Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
17 mai 2015
« Crémaillère à l’Ascension », un évènement Effe Bé de nature à susciter la contrepèterie mais celle-ci n’est pas parfaite. En revanche l’accueil de l’invitante l’est, qui fut ma collègue du temps de mes dernières années en maternelle. Dans quelques années, ce sera à son tour d’être à la retraite, d’où un déménagement préventif au septième étage d’un immeuble de la rive gauche de Rouen avec vue et balcon sur Le Grand-Quevilly, le Zénith, l’antenne et la forêt des Essarts, et aperçu sur la Cathédrale et une partie de la rive droite depuis la chambre.
Arrivé un peu en avance, après avoir salué fils et fausse fille, je m’emploie à descendre les poubelles au niveau moins un. L’ascenseur est d’une espèce protégée, j’en use donc avec précaution afin qu’il me remonte. Bientôt se présentent les autres invité(e)s, des institutrices avec maris de diverses professions, des sans mari, une animatrice, un instituteur artiste peintre, un travailleur manuel. Les quatre enfants filles présentes sont remisées dans la chambre, on ne les entendra pas. Sans attendre qu’arrive la quatorzième invitée, une baroudeuse qui a couru la terre entière mais est perdue entre Sotteville et Rouen, notre hôtesse se lance dans sa grande spécialité : la fabrication de mojitos.
C’est le début d’une longue après-midi de libations, d’agapes et de discussions un peu décousues et souvent fielleuses ; certaines des invitées étant, à mon contentement, de vraies langues de vipère avec qui j’aurais bien aimé travailler (mais pas question que j’y retourne). Une averse vient mettre son grain de pluie sur la baie vitrée. Sur la table basse se succèdent de nombreux petits plats, puis du foie gras, puis le rôti et ses salades, puis des fromages, enfin des pâtisseries au citron. Il est dix-huit heures trente, le temps étant à l’éclaircie, lorsque s’achèvent les festivités.
Bien qu’ayant bu deux grands mojitos, deux verres de vin, deux coupes de champagne et un petit verre de rhum arrangé, je ne me sens pas du tout ivre et pourrais même rentrer au volant de ma voiture, mais c’est à pied que je suis venu et que je rejoins la rive droite.
Arrivé un peu en avance, après avoir salué fils et fausse fille, je m’emploie à descendre les poubelles au niveau moins un. L’ascenseur est d’une espèce protégée, j’en use donc avec précaution afin qu’il me remonte. Bientôt se présentent les autres invité(e)s, des institutrices avec maris de diverses professions, des sans mari, une animatrice, un instituteur artiste peintre, un travailleur manuel. Les quatre enfants filles présentes sont remisées dans la chambre, on ne les entendra pas. Sans attendre qu’arrive la quatorzième invitée, une baroudeuse qui a couru la terre entière mais est perdue entre Sotteville et Rouen, notre hôtesse se lance dans sa grande spécialité : la fabrication de mojitos.
C’est le début d’une longue après-midi de libations, d’agapes et de discussions un peu décousues et souvent fielleuses ; certaines des invitées étant, à mon contentement, de vraies langues de vipère avec qui j’aurais bien aimé travailler (mais pas question que j’y retourne). Une averse vient mettre son grain de pluie sur la baie vitrée. Sur la table basse se succèdent de nombreux petits plats, puis du foie gras, puis le rôti et ses salades, puis des fromages, enfin des pâtisseries au citron. Il est dix-huit heures trente, le temps étant à l’éclaircie, lorsque s’achèvent les festivités.
Bien qu’ayant bu deux grands mojitos, deux verres de vin, deux coupes de champagne et un petit verre de rhum arrangé, je ne me sens pas du tout ivre et pourrais même rentrer au volant de ma voiture, mais c’est à pied que je suis venu et que je rejoins la rive droite.
16 mai 2015
Couché à minuit et quart, levé à cinq heures, je sais que ma journée parisienne va être difficile mais c’est néanmoins d’un bon pas que je remonte la rue de la Jeanne jusqu’à la gare. A peine y suis-je assis qu’Alain Rault, aka le Playboy Communiste, vient à moi. Je lui donne la pièce qu’il attend, une femme à valise complète et il va prendre un café à la machine, son éternelle couverture sur les épaules.
Le train va son chemin. J’y lis la Philosophie pratique de Giacomo Leopardi, des extraits de son Zibaldone classés par ordre alphabétique, une édition Rivages poche. A Saint-Lazare, j’emprunte le bus Vingt jusqu’à la Bastille. Je bookoffie un bon moment sans grand succès puis rejoins le marché d’Aligre. Les livres y sont nombreux mais pas davantage pour moi.
A midi, je déjeune à La Forge Royale, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d’un croustillant de chèvre suivi d’une chiraquienne tête de veau sauce gribiche. Au plafond sont inscrits à la craie divers messages susceptibles de faire réfléchir. J’en retiens deux : une citation de Victor Hugo La musique c’est du bruit qui pense et un proverbe peut-être africain Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire. Avec un quart de vin rouge cela fait seize euros quatre-vingts.
Le café, je le prends à la Clef des Champs, rue des Petits Champs, où je reste un long moment, trop fatigué pour marcher, à lire Leopardi et à écouter avec quel plaisir gourmand, ce mercredi, les habitué(e)s du lieu se souhaitent un bon ouiquennede.
Après être passé par l’autre Book-Off sans plus de succès, de moins en moins capable de crapahuter, je trouve refuge chez Léon. A dix-huit heures, j’y commande une portion de frites accompagnée de mayonnaise de la maison et d’un verre de côtes-du-rhône.
-Ça vous a redonné la frite ? me demande l’une des tenancières en récupérant mon assiette vide.
Bien que claqué, je ne m’endors pas dans le train du retour où je termine Leopardi. Hormis deux courts arrêts en pleine voie, il va son chemin sans encombre. La rupture de caténaire, c’était hier.
*
Tous ces touristes occupés(e)s à photographier l’Opéra Garnier, je me demande ce qu’ils y voient, n’ayant jamais pu trouver le moindre intérêt architectural à cette pâtisserie crémeuse. Les plus riches boivent un verre à la terrasse du Café de la Paix, l’une des plus renommées et des moins agréables de la ville, coincés contre le mur, soumis à l’incessant passage des piétons, respirant à pleins poumons les gaz délétères des pots d’échappement.
*
Je sais maintenant à quelle construction œuvrent les grues rouges dressées vers le ciel à la sortie de la capitale : celle du nouveau Palais de Justice, bâtiment qui sera aussi imposant qu’effrayant.
*
Julien Coupat, encore un révolutionnaire qui finit sur France Inter. Et aussi dans le Nouvel Obs. Pour lui, Cabu était le dessinateur de l’émission de Dorothée qu’il voyait à la télé quand il était enfant. Il a quarante ans et a donc raté les épisodes précédents.
Le train va son chemin. J’y lis la Philosophie pratique de Giacomo Leopardi, des extraits de son Zibaldone classés par ordre alphabétique, une édition Rivages poche. A Saint-Lazare, j’emprunte le bus Vingt jusqu’à la Bastille. Je bookoffie un bon moment sans grand succès puis rejoins le marché d’Aligre. Les livres y sont nombreux mais pas davantage pour moi.
A midi, je déjeune à La Forge Royale, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d’un croustillant de chèvre suivi d’une chiraquienne tête de veau sauce gribiche. Au plafond sont inscrits à la craie divers messages susceptibles de faire réfléchir. J’en retiens deux : une citation de Victor Hugo La musique c’est du bruit qui pense et un proverbe peut-être africain Le coassement des grenouilles n’empêche pas l’éléphant de boire. Avec un quart de vin rouge cela fait seize euros quatre-vingts.
Le café, je le prends à la Clef des Champs, rue des Petits Champs, où je reste un long moment, trop fatigué pour marcher, à lire Leopardi et à écouter avec quel plaisir gourmand, ce mercredi, les habitué(e)s du lieu se souhaitent un bon ouiquennede.
Après être passé par l’autre Book-Off sans plus de succès, de moins en moins capable de crapahuter, je trouve refuge chez Léon. A dix-huit heures, j’y commande une portion de frites accompagnée de mayonnaise de la maison et d’un verre de côtes-du-rhône.
-Ça vous a redonné la frite ? me demande l’une des tenancières en récupérant mon assiette vide.
Bien que claqué, je ne m’endors pas dans le train du retour où je termine Leopardi. Hormis deux courts arrêts en pleine voie, il va son chemin sans encombre. La rupture de caténaire, c’était hier.
*
Tous ces touristes occupés(e)s à photographier l’Opéra Garnier, je me demande ce qu’ils y voient, n’ayant jamais pu trouver le moindre intérêt architectural à cette pâtisserie crémeuse. Les plus riches boivent un verre à la terrasse du Café de la Paix, l’une des plus renommées et des moins agréables de la ville, coincés contre le mur, soumis à l’incessant passage des piétons, respirant à pleins poumons les gaz délétères des pots d’échappement.
*
Je sais maintenant à quelle construction œuvrent les grues rouges dressées vers le ciel à la sortie de la capitale : celle du nouveau Palais de Justice, bâtiment qui sera aussi imposant qu’effrayant.
*
Julien Coupat, encore un révolutionnaire qui finit sur France Inter. Et aussi dans le Nouvel Obs. Pour lui, Cabu était le dessinateur de l’émission de Dorothée qu’il voyait à la télé quand il était enfant. Il a quarante ans et a donc raté les épisodes précédents.
15 mai 2015
Il faut vraiment que j’aie envie d’entendre Dominique A pour affronter la perspective du concert debout. A pied, ce mardi douze au soir, je rejoins le lointain Cent Six et prends place dans la file bétailleuse qui attend l’ouverture des portes. Derrière moi, des enseignants parlent de la semaine européenne, de la semaine culturelle et des collègues.
Après avoir franchi sans souci les vigiles, je me place au quatrième rang face au micro central. Celui-ci est d'abord à l’usage d’un chanteur de première partie, physiquement un fils de Jean Ferrat, musicalement un enfant illégitime de Noir Désir. Côté musique : guitare qui se fait plaisir et machine qui fait des boucles, côté paroles : lyrisme fumeux.
A la fin de son premier morceau, une voix venue de la salle se fait entendre :
-Moins fort. Ça fait mal aux oreilles. On n’entend pas les paroles.
-C’est pas prévu, lui répond l’artiste.
Il enchaîne avec sa deuxième chanson. Tout à l’heure, à L’Armitière, Dominique A disait que faire de la musique, c’était parfois obliger les autres à se taire. J’affronte cette épreuve en faisant de mes doigts des bouchons d’oreille. Au bout de cinq ou six morceaux, dont mes voisin(e)s disent du mal tout en applaudissant, ce mauvais moment s’achève.
-C’était qui ? demande l’un.
-Il nous a pas dit son nom, dit un autre.
Je l’ai lu, écrit sur une affichette à l’entrée : Olivier Depardon.
Suit le long moment vide de la mise en place des instruments pour la suite. Que de temps perdu, me dis je, fulminant intérieurement.
Dominique A arrive enfin, ayant remplacé la chemise bleue à manches courtes par une grise à manches longues retroussées. Il est accompagné par trois musiciens et s’empare (comme on dit) de sa guitare.
-J’aime bien ta gratte, dit l’un dans la foule.
C’est le début de pas mal de réflexions pas très fines polluant l’intervalle entre deux chansons, auxquelles le chanteur répond à sa manière, simple et naturelle. Comme mon voisinage est devenu silencieux, je peux bénéficier d’une audition parfaite des morceaux de l’album Eléor. L’interprète n’a pas perdu sa gestuelle, son bras fait toujours la vague quand il ne gratte pas son instrument. Derrière lui, les trois assurent. Aux claviers c’est Boris le hipsteure, à la batterie Sacha le normal et à la basse Jeff le hibou halluciné.
« En concert, j’aime que mon public en ait pour son argent », disait tout à l’heure Dominique A à L’Armitière. Il revient une première fois longuement, puis une seconde pendant laquelle il interprète avec ses trois acolytes quelques succès du passé dont une version très rock du Courage des oiseaux. Des morceaux qui tournent parfois au maelström musical mais dont je ne profite pas aussi bien que je le souhaiterais pour cause de douleur croissante dans les pieds et d’engourdissement qui remonte jusqu’aux épaules. La peste soit des concerts debout du Cent Six, combien c’était mieux quand je pouvais voir et entendre Dominique A confortablement assis au Hangar Vingt-Trois.
Il est minuit et quart lorsque j’arrive à la maison, mon réveil étant réglé sur cinq heures en raison du mercredi à Paris, cela laisse peu de temps au sommeil.
*
Les interventions bêtes du public, une conséquence des concerts debout, ils libèrent l’esprit troupeau.
*
Je rentre à Bruxelles sitôt après le concert, expliquait Dominique A à la libraire ébahie. « C’est ça ma vie ».
*
Une chanson de lui que j’aime beaucoup Au revoir mon amour. Quand il la chante sur scène, on entend « En revoir mon amour ». Ce « en » à la place du « au », pratique courante dans le milieu populaire où s’en déroulée mon enfance. En revoir, à demain.
Après avoir franchi sans souci les vigiles, je me place au quatrième rang face au micro central. Celui-ci est d'abord à l’usage d’un chanteur de première partie, physiquement un fils de Jean Ferrat, musicalement un enfant illégitime de Noir Désir. Côté musique : guitare qui se fait plaisir et machine qui fait des boucles, côté paroles : lyrisme fumeux.
A la fin de son premier morceau, une voix venue de la salle se fait entendre :
-Moins fort. Ça fait mal aux oreilles. On n’entend pas les paroles.
-C’est pas prévu, lui répond l’artiste.
Il enchaîne avec sa deuxième chanson. Tout à l’heure, à L’Armitière, Dominique A disait que faire de la musique, c’était parfois obliger les autres à se taire. J’affronte cette épreuve en faisant de mes doigts des bouchons d’oreille. Au bout de cinq ou six morceaux, dont mes voisin(e)s disent du mal tout en applaudissant, ce mauvais moment s’achève.
-C’était qui ? demande l’un.
-Il nous a pas dit son nom, dit un autre.
Je l’ai lu, écrit sur une affichette à l’entrée : Olivier Depardon.
Suit le long moment vide de la mise en place des instruments pour la suite. Que de temps perdu, me dis je, fulminant intérieurement.
Dominique A arrive enfin, ayant remplacé la chemise bleue à manches courtes par une grise à manches longues retroussées. Il est accompagné par trois musiciens et s’empare (comme on dit) de sa guitare.
-J’aime bien ta gratte, dit l’un dans la foule.
C’est le début de pas mal de réflexions pas très fines polluant l’intervalle entre deux chansons, auxquelles le chanteur répond à sa manière, simple et naturelle. Comme mon voisinage est devenu silencieux, je peux bénéficier d’une audition parfaite des morceaux de l’album Eléor. L’interprète n’a pas perdu sa gestuelle, son bras fait toujours la vague quand il ne gratte pas son instrument. Derrière lui, les trois assurent. Aux claviers c’est Boris le hipsteure, à la batterie Sacha le normal et à la basse Jeff le hibou halluciné.
« En concert, j’aime que mon public en ait pour son argent », disait tout à l’heure Dominique A à L’Armitière. Il revient une première fois longuement, puis une seconde pendant laquelle il interprète avec ses trois acolytes quelques succès du passé dont une version très rock du Courage des oiseaux. Des morceaux qui tournent parfois au maelström musical mais dont je ne profite pas aussi bien que je le souhaiterais pour cause de douleur croissante dans les pieds et d’engourdissement qui remonte jusqu’aux épaules. La peste soit des concerts debout du Cent Six, combien c’était mieux quand je pouvais voir et entendre Dominique A confortablement assis au Hangar Vingt-Trois.
Il est minuit et quart lorsque j’arrive à la maison, mon réveil étant réglé sur cinq heures en raison du mercredi à Paris, cela laisse peu de temps au sommeil.
*
Les interventions bêtes du public, une conséquence des concerts debout, ils libèrent l’esprit troupeau.
*
Je rentre à Bruxelles sitôt après le concert, expliquait Dominique A à la libraire ébahie. « C’est ça ma vie ».
*
Une chanson de lui que j’aime beaucoup Au revoir mon amour. Quand il la chante sur scène, on entend « En revoir mon amour ». Ce « en » à la place du « au », pratique courante dans le milieu populaire où s’en déroulée mon enfance. En revoir, à demain.
14 mai 2015
A l’exemple de la Fnaque vendant des aspirateurs, L’Armitière vend désormais des jouets rue des Basnages. Toute la librairie est donc rue de la Jeanne, là où autrefois on ne vendait que les livres pour la jeunesse et la presse.
A dix-sept heures trente, Dominique A doit venir y parler de son dernier livre signé Dominique Ané (il s’agit sûrement pour lui de différencier son activité de chanteur et d’écrivain, une bonne intention mise à mal par les Editions Stock qui ont muni chaque exemplaire de Regarder l’océan d’un grand bandeau rose marqué « Dominique A »).
J’entre donc pour la première fois ce mardi douze mai dans ce bel endroit au sol pavé et aux murs de briques éclairé par une verrière.
Avant de monter à l’étage où sont alignées les chaises, je regarde ce qui est proposé sur les tables du bas consacrées à la littérature. De nombreux livres sont ornés d’un bandeau mis en place par les libraires « À lire absolument ». Ils sont signés par Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille, Graziella, etc. Cette injonction a pour effet de me dissuader de les regarder de plus près.
A l’étage sont ce qu’on appelle les beaux livres. Je fouille un moment dans les rayonnages de livres d’art (aucun sur Balthus et Egon Schiele). Une femme à cheveux gris demande à la libraire présente (est-ce Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille ou Graziella ?) un livre sur l’intestin.
-Ce n’est pas Notre deuxième cerveau, l’intestin ? lui demande la professionnelle (Le titre exact est Le ventre, notre deuxième cerveau).
-Non, non, lui dit la dame.
L’ordinateur finit par donner le titre : Le charme discret de l’intestin. « Il n’est pas disponible mais on peut vous le commander ». L’Armitière vient de fêter ses cinquante ans, cela fait déjà un moment qu’elle a des problèmes d’intestin.
Quand s’installent les premières et premiers intéressé(e)s par la rencontre, je m’assois à l’extrémité de la première rangée. Une femme choisit l’arrière et s’en explique à voix haute : « Moi, je suis fan, j’écoute tout le temps, mais je veux pas être trop près, j’aime pas du tout son visage, son visage ne correspond pas à sa voix. » Quand arrive l’ami Masson avec le petit livre de l’invité en main, ma voisine me propose de permuter avec elle afin que nous soyons côte à côte. Elle non plus ne veut pas être trop près. Nous deux, on n’a pas peur d’être proche de Dominique A(né).
A l’heure dite, celui-ci surgit par bâbord accompagné de l’habituelle libraire questionneuse à fiches. Chemisette bleue, pantalon noir, chaussures noires, son bonjour est à son image : simple et naturel. Je ne me souviens plus des questions mais dans les réponses il y a des choses comme « L’écriture, c’est un peu comme l’horticulture, on dégage le terrain, on élague. » « J’aurais bien aimé atteindre cent pages, mais non. » D’autres propos révèlent la part importante prise par l’éditrice Brigitte Giraud, employée de Stock et elle-même auteure, dans la rédaction des textes de ce Regarder l’océan, lesquels ont tous à voir avec l’enfance et l’adolescence. Dominique A(né) évoque aussi son habitude d’aller lire dans une brasserie de Bruxelles, le bruit ambiant aidant à cet exercice. En ce moment, il lit Sebald. La libraire à fiches sourit d’un air entendu. Des questions venues du public suivent puis c’est le moment de la signature des livres. L’ami Masson prend place dans la file tandis que je file afin de dîner avant de retrouver Dominique A en concert au Cent Six.
A dix-sept heures trente, Dominique A doit venir y parler de son dernier livre signé Dominique Ané (il s’agit sûrement pour lui de différencier son activité de chanteur et d’écrivain, une bonne intention mise à mal par les Editions Stock qui ont muni chaque exemplaire de Regarder l’océan d’un grand bandeau rose marqué « Dominique A »).
J’entre donc pour la première fois ce mardi douze mai dans ce bel endroit au sol pavé et aux murs de briques éclairé par une verrière.
Avant de monter à l’étage où sont alignées les chaises, je regarde ce qui est proposé sur les tables du bas consacrées à la littérature. De nombreux livres sont ornés d’un bandeau mis en place par les libraires « À lire absolument ». Ils sont signés par Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille, Graziella, etc. Cette injonction a pour effet de me dissuader de les regarder de plus près.
A l’étage sont ce qu’on appelle les beaux livres. Je fouille un moment dans les rayonnages de livres d’art (aucun sur Balthus et Egon Schiele). Une femme à cheveux gris demande à la libraire présente (est-ce Roselyne, Amélie, Alexandra, Camille ou Graziella ?) un livre sur l’intestin.
-Ce n’est pas Notre deuxième cerveau, l’intestin ? lui demande la professionnelle (Le titre exact est Le ventre, notre deuxième cerveau).
-Non, non, lui dit la dame.
L’ordinateur finit par donner le titre : Le charme discret de l’intestin. « Il n’est pas disponible mais on peut vous le commander ». L’Armitière vient de fêter ses cinquante ans, cela fait déjà un moment qu’elle a des problèmes d’intestin.
Quand s’installent les premières et premiers intéressé(e)s par la rencontre, je m’assois à l’extrémité de la première rangée. Une femme choisit l’arrière et s’en explique à voix haute : « Moi, je suis fan, j’écoute tout le temps, mais je veux pas être trop près, j’aime pas du tout son visage, son visage ne correspond pas à sa voix. » Quand arrive l’ami Masson avec le petit livre de l’invité en main, ma voisine me propose de permuter avec elle afin que nous soyons côte à côte. Elle non plus ne veut pas être trop près. Nous deux, on n’a pas peur d’être proche de Dominique A(né).
A l’heure dite, celui-ci surgit par bâbord accompagné de l’habituelle libraire questionneuse à fiches. Chemisette bleue, pantalon noir, chaussures noires, son bonjour est à son image : simple et naturel. Je ne me souviens plus des questions mais dans les réponses il y a des choses comme « L’écriture, c’est un peu comme l’horticulture, on dégage le terrain, on élague. » « J’aurais bien aimé atteindre cent pages, mais non. » D’autres propos révèlent la part importante prise par l’éditrice Brigitte Giraud, employée de Stock et elle-même auteure, dans la rédaction des textes de ce Regarder l’océan, lesquels ont tous à voir avec l’enfance et l’adolescence. Dominique A(né) évoque aussi son habitude d’aller lire dans une brasserie de Bruxelles, le bruit ambiant aidant à cet exercice. En ce moment, il lit Sebald. La libraire à fiches sourit d’un air entendu. Des questions venues du public suivent puis c’est le moment de la signature des livres. L’ami Masson prend place dans la file tandis que je file afin de dîner avant de retrouver Dominique A en concert au Cent Six.
13 mai 2015
Dans la correspondance de guerre entre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, on croise les jeunes amantes de l’une et de l’autre, ainsi que Jacques-Laurent Bost (dit le petit Bost), l’amant de Simone. On y voit aussi une certaine Emma, personnage fictif qui leur sert à tromper la censure militaire lorsqu’il s’agit pour Simone d’aller rejoindre Sartre clandestinement.
Suite des échantillons :
J’ai mangé une côte de porc (…) et Dhome s’est ramené ; c’était l’ami de Delarue et un amoureux de Gibert, une espèce de demi-intellectuel prétentieux et con ; vous le connaissez, on vous en a parlé je crois, il s’est assis à notre table, l’air pertinent, et a commencé à disserter sur la profondeur de l’humour chez Molière. On s’est levées, on allait partir quand Kéchélévitch s’est amenée, des fleurs dans les cheveux, l’air d’une veuve corse en mal de vendetta… (mercredi treize mars mil neuf cent quarante)
J’attends Védrine chez moi mais je n’aurai pas le courage de me livrer à de coupables étreintes, je feindrai des malaises intimes. (jeudi quatorze mars mil neuf cent quarante)
J’ai attendu, un grand moment, fort prostrée ; et puis la porte s’est ouverte devant un jeune beau souriant lieutenant blond, beau comme un ange et mondain comme un pou qui m’a dit : « C’est vous Mlle de Beauvoir ? mais je vous ai connue à Marseille chez Mme Chazotte –et à Caen vous m’avez fait passer le bachot de philosophie, vous m’avez même mis un zéro. (mardi dix-neuf mil neuf cent quarante (Simone, allant rejoindre clandestinement le petit Bost, s’est d’abord trompée de train puis s’est fait chopée par des militaires qui l’ont prise pour une espionne communiste)
Je me suis jetée une fois sur un chien et une fois sur deux bonnes femmes qui en étaient fort indignées, mais dans l’ensemble c’était extrêmement glorieux. (dimanche quatorze juillet mil neuf cent quarante, faisant ses débuts de bicycliste)
On ne sait trop pourquoi, M. Kos. a expédié ses filles à 2 km. de là dans la maison d’un ami, une immense maison pleine d’alcools et de confitures où elles se sont prélassées trois semaines, en somptueuses robes de chambre volées à la maîtresse de maison, mangeant uniquement des confitures et se saoulant à demi du matin au soir avec les liqueurs. (…) Elles avaient avec elles un chien et un ouvrier abyssin chargé de garder la maison. Elles ont peu vu les Allemands qui sont seulement venus faire quelques omelettes chez elles, tandis que séduits par la vue qu’on a de La Mousse, ils logeaient à 70 dans la maison Kos. Madame Kos. se mourrait en battements de cœur pendant tout ce temps nécessairement. (un vendredi de juillet mil neuf cent quarante, pendant l’exode)
Suite des échantillons :
J’ai mangé une côte de porc (…) et Dhome s’est ramené ; c’était l’ami de Delarue et un amoureux de Gibert, une espèce de demi-intellectuel prétentieux et con ; vous le connaissez, on vous en a parlé je crois, il s’est assis à notre table, l’air pertinent, et a commencé à disserter sur la profondeur de l’humour chez Molière. On s’est levées, on allait partir quand Kéchélévitch s’est amenée, des fleurs dans les cheveux, l’air d’une veuve corse en mal de vendetta… (mercredi treize mars mil neuf cent quarante)
J’attends Védrine chez moi mais je n’aurai pas le courage de me livrer à de coupables étreintes, je feindrai des malaises intimes. (jeudi quatorze mars mil neuf cent quarante)
J’ai attendu, un grand moment, fort prostrée ; et puis la porte s’est ouverte devant un jeune beau souriant lieutenant blond, beau comme un ange et mondain comme un pou qui m’a dit : « C’est vous Mlle de Beauvoir ? mais je vous ai connue à Marseille chez Mme Chazotte –et à Caen vous m’avez fait passer le bachot de philosophie, vous m’avez même mis un zéro. (mardi dix-neuf mil neuf cent quarante (Simone, allant rejoindre clandestinement le petit Bost, s’est d’abord trompée de train puis s’est fait chopée par des militaires qui l’ont prise pour une espionne communiste)
Je me suis jetée une fois sur un chien et une fois sur deux bonnes femmes qui en étaient fort indignées, mais dans l’ensemble c’était extrêmement glorieux. (dimanche quatorze juillet mil neuf cent quarante, faisant ses débuts de bicycliste)
On ne sait trop pourquoi, M. Kos. a expédié ses filles à 2 km. de là dans la maison d’un ami, une immense maison pleine d’alcools et de confitures où elles se sont prélassées trois semaines, en somptueuses robes de chambre volées à la maîtresse de maison, mangeant uniquement des confitures et se saoulant à demi du matin au soir avec les liqueurs. (…) Elles avaient avec elles un chien et un ouvrier abyssin chargé de garder la maison. Elles ont peu vu les Allemands qui sont seulement venus faire quelques omelettes chez elles, tandis que séduits par la vue qu’on a de La Mousse, ils logeaient à 70 dans la maison Kos. Madame Kos. se mourrait en battements de cœur pendant tout ce temps nécessairement. (un vendredi de juillet mil neuf cent quarante, pendant l’exode)
12 mai 2015
Dimanche matin, à six heures, après une bonne nuit malgré la daube musicale faisant tapage nocturne chez le voisin d’en face, celui que je croise en semaine, costume, cravate et serviette en main, entrant au Palais de Justice pour y faire respecter la loi et qui certains ouiquennedes, cravate enlevée, s’en dispense, j’ouvre ma porte prêt à rejoindre ma voiture, mais considérant les nombreux mégots qui jonchent la ruelle, je retourne à l’intérieur, me munis d’un balai et pousse ces résidus jusqu’à sa courette (lorsque une fois je lui ai demandé d’éviter quand il reçoit ses ami(e)s que les mégots soient jetés depuis ses fenêtres devant ma porte, il m’a juré que ça ne venait pas de chez lui). La chose faite, je prends la route qui mène au département de l’Eure et assiste, au lieu-dit Saint-Adrien, à la sortie des noctambules du Moulin Rose, des trentenaires un peu éméché(e)s du même genre que les invité(e)s du voisin. Je rejoins Heudebouville où je constate une fois de plus cette année qu’au vide grenier les livres ne sont de sortie. En conséquence, l’un que je voyais les années précédentes acheter moult ouvrages pour les revendre porte à la main un cruchon jaune marqué Berger.
-Je vous attendais, me dit soudain un vendeur.
Je le regarde, surpris.
-Vous allez m’aidez à sortir ce coffre de ma remorque, ajoute-t-il.
-Non, lui dis-je, poursuivant mon chemin.
Outre que je n’y trouve plus rien qui m’intéresse, ces vide greniers ruraux me sont devenus suspects. Je n’y supporte plus qui les fréquente. J’ai l’impression d’être entouré d’électeurs et d’électrices de la fille Le Pen. S’y ajoutent celles et ceux que désormais je ne peux plus croiser sans penser au sept janvier: hommes barbus et femmes voilées. J’ai vite envie d’être ailleurs, fais quand même au retour, repassé en Seine-Maritime, le détour par le déballage de Saint-Aubin-Epinay où si l’on est plus riche on ne vend pas pour autant de bons livres.
Pour achever de me mettre de mauvaise humeur, bien que j’aie dépensé près de deux cents euros pour faire changer le capteur de flux de ma petite voiture chez Renault, celle-ci ne démarre pas mieux. La faute maintenant à la clé de contact, m’a dit le garagiste.
*
Rouen qui s’écroule (un). Le quai haut de la rive gauche sous lequel passent des trains de marchandise menace ruine, d’où interdiction aux camions d’y circuler, aux voitures de s’y garer et aux forains de la Saint-Romain de s’installer à proximité l’automne prochain. Ces derniers ont prévenu : ce sera là comme d’habitude et pas ailleurs, faisant en guise d’avertissement brûler des palettes sur la presqu’île Wellington où la Mairie et la Métropole veulent les envoyer, derrière le Hangar Vingt-Trois qui doit fermer, ceci n’étant pas sans rapport avec cela. J’attends la suite avec intérêt (blocage de la ville le vingt-huit mai).
*
Rouen qui s’écroule (deux). Rien ne va plus rue Verte près de la gare. Après le bouchage accidentel de la source Gaalor lors de la construction d’un immeuble à la place d’un lycée privé, ce fut d’abord l’Hôtel de Dieppe qui s’est fissuré, puis plusieurs mois après l’épicerie fine Le Potager de Sophie évacuée en urgence ainsi que les résidants des étages. C’est maintenant le Crédit Agricole pourtant situé de l’autre côté et à l’autre bout de la rue qui a bougé et doit déménager. Il jouxte le restaurant japonais à volonté que je fréquente de temps à autre. J’attends la suite avec intérêt (mon restaurant tiendra-t-il ?).
-Je vous attendais, me dit soudain un vendeur.
Je le regarde, surpris.
-Vous allez m’aidez à sortir ce coffre de ma remorque, ajoute-t-il.
-Non, lui dis-je, poursuivant mon chemin.
Outre que je n’y trouve plus rien qui m’intéresse, ces vide greniers ruraux me sont devenus suspects. Je n’y supporte plus qui les fréquente. J’ai l’impression d’être entouré d’électeurs et d’électrices de la fille Le Pen. S’y ajoutent celles et ceux que désormais je ne peux plus croiser sans penser au sept janvier: hommes barbus et femmes voilées. J’ai vite envie d’être ailleurs, fais quand même au retour, repassé en Seine-Maritime, le détour par le déballage de Saint-Aubin-Epinay où si l’on est plus riche on ne vend pas pour autant de bons livres.
Pour achever de me mettre de mauvaise humeur, bien que j’aie dépensé près de deux cents euros pour faire changer le capteur de flux de ma petite voiture chez Renault, celle-ci ne démarre pas mieux. La faute maintenant à la clé de contact, m’a dit le garagiste.
*
Rouen qui s’écroule (un). Le quai haut de la rive gauche sous lequel passent des trains de marchandise menace ruine, d’où interdiction aux camions d’y circuler, aux voitures de s’y garer et aux forains de la Saint-Romain de s’installer à proximité l’automne prochain. Ces derniers ont prévenu : ce sera là comme d’habitude et pas ailleurs, faisant en guise d’avertissement brûler des palettes sur la presqu’île Wellington où la Mairie et la Métropole veulent les envoyer, derrière le Hangar Vingt-Trois qui doit fermer, ceci n’étant pas sans rapport avec cela. J’attends la suite avec intérêt (blocage de la ville le vingt-huit mai).
*
Rouen qui s’écroule (deux). Rien ne va plus rue Verte près de la gare. Après le bouchage accidentel de la source Gaalor lors de la construction d’un immeuble à la place d’un lycée privé, ce fut d’abord l’Hôtel de Dieppe qui s’est fissuré, puis plusieurs mois après l’épicerie fine Le Potager de Sophie évacuée en urgence ainsi que les résidants des étages. C’est maintenant le Crédit Agricole pourtant situé de l’autre côté et à l’autre bout de la rue qui a bougé et doit déménager. Il jouxte le restaurant japonais à volonté que je fréquente de temps à autre. J’attends la suite avec intérêt (mon restaurant tiendra-t-il ?).
11 mai 2015
Lu à Paris mercredi dernier Chez Léon, troquet n’ayant pas changé depuis des décennies, La compagnie des zincs de l’oulipien François Caradec, décédé en deux mille huit, date de mil neuf cent quatre-vingt-six. Son titre préfigure ceux des articles de Libération et son propos les Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio.
On y trouve aussi la description détaillée de quelques estaminets parisiens disparus, tel « Chez Moineau » :
La rue des Canettes débouche devant le n°22 de la rue du Four. C’est là que s’ouvrait un étroit bistrot, « Chez Moineau ».
M. Moineau tenait le comptoir et la caisse, et tout au fond, dans une minuscule cuisine, Mme Moineau préparait un chaleureux couscous champenois servi par la jolie Mlle Moineau.
M. Moineau était tunisien, Mme Moineau champenoise. M. Moineau affirmait : « Chez moi, pas d’putains, pas d’pédés, pas d’clodos. » Naturellement, il y avait quelques échantillons des trois espèces pour confirmer la règle.
(…)
Au comptoir venait rire et boire tout Saint-Germain-des-Prés. Raymond Queneau, Ralph Messac, Boris Vian, Noël Arnaud, François Chevais, Jean-Louis Brau, quelques lettristes et situationnistes. Tant de monde en si peu de place ! Sans compter les habitants du quartier, les paroissiens de Saint-Sulpice et de Saint-Germain.
(…)
M. Moineau nous quitta pour ouvrir un nouveau café, plus vaste, au 14 rue Guénégaud. Au fond, devant la porte de la cuisine, il y avait un piano. C’est là que débuta Barbara, avant l’Ecluse. J’y venais avec André Bureau. Mais c’était trop loin. Il fallait s’asseoir. Nous avions perdu notre zinc. Il n’y a plus aujourd’hui rue du Four que des marchands de fripes, et rue Guénégaud des galeries d’art.
Dans ce livre, Caradec évoque aussi un bistrot clandestin :
Chérel tenait commerce de broques et d’antiquailles rue Coëtlogon, à l’enseigne de la Lanterne Magique. Le rideau de fer était en permanence à demi descendu : il fallait se courber pour entrer.
(…)
Dans cette boutique insolite, Chérel avec sa tête de marron sculpté traînait la savate, entrouvrait un tiroir secret, débouchait un litron. Nous avions convenu de nous y retrouver tous les samedis soirs, Alphonse Boudard, Eric Losfeld qui venait en voisin de la rue du Cherche-Midi, André Vers, les Massin, Hardellet. (…) Il organisait des cocktails pour quelques éditeurs de l’arrondissement : il prêtait le décor et la rue, l’éditeur apportait les boutanches.
*
Même si c’est vrai, c’est faux. (Henri Michaux, cité par François Caradec)
Cela me fait songer à ceci, trouvé quelque part cette semaine :
La vérité n'a qu'un visage, celui d'un démenti violent. (George Bataille)
*
Ce Même si c’est vrai, c’est faux. d’Henri Michaux me saute à nouveau aux yeux (comme on dit) au marché de broques et d’antiquailles du clos Saint-Marc, en rouge et en bas de la couverture d’un livre datant de l’année soixante-huit ridiculement titré La chienlit de papa par l’éditeur Albin Michel, livre bien plus haut que large comme on en faisait souvent en ce temps-là, et qui recense des citations préfigurant l’esprit et les revendications de cette époque. Ces extraits de textes ont été recueillis par François Caradec. Pour un euro, je le fais mien.
On y trouve aussi la description détaillée de quelques estaminets parisiens disparus, tel « Chez Moineau » :
La rue des Canettes débouche devant le n°22 de la rue du Four. C’est là que s’ouvrait un étroit bistrot, « Chez Moineau ».
M. Moineau tenait le comptoir et la caisse, et tout au fond, dans une minuscule cuisine, Mme Moineau préparait un chaleureux couscous champenois servi par la jolie Mlle Moineau.
M. Moineau était tunisien, Mme Moineau champenoise. M. Moineau affirmait : « Chez moi, pas d’putains, pas d’pédés, pas d’clodos. » Naturellement, il y avait quelques échantillons des trois espèces pour confirmer la règle.
(…)
Au comptoir venait rire et boire tout Saint-Germain-des-Prés. Raymond Queneau, Ralph Messac, Boris Vian, Noël Arnaud, François Chevais, Jean-Louis Brau, quelques lettristes et situationnistes. Tant de monde en si peu de place ! Sans compter les habitants du quartier, les paroissiens de Saint-Sulpice et de Saint-Germain.
(…)
M. Moineau nous quitta pour ouvrir un nouveau café, plus vaste, au 14 rue Guénégaud. Au fond, devant la porte de la cuisine, il y avait un piano. C’est là que débuta Barbara, avant l’Ecluse. J’y venais avec André Bureau. Mais c’était trop loin. Il fallait s’asseoir. Nous avions perdu notre zinc. Il n’y a plus aujourd’hui rue du Four que des marchands de fripes, et rue Guénégaud des galeries d’art.
Dans ce livre, Caradec évoque aussi un bistrot clandestin :
Chérel tenait commerce de broques et d’antiquailles rue Coëtlogon, à l’enseigne de la Lanterne Magique. Le rideau de fer était en permanence à demi descendu : il fallait se courber pour entrer.
(…)
Dans cette boutique insolite, Chérel avec sa tête de marron sculpté traînait la savate, entrouvrait un tiroir secret, débouchait un litron. Nous avions convenu de nous y retrouver tous les samedis soirs, Alphonse Boudard, Eric Losfeld qui venait en voisin de la rue du Cherche-Midi, André Vers, les Massin, Hardellet. (…) Il organisait des cocktails pour quelques éditeurs de l’arrondissement : il prêtait le décor et la rue, l’éditeur apportait les boutanches.
*
Même si c’est vrai, c’est faux. (Henri Michaux, cité par François Caradec)
Cela me fait songer à ceci, trouvé quelque part cette semaine :
La vérité n'a qu'un visage, celui d'un démenti violent. (George Bataille)
*
Ce Même si c’est vrai, c’est faux. d’Henri Michaux me saute à nouveau aux yeux (comme on dit) au marché de broques et d’antiquailles du clos Saint-Marc, en rouge et en bas de la couverture d’un livre datant de l’année soixante-huit ridiculement titré La chienlit de papa par l’éditeur Albin Michel, livre bien plus haut que large comme on en faisait souvent en ce temps-là, et qui recense des citations préfigurant l’esprit et les revendications de cette époque. Ces extraits de textes ont été recueillis par François Caradec. Pour un euro, je le fais mien.
9 mai 2015
C’est à neuf heures quarante-huit qu’arrive de Paris celle que j’attends dans la gare de Rouen ce huit mai. Il s’agit de fêter son anniversaire et je suis son invité.
Profitant du soleil matinal nous prenons une boisson chaude à la terrasse du bar des Fleurs près de la statue de Gustave défigurée par la mascarade du parcours Flaubert. Nous y évoquons nos vies respectives et l’avenir, notamment ce qu’il adviendra de mes écritures quand je ne serai plus, sans qu’une solution sorte de notre discussion.
Nous prenons ensuite l’apéritif à la maison, dans le jardin où s’activent mes voisines à chien, puis le chemin qui mène à la rue Beauvoisine où elle a réservé une table au Ryal Restaurant (cuisine métissée). L’accueil y est plaisant et la cuisine bonne : beignets et pièce de bœuf aux patates douces pour elle, accras et mafé d’agneau pour moi, en dessert pour tous deux une mousse à la noix de coco, tout cela accompagné d'une bouteille de bourgogne.
Au moment de l’addition, la bouteille de vin de palme ouverte après une commande imprudente pour l’apéritif ne lui est aimablement pas comptée.
-C’est tonton ? lui demande le patron en me désignant.
Cela fait bientôt dix ans que nous nous sommes rencontrés. Il nous reste à repasser à la maison où l’attend son cadeau.
Profitant du soleil matinal nous prenons une boisson chaude à la terrasse du bar des Fleurs près de la statue de Gustave défigurée par la mascarade du parcours Flaubert. Nous y évoquons nos vies respectives et l’avenir, notamment ce qu’il adviendra de mes écritures quand je ne serai plus, sans qu’une solution sorte de notre discussion.
Nous prenons ensuite l’apéritif à la maison, dans le jardin où s’activent mes voisines à chien, puis le chemin qui mène à la rue Beauvoisine où elle a réservé une table au Ryal Restaurant (cuisine métissée). L’accueil y est plaisant et la cuisine bonne : beignets et pièce de bœuf aux patates douces pour elle, accras et mafé d’agneau pour moi, en dessert pour tous deux une mousse à la noix de coco, tout cela accompagné d'une bouteille de bourgogne.
Au moment de l’addition, la bouteille de vin de palme ouverte après une commande imprudente pour l’apéritif ne lui est aimablement pas comptée.
-C’est tonton ? lui demande le patron en me désignant.
Cela fait bientôt dix ans que nous nous sommes rencontrés. Il nous reste à repasser à la maison où l’attend son cadeau.
© 2014 Michel Perdrial - Design: Bureau l’Imprimante