Le Journal de Michel Perdrial

Le Journal de Michel Perdrial




Loïc Boyer
Je suis l’auteur de textes courts qui furent publiés depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze dans des revues littéraires en France (Supérieur Inconnu, Supplément d’Ame, Nouvelle Donne, Le Bord de l’Eau, Pris de Peur, l’Art du Bref, Sol’Air, Gros Textes, Salmigondis, Verso, Décharge, Bulle, Filigranes, Diérèse, Martobre, Comme ça et Autrement, (Cahier d’) Ecritures, La Nef des Fous), en Belgique (Traversées, Ecrits Vains, L’Arbre à Plumes, Inédit Nouveau, Bleu d’Encre), au Canada (Les Saisons Littéraires) et en Italie (Les Cahiers du Ru).
Les courageuses Editions du Chardon ont publié en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf Erotica, un recueil de vingt-huit de ces textes, illustré par Isabelle Pio et Antoine Lopez et préfacé par Sarane Alexandrian, toujours disponible auprès de moi.
Je suis également l’auteur d’une pièce de théâtre et de plusieurs romans ou récits à ce jour inédits.
Depuis le onze novembre deux mille six, je publie mon Journal via Internet, un temps sous-titré Persiflages, moquages et autres énervages mâtinés de complimentages et de contentages. Sa première partie est lisible chez Eklablog, la deuxième ici.
Je vis au centre de Rouen dans un ancien monastère où autrefois les Sœurs de la Miséricorde se vouaient à l’éducation des jeunes filles.







Rss

4 février 2021


En septembre mil huit cent cinquante-deux, Eugène Delacroix, assez déprimé, tente de se refaire une santé à Dieppe, ce qu’il narre dans son Journal publié chez Plon dans la collection Les Mémorables :
Lundi six septembre mil huit cent cinquante-deux : Parti pour Dieppe à huit heures ; à neuf heures à Mantes ; à dix heures un quart, à peu près, à Rouen. Le reste du trajet, n’étant pas direct, a été beaucoup plus long.
Arrivé à Dieppe à une heure. Trouvé là M. Maison. Logé hôtel de Londres avec la vue sur le port que je souhaitais et qui est charmante. Cela me fera une grande distraction.
Dans toute cette fin de journée, dont j’ai passé une grande partie sur la jetée, je n’ai pu échapper à un extrême ennui.
Jeudi neuf septembre mil huit cent cinquante-deux : Vu l’église du Pollet. Cette simplicité est toute protestante ; cela ferait bien avec des peintures. – Le soir, j’ai joui de la mer, pendant une heure et demie ; je ne pouvais m’en détacher.
Samedi onze septembre mil huit cent cinquante-deux : La jeune dame de la table d’hôte, qui se trouve être seule, y était à son avantage ; il est vrai que le noir lui sied mieux et ôte un peu de vulgarité. Elle était vraiment belle par instants, et moi assez occupé d’elle, surtout quand elle est descendue au bord de la mer, où elle a trouvé charmant de se faire mouiller les pieds par le flot. A table, sur le tantôt, je l’ai trouvée commune. La pauvre fille jette ses hameçons comme elle peut ; le mari, ce poisson qui ne se trouve pas dans la mer, est l’objet constant de ses œillades, de ses petites mines. Elle a un père désolant…
Dimanche douze septembre mil huit cent cinquante-deux : En vérité, je suis d’une bêtise extrême : je suis simplement poli et prévenant pour les gens ; il faut qu’il y ait dans mon air quelque chose de plus. Ils s’accrochent à moi, et je ne peux plus m’en défaire. (…)
Je fais ici d’une manière assez complète cette expérience qu’une liberté trop complète mène à l’ennui. (…)
Saint-Rémy me produit beaucoup plus d’effet que Saint-Jacques, qui est cependant d’un meilleur goût, plus ensemble et d’un style continu. La  première de ces deux églises est d’un goût bâtard tout à fait semblable à l’église de l’abbaye de Valmont, et qui prêterait beaucoup à la critique des architectes.
Mardi quatorze septembre mil huit cent cinquante-deux : Ma dernière journée à Dieppe n’a pas été la meilleure. J’avais la gorge irritée d’avoir trop parlé la veille. J’ai été au Pollet, après avoir fait ma malle, pour éviter les rencontres. (…)
Parti à sept heures moins le quart. Chose merveilleuse ! nous étions à Paris à onze heures cinq. Un jeune homme fort bienveillant, mais qui m’a fatigué, a partagé ma société.
                                                                 *
En bonus :
Mardi dix février mil huit cent cinquante-deux : C’est là aussi et chez Nodier d’abord, que j’ai vu pour la première fois Balzac, qui était alors un jeune homme svelte, en habit bleu, avec, je crois, gilet de soie noire, enfin quelque chose de discordant dans la toilette et déjà brèchedent. Il préludait à son succès.
Lundi premier mars mil huit cent cinquante-deux : L’homme qui apporte ordinairement le charbon de terre et le bois est un drôle plein d’esprit. Il cause beaucoup. Il demande l’autre jour la gratification et dit qu’il a beaucoup d’enfants. Jenny lui dit : « Et pourquoi avez-vous tant d’enfants ? » Il lui répond : « C’est ma femme qui les fait. »
 

3 février 2021


Donc, après vingt-deux ans d’interruption, Eugène Delacroix reprend l’écriture de son Journal le mardi dix-neuf janvier mil huit cent quarante-sept et cette fois il s’y tient.
Fini le culbutage de modèles, le voici apparemment rangé, sous la surveillance de Jenny, sa gouvernante.
Voici, relevés par mes soins, les passages qui relatent son escapade de mil huit cent quarante-neuf à Rouen puis à Valmont dont l’abbaye appartenait à un sien cousin au temps de son enfance :
Rouen – Jeudi trois octobre mil huit cent quarante-neuf : Le retard que j’ai mis à mon départ qui devait avoir lieu hier est cause que j’ai manqué à Rouen l’occasion de voir mon tableau de Trajan. Quand je suis arrivé au Musée, il était depuis le matin seulement (et c’était le jeudi) couvert à moitié par des charpentes élevées pour l’exposition des peintres normands.
Arrivé à Rouen à midi et demi. Ces tunnels sont bien dangereux. Je passe sur l’immense danger : ils ont encore l’ennui de couper la route sottement. Déjeuné à l’Hôtel de France, où je me suis trouvé avec plaisir, en pensant à mon premier voyage que j’ai fait dans ce pays  (…)
A Saint-Ouen ensuite : ce lieu m’a toujours donné une sublime impression : je ne compare aucune église à celle-là.
Rentré fatigué et peu disposé. Dîné tard et peu. Ressorti pour me secouer. Trempé par la pluie qui est continuelle dans ce pays, je suis rentré vers dix heures.
Samedi six octobre mil huit cent quarante-neuf : Ce jour, sorti tard : vu la cathédrale, qui est à cent lieu de produire l’effet de Saint-Ouen ; j’entends à l’intérieur, car extérieurement, et de tous les côtés, elle est admirable. (…)
A Saint-Maclou ; vitraux superbes, portes sculptées, etc. Le devant sur la rue a gagné à être dégagé. On a fait là depuis quelques années une nouvelle rue à la moderne qui va jusqu’au port.
Rentré d’assez bonne heure, après avoir été à Saint-Patrice, dont les vitraux sont beaux, mais m’ont ému faiblement. (…)
Dîné à trois heures ; parti à quatre heures et demie. Cette route faite le soir par un temps riant est charmante. Dérangé par les caquetages d’un jeune avocat, insolent comme tous les jeunes gens, et de son client, bavard insupportable.
A Yvetot, désappointement. Pris un cabriolet ; arrivé tard à Valmont. La grande allée du château a disparu. J’ai éprouvé là l’émotion la plus vive du retour dans un endroit aimé. Mais tout est défiguré… le chemin est changé, etc.
Mercredi vingt-quatre octobre mil huit cent quarante-neuf : A Rouen vers une heure, et fait toute la route jusqu’à Paris sans compagnon de voiture. Avant Rouen, il était venu une délicieuse femme avec un homme âgé ; j’ai beaucoup joui de sa vue, pendant le peu de temps qu’elle a passé dans la voiture. J’étais assez mal disposé. J’avais déjeuné sans faim, et cette disposition, qui m’a empêché de manger toute la journée, a agi sur mon humeur. Cependant les bords de la Seine, les rochers qu’on voit le long de la route, depuis Pont-de-l’Arche jusqu’au-delà de Vernon, ces mamelons presque réguliers, qui donnent un caractère particulier à tout ce pays, etc. Mantes, Meulan. Aperçu Vaux, etc.
Triste en arrivant : la migraine y contribuant. Attendu longtemps pour les paquets. Trouvé Jenny qui m’attendait. Je n’ai pas été fâché de trouver, en arrivant, ses bons soins.
                                                                    *
En bonus :
Douze mars mil huit cent quarante-sept : Après mon dîner, chez Mme Sand. Il fait une neige affreuse, et c’est en pataugeant que j’ai gagné la rue Saint-Lazare. Le bon petit Chopin nous a fait un peu de musique. Quel charmant génie !
Mercredi quatorze février mil huit cent quarante-neuf : Mme de Barrière son amie s’est bien trouvée du goudron pour une maladie du larynx. Faire fondre dans les commencements dans beaucoup d’eau et organiser un appareil pour ne rien perdre. Le goudron des ports vaut mieux.
 

2 février 2021


Deux fois lu par mes soins, le Journal d’Eugène Delacroix (Plon), commencé par lui le mardi trois septembre mil huit cent vingt-deux s’interrompt le mardi cinq octobre mil huit cent vingt-quatre. Il ne reprendra cette pratique qu’en mil huit cent quarante-sept.
Jeune peintre, Delacroix, comme l’époque le lui permettait, ne craignait pas d’utiliser ses jeunes modèles à d’autres fins, lorsque toutefois son ardeur le lui permettait, ainsi que le montrent ces quelques extraits :
Vendredi seize mai mil huit cent vingt-trois : J’ai vu mardi dernier Sidonie. Il y a eu quelques moments ravissants. Qu’elle était bien, nue et au lit ! Surtout des baisers et des approches délicieuses.
Lundi douze janvier mil huit cent vingt-quatre : Je suis rentré à mon atelier saisi de zèle et, Hélène étant arrivée peu après, j’ai tout de suite fait quelques ensembles pour mon tableau. Elle a emporté malheureusement une partie de mon énergie de ce jour.
Dimanche vingt-cinq janvier mil huit cent vingt-quatre : J’ai pensé, en revenant de mon atelier, à faire une jeune fille rêveuse qui taille une plume, debout devant une table.
Mercredi sept avril mil huit cent vingt-quatre : Ce matin Hélène est venue. O disgrâce… Je n’ai pu. – Irais-je sur les traces de mon brave frère ?
Lundi douze avril mil huit cent vingt-quatre : Je suis toujours possédé d’une petite fièvre qui me dispose facilement à une émotion vive.
Dimanche dix-huit avril mil huit cent vingt-quatre : A l’atelier à neuf heures. Laure venue. Avancé le portrait. C’est une chose singulière que l’ayant désirée tout le temps de la séance, au moment de son départ, assez précipité à la vérité, ce n’était plus tout à fait de même ; il m’eût fallu le temps de me reconnaître.
Lundi vingt-six avril mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a manqué de parole. J’ai travaillé toute la journée avec chaleur. J’étais fatigué sur le soir. Retouché les jambes du jeune homme au coin et la vieille.
Mercredi neuf juin mil huit cent vingt-quatre : La Laure m’a amené une admirable Adeline de seize ans, grande, bien faite et d’une tête charmante. Je ferai son portrait et m’en promets ; j’y pense.
Lundi quatorze juin mil huit cent vingt-quatre : J’aurais besoin d’une maîtresse pour mater la chair d’habitude. J’en suis fort tourmenté et soutiens à mon atelier de magnanimes combats. Je souhaite quelquefois la venue de la première femme venue. Fasse le ciel que vienne Laure demain !
 

1er février 2021


Si ce n’est la plus efficace, au moins ce doit être la plus bruyante, cette tronçonneuse en activité samedi matin dans le jardin. Un voisin propriétaire y dirige un acolyte outillé de cet engin, tout en participant lui-même avec une scie. Il s’agit de ramener à une hauteur raisonnable la haie qui longe le mur du fond de la copropriété. Au temps où le jardin était entretenu par un paysagiste, cette haie ne dépassait pas un mètre et était taillée avec une simple cisaille. Depuis que les copropriétaires ont repris la main et font le minimum, elle a été abandonnée à elle-même et atteint au moins deux mètres.
Soudain, entre deux rugissements mécaniques, on tape violemment dans la porte du porche. Le voisin propriétaire va ouvrir. C’est une femme énervée de derrière le mur. Elle s’en prend à lui sans que je n’arrive à comprendre pourquoi, car il semble que si ça coupe ce matin, c’est justement à la demande de la copropriété d’outre mur.
Le voisin propriétaire fait ressortir l’intruse en lui conseillant d’aller faire un tour. Au lieu de cela quelques minutes plus tard elle tambourine à nouveau. Elle veut savoir le nom du propriétaire à la scie. « Je n’ai pas à vous donner mon nom, lui répond-il, et vous êtes trop énervée pour que l’on puisse discuter. » Elle finit par repartir en menaçant de son mari.
Le bruit de tronçonnage se poursuit, nuisant gravement au concert de carillon et sans que n’apparaisse le conjoint.
 

30 janvier 2021


Surprise au réveil ce samedi, le troisième confinement n’est plus à l’ordre du jour. Ce pourrait être rassurant si on ne savait pas que chaque décision est susceptible d’être remise en cause le lendemain.
La seule vraie nouveauté est la fermeture des plus grandes des grandes surfaces. Les commentateurs ne citent qu’Ikea, un temple pour beaucoup. Je me flatte de n’y jamais avoir mis un pied.
Ce qui arrive comme prévu, c’est la pluie quotidienne, une incitation supplémentaire à se tenir enfermé.
J’en suis victime. Avant-guerre, j’avais de grosses difficultés à rester une journée sans sortir de chez moi. A présent, quand il pleut, je dois me forcer pour quitter la maison. Ne serait-ce qu’aller acheter du pain me coûte.
 

29 janvier 2021


Comme je l’avais pressenti, les secondes doses empêchent les nouvelles premières doses. S’ajoute à cela la livraison des vaccins revue à la baisse chaque matin. Ce n’est pas demain la veille que je pourrai être piqué et ainsi en est-il de tou(te)s les plus de soixante-cinq ans.
Lors de la Deuxième Guerre Mondiale les masques à gaz étaient distribués à tout le monde en même temps. Je l’ai lu et relu dans les Journaux de Guerre. On ne disait pas à certain(e)s « Désolé, c’est la pénurie, il va falloir attendre trois mois, en cas de gazage évitez de respirer. »
En cette fin janvier, s’il y avait eu assez de vaccins pour tout le monde, quatre-vingt-quinze pour cent des futurs morts auraient échappé à ce sort funeste.
                                                                *
Parmi les vacciné(e)s : soixante-dix pour cent de femmes, trente pour cent d’hommes. C’est dire s’il est difficile pour ces derniers d’atteindre soixante-quinze ans.
                                                                *
De Pierre Ducrozet : « Il y a beaucoup d'incertitudes, oh oui, on nage dedans, ma bonne dame, tout flotte on ne sait plus rien - mais une chose, une seule chose est certaine : si tu dis LA Covid, tu es de droite. »
 

28 janvier 2021


D’abord il y a eu urgence à agir, puis décision d’attendre une semaine qu’on sache si le couvre-feu à dix-huit heures sert à kekchose, puis se persuader dès maintenant que ça ne sert pas comme il faudrait, et se dire qu’il faut vite prendre une décision afin de ne pas être accusé d’avoir traîné, tel est le nouveau vent de panique qui souffle sur nos dirigeants politiques et qui va mener à un choix obligé, ce troisième confinement, pouvant même être « très serré » (comme dit le porte-parole du Gouvernement).
                                                          *
Ces journalistes qui s’étonnent des émeutes des derniers jours aux Pays-Bas. «Un pays si calme», disent-ils. Manifestement, ils n’ont jamais entendu parler des Provos de mil neuf cent soixante-sept.
La différence étant que ces derniers contestaient la société de consommation alors que les émeutiers du jour la soutiennent en pillant les magasins.
 

27 janvier 2021


J’ai toujours eu conscience en prenant ou en renouvelant une carte d’adhérent que je faisais preuve d’optimisme. Ainsi en fut-il pour ma dernière carte Pop du Centre Pompidou, d’une durée de deux ans, prise le douze novembre deux mille dix-neuf. Pourrai-je être encore vivant ou simplement valide pour l’utiliser jusqu’au bout. Je n’avais pas envisagé l’autre éventualité, que ce soit le Centre Pompidou qui défaille.
Il l’a été par la faute du Covid et ne m’a offert en compensation qu’une prolongation de la validité de cette carte Pop égale à la durée de la fermeture du Musée. Rien pour compenser, entre le premier et le deuxième confinement, mon refus de fréquenter sur réservation un lieu où j’allais librement avant.
Et voici maintenant ce Centre Pompidou qui annonce sa fermeture pour gros travaux entre deux mille vingt-trois et deux mille vingt-sept (comprendre : deux mille vingt-huit voire vingt-neuf). Comme il est peu probable qu’on soit complètement sorti de la pandémie avant deux mille vingt-trois et je n’ai toujours aucune envie d’y entrer en mode dégradé, je crains de ne pouvoir y retourner un jour.
                                                                       *
Autre achat téméraire de la même époque : celui d’une carte « dix voyages » pour le tramouais du Havre. Je n’ai pu l’utiliser que le temps d’un aller-retour entre la Gare et la plage. Elle va expirer le six juillet deux mille vingt et un. Je doute d’avoir l’occasion de retourner là-bas quatre fois avant sa péremption.
 

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