Dernières notes
Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.
6 février 2024
Je ne connaissais pas Mihail Sebastian, écrivain roumain francophile et francophone, avant de trouver chez Book-Off son épais Journal (1935-1944) publié chez Stock et d’en faire ma lecture de lit.
On y croise notamment trois jeunes amis de l’auteur, avant leur exil, un Eugène Ionesco un peu perdu, un Emil Michel Cioran alors sympathisant du mouvement fasciste et antisémite la Garde de Fer et un Mircea Eliade lui aussi partisan de la Garde de Fer et encore plus ardemment antisémite. Je n’ai jamais pu blairer ce dernier, devenu par la suite icône mystico pantoufle.
Ce Journal n’est pas une lecture de tout repos, Mihail Sebastian, lui-même Juif, passant des horreurs du nazisme à celles du stalinisme, comme le montrent ces deux extraits :
On parle encore de plus de six mille Juifs tués, mais il est peut-être impossible de déterminer le nombre exact. Nous ne le connaîtrons peut-être jamais. De nombreux Juifs ont été tués dans le bois de Băneasa et leurs corps laissés là, nus pour la plupart. D’autres aux abattoirs de Străulești. Les uns et les autres auraient été horriblement mutilés avant d’être achevés. A la morgue, le frère de Jacques Costin était presque méconnaissable pour sa propre famille. Maître Beiler était criblé de balles et, en plus, égorgé. (Mercredi vingt-neuf janvier mil neuf cent quarante et un)
L’incompréhension, la peur, la perplexité. Des soldats russes qui violent les femmes (Dina Cocea me l’a raconté hier). Des soldats qui arrêtent les voitures dans la rue, font descendre le conducteur et les passagers, prennent le volant et disparaissent. Des magasins pillés. Cet après-midi, ils ont fait irruption à trois chez Zaharia, ils ont fouillé dans le coffre-fort et se sont emparés des montres. (La montre est leur jouet préféré.) (Vendredi premier septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Dans cette Roumanie « libérée » par les Russes, Mihail Sebastian fait son bilan personnel :
Toujours la même vie dissipée. L’absence de logement stable me désorganise. Je n’ai vraiment pas l’esprit pratique. Je suis à l’évidence un type qui ne sait pas « s’arranger ». Un « poète », dans la pire acceptation du mot. Je ne sais pas discuter avec mon propriétaire, je ne sais pas me disputer avec mon voisin qui me fait des misères, je ne sais pas me débrouiller au commissariat de circonscription. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on me fiche la paix. Je perds, je cède, j’accepte, je supporte, pourvu qu’on me fiche la paix. C’est absurde et honteux. Je suis, à trente-sept ans, aussi démuni qu’un enfant. (Mardi vingt six septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Après avoir envisagé de quitter le pays, Mihail Sebastian choisit de rester. Il est nommé maître de conférences à l’Université Ouvrière Libre de Bucarest. Le vingt-neuf mai mil neuf cent quarante-cinq, s’y rendant pour son premier cours de littérature universelle, il est tué par un camion, une mort que d’aucuns jugent non accidentelle.
*
Autre lecture de lit, Lettres à Delphine de Louis Pergaud, dont adolescent j’ai lu La Guerre des boutons et les récits animaliers De Goupil à Margot Cette correspondance publiée au Mercure de France que j’ai payée deux euros au Clos Saint-Marc contient aussi les lettres que l’écrivain devenu soldat en mil neuf cent quatorze écrivit à ses amis. Antimilitariste et pacifiste avant la guerre, Pergaud devient, comme beaucoup, quand il se retrouve sur le front, va-t-en-guerre et anti-Boches. Quelques mois plus tard, devant les atrocités, il se reprend, déclarant qu’après la guerre, il sera encore plus antimilitariste qu’il ne l’était avant.
Le dimanche vingt et un mars mil neuf cent quinze, il écrit ceci à son ami Marcel Martinet :
Nous avons attaqué la tranchée boche après une insuffisante préparation d’artillerie et deux de nos compagnies se sont fait héroïquement faucher. J’étais là prêt à les soutenir avec mon peloton ; nous avions déjà fait sous la mitraille et les balles deux bonds en avant et nous étions en première ligne prêts à foncer quand l’ordre de faire cesser cette boucherie est arrivé. Dans cette marche en avant j’avais perdu huit hommes tués et onze blessés. Les balles me sifflaient aux oreilles et trois obus m’ont éclaté devant le nez me brûlant les yeux sans que je sois touché. (…) Devant nous, entre les réseaux boches des cadavres pendaient, des blessés se traînaient, d’autres se plaignaient ; et la nuit tragique avec un soleil rouge est tombée là-dessus. Il s’est mis à pleuvoir ; on marchait dans des mares de sang, dans des éclats de cervelle. Jamais je n’oublierai ça.
Dans la nuit du sept au huit avril, Louis Pergaud prend part à une nouvelle attaque où il disparaît.
*
Ces lectures ne m’empêchent pas de m’endormir sitôt le livre posé. Ce n’est que plus tard dans la nuit que mon cerveau entre en ébullition.
On y croise notamment trois jeunes amis de l’auteur, avant leur exil, un Eugène Ionesco un peu perdu, un Emil Michel Cioran alors sympathisant du mouvement fasciste et antisémite la Garde de Fer et un Mircea Eliade lui aussi partisan de la Garde de Fer et encore plus ardemment antisémite. Je n’ai jamais pu blairer ce dernier, devenu par la suite icône mystico pantoufle.
Ce Journal n’est pas une lecture de tout repos, Mihail Sebastian, lui-même Juif, passant des horreurs du nazisme à celles du stalinisme, comme le montrent ces deux extraits :
On parle encore de plus de six mille Juifs tués, mais il est peut-être impossible de déterminer le nombre exact. Nous ne le connaîtrons peut-être jamais. De nombreux Juifs ont été tués dans le bois de Băneasa et leurs corps laissés là, nus pour la plupart. D’autres aux abattoirs de Străulești. Les uns et les autres auraient été horriblement mutilés avant d’être achevés. A la morgue, le frère de Jacques Costin était presque méconnaissable pour sa propre famille. Maître Beiler était criblé de balles et, en plus, égorgé. (Mercredi vingt-neuf janvier mil neuf cent quarante et un)
L’incompréhension, la peur, la perplexité. Des soldats russes qui violent les femmes (Dina Cocea me l’a raconté hier). Des soldats qui arrêtent les voitures dans la rue, font descendre le conducteur et les passagers, prennent le volant et disparaissent. Des magasins pillés. Cet après-midi, ils ont fait irruption à trois chez Zaharia, ils ont fouillé dans le coffre-fort et se sont emparés des montres. (La montre est leur jouet préféré.) (Vendredi premier septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Dans cette Roumanie « libérée » par les Russes, Mihail Sebastian fait son bilan personnel :
Toujours la même vie dissipée. L’absence de logement stable me désorganise. Je n’ai vraiment pas l’esprit pratique. Je suis à l’évidence un type qui ne sait pas « s’arranger ». Un « poète », dans la pire acceptation du mot. Je ne sais pas discuter avec mon propriétaire, je ne sais pas me disputer avec mon voisin qui me fait des misères, je ne sais pas me débrouiller au commissariat de circonscription. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on me fiche la paix. Je perds, je cède, j’accepte, je supporte, pourvu qu’on me fiche la paix. C’est absurde et honteux. Je suis, à trente-sept ans, aussi démuni qu’un enfant. (Mardi vingt six septembre mil neuf cent quarante-quatre)
Après avoir envisagé de quitter le pays, Mihail Sebastian choisit de rester. Il est nommé maître de conférences à l’Université Ouvrière Libre de Bucarest. Le vingt-neuf mai mil neuf cent quarante-cinq, s’y rendant pour son premier cours de littérature universelle, il est tué par un camion, une mort que d’aucuns jugent non accidentelle.
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Autre lecture de lit, Lettres à Delphine de Louis Pergaud, dont adolescent j’ai lu La Guerre des boutons et les récits animaliers De Goupil à Margot Cette correspondance publiée au Mercure de France que j’ai payée deux euros au Clos Saint-Marc contient aussi les lettres que l’écrivain devenu soldat en mil neuf cent quatorze écrivit à ses amis. Antimilitariste et pacifiste avant la guerre, Pergaud devient, comme beaucoup, quand il se retrouve sur le front, va-t-en-guerre et anti-Boches. Quelques mois plus tard, devant les atrocités, il se reprend, déclarant qu’après la guerre, il sera encore plus antimilitariste qu’il ne l’était avant.
Le dimanche vingt et un mars mil neuf cent quinze, il écrit ceci à son ami Marcel Martinet :
Nous avons attaqué la tranchée boche après une insuffisante préparation d’artillerie et deux de nos compagnies se sont fait héroïquement faucher. J’étais là prêt à les soutenir avec mon peloton ; nous avions déjà fait sous la mitraille et les balles deux bonds en avant et nous étions en première ligne prêts à foncer quand l’ordre de faire cesser cette boucherie est arrivé. Dans cette marche en avant j’avais perdu huit hommes tués et onze blessés. Les balles me sifflaient aux oreilles et trois obus m’ont éclaté devant le nez me brûlant les yeux sans que je sois touché. (…) Devant nous, entre les réseaux boches des cadavres pendaient, des blessés se traînaient, d’autres se plaignaient ; et la nuit tragique avec un soleil rouge est tombée là-dessus. Il s’est mis à pleuvoir ; on marchait dans des mares de sang, dans des éclats de cervelle. Jamais je n’oublierai ça.
Dans la nuit du sept au huit avril, Louis Pergaud prend part à une nouvelle attaque où il disparaît.
*
Ces lectures ne m’empêchent pas de m’endormir sitôt le livre posé. Ce n’est que plus tard dans la nuit que mon cerveau entre en ébullition.
5 février 2024
Jeudi midi, au bout de la rue Saint-Nicolas, je me heurte presque à quatre filles identiques aux cheveux blonds flottant au vent. Elles sont vêtues pareillement. Chacune porte à la main un petit sac en papier Sephora. Des quadruplées ?
Un peu de réflexion me donne à penser que ce sont des sportives de la French Cup en tenue décontractée. Sans le chignon serré qui en fait de parfaits clones.
J’en ai la confirmation lorsque vendredi j’en croise tout un lot tirant les mêmes valises à roulettes. Elles vont de leur hôtel à la patinoire. Là se tient la compétition internationale de patinage synchronisé nommée French Cup.
Le trio de retraités du samedi matin au Socrate les a repérées. D’autant plus facilement qu’ils habitent prés de la patinoire dans l’île Lacroix,. « De beaux brins de filles. » « Mon garçon, ils les auraient bien invitées à la maison. » Ils les ont vues chanter derrière la fanfare lors de la parade. Celle-ci est passée au bout de ma ruelle. J’ai entendu sans voir. « Elles ont pas le droit de sortir seules. Minimum trois. », dit encore l’un. « Elles ont raison. Avec tout ce qu’on voit. », conclut un autre.
Ce dimanche matin, allant au marché, je dois me faire un chemin rue Saint-Romain parmi celles qui logeaient à l’Hôtel de la Cathédrale. Chignons moyennement serrés, elles s’apprêtent à faire une dernière fois du bruit sur le pavé mouillé avec leurs valises à roulettes. Un autocar les attend qui les ramènera dans leur pays.
*
Un matin, je lis sur le site Actu Seine-Maritime comment une jeune femme a fait installer chez elle une pompe à chaleur après que des artisans lui ont fait croire qu’elle aurait droit à MaPrimeRénov’ alors qu’en réalité ce qu’ils lui ont fait signer c’est un emprunt de vingt-quatre mille euros.
Dans la demi-heure qui suit, mon fil d’actualité sur le réseau social Effe Bé est saturé de publicités pour les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les diagnostics pour obtenir MaPrimeRénov’, etc.
Cela alors que je ne suis pas passé par Effe Bé pour lire cet article. C’est effrayant. Aucun autre sujet ne m’avait valu ça. Je perds un temps fou à supprimer ces pubs en cochant la case « Hors de propos ».
*
Agriculteur : personne qui achète à crédit un tracteur de cent mille euros pour gagner six cents euros par mois.
Un peu de réflexion me donne à penser que ce sont des sportives de la French Cup en tenue décontractée. Sans le chignon serré qui en fait de parfaits clones.
J’en ai la confirmation lorsque vendredi j’en croise tout un lot tirant les mêmes valises à roulettes. Elles vont de leur hôtel à la patinoire. Là se tient la compétition internationale de patinage synchronisé nommée French Cup.
Le trio de retraités du samedi matin au Socrate les a repérées. D’autant plus facilement qu’ils habitent prés de la patinoire dans l’île Lacroix,. « De beaux brins de filles. » « Mon garçon, ils les auraient bien invitées à la maison. » Ils les ont vues chanter derrière la fanfare lors de la parade. Celle-ci est passée au bout de ma ruelle. J’ai entendu sans voir. « Elles ont pas le droit de sortir seules. Minimum trois. », dit encore l’un. « Elles ont raison. Avec tout ce qu’on voit. », conclut un autre.
Ce dimanche matin, allant au marché, je dois me faire un chemin rue Saint-Romain parmi celles qui logeaient à l’Hôtel de la Cathédrale. Chignons moyennement serrés, elles s’apprêtent à faire une dernière fois du bruit sur le pavé mouillé avec leurs valises à roulettes. Un autocar les attend qui les ramènera dans leur pays.
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Un matin, je lis sur le site Actu Seine-Maritime comment une jeune femme a fait installer chez elle une pompe à chaleur après que des artisans lui ont fait croire qu’elle aurait droit à MaPrimeRénov’ alors qu’en réalité ce qu’ils lui ont fait signer c’est un emprunt de vingt-quatre mille euros.
Dans la demi-heure qui suit, mon fil d’actualité sur le réseau social Effe Bé est saturé de publicités pour les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les diagnostics pour obtenir MaPrimeRénov’, etc.
Cela alors que je ne suis pas passé par Effe Bé pour lire cet article. C’est effrayant. Aucun autre sujet ne m’avait valu ça. Je perds un temps fou à supprimer ces pubs en cochant la case « Hors de propos ».
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Agriculteur : personne qui achète à crédit un tracteur de cent mille euros pour gagner six cents euros par mois.
1er février 2024
Un voyage en train sans histoire ce dernier jour du mois de janvier deux mille vingt-quatre et peu de monde dans le bus Vingt-Neuf où je viens en aide à un vieil Arabe qui veut descendre à Opéra, lui indiquant qu’il faut demander l’arrêt et pour cela appuyer sur le bouton rouge. Nous nous saluons mutuellement quand il descend.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
Il fait doux et beau à Paris ce mercredi. J’ai le soleil dans les yeux quand je marche rue du Faubourg-Saint-Antoine puis rue Théodore-Roussel.
Au Marché d’Aligre. Emile Débarras n’a pas sorti les auvents. Ses aides, trouvés sur place, finissent d’installer les livres sur les deux longues tables. L’un d’eux se fait rabrouer par son employeur. « D’habitude, tu me dis que je les mets bien les livres », se défend-il. « Oui mais là tu as bu ». Le ton monte. Emile s’en débarrasse. Beaucoup de ces livres sont nouveaux. Hélas, ils sont sales. Certains, terreux, semblent venir d’une cave. Heureusement, ceux qui m’intéressent, je les ai déjà. A un moment, ce que je prends pour une vieille femme me colle de trop prés. C’est le Nabot. Il avait disparu depuis des mois. Je le croyais mort.
Au Camélia, après le café, je lis Romain, un regard particulier de Lesley Blanch. La première femme de Romain Gary y raconte leur vie commune. Elle est sans pitié pour celui qui a partagé sa vie pendant quinze ans et avec qui elle est restée amie jusqu’à son suicide. D’une façon générale, il y avait peu de choses qui lui plaisaient : le sexe, les blinis, nager dans la mer et, bien sûr, ses écrits. Elle ne lui pardonne qu’une chose : ses nombreuses infidélités. Les idées de Romain sur l’amour et les rapports sexuels – le plus souvent séparés – étaient toujours nettement définies. Très tôt dans nos relations, il s’était longuement étendu sur l’attrait éperdu qu’il éprouvait envers les filles très jeunes. Nabokov n’avait pas encore écrit Lolita, mais ce syndrome était une part essentielle de la nature psychologique de Romain.
« Mon idéal, avait-il poursuivi avec une franchise désarmante, serait d’avoir une jeune fille très jolie… Est-ce que ça vous choque ? » demanda-t-il avec sollicitude.
Non. Je n’étais pas choquée. Je ne sais pas pourquoi.
Un peu avant onze heures, je me pointe devant les rideaux baissés de Book-Off et y découvre une affichette indiquant qu’aujourd’hui ça n’ouvre qu’à douze heures. Fichtre !
Le métro m’emmène à Châtelet. Je fouine un quart d’heure chez Boulinier sans rien trouver puis rejoins à midi moins le quart le restaurant China rue de la Verrerie. L’aimable serveuse m’accepte avant l’heure d’ouverture. Cela me permet de déjeuner avant l’arrivée du monde. Je déteste attendre devant les micro-ondes. Ce buffet à volonté est toujours à douze euros cinquante. Il est correct, hormis les nems caoutchouteux.
A midi et demi j’explore le sous-sol du Book-Off de Saint-Martin. Parmi les livres à un euro, je fais miens le volume un de Lettres à Suzanne de Jean Giraudoux (Grasset), Pelures d’oignon de Günter Grass (Seuil) et Absolument la vie d’Etienne Barilier (Labor & Fides).
Sorti de là je retourne à Ledru-Rollin où je retrouve et évite le Nabot. Encore plus décati qu’autrefois, ne pouvant plus porter les livres, il tire un chariot derrière lui. Je n’en suis pas encore là. Mon panier est lourd mais je le porte encore. Des livres à un euro le remplissent, le numéro d’Europe consacré à Alexandre Vialatte, La duchesse de Bloomsbury Street d’Helene Hanff (Payot), Notes sur Chopin d’André Gide (Gallimard), Le père Dutourd de François Taillandier (Stock), La Fontaine de Jacques Réda (Buchet Chastel), Vie de Henrik Ibsen d’Alberto Savinio (Christian Bourgois), Singulières et plurielles de Colette Nys-Mazure (Desclée de Brouwer) et Quand tu aimes il faut partir de la même (Invenit). Ce dernier bénéficie d’un envoi daté de mai deux mille seize de l’auteure à Pierrette Fleutiaux « en vive admiration », les héritiers s'en sont débarrassés. A cela j’ajoute, au prix de six euros, Correspondance d’Auguste Perret et de Marie Dormoy (Editions du Linteau), celle-ci ayant été l’amante de celui-là avant d’être celle de Léautaud.
Pas le temps d’aller au troisième Book-Off. Après un deuxième passage au Camélia, je rejoins Saint-Lazare. Dans le train de seize heures quarante, je termine le livre de Lesley Blanch. Peu avant Mantes-la-Jolie, nous longeons de près l’autoroute où d’habitude j’aime regarder les voitures qui circulent. Barrage d’agriculteurs oblige, elle est déserte, une image de fin du monde.
30 janvier 2024
Ma carte d’identité est bientôt périmée. Je retire un dossier de renouvellement à l’accueil de la Mairie de Rouen puis prends un rendez-vous par téléphone avec le service compétent puis me mets au boulot.
Je dois demander à ma sœur les dates et lieux de naissance de père et mère (il y a plus ou moins un siècle, Rouen pour le premier, Paris pour la seconde) puis me trompe dans l’ordre de mes prénoms (heureusement que j’ai du Blanco).
Ce mardi, un peu avant dix heures, je me pointe à l’Hôtel de Ville. La préposée de l’accueil s’assure que mon dossier est complet puis me remet un ticket d’attente. Je n’ai pas à lorgner longtemps l’écran avant que mon numéro s’affiche.
Au guichet dix, une fonctionnaire territoriale étudie mon dossier, scanne les documents apportés et émet des doutes sur ma photo. Si celle-ci est refusée par la Préfecture, il faudra tout recommencer, me dit-elle. Dans ce cas, on me téléphonera pour me prévenir. Si ça passe, la carte sera prête dans quatre à cinq semaines. Et ce sera à moi d’appeler pour le savoir.
-On ne peut pas m’envoyer un mail ? lui demandé-je.
-Non, la Préfecture n’envoie pas de mail, je connais mon métier, me répond-elle sèchement.
-Je n’en doute pas et je vois que vous êtes également très aimable. Heureusement qu’on ne refait sa carte d’identité que tous les quinze ans.
-Oui heureusement, me répond-elle avant de retrouver une meilleure humeur pour la prise des empreintes.
Rentré, je constate qu’il va y avoir un problème avec ma photo. Plus qu’à attendre que le téléphone me l’annonce.
Je ne sais dans combien de mois j’aurai cette nouvelle carte d’identité qui sera vraisemblablement la dernière.
*
Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends conscience que mon parrain et le mari de ma marraine sont tous deux morts d’un accident du travail.
Le premier, un cousin de mon père, d’une crise cardiaque dans son camion de transporteur longue distance quand j’étais enfant.
Le deuxième, l’époux d’une des sœurs de ma mère, d’une chute sur le chantier de l’aéroport d’Orly peu après ma naissance (sa fille, ma cousine, ne l’a jamais connu).
*
En plus de mon parrain officiel, j’en ai eu un autre, Fernand, le mari de la sœur de ma grand-mère, refusé par mon père parce qu’athée mais figurant quand même dans la liste des prénoms de ma carte d’identité, le seul à avoir rempli sa fonction, notamment en m’offrant les jouets que mes parents ne pouvaient pas me payer.
Je dois demander à ma sœur les dates et lieux de naissance de père et mère (il y a plus ou moins un siècle, Rouen pour le premier, Paris pour la seconde) puis me trompe dans l’ordre de mes prénoms (heureusement que j’ai du Blanco).
Ce mardi, un peu avant dix heures, je me pointe à l’Hôtel de Ville. La préposée de l’accueil s’assure que mon dossier est complet puis me remet un ticket d’attente. Je n’ai pas à lorgner longtemps l’écran avant que mon numéro s’affiche.
Au guichet dix, une fonctionnaire territoriale étudie mon dossier, scanne les documents apportés et émet des doutes sur ma photo. Si celle-ci est refusée par la Préfecture, il faudra tout recommencer, me dit-elle. Dans ce cas, on me téléphonera pour me prévenir. Si ça passe, la carte sera prête dans quatre à cinq semaines. Et ce sera à moi d’appeler pour le savoir.
-On ne peut pas m’envoyer un mail ? lui demandé-je.
-Non, la Préfecture n’envoie pas de mail, je connais mon métier, me répond-elle sèchement.
-Je n’en doute pas et je vois que vous êtes également très aimable. Heureusement qu’on ne refait sa carte d’identité que tous les quinze ans.
-Oui heureusement, me répond-elle avant de retrouver une meilleure humeur pour la prise des empreintes.
Rentré, je constate qu’il va y avoir un problème avec ma photo. Plus qu’à attendre que le téléphone me l’annonce.
Je ne sais dans combien de mois j’aurai cette nouvelle carte d’identité qui sera vraisemblablement la dernière.
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Ce n’est qu’aujourd’hui que je prends conscience que mon parrain et le mari de ma marraine sont tous deux morts d’un accident du travail.
Le premier, un cousin de mon père, d’une crise cardiaque dans son camion de transporteur longue distance quand j’étais enfant.
Le deuxième, l’époux d’une des sœurs de ma mère, d’une chute sur le chantier de l’aéroport d’Orly peu après ma naissance (sa fille, ma cousine, ne l’a jamais connu).
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En plus de mon parrain officiel, j’en ai eu un autre, Fernand, le mari de la sœur de ma grand-mère, refusé par mon père parce qu’athée mais figurant quand même dans la liste des prénoms de ma carte d’identité, le seul à avoir rempli sa fonction, notamment en m’offrant les jouets que mes parents ne pouvaient pas me payer.
29 janvier 2024
Il est rare que le brouillard se fasse voir dans le centre de Rouen. C’est le cas ce samedi matin. Depuis le Socrate, le Lycée Camille Saint-Saëns m’apparaît brumeux. Dans cette purée de poix se matérialisent successivement les vieilles et vieux qui se donnent rendez-vous chaque semaine ici. Le trio de base est cette fois augmenté d’autres. Evidemment, elles et eux discutent des agriculteurs révoltés et des « mesurettes » accordées par Attal. Ils sont à fond avec les manifestants.
Moi qui suis le fils d’un arboriculteur ayant fait faillite dans les années Soixante-Dix suite à la concurrence des poires et des pommes d’importation, je suis loin d’être un inconditionnel du mouvement. Je n’apprécie pas le syndicat dominant chez les paysans, ce Medef agricole dont le responsable est un grand marchand d’huile alimentaire. J’aime encore moins la Coordination Rurale, le syndicat minoritaire dont des adhérents à Agen se sont livrés à des incendies, des arrosages de lisier et à l’étripage d’un sanglier ensuite suspendu au regard des gens de la ville (« La plupart d’entre nous sommes chasseurs et les sangliers saccagent nos récoltes. », ont-ils déclaré à Sud Ouest dans le but de se justifier). Je crains que sous les bonnets jaunes de certains se cachent des idées d’extrême-droite.
Je n’aime pas non plus que ces bloqueurs d’autoroutes soient autorisés à le faire quand des Ecologistes pour la même action se font matraquer par la Police puis se retrouvent devant les Tribunaux. « On ne répond pas à la souffrance par la violence », a déclaré le Ministre de l’Intérieur. Darmanin ne se rend pas compte qu’en disant cela, il avoue que ce n’est pas une fable la violence policière.
Par coïncidence, au moment où se passent ces évènements qui rappellent ce que raconte Michel Houellebecq dans Sérotonine, j’ai trouvé la veille, dans la boîte à livres devant le Musée des Beaux-Arts, Anéantir du même Houellebecq. C’est ce livre que je lis dans cette brasserie après mon café. Ça commence ainsi : Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort.
Les vieilles et les vieux, ayant épuisé le sujet d’actualité, reviennent à leur antienne, montrant que cette sensation leur est permanente :
- Le mieux, c’est de mourir d’un coup, d’une crise cardiaque.
- Ou alors, il faudrait qu’on nous pique comme les chiens.
Moi qui suis le fils d’un arboriculteur ayant fait faillite dans les années Soixante-Dix suite à la concurrence des poires et des pommes d’importation, je suis loin d’être un inconditionnel du mouvement. Je n’apprécie pas le syndicat dominant chez les paysans, ce Medef agricole dont le responsable est un grand marchand d’huile alimentaire. J’aime encore moins la Coordination Rurale, le syndicat minoritaire dont des adhérents à Agen se sont livrés à des incendies, des arrosages de lisier et à l’étripage d’un sanglier ensuite suspendu au regard des gens de la ville (« La plupart d’entre nous sommes chasseurs et les sangliers saccagent nos récoltes. », ont-ils déclaré à Sud Ouest dans le but de se justifier). Je crains que sous les bonnets jaunes de certains se cachent des idées d’extrême-droite.
Je n’aime pas non plus que ces bloqueurs d’autoroutes soient autorisés à le faire quand des Ecologistes pour la même action se font matraquer par la Police puis se retrouvent devant les Tribunaux. « On ne répond pas à la souffrance par la violence », a déclaré le Ministre de l’Intérieur. Darmanin ne se rend pas compte qu’en disant cela, il avoue que ce n’est pas une fable la violence policière.
Par coïncidence, au moment où se passent ces évènements qui rappellent ce que raconte Michel Houellebecq dans Sérotonine, j’ai trouvé la veille, dans la boîte à livres devant le Musée des Beaux-Arts, Anéantir du même Houellebecq. C’est ce livre que je lis dans cette brasserie après mon café. Ça commence ainsi : Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort.
Les vieilles et les vieux, ayant épuisé le sujet d’actualité, reviennent à leur antienne, montrant que cette sensation leur est permanente :
- Le mieux, c’est de mourir d’un coup, d’une crise cardiaque.
- Ou alors, il faudrait qu’on nous pique comme les chiens.
26 janvier 2024
Cette fois c’est bon, un train qui se traîne et arrive avec dix minutes de retard me permet de revoir Paris. Un vieux bus Vingt-Neuf au gazole dans lequel ça sent le fauve me conduit place de la Bastille. Je marche sous un ciel bleu et dans une grande douceur jusqu’au Marché d’Aligre. Emile et son débarras n’y sont pas ce mercredi. L’autre vendeur de livres n’a que des vieilleries.
Au Camélia, je poursuis ma lecture de Chambre obscure de Nabokov. Devant moi, un Chinois lit Stendhal. Derrière, deux hommes parlent des jeux matriciels. Ce Péhemmu n’en a pas l’air mais c’est un bar d’intellos. Quand il n’est plus en mains (comme on dit dans ce genre d’endroit), je parcours Le Parisien qui relate la révolte des agriculteurs. Cette actualité me rappelle ma lecture de Sérotonine de Michel Houellebecq. Dans sa fiction, les paysans sortent les fusils.
A onze heures, je retrouve avec grand plaisir le Book-Off de Ledru-Rollin. Pas trop de monde pour une fois et dans les livres à un euro je trouve de quoi me plaire : Henry Miller de Béatrice Commengé (Plon), Gide Genet Mishima sous-titré Intelligence de la perversion de Catherine Millot (L’Infini Gallimard) et Je dirai que je suis tombé suivi de La Boîte à outils, la poésie de Roland Dubillard (Gallimard).
Il n’est pas question de déjeuner avec celle qui travaille dans le quartier. Elle n’est plus libre le midi. Quand ce sera à nouveau le cas, c’est qu’un funeste évènement aura eu lieu. Je pense à elle en rejoignant Au Diable des Lombards.
J’y commande l’onglet frites salade et la tarte Tatin. La tablée masculine d’à côté a choisi le poireau vinaigrette et la moule marinière, ce qui est source de grosse rigolade. La formule du Diable est passée à quinze euros dix. « Cela faisait dix ans qu’on n’avait pas augmenté », me dit le serveur dynamique. J’ai l’impression que le diamètre des assiettes, lui, a diminué mais je me garde de poser la question.
Au Book-Off de Saint-Martin, le premier livre à un euro que je mets dans mon panier est Quand vos nuits se morcellent sous-titré Lettre à Ferdinand Hodler de Daniel de Roulet (Zoé). Fip diffuse Toutoutout de Clair. « Tout le monde me fait chier. Tout le monde m’emmerde. », chante d’une voix suave cette jeune femme. C’est ce que je pense en ce moment. Il y a trop de blaireaux collés à moi devant les rayonnages qui m’intéressent.
Malgré eux, je mets aussi dans mon panier Romain, un regard particulier de Lesley Blanchi (Actes Sud), Ursa minor sous-titré Notes de carnet et d’autres encore de Sibilla Aleramo (Anatolia Le Rocher) et Comptines coquines de Philippe Dumas (L’Ecole des Loisirs). Ce dernier, un coffret de trois petits livres, est d’origine douteuse. Il provient, un tampon en atteste, du B.C.D. Plan Paris Lecture. Cette fois, je ne signale pas le vol éventuel à celui à qui je paie.
Un café à un euro vingt au comptoir du Bistrot d’Edmond et me voici dans le troisième Book-Off, désormais le moins intéressant. Encore plus ce mercredi car un grand désordre règne au rayon Littérature. On y trouve surtout les œuvres des comiques de télévision. Je signale ce bazar à celui que je pense être le nouveau responsable. Il va y remédier. Je repars de là après avoir dépensé seulement un euro pour Mémoires inédits de Mathilde Bonaparte (Les Cahiers Rouges Grasset).
Dans le train de seize heures quarante qui me ramène à Rouen je termine la lecture de Vladimir Nabokov. Mes voisines d’outre couloir lisent Michel Bussi, deux livres que leur a dédicacés l’auteur, ce qui les réjouit fort.
*
Coup de feu dans la nuit du côté de la rue Saint-Romain. A moins que ce soit un pétard. Dans ce cas, pourquoi un seul ? Un suicide peut-être, me dis-je avant de me rendormir. Je ne pense pas avoir rêvé.
Au Camélia, je poursuis ma lecture de Chambre obscure de Nabokov. Devant moi, un Chinois lit Stendhal. Derrière, deux hommes parlent des jeux matriciels. Ce Péhemmu n’en a pas l’air mais c’est un bar d’intellos. Quand il n’est plus en mains (comme on dit dans ce genre d’endroit), je parcours Le Parisien qui relate la révolte des agriculteurs. Cette actualité me rappelle ma lecture de Sérotonine de Michel Houellebecq. Dans sa fiction, les paysans sortent les fusils.
A onze heures, je retrouve avec grand plaisir le Book-Off de Ledru-Rollin. Pas trop de monde pour une fois et dans les livres à un euro je trouve de quoi me plaire : Henry Miller de Béatrice Commengé (Plon), Gide Genet Mishima sous-titré Intelligence de la perversion de Catherine Millot (L’Infini Gallimard) et Je dirai que je suis tombé suivi de La Boîte à outils, la poésie de Roland Dubillard (Gallimard).
Il n’est pas question de déjeuner avec celle qui travaille dans le quartier. Elle n’est plus libre le midi. Quand ce sera à nouveau le cas, c’est qu’un funeste évènement aura eu lieu. Je pense à elle en rejoignant Au Diable des Lombards.
J’y commande l’onglet frites salade et la tarte Tatin. La tablée masculine d’à côté a choisi le poireau vinaigrette et la moule marinière, ce qui est source de grosse rigolade. La formule du Diable est passée à quinze euros dix. « Cela faisait dix ans qu’on n’avait pas augmenté », me dit le serveur dynamique. J’ai l’impression que le diamètre des assiettes, lui, a diminué mais je me garde de poser la question.
Au Book-Off de Saint-Martin, le premier livre à un euro que je mets dans mon panier est Quand vos nuits se morcellent sous-titré Lettre à Ferdinand Hodler de Daniel de Roulet (Zoé). Fip diffuse Toutoutout de Clair. « Tout le monde me fait chier. Tout le monde m’emmerde. », chante d’une voix suave cette jeune femme. C’est ce que je pense en ce moment. Il y a trop de blaireaux collés à moi devant les rayonnages qui m’intéressent.
Malgré eux, je mets aussi dans mon panier Romain, un regard particulier de Lesley Blanchi (Actes Sud), Ursa minor sous-titré Notes de carnet et d’autres encore de Sibilla Aleramo (Anatolia Le Rocher) et Comptines coquines de Philippe Dumas (L’Ecole des Loisirs). Ce dernier, un coffret de trois petits livres, est d’origine douteuse. Il provient, un tampon en atteste, du B.C.D. Plan Paris Lecture. Cette fois, je ne signale pas le vol éventuel à celui à qui je paie.
Un café à un euro vingt au comptoir du Bistrot d’Edmond et me voici dans le troisième Book-Off, désormais le moins intéressant. Encore plus ce mercredi car un grand désordre règne au rayon Littérature. On y trouve surtout les œuvres des comiques de télévision. Je signale ce bazar à celui que je pense être le nouveau responsable. Il va y remédier. Je repars de là après avoir dépensé seulement un euro pour Mémoires inédits de Mathilde Bonaparte (Les Cahiers Rouges Grasset).
Dans le train de seize heures quarante qui me ramène à Rouen je termine la lecture de Vladimir Nabokov. Mes voisines d’outre couloir lisent Michel Bussi, deux livres que leur a dédicacés l’auteur, ce qui les réjouit fort.
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Coup de feu dans la nuit du côté de la rue Saint-Romain. A moins que ce soit un pétard. Dans ce cas, pourquoi un seul ? Un suicide peut-être, me dis-je avant de me rendormir. Je ne pense pas avoir rêvé.
25 janvier 2024
Ce mardi est le jour de ma visite annuelle à la podologue. J’ai le premier rendez-vous de la journée, neuf heures. C’est avec un bus Teor et le métro que je rejoins le Boulingrin.
Rien de nouveau dans l’état de mes pieds, constate-t-elle après les examens habituels mais dans la fabrication de mes semelles orthopédiques, il lui faudra tenir compte du fait que désormais mes Docs sont pointure quarante-sept. C’est l’ultime.
Autre constat, que je fais seul, j’ai de plus en plus de mal à remettre mes chaussettes. A la maison, je les enfile assis sur mon lit ; comme un vieux quoi. Le rendez-vous pour la remise (comme elle dit) est déjà pris. Ce sera début février.
Je paie à la secrétaire une somme rondelette et peu remboursée par la Sécu et ma mutuelle puis redescends pédestrement jusqu’à chez moi.
*
Pratique quand on trouve exprimé par un autre, Nicolas Mathieu en l’occurrence, ce que l’on pense de cette pétition visant à empêcher Sylvain Tesson d’être le parrain du Printemps des Poètes, je n’ai qu’à le citer :
« On ne parlera pas de cette sombre affaire Tesson en particulier. Ni des mobiles qui poussent des auteurs et des autrices à faire front commun non plus contre des idées mais contre un homme. Le SAV des prises de position est devenu un job à temps plein et ce temps qu'on y consacre semble de plus en plus vide. Un peu la flemme. Juste deux trois remarques. J'ai durant toute ma vie admiré le travail d'auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n'ai jamais pensé qu'il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. Je nourrirai sans doute jusqu'au bout les mêmes passions embarrassantes parce que compliquées : l'amour, les livres, la politique. Jamais la politique ne l'a emporté. Jamais mes idées n'ont été les maîtresses de mes autres pentes. Jamais je n'ai pensé que l'éventualité d'un monde meilleur valait qu'on sacrifie un bon bouquin. Le monde est assez détestable et le serait d'autant plus qu'on n’y admettrait pas d'autres horizons que le sien. Je me suis parfois entendu à merveille avec des gens dont je réprouvais les idées, et des gens de mon camp peuvent tout à fait m'exaspérer. Pour finir, je crois qu'il faut craindre autant que le mal certains moyens que l'on met à favoriser l'avènement du bien. »
Rien de nouveau dans l’état de mes pieds, constate-t-elle après les examens habituels mais dans la fabrication de mes semelles orthopédiques, il lui faudra tenir compte du fait que désormais mes Docs sont pointure quarante-sept. C’est l’ultime.
Autre constat, que je fais seul, j’ai de plus en plus de mal à remettre mes chaussettes. A la maison, je les enfile assis sur mon lit ; comme un vieux quoi. Le rendez-vous pour la remise (comme elle dit) est déjà pris. Ce sera début février.
Je paie à la secrétaire une somme rondelette et peu remboursée par la Sécu et ma mutuelle puis redescends pédestrement jusqu’à chez moi.
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Pratique quand on trouve exprimé par un autre, Nicolas Mathieu en l’occurrence, ce que l’on pense de cette pétition visant à empêcher Sylvain Tesson d’être le parrain du Printemps des Poètes, je n’ai qu’à le citer :
« On ne parlera pas de cette sombre affaire Tesson en particulier. Ni des mobiles qui poussent des auteurs et des autrices à faire front commun non plus contre des idées mais contre un homme. Le SAV des prises de position est devenu un job à temps plein et ce temps qu'on y consacre semble de plus en plus vide. Un peu la flemme. Juste deux trois remarques. J'ai durant toute ma vie admiré le travail d'auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n'ai jamais pensé qu'il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. Je nourrirai sans doute jusqu'au bout les mêmes passions embarrassantes parce que compliquées : l'amour, les livres, la politique. Jamais la politique ne l'a emporté. Jamais mes idées n'ont été les maîtresses de mes autres pentes. Jamais je n'ai pensé que l'éventualité d'un monde meilleur valait qu'on sacrifie un bon bouquin. Le monde est assez détestable et le serait d'autant plus qu'on n’y admettrait pas d'autres horizons que le sien. Je me suis parfois entendu à merveille avec des gens dont je réprouvais les idées, et des gens de mon camp peuvent tout à fait m'exaspérer. Pour finir, je crois qu'il faut craindre autant que le mal certains moyens que l'on met à favoriser l'avènement du bien. »
23 janvier 2024
Quand il y a eu prescription, Daniel de Roulet a avoué être l’auteur, le cinq janvier mil neuf cent soixante-quinze, de l’incendie du chalet suisse du magnat de la presse allemande Axel Springer, ancien nazi. L’apprenant, j’ai songé à un acte dont je me suis rendu coupable à la même époque avec d’autres élèves-maitres de l’Ecole Normale d’Evreux résidant dans la pseudo communauté des Grands-Baux (commune des Baux-Sainte-Croix), un acte non pas prémédité comme le sien mais improvisé.
Je ne sais plus ce qu’on faisait dans la forêt. Peut-être cherchait-on des champignons. Nous découvrîmes une petite maison cachée parmi les arbres. En regardant par une fenêtre, nous vîmes que c’était un camp de base des Gaullistes de l’Udéherre (Union des Démocrates pour la République), des ancêtres de Les Républicains.
Après avoir forcé une porte, nous déchirâmes les nombreux tracts et affiches d’une campagne électorale en cours. L’un de nous ayant besoin de rideaux, nous décrochâmes ceux qui se trouvaient là. Peut-être avons-nous volé autre chose mais je n’en ai pas souvenir. Heureusement, aucun de nous n’eut l’idée de mettre le feu avant de repartir dans ma Méhari.
Ce n’est qu’au retour que je me suis dit que j’avais fait une belle connerie, ma voiture étant facilement identifiable. J’ai tremblé les jours qui ont suivi, surtout quand des Gendarmes vinrent sonner à la grille. Ils cherchaient quelqu’un, un nom qui nous était inconnu.
*
Des années plus tard, quand j’habitais le logement de fonction au-dessus de l’école du Bec-Hellouin, j’ai repensé aux conséquences fâcheuses qu’aurait pu avoir cette histoire en entendant un jour à la radio l’histoire d’un couple d’instituteurs qui s’étaient fait arrêter pour cambriolage. Ils avaient notamment volé des rideaux et les avaient installés à leurs fenêtres. Leur légitime propriétaire passant par là avait reconnu son bien.
Je me souviens m’être dit qu’ils auraient pu s’en tirer en déclarant avoir acheté ces rideaux dans un vide grenier.
Je ne sais plus ce qu’on faisait dans la forêt. Peut-être cherchait-on des champignons. Nous découvrîmes une petite maison cachée parmi les arbres. En regardant par une fenêtre, nous vîmes que c’était un camp de base des Gaullistes de l’Udéherre (Union des Démocrates pour la République), des ancêtres de Les Républicains.
Après avoir forcé une porte, nous déchirâmes les nombreux tracts et affiches d’une campagne électorale en cours. L’un de nous ayant besoin de rideaux, nous décrochâmes ceux qui se trouvaient là. Peut-être avons-nous volé autre chose mais je n’en ai pas souvenir. Heureusement, aucun de nous n’eut l’idée de mettre le feu avant de repartir dans ma Méhari.
Ce n’est qu’au retour que je me suis dit que j’avais fait une belle connerie, ma voiture étant facilement identifiable. J’ai tremblé les jours qui ont suivi, surtout quand des Gendarmes vinrent sonner à la grille. Ils cherchaient quelqu’un, un nom qui nous était inconnu.
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Des années plus tard, quand j’habitais le logement de fonction au-dessus de l’école du Bec-Hellouin, j’ai repensé aux conséquences fâcheuses qu’aurait pu avoir cette histoire en entendant un jour à la radio l’histoire d’un couple d’instituteurs qui s’étaient fait arrêter pour cambriolage. Ils avaient notamment volé des rideaux et les avaient installés à leurs fenêtres. Leur légitime propriétaire passant par là avait reconnu son bien.
Je me souviens m’être dit qu’ils auraient pu s’en tirer en déclarant avoir acheté ces rideaux dans un vide grenier.
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