pour les Sharkettes, trois filles d’ici énergiques, guitare, basse ou violon, batterie, qui chantent en anglais à trois voix. Le Kalif, l’institution locale chargée de la programmation, qualifie leur musique de « garage-blues enfumé qui lorgne vers le post-punk ». Je ne saurais mieux dire. Celle aux cheveux teints en blond platine prend bien la lumière du soleil. « On est contentes d’être là et en plus y a pas d’orage », se réjouit-elle. J’aime ça mais abandonne le trio avant la fin de sa prestation pour rejoindre la place Saint-Marc où à vingt heures m’appelle un autre trio rouennais, celui constitué par Vanessa Rebecker et ses deux musiciens dont je connais un de vue, sans doute croisé à une terrasse. « Une « manic pixie girl » sortie d’une comédie romantique primée à Sundance », dit le Kalif. Je ne saurais dire mieux. Elle a un joli sourire et, dit-elle, chante surtout l’amour mais comme c’est en anglais je ne sais ce qu’elle en dit. Je dois, elle aussi, l’abandonner trop vite, pour retourner place du Flo’s et du Socrate réunis, afin d’y voir et entendre, à vingt heures quarante-cinq, Enablers, groupe venu de San Francisco plus populaire en Europe qu’aux Etats-Unis. Il est mené par Pete Simonelli « adepte du spoken-word, l’un des maîtres actuels de la littérature mise en musique » (dit le Kalif). Ce poète, dont malheureusement je ne comprends mot, est également un maître de la gestuelle. Son concert chorégraphique est à haute puissance. J’y risque mes vieilles oreilles sans bouchons. Le public est surtout masculin, et pour une part buveur de bière, comme Simonelli, qui finit un peu embrumé mais sans rien perdre de ses moyens. Il est vingt-deux heures quand Enablers termine son rappel. Me retournant, je constate que la terrasse du Flo’s s’est partiellement dégarnie. La poésie post punk à haut volume, ça ne plait pas à tout le monde.
Trois bonnes découvertes, me dis-je en rentrant, mais qui ne suffisent pas à me faire oublier que je n’ai pu la semaine dernière voir et ouïr Cléa Vincent.
                                                           *
Venus en parasites faire la promotion de la Fête de l’Humanité, les Jeunes Communistes distribuent leurs flayeurs (que personnellement je refuse). La Liberté, la Justice, la Paix, revendiquent-ils. Quand on fait de la paix un slogan, c’est que la guerre n’est pas loin.
                                                           *
Autre parasite, papillonnant lourdement autour des artistes, le photographe officiel des Terrasses du Jeudi. Contrairement aux années précédentes il ne mâchouille pas de chouine-gomme, mais se soucie toujours aussi peu de ceux qui filment avec discrétion. On le verra cavalant à demi penché sur toutes les vidéos des concerts de la soirée.
 

14 juillet 2017


Ce mercredi, en début d’après-midi, j’utilise ma carte d’adhérent du Centre Pompidou où je vais moins qu’autrefois. Les expositions proposées depuis un certain temps sont souvent de celles que je n’irais pas voir sans cette carte. Celle qui, en ce jour légèrement pluvieux, me fait monter au sixième étage est la rétrospective David Hockney, hommage d’une institution qui fête ses quarante ans à un artiste qui en a deux fois plus.
Aucune attente pour entrer mais du monde à l’intérieur, je passe vite dans les deux premières salles qui montrent les tâtonnements de la jeunesse et arrive au bord de la piscine qui est automatiquement associée au nom de Hockney.
La peinture de David Hockney ne m’excite guère, superficielle et lisse qu’elle est. Que cette exposition ait lieu au moment de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron est une coïncidence non dénuée de sens. D’ailleurs n’est-ce pas lui, Macron, de profil dans ce tableau de mil neuf cent soixante-neuf ? Il montre le duo Henry Geldzahler/Christopher Scott. Ce dernier, montré de profil, est le quasi sosie par anticipation de notre Jupiter.
Un groupe en visite guidée suit une femme qui fait une comparaison de perspectives entre deux tableaux sans rien en dire d’autre.
La suite est de plus en plus colorée, natures mortes et paysages, Une salle est consacrée à une installation vidéo montrant les quatre saisons. Ailleurs sont des autoportraits dessinés. J’aime assez ceux en noir et blanc.
La dernière salle est consacrée aux « Peintures fraîches ». La plus récente date de deux mille dix-sept et se nomme en français La naissance, la copulation et la mort. Voilà ce qui nous reste quand on vient aux choses sérieuses. Elle montre un couple qui baise sur un lit près d’un berceau garni.
Sur le mur du Centre Pompidou, avant la sortie de sa rétrospective, David Hockney de passage à Paris a écrit « Love life ».
 

13 juillet 2017


Sous le parapluie je rejoins ce mercredi encore la gare de Rouen. Plus question d’y prendre le train confortable de sept heures cinquante-neuf pour Paris qui avait ma préférence. En raison des vacances, la Senecefe oblige traîneurs de valise et porteurs d’ordinateur à se concentrer dans la bétaillère de sept heures vingt-huit. D’où l’importance, si l’on veut voyager assis, d’être en face d’une porte lors de l’arrêt du train. Ce que je réussis à la perfection pour cette fois. Au piano de la gare de Saint-Lazare, l’un que je ne vois pas joue (très bien) l’Aline de Christophe.
Cette arrivée tôt me permet de musarder avec le bus Vingt entre Saint-Lazare et Bastille. Contourner, au milieu des scouteurs, les camions de livraison garés dans sa voie réservée, c’est la tâche ardue du conducteur qui a la clochette énervée. Il pleut peu.
La question que l’on se pose au Café du Faubourg est « Tu pars quand ? », suivie de « Tu vas où ? ». Il y a celui qui pour aller en Australie fera vingt heures d’avion et celle qui ira chez sa grand-mère à Menton. Personne pour répondre « Je ne pars pas ». Mon café bu, j’attends que le rideau de Book-Off se lève. Parmi les livres à un euro, je déniche Slogans de Gus Boffa (Editions Cornélius) et le Code des gens honnêtes de Balzac (L’Ecole des Lettres/Seuil).
Il ne pleut plus quand je rejoins pédestrement Beaubourg où je déjeune dans l’impasse de ce nom chez New New avant d’entrer au Centre Pompidou afin d’y voir l’exposition David Hockney.
                                                                 *
Rue du Faubourg Saint-Antoine, un vélo dont la roue avant crevée est posée sur une trottinette, le tout étant poussé sur le trottoir par un homme qui fait son possible pour ne pas avoir l’air ridicule.
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Une femme à l’un de ses collègues chez New New : « T’as l’air timide et réservé ». Le genre de propos qui met à l’aise.
                                                                 *
Ranger Les Kâma Sûtra de Vâtsyâyana (Dix/Dix-Huit) au rayon Education, initiative louable d’un(e) employé(e) de Book-Off.
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Alors que pour un habitant de Rouen, Caen, Amiens, Troyes, Reims, Orléans et j’en passe, se rendre à Paris et en revenir est une bagatelle qui ne nécessite que la journée, pour un habitant de Paris envisager de se rendre à Rouen, Caen, Amiens, Troyes, Reims, Orléans et j’en passe, l’amène à songer à un hébergement pour la nuit.
La province, c’est tellement loin.
 

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